Il faut joindre les debouts, avait-elle écrit. Les deux bouts, l'avait-on corrigée. Il faut joindre les deux bouts. Survivre, payer les factures, tenir bon. Non, non, avait-elle souri. Il faut faire... [+]
La plage était belle, sous les étoiles, ce soir-là. J'étais debout, les pieds dans le sable, la tête renversée en arrière, les yeux écarquillés, les lèvres entrouvertes, légèrement bourrée. Je n'avais pas beaucoup bu, à peine plus d'un ou deux verres, juste de quoi avoir l'impression que l'univers entier est une vaste blague, la plus hilarante qui puisse être.
Au loin, un groupe de jeunes, entouré d'un voile brumeux de musique diffuse et de tabac. Ils devaient être une quinzaine, tout au plus, peut-être vingt, je ne sais pas. Je me suis approchée, lentement, mes chaussures à la main, et l'un d'eux m'a apostrophée pour me demander du feu.
« Je ne fume pas. »
Il a eu un petit sourire, que j'ai vu même à travers le noir de la nuit et le léger voile du mojito. Le genre de petit sourire qui signifie que je ne sais pas m'amuser parce que je ne prends pas le risque de pourrir mon corps avec des substances illicites. Mais ça ne change rien à rien : je ne fume pas. Et je prends le risque de pourrir mon corps avec des substances interdites à la petite mineure que je suis – l'alcool. De temps à autres seulement, certes.
Je me suis assise à côté d'eux, un peu à l'écart, et je les ai regardés un par un, écoutant le bruit bourdonnant des conversations et le froufrou des vagues sur le sable. Ils étaient nombreux – quelques garçons, quelques filles, une guitare, des bouteilles qui passaient de main en main. Je m'imaginais les bactéries et autres microbes qui passaient de bouche en bouche – pour eux aussi, ç'aurait été la fête, s'ils avaient été autre chose que des être unicellulaires incapables de comprendre la notion de fête, incapables de comprendre quoi que ce soit d'ailleurs.
Il y avait une fille, petite, avec de longs cheveux bruns, et un piercing dans le nez qui brillait un peu, à la lueur des cigarettes, des étoiles, et de quelques lampadaires lointains. Elle semblait jolie, mais dans le noir, c'était dur à dire.
Il y avait un garçon, ses longues jambes étalées devant lui, ses cheveux bouclés, longs, tombant sur son visage. Il avait le nez un peu tordu, éclairé dans côté, l'autre aile dans l'ombre, et un sourire en coin amusé. Lui aussi avait l'air d'avoir suffisamment d'alcool dans le sang pour pouvoir penser, pendant un moment, que l'univers n'est qu'une vaste blague.
Il y avait d'autres gens, plus ou moins grands, plus ou moins vieux, plus ou moins éméchés, plus ou moins éveillés. Il y avait Claire, plus effacée que les autres ; il y avait Damien, qui faisait défiler ses musiques à nos oreilles ; il y avait Ephrem et Malaïka, le frère et la sœur.
Et puis il y avait Ajax. Tous deux avions, de toute évidence, des parents avec un sacré sens de l'humour – et une certaine culture en matière de tragédie. Lui, Ajax le Grand, le meilleur soldat grec de la guerre de Troie après Achille. Moi, Eriphile, l'indépendante et farouche Iphigénie qui complotait chez Racine. Tous les deux morts une épée dans le ventre, un suicide pour l'honneur. Avec pareils homonymes, nous étions faits pour nous rencontrer.
Il s'était assis à côté de moi, en silence, furtivement, discrètement, tellement que j'ai sursauté quand je me suis aperçue qu'il était là, dans le sable. Il a ri, bien sûr.
« Je fais si peur que ça ? »
J'ai ri à mon tour, en secouant la tête, et puis nous nous sommes replongés dans notre silence. De temps à autres, je jetais un petit coup d’œil dans sa direction, pour le détailler. Il avait de beaux cheveux sombres, le teint mat, les yeux brillants, et il semblait se fondre dans la nuit comme si le ciel étoilé n'était qu'une couverture qui avait attendu des milliers d'années de pouvoir le border.
Vers une heure du matin, quand les autres ont quitté la plage pour aller écumer les bars, il s'est levé, à débarrassé son pantalon de quelques grains de sable, puis il s'est tourné vers moi et m'a souhaité une bonne nuit. Claire, Damien, Ephrem et Malaïka n'ont pas tardé à partir non plus, et je me suis retrouvée là, presque seule devant la mer, abandonnée dans ce petit désert de sable.
Au loin, un groupe de jeunes, entouré d'un voile brumeux de musique diffuse et de tabac. Ils devaient être une quinzaine, tout au plus, peut-être vingt, je ne sais pas. Je me suis approchée, lentement, mes chaussures à la main, et l'un d'eux m'a apostrophée pour me demander du feu.
« Je ne fume pas. »
Il a eu un petit sourire, que j'ai vu même à travers le noir de la nuit et le léger voile du mojito. Le genre de petit sourire qui signifie que je ne sais pas m'amuser parce que je ne prends pas le risque de pourrir mon corps avec des substances illicites. Mais ça ne change rien à rien : je ne fume pas. Et je prends le risque de pourrir mon corps avec des substances interdites à la petite mineure que je suis – l'alcool. De temps à autres seulement, certes.
Je me suis assise à côté d'eux, un peu à l'écart, et je les ai regardés un par un, écoutant le bruit bourdonnant des conversations et le froufrou des vagues sur le sable. Ils étaient nombreux – quelques garçons, quelques filles, une guitare, des bouteilles qui passaient de main en main. Je m'imaginais les bactéries et autres microbes qui passaient de bouche en bouche – pour eux aussi, ç'aurait été la fête, s'ils avaient été autre chose que des être unicellulaires incapables de comprendre la notion de fête, incapables de comprendre quoi que ce soit d'ailleurs.
Il y avait une fille, petite, avec de longs cheveux bruns, et un piercing dans le nez qui brillait un peu, à la lueur des cigarettes, des étoiles, et de quelques lampadaires lointains. Elle semblait jolie, mais dans le noir, c'était dur à dire.
Il y avait un garçon, ses longues jambes étalées devant lui, ses cheveux bouclés, longs, tombant sur son visage. Il avait le nez un peu tordu, éclairé dans côté, l'autre aile dans l'ombre, et un sourire en coin amusé. Lui aussi avait l'air d'avoir suffisamment d'alcool dans le sang pour pouvoir penser, pendant un moment, que l'univers n'est qu'une vaste blague.
Il y avait d'autres gens, plus ou moins grands, plus ou moins vieux, plus ou moins éméchés, plus ou moins éveillés. Il y avait Claire, plus effacée que les autres ; il y avait Damien, qui faisait défiler ses musiques à nos oreilles ; il y avait Ephrem et Malaïka, le frère et la sœur.
Et puis il y avait Ajax. Tous deux avions, de toute évidence, des parents avec un sacré sens de l'humour – et une certaine culture en matière de tragédie. Lui, Ajax le Grand, le meilleur soldat grec de la guerre de Troie après Achille. Moi, Eriphile, l'indépendante et farouche Iphigénie qui complotait chez Racine. Tous les deux morts une épée dans le ventre, un suicide pour l'honneur. Avec pareils homonymes, nous étions faits pour nous rencontrer.
Il s'était assis à côté de moi, en silence, furtivement, discrètement, tellement que j'ai sursauté quand je me suis aperçue qu'il était là, dans le sable. Il a ri, bien sûr.
« Je fais si peur que ça ? »
J'ai ri à mon tour, en secouant la tête, et puis nous nous sommes replongés dans notre silence. De temps à autres, je jetais un petit coup d’œil dans sa direction, pour le détailler. Il avait de beaux cheveux sombres, le teint mat, les yeux brillants, et il semblait se fondre dans la nuit comme si le ciel étoilé n'était qu'une couverture qui avait attendu des milliers d'années de pouvoir le border.
Vers une heure du matin, quand les autres ont quitté la plage pour aller écumer les bars, il s'est levé, à débarrassé son pantalon de quelques grains de sable, puis il s'est tourné vers moi et m'a souhaité une bonne nuit. Claire, Damien, Ephrem et Malaïka n'ont pas tardé à partir non plus, et je me suis retrouvée là, presque seule devant la mer, abandonnée dans ce petit désert de sable.
*Vous avez voté une première fois pour “En Plein Vol” qui est en Finale de l’Automne 2016.
Je vous invite maintenant à le soutenir de nouveau si vous l’aimez toujours. Merci d’avance
et bon dimanche! http://short-edition.com/oeuvre/poetik/en-plein-vol