Larmes bleues

Toute histoire commence un jour, quelque part, la mienne se retrouve coincée dans un puits de peur, d’angoisse et de malheur, assise dans une cabine de confession. Sur cette chaise, entourée des yeux invisibles, je suis disposée à plaider coupable et à être lavée de mes fautes. Je réclame du Divin le pardon de mes péchés! Voilà !
-Bénissez-moi mon père, car j’ai péché !
Il y a très longtemps que la mémoire de mes aïeux ait été souillée par mes choix. Fille cadette d’une famille pauvre et nombreuse, manger à notre faim n’était pas de mise. Notre éducation se faisait sur la cour du chagrin, au gré du soleil et de la pluie. La misère, la colère et les pleures étaient de nos quotidiens. Des passages de mépris imbibaient nos âmes. Cependant, je rêvais toujours d’une vie modeste, tombée sur les étoiles et fleurie sous les nuages. Hélas ! Paraît-il que j’avais pris le mauvais chemin pour y parvenir!
Devenue femme façonnée de marbres et de perles, je me vautrais, pendue aux bras d’un homme de pouvoir très influent. Avec beaucoup d’amertumes, Cette boule de suif fut le sauveur qui m’avait arraché de la poussière. Il m’avait promis le mieux-être et le manque de rien. Ce qu’il avait fini par réaliser. Néanmoins, ce monsieur me tenait en laisse comme une bête, il me dirigeait et me conduisait comme une machine. Je me courbais à ses différentes demandes telles une serve à son seigneur. Ce bourreau lapida mon être tout comme il dilapida l’argent du peuple. J’étais envoûtée d’une douce détresse.
Je fus impliquée dans toutes ses fourberies, j’étais la banque qui cachait ses butins débordants. L’enthousiasme de ma jeunesse se fanait, j’étais perdue, j’incarnai le mal du péché. Je ne fus rien qu’une riche maîtresse d’un grand homme pauvre de cœur aux bras d’acier. J’avais beau cherché la délivrance et le réconfort à travers les murs de mon château. Je marchais dans la vallée de l’ombre d’une femme mal-aimée. Mon corps paya à juste prix les privilèges dont je me réjouissais sans contrainte. J’avais les mains nouées, les yeux qui regardaient sans voir, une bouche qui parlait sans voix. J’incarnais la belle souffrance. Des menaces à outrances fouettaient mon esprit. Je craignais que la mort ne me poursuive.
-Mon père ! Mon père ! Etes-vous là ? Répondez au nom du grand Maître!
-Parle mon enfant! Il est parmi nous.
-N’était-il pas présent durant mon enfance ?
-Ma fille, le monde est constitué de multiples épreuves.
-Alors je continue! Deux jours de cela, chez nous, une grande réunion bouillait dans notre salon. J’écoutais subtilement derrière une porte, le vent me sifflait aux oreilles quelques mots. Tels que : argents, ministre des finances, nos poches, le plaisir. Ah oui ! Ils avaient soutiré de l’argent à ce vieux barbu qui désirait garder son poste. Dommage ! Le pouvoir fait ramper les faibles !
D’un ton fort, il cria mon nom. Mon travail consistait de servir ses confrères et de me laisser moudre après.
« Vite, vite ! Ramasse les liasses de billets ! Porcelaine sans cervelle » :disait-il !
J’empilai le magot dans une boîte et je descendis doucement à la cave. Accroupie au sol, j’ai pleuré ma peur, ma conscience et mon silence.
De quoi avais-je peur? Du fait d’avoir vu ma mère mourir de tuberculose et de faim? De regarder mon père sombré dans l’alcool ? D’assister à l’égorgement de mes naïfs frères? Devrais-je tout abandonner, laisser derrière moi tout ce luxe qui me coûta la dignité? Déboussolée, je regagnais ma chambre, les yeux gonflés et la gorge sèche. Le cri de mon désespoir voulait se faire entendre. J’avais besoin d’une brusque poussée pour partir loin de ce milieu corrompu. Cette situation me rendait très vulnérable et suspecte. Je m’étais promis de ne pas en sortir les mains vides. « Je gagnerai » :murmurais-je.
La rencontre était fructueuse, ces messieurs riaient aux éclats. Du haut du balcon de ma chambre qui donnait sur l’arrière-cour, je le regardais serrer les mains de ses associés qui partaient. Quelques minutes après, il me rejoignit pour continuer à festoyer, il but, chanta et il dansa comme un enfant. Je ne l’avais jamais vu ainsi au paravent, ce qui me laissa croire que la somme qui se trouva dans la boîte était peut être exorbitant. Il m’attirait vers lui, avec beaucoup de fougue, j’avais dû jouer le jeu de la passion et avec beaucoup de rage, je remplissais mon devoir de bonne femme envers son homme.
Une heure plus tard, avachi sur le lit, monsieur dormait profondément. J’aurais bien pu rester et partir à l’aube. Mais non ! J’avais le grand besoin de fuir, partir d’ici tout en évitant les regards hypocrites de mes voisins. J’attendis la nuit pour prendre mes papiers, les bijoux de valeur que je recevais après chaque dispute sanglante et cette fameuse belle boîte. J’errais dans la nuit, seule dans une voiture, je conduisais pour aller aussi loin que je connaissais. Quatre heures après ma fugue, je roulais à morne Puilboreau, j’admirais le paysage, je respirais l’air de ma liberté. Arrivée à Limbé, un magnifique village à une trentaine de minutes de la deuxième ville du pays, dans le nord, un enfant m’avait indiqué un motel dans lequel je pourrais me reposer, penser et projeter un futur proche.
Aujourd’hui, avec une grande fierté, j’ai fait mon atterrissage au Cap-Haitien. Dans cette vieille cathédrale, je viens de vous défiler mon passé périlleux. Comme une nomade, je marcherai à la quête du bonheur. Je voyagerai et resterai dans un milieu qui me paraîtra idéal, dans lequel je m’installerai et pourrai vivre en paix. Avec un grand sourire je profiterai de chaque jour et je tâcherai de le rendre unique. L’argent qui se trouve dans la boîte est celui du peuple et je fais partie de ce peuple. Je partagerai à ceux qui reflètent le désespoir de mon enfance.
-Ma fille, cette boîte, il faut la rendre aux autorités et justice sera rendue au peuple.
-Je n’ai jamais eu droit à la justice, je garde la boîte et Pardonnez-moi mon père car j’ai encore péché...