Les premières neiges de l'automne saupoudraient déjà le sommet du mont Pelat, là-haut à trois mille mètres d'altitude. À l'affut derrière un bosquet de mélèzes, Jean observait les deux ... [+]
Dans un instant de lucidité le froid humide de la pelouse l'avait surprise, les akènes des fleurs de pissenlits avaient effleuré son visage sans qu'elle s'en aperçut. Elle adorait les pissenlits, en salade bien sûr, mais elle s'émerveillait aussi chaque printemps de voir ces myriades de capitules envahir son petit jardin blotti tout près de cette citée ouvrière de banlieue. Le vent poussa quelques nébuleuses blanches dans un ciel d'azur, un nuage de pétales de fleurs de cerisier parsema son gilet et ses cheveux poivre et sel.
Dans la petite mare du jardin, c'était la saison des amours, les grenouilles rousses s'en donnaient à coeur joie, s'accouplant frénétiquement, déjà des chapelets d'oeufs s'agglutinaient en amas gélatineux dans l'eau vaseuse. Des coassements épisodiques couvraient le bruit du vent dans les lilas, une haie de troènes dissimulait le jardinet à la vue des passants dans la rue.
Une douce quiétude émanait du jardin, elle y venait en toute saison et le cultivait avec amour. L'hiver elle ne s'attardait pas trop, la petite cabane de planches disjointes construite par son défunt Gaston ne constituait pas un abri confortable. Dès la belle saison en revanche, après avoir gratté la terre, planté des semis ou bouturé ses géraniums, elle sortait un vieux fauteuil en osier pour s'assoir au soleil et laisser divaguer son esprit, parfois elle s'endormait.
Madeleine vivait désormais seule. Ils avaient passé une grande partie de leur vie dans cette banlieue lointaine et à l'heure de la retraite ils s'étaient installés dans la cité HLM voisine qui avait l'avantage de proposer à ses locataires des jardins ouvriers à proximité de la rivière. Son compagnon disparu, elle s'était aménagée une petite existence paisible et bien qu'elle ait de bonnes relations avec le voisinage, elle appréciait la solitude de son jardin qui fourmillait d'amis bien plus passionnants que la gente humaine. Dès le printemps bourdons et abeilles venaient butiner les fleurs de cerisier, de bourrache ou de sauge. Elle entretenait un compost où les lombrics pullulaient parmi les matières végétales en décomposition, nourrissant par la même occasion mésanges, rouges gorge, verdiers et autres moineaux friquet. Assise dans son fauteuil, ils venaient presque lui manger dans la main.
Avec l'âge Madeleine prolongeait ses escapades au jardin, elle y passait même le plus clair de son temps. Si une bonne averse de printemps remplissait le bidon sous la gouttière de la cabane, les grenouilles étaient à la fête. Heureuse pluie, assise à l'abri de l'auvent elle observait les escargots sortir de leurs coquilles et se glisser lentement vers son carré de laitues. L'observation continue de son microcosme potager la plongeait dans une profonde méditation que seule une apparition exceptionnelle pouvait interrompre, comme ce jour où elle vit sortir la salamandre dans un creux de la vieille souche du figuier. Une salamandre tacheté, jaune sur fond noir. Sa progression lente d'amphibien permit à Madeleine de l'observer tout à loisir, on dit qu'elle porte chance, c'est un symbole de renaissance, de feu, de vitalité, elle a la particularité de conserver des traits juvéniles à l'âge adulte, elle aurait aussi la capacité à se régénérer. La dernière fois qu'elle l'avait vue c'était juste avant la mort de Gaston, un animal si rare surtout en zone urbaine.
Son gilet avait glissé découvrant son fin corsage de lin, elle ne sentait pas la fraîcheur du soir. Deux mulots, qui faisaient la course vers des épluchures de panais, avaient heurté sa main au passage sans la déranger. L'épeire acheva de tisser sa toile dans la haie, les fourmis se hâtèrent en longues processions vers la fourmilière au bout de l'allée, une lune pâle se leva sur l'horizon des barres d'immeubles...
Les toiles d'araignées se cristallisèrent aux rayons du soleil levant.
Des fils de la vierge enrobèrent son épaule, l'aube posa sur ses cils trois gouttes de rosée. Immobilité apaisée, dans une douceur bienveillante le jardin et ses habitants se recueillaient pour veiller Madeleine qui passa de vie à trépas allongée dans l'allée centrale de son jardin, une coccinelle sur le front, en paix avec le monde et avec elle même.
Dans la petite mare du jardin, c'était la saison des amours, les grenouilles rousses s'en donnaient à coeur joie, s'accouplant frénétiquement, déjà des chapelets d'oeufs s'agglutinaient en amas gélatineux dans l'eau vaseuse. Des coassements épisodiques couvraient le bruit du vent dans les lilas, une haie de troènes dissimulait le jardinet à la vue des passants dans la rue.
Une douce quiétude émanait du jardin, elle y venait en toute saison et le cultivait avec amour. L'hiver elle ne s'attardait pas trop, la petite cabane de planches disjointes construite par son défunt Gaston ne constituait pas un abri confortable. Dès la belle saison en revanche, après avoir gratté la terre, planté des semis ou bouturé ses géraniums, elle sortait un vieux fauteuil en osier pour s'assoir au soleil et laisser divaguer son esprit, parfois elle s'endormait.
Madeleine vivait désormais seule. Ils avaient passé une grande partie de leur vie dans cette banlieue lointaine et à l'heure de la retraite ils s'étaient installés dans la cité HLM voisine qui avait l'avantage de proposer à ses locataires des jardins ouvriers à proximité de la rivière. Son compagnon disparu, elle s'était aménagée une petite existence paisible et bien qu'elle ait de bonnes relations avec le voisinage, elle appréciait la solitude de son jardin qui fourmillait d'amis bien plus passionnants que la gente humaine. Dès le printemps bourdons et abeilles venaient butiner les fleurs de cerisier, de bourrache ou de sauge. Elle entretenait un compost où les lombrics pullulaient parmi les matières végétales en décomposition, nourrissant par la même occasion mésanges, rouges gorge, verdiers et autres moineaux friquet. Assise dans son fauteuil, ils venaient presque lui manger dans la main.
Avec l'âge Madeleine prolongeait ses escapades au jardin, elle y passait même le plus clair de son temps. Si une bonne averse de printemps remplissait le bidon sous la gouttière de la cabane, les grenouilles étaient à la fête. Heureuse pluie, assise à l'abri de l'auvent elle observait les escargots sortir de leurs coquilles et se glisser lentement vers son carré de laitues. L'observation continue de son microcosme potager la plongeait dans une profonde méditation que seule une apparition exceptionnelle pouvait interrompre, comme ce jour où elle vit sortir la salamandre dans un creux de la vieille souche du figuier. Une salamandre tacheté, jaune sur fond noir. Sa progression lente d'amphibien permit à Madeleine de l'observer tout à loisir, on dit qu'elle porte chance, c'est un symbole de renaissance, de feu, de vitalité, elle a la particularité de conserver des traits juvéniles à l'âge adulte, elle aurait aussi la capacité à se régénérer. La dernière fois qu'elle l'avait vue c'était juste avant la mort de Gaston, un animal si rare surtout en zone urbaine.
Son gilet avait glissé découvrant son fin corsage de lin, elle ne sentait pas la fraîcheur du soir. Deux mulots, qui faisaient la course vers des épluchures de panais, avaient heurté sa main au passage sans la déranger. L'épeire acheva de tisser sa toile dans la haie, les fourmis se hâtèrent en longues processions vers la fourmilière au bout de l'allée, une lune pâle se leva sur l'horizon des barres d'immeubles...
Les toiles d'araignées se cristallisèrent aux rayons du soleil levant.
Des fils de la vierge enrobèrent son épaule, l'aube posa sur ses cils trois gouttes de rosée. Immobilité apaisée, dans une douceur bienveillante le jardin et ses habitants se recueillaient pour veiller Madeleine qui passa de vie à trépas allongée dans l'allée centrale de son jardin, une coccinelle sur le front, en paix avec le monde et avec elle même.
J'ai bien fait de persévérer. Jolie fin, précieuse, nécessaire au récit, tout comme la mort donne son sens à la vie.
Belle observation et description de ce coin de jardin, dommage pour la fin un peu triste même si elle fait partie de la vie.