LE CAUCHEMAR DU ROI HACOUROU

Toute histoire commence un jour, quelque part. Ainsi sur les basses terres fertiles du
Mandé (dans le Mali actuel), où hommes, nature et animaux vivaient en parfaite
symbiose, régnait le roi Hacourou.
Fier comme tout bon maninka de ses aïeux, Hacourou était la réincarnation du vieil
adage : « Qui aime bien, châtie bien ». Il savait si bien prêter de sa personne et de son
attention à ses adversaires que ses amis Lui collèrent l’étiquette : « sébé mogo » (bonne
personne) Mais cette bonté ne l’empêchait pas de châtier ses détracteurs.
Hacourou croyait à l’invisibilité, à l’invulnérabilité, à l’ubiquité et à l’immortalité de ➢ Hunhunn... grogna le soman à l’adresse de son fétiche. N’ayez crainte notre
bon roi. Les génies ont répondu à notre appel de détresse. Tant que les jours
succèderont aux nuits, votre soleil brillera sur le Mandé. Car vous demeurez
le symbole de notre prospérité... Cependant, comme toute entreprise
humaine, cela supposera de très grands sacrifices expiatoires de votre part. Il
vous reste encore un très long parcours sur le trône du Mandé. Un parcours
qui vous verra mettre en terre certains de vos plus proches parents et amis
qui n’auront hélas pas la chance d’égaler votre longévité... Ainsi va la vie.
Votre cauchemar, oh puissant souverain, n’est qu’un rêve prémonitoire...
C’est ainsi que les fétiches ont parlé et je n’ai fait qu’interpréter à la mesure
de mon possible. Que le roi veuille bien me pardonner si mes propos d’une
manière quelconque l’ont offensé.
Le roi Hacourou qui apprécia la pondération de ce ton à sa juste valeur fit couvrir
d’or et d’honneur le grand soman !
Ce dernier, en apprenant le sort de son collègue, conclut que de tout l’arsenal de son
métier la parole restait l’arme la plus redoutable : « Car sans le vouloir, elle
peut se dresser contre celui qui la détient et lui être fatale ! ».
l’âme humaine. Imbu de la tradition ancestrale, Hacourou savait qu’aucun règne au
Badougou ne durerait s’il ne s’appuyait pas sur le soutien des forces occultes, celles des
ténèbres, inaccessibles aux non-initiés.
Aussi était-il devenu si superstitieux qu’il remplit sa cour de meilleurs « soman »
(féticheur) de son royaume. Tout était sujet à interprétation de la part de ces derniers. Le
puissant souverain avait malencontreusement avalé sa nourriture de travers : le sacrifice
d’un taureau rouge s’imposait afin de conjurer le mauvais présage.
En sortant de son palais, son pied gauche avait précipitamment devancé celui de la
droite : il fallait encore sonder les génies et faire offrande d’une vierge aux mânes des
maninka ! Les soman du Mandé n’avaient jamais trouvé meilleur temple pour exercer
leurs talents plus que la cour de ce roi.
Il advint qu’une nuit de pleine lune ; alors que le roi Hacourou sombrait dans un
sommeil léthargique, il fut visité dans son lit par un atroce cauchemar. Il rêva, en
effet, qu’il venait de perdre toutes ses dents !
Traumatisé par un tel rêve, Sa majesté, durant tout le lendemain, perdit et son légendaire
sourire (à juste cause) et son appétit. C’est naturellement qu’il fît appel au service dedeux plus grands interprétateurs de songes de son royaume. Ceux-ci eurent recours à
Makoungoba, à Kontron ani Sanè et à Diafrin afin de trouver une explication à son
mystérieux rêve.
Le roi Hacourou qui les attendait au crépuscule du troisième jour, les reçut séparément
dans son « tieya boulon » (maison intime)
➢ Oh ! mon roi Hacourou, débuta le premier soman introduit. Souverain des
basses terres du Mandé, je ne pus imaginer un instant ce qui vous arrive. J’ai
beau interrogé mes fétiches, ils ne me donnent que de floues et lugubres
réponses... Le moment de votre cauchemar est plus que révélateur du grand
danger qui guette votre trône. Après la pleine lune, l’astre nocturne ferme
peu à peu son œil terne et nous plonge dans les ténèbres ! La mort rôde
autour de votre couronne ! Les dents si précieuses et vigoureuses ne se
perdent pas, même dans un rêve, sans raison valable. .. Mon Tourabou, oh
roi, ne montre que désolation, horreur et trépas dans votre cour !
Le roi Hacourou déjà terrassé par la psychose de son cauchemar, fut terriblement
interloqué par tant de violence abrupte dans le verbe de son soman. Il le fit mettre à
mort ! Car, se dit-il : « Un soman qui prédit la fin du monde devrait commencer par
creuser sa propre tombe ! ».
Le second, par des gestes très cérémonieux, commença par saluer le roi Hacourou
fortement affligé. Il ouvrit sa sacoche, en sortit son fétiche protecteur et s’exprima en
ces termes : « Kotiéman sunsun ani batiéman sunsun, oh fétiche de mes aïeux ! C’est le
puissant roi des basses terres du Mandé qui vous parle à travers ma modeste personne. Il
se trouve dans de graves tourments... Et quand le roi Hacourou étouffe, c’est tout le
Mandé qui toussote. »
Il leva la tête. Croqua un cola rouge et le cracha sur son fétiche ! Le roi, pris de stupeur,