La vague dévorante

Toute histoire commence un jour, quelque part. Celle de Koulibaly commence ici. «  Des migrants venus du Mali ont été retrouvés mort au bord des côtes libyennes  ». C’était dans un flash spécial télévisé que ma grandmère et mes proches avaient appris la triste nouvelle de ma mort. Comment cette tragédie a bien pu arriver? Eh bien  ! Je vais vous expliquer, non pas pour mon plaisir, mais pour que vous appreniez de mes erreurs et que vous agissiez prudemment. Suite au décès de mes géniteurs, mon oncle Sissoko avait eu la lourde charge de s’occuper de moi. Je devrais avoir à peu près cinq ou six ans. De toute façon, j’étais encore un gamin. Aujourd’hui, j’en ai dix-huit. Et pour être honnête, avec mon oncle je ne manquais de rien. Il m’avait même inscrit dans la meilleure école du pays. Mais mon rêve à moi était différent. Il voulait faire de moi un grand cadre du pays, moi je souhaitais plutôt être footballeur professionnel. C’était une décision qu’il ne voulait pas avaler. Mais avec le temps il avait fini par me comprendre, et ce, grâce au grand travail de persuasion de ma grand-mère. Elle, c’était ma première famille. La mère de mon défunt père était très gentille avec moi. Et si elle a pu convaincre mon oncle de me laisser jouer au football, c'est parce qu'un soir elle avait assistée à l’un de nos matchs au terrain du quartier. Ce jour-là, j’ai dû beaucoup l’impressionner. Je ne savais pas qu’elle aimait le football comme moi. Après le match, pendant que je savourais son plat dans la soirée, j’ai senti en elle quelque chose qu’elle voulait me dire. C’est ainsi qu’elle m’avait dit d'où me venait mon amour pour le football. Je tenais cela de mon défunt père qui n'avait pas eu la chance de vivre son rêve. Voilà un défi que je voulais relever. Aller jouer dans les plus grands stades du monde et défendre avec fierté les couleurs de mon pays. Mais pour l’instant, je devrais patienter. Depuis que ma mère m’avait donnée cette information, je ne pouvais m’empêcher de rêver plus grand. Je voulais marcher sur les pas de mon défunt père qui serait certainement fier de son fils Koulibaly que je suis. Raison pour laquelle, je travaillais dur et je me donnais à fond pendant les entraînements. Un soir vers 19h, mon oncle était rentré tout joyeux. Il venait d’obtenir un boulot plus lucratif en France. Quand j’avais entendu la ‘’France’’, j’ai toute suite su que le bonheur venait de me sourire. Avant de s’en aller, mon oncle me confiât à ma grand-mère, du moins, jusqu'à ce qu'il trouve le moyen de m’y emmener aussi. C'était la promesse qu’il m'avait faite et j’étais vraiment confiant jusqu'à l’arrivée de cette lettre. «  Bonjour Koulibaly. Si je tarde pour te faire venir en France, c’est pour une bonne raison. Depuis que je suis arrivé en banlieue parisienne, j’ai du mal à me retrouver financièrement. Je regrette souvent d’avoir accepté ce poste car ici, tout n’est pas aussi rose qu’on ne le pense. La vie est vraiment difficile et je préfère que tu ne t’y aventure pas. En tout cas, pas avant que je ne te trouve tes papiers. Car vois-tu, même avec mes papiers, c’est difficile. Je plains ces migrants qui viennent ici en France dans l'illégalité. S’il te plaît, ne te laisse pas dévorer par les vagues de l’océan. Patiente fiston. Bien de choses à ta grand-mère de ma part. Ton oncle Sissoko.  » Patienter  ? Moi je ne voulais plus entendre ce mot. Je voulais à tout prix vivre mon rêve. Après une longue réflexion, Koulibaly va finir par prendre une décision qui va vite naufrager sa vie. Je vous laisse écouter la suite de son récit mortuaire. Au même moment, je venais d’apprendre que Malik, l’un de mes amis avec qui je jouais à l’Académie avait réussi à partir en occident. J’aurais voulu être à sa place, mais hélas. D’ailleurs comment avait il fait pour se retrouver là-bas derrière l'océan  ? Lui dont les parents n’arrivaient même pas à assurer les trois repas quotidiens. C’était la question qui taraudait mon esprit. Mais je me disais que si lui, il avait pu partir, c’est que j’avais toutes mes chances d’y aller également. Entre temps, deux semaines étaient passées et je nourrissais toujours l'idée d’un ailleurs féerique. Mais sans papier cela allait être difficile et mon seul espoir était de partir dans la clandestinité. Je menais donc mes enquêtes pour connaître le chemin par lequel Malik était parti. C’est ainsi qu'un soir pluvieux, je m’étais rendu au domicile de Léopold, le frère aîné de Malik. À ma grande surprise, à peine arrivé à quelques mètres de leur domicile, j'entendis des cris et des pleurs provenant du domicile de Léopold. Que se passait-il  ? Pourquoi tant de bruits  ? Ce sont les questions que vous vous posiez certainement. La vérité, c'est que moi-même je ne savais pas jusqu’à ce que je mette les pieds dans la cour pour m’en rendre compte. - Koulibaly, mon frère est parti. Il m'a quitté moi et notre pauvre mère ici souffrante... C’était avec ces mots de détresses que Léopold m'avait accueilli. Oui, je savais que Malik était parti mais de là à en faire un deuil, je ne comprenais pas pourquoi. C’est alors que Léopold m’expliqua ce qui s’était réellement passé. C’était tout à fait normal que la famille de Malik se lamente de la sorte. Malik avait disparu et personne dans sa famille ne savait où il avait bien pu aller. On craignait le pire pour lui puisqu’il avait trois ans de moins que moi. Nous seuls savions que Malik était parti en aventure. Mais face aux interrogatoires de Léopold, je devrais respecter la décision de Malik. Celle de ne rien dire, même à sa famille. Après quelques mois de recherche, j’avais réussi enfin à rencontrer le contact qui avait fait partir Malik. C’était un vieillard qui ne vivait que de ça. Il m’avait demandé la somme de cent cinquante mille francs CFA afin de me mettre sur la prochaine liste des voyageurs. Heureusement pour moi, j’avais mis un peu d’argent de côté. Mais, il me manquait quarante milles francs pour avoir la totalité de la somme demandée. J’avais donc décidé de négocier avec le vieux Bouba, c’est ainsi qu’il se faisait appelé, et la négociation avait aboutie. Le jour du départ, nous étions une centaine au lieu du rendez-vous. Même si ma grand-mère allait me manquer, je ne pouvais rater pour rien au monde cette opportunité. J’avais laissé au chevet de son lit, un mot. Pour éviter de fondre en larme, je préférais ne pas vous donner plus de détail sur cette note et continuer mon récit. Les heures passaient et les navires se succédaient sur le quai. Nous qui n’avions pas pu donner toute la somme, on nous dirigeait vers des canots pneumatiques. Ces canots étaient accrochés à certains bateaux qui devraient nous escorter d’abord jusqu’en Libye. C’est ainsi que moi, et les centaines autres personnes étions parti. Après quelques heures, le froid commençait à se présenter malgré nos blousons apportés pour l’occasion. Nous étions tous confiants jusqu’à ce que les cordes qui liaient nos canots pneumatiques aux bateaux se rompent. Nous avions hurlé comme des chiens pour nous faire entendre mais personne ne nous entendait, ou peut-être qu’il le faisait consciemment. C’était horrible. On regardait les bateaux s’éloigner impuissants et nos canots commençaient à perdre petit à petit de la vitesse. On ne pouvait plus avancer. Certains voulaient s’essayer à la nage, mais à peine ont-t-ils parcouru cinq mètres dans cette eau glaciale, on les voyait se noyer. Et j’en faisais partie. Oui mon ambition m’a conduit dans la gorge de l’océan. Ce n’est que des mois plus tard que nos corps flottant sans vie, ont été retrouvés au bord des côtes libyennes ainsi que celui de Malik qu’on croyait tous en Europe. Personne n’avait survécu. Même ceux qui étaient dans les navires avaient été retrouvés noyés. Certainement, ils ont dû se faire éjecter des bateaux en plein milieu du voyage. Notre naufrage avait fait la une des journaux. Et c’est par le biais de ces médias que ma grand-mère avait appris la sombre nouvelle. Mon oncle lui, l’a appris quelques jours plus tard. Voici comment la vague de la clandestinité m’a dévorée. Mes rêves sont tombés à l’eau à cause de mon envie démesurée d’un ailleurs qui a été la cause de mon malheur. Vivez  ! Ne faites pas comme moi  !