La mer pensive

Toute histoire commence un jour, quelque part. Mais la mienne n'a pas encore commencé, je ne sais pas qui je suis, je ne fais partie d’aucune catégorie. Je ne sais que ce qu'ils me disent. Ma mère a accouché pendant une nuit d'août, à trois heures pile, c’est moi qui suis venue au monde ; ce monde de misère qui ne représente point qui je suis, ou qui je souhaiterais être. Elle m'a donné un prénom que j'adore ; Nadeen, il sonne bien, un prénom musical, Nadeen.

Je vis dans une prison, enfermée, captive, morte. Dans cette cellule, ma propre prison de verre, entourée par quatre miroirs, on peut seulement se voir jusqu'à la folie. Parfois je me demande pourquoi on mène cette vie insignifiante? Est-il vraiment une vie heureuse comme celle chantée par Edith Piaf? Casse-t-elle cette prison si je la frappe ? Que trouverai-je si je me libère? Et si je reste sans jouer le rôle de rebelle ; Raterai-je quelque chose d'importance et de valeur?

Je m'appelle Nadeen, j'habite à Gaza, je suis née en 1996 et probablement je n'y mourrai pas. A part mes études en français à l'université, je n'ai presque rien, je dessine parfois des femmes complètement nues, cela ne plaît à personne, mais je le fais pour moi-même, je vois que la complexité d'une femme est sublime, authentique et, tout simplement, parfaite. J'existe dans chaque dessin, dans les moindres détails.

J'ai perdu l'espoir le 8 Août et je l'ai retrouvé le lendemain, après avoir complètement renoncé, j'ai trouvé la personne qui me bouleverserait, une personne qui me donne envie de casser ma prison, une personne pour laquelle je casserais des milliers de murs en béton. Cet amour né près de la mer, une mer qui n'est plus pensive.

Le jour même, pendant L'après-midi, j'étais assise dans le salon dans notre appartement à Gaza, ma vie était douloureuse après une année difficile, je devenais mélancolique alors même que je ne le souhaitais pas. Je ne faisais rien d'important ce jour de jeudi, j'ai pris mon portable et j'ai choisi un de mes contacts Facebook pour que j'anime une discussion en français, puisque j'ai voulu perfectionner ma langue. J'ignorais que cet homme me toucherait ainsi  profondément et me bouleverserait la vie.

J'avais envie de chanter, alors je me suis enregistrée en chantant les moulins de mon cœur, la version arabe de cette chanson, malgré que je n'ai jamais chanté devant les gens ; un désir énorme m'a dirigé pour lui envoyer l'enregistrement. A partir de ce moment-là, je suis devenue sa sirène et lui mon Ulysse perdu dans les vagues de mes chants.   

Il était gentil, sensible, doux et charmant, l'homme qui sait bien comment séduire une femme, j'ai contemplé sa photo, ses cheveux volant sous l'effet du vent. Nous nous sommes présentés, il me parlait de son nouveau roman et je lui parlais de ma vie à Gaza, de l'enfermement, de mes projets et souhaits, il s'intéressait sincèrement à ce que je disais, il voulait mieux comprendre et pour cela il posait beaucoup de questions, et je l'ai adoré.

Une fois je lui ai envoyé une petite vidéo avec ma main tendue vers la mer, je ne sais pas comment je lui ai inspiré de rédiger cet alexandrin :

J'ai vu tes doigts danser tendus vers l'autre rive

Quelle est ta destinée ? tout près de la mer pensive

Attends de savoir si tu comptes l'enjamber

Serais-tu follement en bel amour tombée?     

J'étais perdue et il m'a retrouvée. Il m'a donné un but, un objectif, une problématique que je m’amuserai tellement à résoudre. J'ai découvert finalement qui je suis , une jeune femme, intelligente, travailleuse, séduisante à fort potentiel. De l'éperdument absolu à l'abri. Malgré la distance entre Gaza et Paris, il a pu créer une petite vague de sensation infinie ; qui est éventuellement devenue un immense tsunami ; tout doucement j'étais transportée par l'effet de cette forte sensation.

Je n'ai jamais senti l'amour, cela est complètement interdit dans cette société patriarcale, c'est la première fois que je me sens accrochée à une personne,  je protège attentivement ce nouveau-né, comme si je protégeais un feu un jour de tempête. Cette précieuse sensation, pour la première fois j'aime un autre plus que moi-même, et je ressens un grand manque dès qu'il est occupé, sa simple présence  me donne plein d'énergie et de bonheur ; cela me fait tellement peur, peur de le perdre, peur qu'il m'échappe. Je suis tellement déterminée, je fais tous ce que je peux, je saisis toutes les opportunités, je ne laisserai absolument pas la peur obscurcir mon jugement ni influencer mes actions. Ce n'est plus ce que je veux mais ce que nous voulons.

Tout est possible à qui rêve, ose, travaille et n'abandonne jamais, même si à des moments donnés de cette vie intolérable, on n'espère que reculer dans une cave sombre. Je n'arrête point de combattre des voix dans ma tête qui me découragent et me racontent que je ne suffis pas, des voix qui me poussent dans une nuit ténébreuse éternelle. Chacun a ses propre diables, les miens sont nombreux, je n'ai qu'un seul ange qui me dis que je suis aimée alors que je ne ressens rien.  

Ce conflit qui se déroule en moi, me conduit souvent à imaginer une petite chambre sale où je suis enfermée, qui rétrécit jusqu'au point où je ne peux plus respirer, j'aurais mal à la poitrine, et je me mets à pleurer, apeurée du monde. Il n'y a qu'un seul mot qui explique cette panique : la dépression. des jours je me sens forte, comme si je portais une armure en titane ; d'autre jours je me sens battue.

Je me félicite de ce talent que je possède, je joue parfaitement le rôle d'une personne contente, je me lève chaque matin, je me regarde indifféremment dans le miroir, je me maquille et je mets un grand sourire. Le rôle d'une femme tenace qui a une volonté de fer, je suis devenue tellement talentueuse au point que moi-même je me crois parfois ; loin de l'image typique d'une  personne déprimée, je sens que je vis une double vie, une devant les gens et la société, et l'autre, douloureuse.               

Fin Août, j'ai déposé ma demande de visa au bureau du consulat à Gaza, j'ai voulu découvrir le monde depuis le voyage de ma sœur aînée au canada, elle m'a tellement touchée, j'ai pleuré pendant trois jours successifs, je me souviens jusqu'aujourd'hui l'odeur de l'encens gravée dans les murs de son appartement.

Alors, enfin c'est à mon tour de découvrir le monde. Je me suis inscrite au passage de Rafah, ce passage de l’enfer, où les passagers passent des jours sans nourriture ni toilettes, Assise par terre, l'un contre l'autre comme dans une boîte de sardines. La situation du passage a toujours relevé des opinions paradoxales entre les gens gazaouis, la majorité accepte l'idée de souffrir quelque jours pour arriver à la liberté éternelle, la minorité écrasante refuse fortement cette humiliation. Ma réflexion par rapport au sujet était courte, c'est un moyen d'atteindre un but, et pour y arriver il faut toujours des sacrifices.

Les procédures de voyage prennent normalement un mois ou deux pour que l'on puisse voyager. Une deuxième attente qui paraît plus longue qu'une année entière, je revis l'échec de l'année 2014 de nouveau ; ma tentative de voyager au canada pour continuer mes études en licences, cela m'a tellement écrasée physiquement et psychologiquement à la fois, c'était une période d'inquiétude, je me suis enfermée. Cela ne m'écrasera plus si je n'y arrive pas parce que je ne suis plus la fille naïve de 18 ans, je suis devenue une jeune femme avec une vision, avec une grande image à construire.

Après quelques semaines, j'ai eu mon visa et quelque jours après j'ai trouvé mon nom affiché dans la liste des voyageurs qui est publiée sur une page Facebook pour que toute la bande de Gaza la voit. Moi qui aime garder mes affaires pour moi-même, me retrouve exposée, toute nue devant des milliers d'internautes. soudainement, mon portable reçoit des coups de fils, des gens que je n'ai pas contacté depuis des années ; à ce point je ne réponds à personne, à l'exception d'une seule, Olivier.

J'ai arrangé ma valise, et comme je voyage seule je ne peux pas en prendre plus d’une et un sac à dos. Je n'ai pas dormi cette nuit-là, Morphée me refusait totalement ses bras, j'ai contemplé le sol dans le silence éternel, je me suis levée à l'aube, à 4 heures du matin, j’ai organisé mes affaires, appelé un taxi pour aller à la première station, j'avais peur, j'avais mal au ventre, j'ai embrassé ma mère, ma sœur était encore endormie, j'ai dû descendre 11 étages avec mes bagages parce qu'il n'y avait pas d’électricité.

Tous les voyageurs ont été obligés de rester dans une salle d'attente qui contient quelques chaises sans tabouret, les gens qui arrivent en retard perdent la chance grandiose de s'assoir sur une de ces chaises. J'ai attendu 12 heures seulement pour un billet de bus qui va nous transporter au passage du Rafah à 5 heures du matin. Cela était à refaire le lendemain.

J'ai dormi, j'ai fermé mes paupières, je me prépare pour un nouveau jour de fatigue extrême qui absorbe l'âme, cette expérience humiliante qui touche profondément au point que l'on hésite (à revivre) toutes ces prochaines étapes, cela en vaut –il  la peine ? la zone de confort me semble tellement tranquille à ce moment-là, doux, qui n’a besoin d'aucun effort. Mais ce n'est pas ce que j'envisage, les circonstances extrêmes appellent des mesures extrêmes ; je suis venue jusqu'ici, je continuerai mon chemin sans regarder en arrière, et sans la moindre hésitation.

Cela fait depuis août que je vois les choses comme si j'étais un astronaute, la grande image, cela me permet d'être de plus en plus à mon aise, de travailler calmement et d'avoir la patience. Alors que les conditions du voyage m’ont causé une dépression inexplicable, je me suis enfermée à nouveau, le choc et le silence après ce long jour d'échec me laissent complétement émue, je ne ressens plus rien. Je suis allongée sous les drapes, mes yeux fixés au toit, et je n'arrive même pas à réfléchir à la moindre chose, j'aurais bien aimé si je ferme mes yeux et je les ouvre à une belle vue qui donne sur Paris depuis la fenêtre de l'appartement où olivier habite, par magie, mais il faut que je souffre pour que je savoure chaque moment de cette expérience, et pour que j'apprécie les moments qui viendront avec lui.

J'envoie un message à Olivier :

- Chéri je ne me sens pas bien, ce n'est pas facile de vivre l'enferment, je sens que je suis déprimée

-  Tu parles de la dépression au présent ? C'est encore d'actualité ?

- Oui, même si je suis tellement en contact avec toi, le monde est cruel mon amour

- Mon dieu Nadeen...

- l'enfermement est sombre, j'ai besoin de toi

- Le monde dans lequel tu vis actuellement sans doute, mais pas le monde, alors cela doit te suffire pour tout faire pour y échapper.

Demain je ferai face à cerbère qui garde les portes de l'enfer éternel, je prie Hadès qu'il ait pitié de mon âme, puisque le passage de Rafah me semble ainsi, diabolique.

Brusquement, à quatre heures du matin j'entends un éclat, puis un grand soleil, un grand feu monte jusqu'au ciel, je prends quatre pas loin de mon lit, un deuxième bombardement, là, je sors de la chambre, toujours les yeux fixés sur la fenêtre de ma chambre, je tremble, je perds mon équilibre, je m'assois par terre, traumatisée, horrifiée, puis un silence assourdissant, mon départ est dans une heure. J'attends qu'il soit cinq heures, je ramasse mes affaires et je quitte.

J'ai pris un taxi, j'essaie de ne pas regarder les ruines dans les rues, il y a un mouvement bizarre, plein de voitures et d'ambulances, les gens qui courent dans toutes les directions. L'image de la chambre sale me revient à l'esprit, mes larmes chaudes traversent mon visage sec et froid, mes doigts tremblent, il n'y a que l’écho de bombardement, et de décombres à l'horizon.

Je me dépêche vers l'entrée de passage, les gens courent, la panique règne dans l'atmosphère. Deux heures plus tard, l'employé appelle mon nom, un nouveau leurre d'espoir, je prends ma valise, je règle le paiement et je quitte. Enfin la liberté. Un court instant de bonheur, coupé par une explosion horrible, je me souviens clairement, de l'autre côté de l'enfer, il y avait un jeune homme, on dirait qu'il est dans ses vingtaines, il court rapidement mais il n'a pas échappé quand même au ricochet tombé du ciel directement sur sa tête, il était deux pas loin de moi, je suis restée un temps, accroupie, près de son cadavre, je le regardais, le silence reviens, je me lève à peine, je pourrais être à sa place, sa fin d'histoire aurait été la mienne, je sens l'odeur du sang diffusé dans l'air, je jette un dernier regard à son corps allongé, comme si je lui disais adieu, mon cœur cassé en mille fragments, je commence à courir le plus vite possible, je m’échappe.

J'ai perdu connaissance dans le bus qui nous conduisait à l'aéroport, j'ai fermé les yeux, je me suis réveillée brusquement du lit, il s'avère que tous cela était un rêve, et que je suis encore dans ma prison de verre.