Ce matin, tu ne te réveilles pas car tu n'as pas dormi, le soleil est arrivé à l'improviste. L'idée même de dormir ne t'a pas effleuré l'esprit, tu as fait le choix d'aller au bout de tes ... [+]
Devant ma maison, il y avait un arbre, un très vieil arbre, tout noueux, tout tordu, l'écorce creusée de rides, mais aux feuilles d'un vert profond quand s'allongeaient les jours. Son tronc, il fallait trois grandes personnes pour en faire le tour. Sa ramure était peuplée de chants d'oiseaux.
C'était un grand-père mûrier.
Bien plus vieux que moi, qui ne suis déjà plus très jeune.
Bien plus vieux que nous tous.
L'été, il protégeait la maison de son ombre, l'automne, son feuillage se changeait en or. Voilà l'arbre d'or ! Pour quelques semaines, il n'y avait pas d'homme plus riche que moi en ce monde. Le soleil illuminait ma fortune, la transperçait de ses rayons poudrés de jaune pur. L'air était encore doux, le ciel d'un bleu limpide.
Ses branches les plus hautes dépassaient le toit de la maison. Des pies y avaient construit leur nid.
Mais puisque rien ne dure, ni la jeunesse, ni la richesse, ni la toile la mieux tissée, ni la longueur des jours, le temps venait des longues nuits, des premiers froids, et tout mon or, en quelques jours se dissipait aux vents du Nord.
J'ai appris certaines choses à l'école, d'autres dans les livres. J'ai entendu bien des mensonges et bien des vérités, bien qu'il ne soit pas toujours facile de les distinguer les unes des autres. Des amis sont venus, d'autres sont partis. J'ai rencontré l'amour et je l'ai perdu et je l'ai retrouvé encore pour le perdre à nouveau.
Longtemps j'ai voyagé. J'ai vu des montagnes et des océans, des villes et des déserts. J'ai rencontré des hommes de toutes les couleurs, j'ai entendu toutes sortes de langues. Mais toujours je suis revenu. Et toujours il était là. Dans la splendeur de l'été, dans le dépouillement de l'hiver. Le grand-père mûrier.
Je caressais son flanc rugueux. Dans ma tête, je lui parlais. Je le remerciais de sa constance, de sa fidélité. De bien vouloir m'accueillir sous son ombre.
Parfois, après de longues réflexions, je coupais une de ses branches.
Sous son feuillage, à l'abri du soleil, une mère avait étendu une couverture pour y déposer son nouveau-né, la prunelle de ses yeux, les battements affolés de son cœur, plus que sa vie. Des enfants y avaient bâti des cabanes, des empires. Des familles s'étaient réunies pour conduire l'un des leurs à sa dernière demeure en ce monde. D'autres avaient survécu à la faim et la misère grâce à la magie qui transformait ses feuilles en fils de soie aussi léger que la brise de mai, aussi fin qu'un rayon de lumière.
Il avait connu les rires et la colère, il avait abrité les premiers baisers des jeunes amants, d'autres, au plus profond du désespoir, au plus noir de la nuit avaient mouillé son écorce de leurs larmes. Avaient serré leurs corps contre son corps, à la recherche d'une douloureuse consolation.
Depuis quelques années, je ne voyageais plus. Je cultivais mon jardin et mes souvenirs. Je m'asseyais sous mon arbre. J'observais de ce coin de terre le passage des saisons. Les couleurs changeantes du ciel. Parfois, quand le vent agitait sa ramure, je croyais entendre leurs voix, je croyais sentir leurs présences dans l'ondoiement de son feuillage. C'était la rumeur du monde. Terrifiante et jolie.
Quand la tempête vint, je n'étais pas plus préparé que quiconque. Je n'ai pas fait montre d'une plus grande sagesse. Je me suis terré au plus profond de la maison tandis que hurlait le vent, secouant les murs, tonnant dans la charpente. Rassemblant ce qui me restait de raison et de courage pour résister à la panique. Dehors, ce qui grondait dans la nuit noire, c'était une puissance bien plus grande que tout être vivant sur cette terre. Sans ruse et sans pitié. Sans discernement.
Au lever du jour, le vent cessa d'un coup. Il y eut un grand silence, comme lors d'une éclipse, quand chacun se demande si c'est vraiment ainsi la fin du monde.
Je suis sorti. Le grand-père arbre était tombé à terre. Ses racines arrachées, rouge et à vif dans la lumière, ses branches brisées, emmêlées.
J'ai pleuré, comme on pleure un ami, une aimée. J'ai maudit le sort. J'ai gémi quand la douleur était trop forte.
J'ai voulu partir.
Au printemps suivant, une pousse sortit de terre, verte, gorgée de sève, s'élança vers la lumière.
Un enfant arbre. Vulnérable et fragile comme un enfant humain.
Je ne sais pas s'il me sera donné de m'asseoir un jour sous son ombre, ce que je sais, c'est que je ne partirai plus.
À présent, j'ai charge d'âme.
C'était un grand-père mûrier.
Bien plus vieux que moi, qui ne suis déjà plus très jeune.
Bien plus vieux que nous tous.
L'été, il protégeait la maison de son ombre, l'automne, son feuillage se changeait en or. Voilà l'arbre d'or ! Pour quelques semaines, il n'y avait pas d'homme plus riche que moi en ce monde. Le soleil illuminait ma fortune, la transperçait de ses rayons poudrés de jaune pur. L'air était encore doux, le ciel d'un bleu limpide.
Ses branches les plus hautes dépassaient le toit de la maison. Des pies y avaient construit leur nid.
Mais puisque rien ne dure, ni la jeunesse, ni la richesse, ni la toile la mieux tissée, ni la longueur des jours, le temps venait des longues nuits, des premiers froids, et tout mon or, en quelques jours se dissipait aux vents du Nord.
J'ai appris certaines choses à l'école, d'autres dans les livres. J'ai entendu bien des mensonges et bien des vérités, bien qu'il ne soit pas toujours facile de les distinguer les unes des autres. Des amis sont venus, d'autres sont partis. J'ai rencontré l'amour et je l'ai perdu et je l'ai retrouvé encore pour le perdre à nouveau.
Longtemps j'ai voyagé. J'ai vu des montagnes et des océans, des villes et des déserts. J'ai rencontré des hommes de toutes les couleurs, j'ai entendu toutes sortes de langues. Mais toujours je suis revenu. Et toujours il était là. Dans la splendeur de l'été, dans le dépouillement de l'hiver. Le grand-père mûrier.
Je caressais son flanc rugueux. Dans ma tête, je lui parlais. Je le remerciais de sa constance, de sa fidélité. De bien vouloir m'accueillir sous son ombre.
Parfois, après de longues réflexions, je coupais une de ses branches.
Sous son feuillage, à l'abri du soleil, une mère avait étendu une couverture pour y déposer son nouveau-né, la prunelle de ses yeux, les battements affolés de son cœur, plus que sa vie. Des enfants y avaient bâti des cabanes, des empires. Des familles s'étaient réunies pour conduire l'un des leurs à sa dernière demeure en ce monde. D'autres avaient survécu à la faim et la misère grâce à la magie qui transformait ses feuilles en fils de soie aussi léger que la brise de mai, aussi fin qu'un rayon de lumière.
Il avait connu les rires et la colère, il avait abrité les premiers baisers des jeunes amants, d'autres, au plus profond du désespoir, au plus noir de la nuit avaient mouillé son écorce de leurs larmes. Avaient serré leurs corps contre son corps, à la recherche d'une douloureuse consolation.
Depuis quelques années, je ne voyageais plus. Je cultivais mon jardin et mes souvenirs. Je m'asseyais sous mon arbre. J'observais de ce coin de terre le passage des saisons. Les couleurs changeantes du ciel. Parfois, quand le vent agitait sa ramure, je croyais entendre leurs voix, je croyais sentir leurs présences dans l'ondoiement de son feuillage. C'était la rumeur du monde. Terrifiante et jolie.
Quand la tempête vint, je n'étais pas plus préparé que quiconque. Je n'ai pas fait montre d'une plus grande sagesse. Je me suis terré au plus profond de la maison tandis que hurlait le vent, secouant les murs, tonnant dans la charpente. Rassemblant ce qui me restait de raison et de courage pour résister à la panique. Dehors, ce qui grondait dans la nuit noire, c'était une puissance bien plus grande que tout être vivant sur cette terre. Sans ruse et sans pitié. Sans discernement.
Au lever du jour, le vent cessa d'un coup. Il y eut un grand silence, comme lors d'une éclipse, quand chacun se demande si c'est vraiment ainsi la fin du monde.
Je suis sorti. Le grand-père arbre était tombé à terre. Ses racines arrachées, rouge et à vif dans la lumière, ses branches brisées, emmêlées.
J'ai pleuré, comme on pleure un ami, une aimée. J'ai maudit le sort. J'ai gémi quand la douleur était trop forte.
J'ai voulu partir.
Au printemps suivant, une pousse sortit de terre, verte, gorgée de sève, s'élança vers la lumière.
Un enfant arbre. Vulnérable et fragile comme un enfant humain.
Je ne sais pas s'il me sera donné de m'asseoir un jour sous son ombre, ce que je sais, c'est que je ne partirai plus.
À présent, j'ai charge d'âme.
:-)
Qui dépassera probablement (et c’est là que se loge la mélancolie) nos courtes vies.
Je ne peux m'empêcher de penser à un album pour enfants de Shel Silverstein "L'arbre généreux", dans lequel est montrée la relation entre arbre et homme.
Ce texte fait d’ailleurs partie d’une série de contes intitulés « Princesse souris et autres histoires ».
Merci beaucoup.
Je parle des mûriers pour cacher et ma fierté et mon embarras !
Merci beaucoup !
Vous avez charge d'âme .... et nous , lecteurs , nous avons à veiller et lire tous les jours votre texte .
Merci à vous !
On ne se défait pas facilement de ces peurs !
Bonne journée, Denis.