La saison amère

De nationalité béninoise, Yannick TCHANGO est nouvelliste, dramaturge et poète.

Ouf ! Ce fut le mot à trois lettres qu'avait prononcé Esther ce matin-là. Cela fait suite à sa cogitation. Une cogitation sur son devenir. Elle en avait marre de faire des sorties infructueuses. Et, elle en susurrait à plein temps. Tout était truculent pour elle. Ses yeux étaient l'expression d'une dépression et d'une amertume indescriptible. Elle devait se rendre pour la énième fois dans le bureau du chargé de recrutement et de la gestion du personnel de la Société Zénith. Faut-elle continuer ce chemin de croix sans mort ni résurrection ? Faut-elle continuer à toujours chercher la racine principale d'un arbre sans racine principale ?
En effet, elle est diplômée en commerce internationale et en rédaction de projet à l'université de Lavane au Canada. Apres l'obtention de son diplôme, elle avait la possibilité de travailler au Canada mais elle opta pour la mise de son expertise au service du développement de Lima, son pays natal. Un an après son retour, la Société Zénith lança un appel à projet pour le développement social de Lima. Appel à projet auquel elle participa avec fierté. Quelques semaines après le dépôt de son projet, elle fut présélectionné pour la finale. Cela lui avait été annoncé par une voix comparable à celle des griots mandingues. Tout en elle était joie. Cependant, elle luttait contre l'éloge de la jactance ! L'humilité précède la gloire dit-on ! Elle devait ensuite défendre le projet devant un jury. Pour cela, sans placoter, elle s'était mise aussitôt au travail.
Le jour tant attendu arriva : c'est la finale de l'appel à projet de la Société Zénith. Elle était en compétition avec trois autres candidats. Parmi les quatre, un seul candidat partira vainqueur. Comme une bombe pacifique explosant sur une terre étrange et silencieuse, elle avait surpris agréablement le jury. C'était le fruit de sa volubilité et de sa conviction. Son projet est donc déclaré recevable et praticable dans l'intérêt supérieur de la nation. Le jury l'informa des modalités de démarrage de son projet. Elle devrait-être rappelée après une semaine. Le temps de transmettre son dossier à la société marraine du concours. Ce fut un jour mouillé de joie pour elle. Travailler dans l'intérêt supérieur de Lima, son Lima a elle ; son Lima natal était depuis lors son rêve. Un rêve qu'elle voyait prêt à réalisation. Elle conclue que goute à goute l'eau finit par creuser la pierre. Des jours se sont passés. Des semaines se sont écoulées. Aucune réponse concrète et claire ne lui avait été donnée pour la suite. On la tournait en rond et elle en était lassée.
Ce matin-là, c'est avec colère et pétulance qu'elle entra dans le bureau du charger de recrutement et de la gestion du personnel de la société Zénith. Après un questionnement sans réponse agréable, elle s'énerva. Elle demanda illico à rencontrer le directeur générale de la société. Elle ne l'avait jamais rencontré car il était en voyage d'affaire en Irak. Il est revenu il y a seulement deux jours. A cause de la fatigue du voyage, celui-ci avait intimé l'ordre au chargé de recrutement de n'introduire personne dans son bureau. Mais face à l'insistance et à la rage d'Esther, le chargé de recrutement n'eût d'autre choix que de l'y introduire. C'est avec une colère immaitrisable qu'elle sortit du bureau de monsieur le chargé du recrutement.
Quand elle ouvrit la porte du DG, tout en elle était devenu fraîcheur. Surprise ! Quand le DG la vit, tout en lui était bouleversé. Quelque chose veut naître ! Que c'est agréable de voir entrer une silhouette aux oranges pointues et aux yeux flamboyant de bonheur ! Fut l'exclamation intérieure du DG. Comment un simple regard peut changer colère et amertume d'un être ! Ce fut l'exclamation d'Esther. Parfois, certaines choses sont difficiles à expliquer et nous sommes dans un monde mystérieux et rempli de mystère. Le DG l'invita à prendre place ; place qu'elle prit. Ensuite ils ouvrirent ensemble la porte du sujet d'Esther et ils entrèrent pour analyse, explication et surtout compréhension. Monsieur Abdou le DG expliqua de bout en bout et d'une manière voilée la situation qui ronge à petit coup le cœur innocent d'Esther. Celle- ci ne comprit grand-chose du discours de monsieur le DG. C'était un discours débordant d'images métaphoriques et jonché de proverbes. Bref, c'était un code livré comme explication. Le DG ne pouvant laisser partir ce parfum qui lui fournissait une agréable odeur et une sensation de vivre davantage, lui proposa un dîner. Dîner qu'elle accepta comme un premier nuage après une longue sécheresse. Ils se séparèrent avec un cœur mouillé d'une nouvelle pluie sans grondement de tonnerre. Ce fut une joie partagée et ils se sont donné rendez-vous pour le soir.
Lorsqu'ils se sont vus ce soir-là, sans attendre et sans même le dîner, le DG déclara à son invité tous ce qui l'anime en sa présence. Etonnée, elle lui parla aussi de la réciprocité de ce sentiment. Ce fut une surprise et un étonnement mutuel. Une graine vient de germer : c'est l'amour. Il est né après une minute de rencontre. Incroyable mais vrai ! Après quelques promesses utopiques mais réalisables en amour, le dîner s'en est suivit. C'est en dînant que le DG sortit la vérité de son cœur au nom de l'amour. Une vérité concernant la situation préoccupante d'Esther. De cette vérité, on note qu'en réalité la réalisation du projet lauréat de l'appel à projet lancé par la société Zénith est annulée et cet honneur est revenu à une autre personne. La raison fondamentale n'est pas un manque de compétence ni un problème financier. Seulement, le courant d'appartenance sociale d'Esther ne rime pas avec la société marraine organisatrice de l'appel à projet. Elle était pratiquante d'une congrégation spirituelle ayant un crédo contraire à celle du directeur générale de la société marraine des finances de la réalisation du projet. Or les financements qui sortent de cette société sont destinés aux leurs. C'est-à-dire des gens qui pratiquent leur credo spirituel.
Cela fut un choc terrible pour Esther. Elle en était totalement bouleversée. Elle ne comprenait pourquoi, juste pour une question de confession spirituelle on empêche la réalisation de son projet. Un projet qui pourrait profiter à une nation et même à plusieurs générations. Que la vie est dans une dégénérescence et déchéance qui va de jour en jour au paroxysme ! Elle se souvient de comment le commerce de sa mère avait chuté juste parce qu'elle avait refusé d'abandonner son chemin spirituel. Pour cela, sa mère fut chassée du marché et n'avait plus accès au crédit bancaire qui l'aidait dans son commerce. Suite à tous ces souvenirs, elle baissa la tête et pleura. Le DG la consola et promis bataillé pour elle. Il lui avait fait comprendre que la cause n'est plus une cause solitaire mais une cause partagée entre deux cœurs. C'est le fruit de l'amour. Malgré son agonie, elle lui témoigna sa reconnaissance et l'encouragea. C'est sur ces propos qu'ils se sont séparés.
Dans son bureau le lendemain matin, le DG était dans une angoisse. Tout ce qu'il voyait autours de lui était anxiogène. Avec un courage de fer, il appela la société marraine pour négocier en faveur de son amour subite. Sans être avocat de profession, il chanta toutes les plaidoiries mais ce fut un opéra. Aucune réponse agréable ne lui était donnée. Le comble, il a été même menacé d'être renvoyé de son poste de directeur générale. Rebuté et se sentant faible pour n'avoir pu rien faire, il coula des larmes. Des larmes d'amour. Ah ! L'amour, quand tu nous tiens! Après cette journée désagréable au bureau, il se rend chez Esther.
Esther venait de sortir son corps de l'eau. Elle dessinait ensuite son visage quand la sonnerie de sa maison retentit. Elle recouvrit précipitamment son corps ouvert et alla ouvrir le portail. Quand elle l'ouvrit, c'est un sourire angélique qui l'accueillit. Ils s'embrassèrent et entrèrent en chambre. En chambre beaucoup de choses se sont passées ! Des choses qu'on ne dit pas en public. Après cela il informa Esther de l'ampleur de la situation et de la menace qui s'en est suivi. Esther consola monsieur Abdou, le DG. Suite à cette consolation, il lui demanda vivement et subito d'accepter être son épouse. Sans demander un temps de réflexion, elle accepta immédiatement et leurs cœurs entonnèrent intérieurement un champ de mariage. Ce fut une soirée glorieuse pour les deux.
Tout se passait si bien et avec une vitesse inestimable. Deux mois après cette demande en mariage, monsieur Abdou informa sa mère de son projet de mariage avec Esther. Projet qu'elle accueilli avec une grande vivacité. C'est une chose qu'elle voulait pour son enfant depuis des lustres. Après qu'Abdou eu obtenu son diplôme d'ingénieur en électronique et en gestion d'entreprise, sa mère attendait impatiemment ses petits-fils. Elle voulait à sang chaud qu'il se marie. Ce qui ne l'intéressait guère. C'est ce qui a réellement réjouit sa mère quand il lui annonça son projet. Mais quand il lui a fourni les informations au sujet de sa fiancée, elle s'opposa farouchement. Elle informa rapido-presto son père qui s'opposa aussi. Dans leur famille, personne n'a osé faire ce choix médiocre et cela ne se réalisera pas de leur vivant ; disaient-ils. Juste parce que Esther est chrétienne et lit la bible qu'on appelle parole de Dieu. Abdou était totalement abattu et avait résolu d'aller contre la volonté de ses parents. Je ne peux quand même vivre sans cette déesse ! se disait-il intérieurement. Il avait quitté ses parents avec mépris et dédain. Il entra chez lui et pensait à comment annoncer la nouvelle à Esther.
Comme par hasard, Esther en informant ses parents de son projet de mariage vécu le même scénario. Ses parents avaient complètement refusé cette union juste parce qu'Abdou était musulman et lisait le coran qu'on appelle parole de Dieu. Esther quitta la maison de ses parents avec un cœur saignant de douleur. Des douleurs que ressentent les cœurs meurtries par des philosophies humaines qui étouffent l'existence paisible. Cœur criant, elle se rendit dans la maison de monsieur le DG.
Là-bas, elle constata une froideur dans l'accueil de son prince charmant. Néanmoins elle prit la peine de lui expliquer ce qu'elle venait de vivre avec ses parents. Il la consola et lui promit ciel et terre tout en la rassurant de leur union. En voulant, à son tours exposer la réaction de ses parents face à la situation, son téléphone portable sonna. « C'est bien monsieur Abdou Tobi ? Vous êtes déchargé de votre poste de directeur générale de la société Zénith, la passation de service est pour demain neuf heure. » C'est ce qu'il avait entendu au téléphone. Il en tomba raide, les yeux hagards et mourut automatiquement. Il mourut d'une mort brusque et sans au revoir amoureux. Affolée par cette horrible et effroyable scène, Esther tomba et mourut aussi. On dirait une entente ! Mais c'est plutôt le fruit d'une intransigeance qui vient d'emporter deux cœurs innocents. Informés, les deux parents se culpabilisaient sans fin mais la messe était déjà dite. Hélas ! La nation venait de perdre deux hauts cadres formés par l'Etat pour le développement de la nation et du monde.