La princesse de Mondrian était de mes amies ou comment j'ai rencontré mon père

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« Ce qui m'intéresse, ce n'est pas le bonheur de tous les hommes, c'est celui de chacun. » Boris Vian

La semaine dernière, en me promenant dans le quartier Raspail à Paris, j'ai fait la rencontre d'un SDF qui m'a tenu mot pour mot ce discours :

« La princesse de Mondrian était de mes amies.
Je suis bien las, seul ici.
Loin de mon domaine et loin de ma mie.
En voyageant dans le temps, j'ai gâché ma vie. »

Après s'être brillamment exprimé, mon pauvre mendiant s'est évanoui sur le bas-côté. J'ai de suite appelé les pompiers et une douzaine de personnes se sont attroupées autour de son corps inanimé. Je lui tenais la main pendant de longues minutes. Quand il commença à reprendre ses esprits, je lui ai posé cette question qui prouvait bien ma confusion :
— Sire, quel est votre nom ?

Je me sentais un peu honteux de l'appeler sire, mais que voulez-vous, je suis un romantique.
Après quelques secondes d'hésitation, il me répondit :
— Vautrec, Pierre de Vautrec, deuxième de son nom.

À leur arrivée, je demandai aux pompiers la permission d'accompagner Pierre dans l'ambulance. Ils protestèrent que si nous n'étions pas de la même famille, cela serait impossible. Je répondis fièrement que ce triste mendiant était mon père ! Ils ne semblaient pas étonnés outre mesure malgré le fait que, selon toutes vraisemblances, Pierre était bien plus jeune que moi.

Une fois arrivé à l'hôpital, Pierre tomba dans un sommeil profond, ce qui était une bonne nouvelle selon les docteurs. Toutes les dix minutes, il se réveillait pour crier « Montjoie » puis il se rendormait paisiblement.

Au moment d'enregistrer Vautrec à l'accueil de l'hôpital, la secrétaire me prit par surprise avec une question pleine de traîtrise :
— Monsieur, quel est votre nom ?
Après une trop longue hésitation, je répondis :
— Enguerrand de Vautrec, quatrième de son nom, je suis le fils de mon père.

À mon plus grand étonnement, elle accepta ma réponse avec bienveillance et se contenta de me sourire. Après cela, je décidai qu'il était grand temps de commencer à faire des recherches sur mon nouvel ami. J'étais assis sur le fauteuil près de son lit, et armé de mon smartphone gris, j'entrepris de découvrir la vérité sur mon bonhomme.

Ce fut un jeu d'enfant, il me suffisait d'associer les noms de « Mondrian » et de « Vautrec » sur mon moteur de recherche pour obtenir de très nombreuses informations. Vautrec était un poète courtois du XIIIe siècle, il était connu pour avoir écrit un recueil de poèmes intitulé Roland, le chevalier nu. Jeanne de Mondrian était la femme d'un duc local nommé Pascal, tous les poèmes de Vautrec lui furent dédiés. Les deux devaient sûrement s'aimer en secret.

Google image me permit de découvrir une série de portraits représentants Pierre. Je dois l'avouer, je fus flatté de me trouver une certaine ressemblance avec la personne représentée sur ces peintures. À vrai dire, je peux l'affirmer, je ressemblais davantage aux portraits que Pierre lui-même. Mon esprit vagabond s'imagina qu'en croyant mentir, j'avais percé une réalité que personne n'avait osé m'avouer depuis ma naissance. J'étais bel et bien le fils de Pierre de Vautrec. Et après tout, cela était plausible, mon père ne me ressemblait pas du tout et je peux me vanter d'avoir eu des facilités inexpliquées en Histoire durant toute ma scolarité.

De nouvelles recherches me permirent de découvrir qu'en 1245, on avait déclaré que Vautrec avait disparu lors d'une partie de chasse dans les bois du duc de Mondrian. D'affreuses rumeurs avaient même circulé disant que c'était tonton Mondrian qui l'avait assassiné. Foutaises : la réalité me paraissait maintenant évidente, Pierre de Vautrec avait dû traverser une faille temporelle et se retrouvait dans la belle commune de Sainte-Geneviève-Des-Bois là où se situait à l'époque le domaine de Mondrian.

Ému, jusqu'aux larmes, je décidai de parler à mon père endormi :
— Papa, je suis fier d'être ton fils, je vais t'imiter et passer le restant de ma vie à rimer, je ne...
Je fus coupé dans mon monologue par une voix féminine qui trahissait à la fois de la surprise et de la colère :
— Qui êtes-vous et que faites-vous avec mon fils ?
En découvrant une femme d'une soixantaine d'années qui s'approchait de moi en fauteuil roulant, je restai sans réponse et je n'osai pas à dire le mot qui me brûlait les lèvres : « Mamie ».

La dame en question brisa le silence et se présenta, elle s'appelait Catherine. Pierre était son fils. Une fois qu'elle comprit que je n'étais ni un danger ni une mauvaise fréquentation, elle devint très sympathique. Elle me raconta sa version de l'histoire : alors que Pierre finissait des études prometteuses en littérature médiévale, sa copine nommée Jeanne l'a quittée pour s'installer avec un pâtissier. Et malheureusement, il ne s'en est jamais remis. Il a fui le domicile familial et s'est enfermé dans un délire mystique où Jeanne Palidraie devenait Jeanne Mondrian et où lui, Pierre Vautrec, devenait Pierre de Vautrec. Elle rajouta que l'appel de l'hôpital avait ressuscité son espoir de le ramener à la maison.

Après ces lamentables explications, elle me remercia gentiment, me serra la main énergiquement et me libéra de mes obligations.

Depuis, une question me hante : comment Catherine est-elle parvenue à voyager dans le temps avec son fauteuil roulant ?

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