C’est Mercy qui se marie la première. Mercy, c’est ma petite sœur. Mercy a quinze ans. Mercy est plus jolie que moi, c’est ce que tout le monde dit. Mercy fait bien le mafé et la semoule au... [+]
Ce jour là, je flânai dans les puces de Saint-Ouen, entre un bal musette et des saucisses frites, un brocanteur et un marchand de poupées anciennes, je découvris dans une impasse une caravane intrigante : recouverte d’un tissu bleu nuit aux reflets argentés, sur les fenêtres des étoiles étaient dessinées à la main. Qui vivait là ? Je m’approchai plus près et la porte de la caravane s’ouvrit instantanément. Une voix de femme me somma d’entrer : « Je t’attends jeune homme, entre ! ». Une voix chevrotante de sorcière qui me fit un peu peur. La curiosité étant plus forte, je pénétrai dans les lieux.
Une femme était assise devant une table et tenait une boule de cristal entre ses mains, une bohémienne qui allait me dire la bonne aventure et me prédire monts et merveilles. Je n’avais jamais consulté de voyant, j’avais toujours trouvé cela un peu ridicule. J’étais serveur à l’époque, les fins de mois étant difficiles je demandai à la dame combien ça allait coûter : « Pour toi, rien ! Gratuit. Assieds-toi ! ». Je fus surpris, ces gens là n’ayant pas pour réputation d’être désintéressés, mais cela m’arrangeait et je m’assis bien vite. Elle malaxa la boule de ses mains blanches aux ongles rouges, celle-ci s’illumina et la bohémienne se mit à souffler, à maugréer dans une langue qui m’était inconnue, elle pâlit, rougit, s’agita et finit par me dire : « Grand malheur jeune homme, si toi vas un jour au 17 rue du Cher, toi mourir d’un balle dans la tête, toi : jamais aller à cette adresse, sinon, toi mourir ! ». J’eus aussitôt envie de rire mais face à son expression terrifiée et à son soudain mutisme, je demandai : « Je mourrai d’une balle, mais comment ? Je serai assassiné ? Il s’agira d’une balle perdue ? Dites m’en plus ». « Vois toi mourir avec balle au 17 rue du Cher, toi partir maintenant. » Pas de promesse d’amour, de succès, d’argent mais la chronique d’une mort annoncée ! Mes a priori bousculés, je laissai quelques pièces sur la table et retrouvai la lumière du jour.
J’oubliai vite cette prédiction pour me pencher vers mes préoccupations principales : faire la noce, avoir des conquêtes, vivre de l’air du temps. Quelques mois plus tard, je fus invité par un ami dans le vingtième au 20 rue de la Cour des Noues. Je descendis au Métro Gambetta et empruntai la rue en question, je découvris qu’elle était perpendiculaire à la rue du Cher. Je vis simplement la plaque « Rue du Cher » et cette vision me glaça le sang. Tout d’un coup, alors que j’avais tout oublié comme on oublie un mauvais rêve, cette malédiction me frappa de plein fouet. Je continuai mon chemin et arrivai chez mon ami pâle et fiévreux : « Ben mon vieux, c’est pas la grande forme ! Tu viens de croiser un fantôme ? ». Je décidai de ne rien lui raconter, j’avais le sentiment que formuler ce présage ne ferait que lui donner foi et me porter malheur. Je prétextai une mauvaise grippe et écourtait la soirée.
Les semaines qui suivirent furent terribles, je ne dormais plus, je refusais toutes les invitations ou activités situées dans les arrondissements adjacents au vingtième : dix-neuvième, onzième, dixième, douzième. Habitant une chambre de bonne dans le cinquième, je me sentais relativement à l’abri et je finis par ne plus quitter mon quartier : je me rendais à mon travail dans une rue voisine et retournais chez moi aussitôt après.
Peu à peu, je m’isolai, refusai de rencontrer tel ou tel ami de peur d’être obligé de m’approcher de cette rue de malheur qu’il faudrait éviter toute ma vie. Mon existence étant devenue un enfer, je pris la résolution de m’installer en province chez une grande tante qui possédait une maison à Carteret dans le Cotentin.
Là, loin de Paris, je repris doucement goût à la vie et surtout à la compagnie des dames qui m’avait manquée. Pendant deux ans, je reconstruisis ma vie, je louai une maison de pêcheur, fréquentai les bars à matelots, trouvai un emploi de livreur, me fis de nouveaux amis. Le danger semblait définitivement écarté.
Les mois passèrent et je me mis à repenser à cette prédiction et au 17 rue du Cher de manière quotidienne. Qu’il y avait-il au 17 rue du Cher ? A quoi ressemblait vraiment cette rue ? Pourquoi devais-je y mourir ? Et dans quelles circonstances ? Je me réveillai la nuit avec cette adresse tournant en boucle dans ma tête : 17 rue du Cher... 17 rue du Cher... 17 rue du Cher... Et une irrésistible envie de m’y rendre. Comme si j’avais été le jouet d’un hypnotiseur m’obligeant à agir contre ma volonté.
Il fallait que je fasse face à ce destin : plutôt mourir que d’avoir peur de mourir toute ma vie.
Je pris un aller simple pour Paris, j’embrassai tendrement ma tante sur le front, fis une dernière fois la tournée des grands ducs, passai une nuit d’amour avec Margaux et pris le train de sept heures quarante sept.
A dix heures, je me trouvai à l’angle de la rue Belgrand et de la rue du Cher. A dix heures quinze, à l’angle de la rue de la Cour des Noues et de la rue du Cher. A dix heures trente, dans la rue des Pyrénées, parallèle à la rue du Cher. A dix heures quarante cinq au 1 de la rue du Cher. A onze heures quinze au 7. Je progressai lentement mais rien n’aurait pu me détourner du 17 rue du Cher. Les immeubles haussmanniens semblaient me susurraient : « N’y vas pas, attention, repars, fuis ! ». J’avançai néanmoins pour rencontrer ma dernière conquête : la mort. J’eus un souffle au cœur au 15 rue du Cher, je m’arrêtai pour reprendre ma respiration quand une douce musique me parvint aux oreilles, le son d’un accordéon et la voix d’une goualeuse. Je m’approchai et découvris que ces bruits émanaient du 17 rue du Cher qui n’était autre qu’une guinguette. J’allais mourir dans une guinguette en faisant la fête ! Ironie du sort.
Je poussai la porte et fus aussitôt entraîné par une jolie demoiselle dans un tourbillon de danse et d’ivresse. Avant de mourir, je tâchai d’en profiter. Je remarquai un groupe de petites frappes accoudées au comptoir, l’un d’eux me regardait d’un mauvais œil, le petit ami de la belle sans doute ? Allait-il être mon assassin ? Il était encore temps de partir mais je n’en eu aucune envie. Je voulais que la prédiction s’opère coûte que coûte pour m’en libérer. Plus je m’en approchais, plus je me sentais vivant et heureux.
Le musicien et la chanteuse firent une pause, je bus un demi en contemplant la scène : le micro, l’accordéon, l’éclairage... Et là, quelque chose d’incontrôlable me poussa à monter sur scène. J’allumai le micro et me mis à chanter, des chansons de marins surtout et une chanson que j’avais écrite naguère. Les clients s’agglutinèrent devant la scène, la demoiselle au premier rang et les petites frappes au second. Je continuai attendant qu’une balle me touche en plein cœur. Mais rien n’arrivait, alors je chantai jusqu’à plus soif pour finir épuisé. La spectateurs m’ovationnèrent, un agent me donna sa carte, le patron de la guinguette me proposa de me programmer sur plusieurs mois, on m’offrit moultes verres, on me promit la lune, le Pérou et plus encore.
Le présumé petit ami de la belle m’apostropha : « Ma parole ! Toi mon gars, t’as vraiment le bal musette dans la tête ! T’es fait pour ça mon vieux, une carrière toute tracée ! ».
Dès le lendemain j’écrivis une chanson intitulée : « Un bal dans la tête ». Que j’avais été bête d’avoir perdu du temps en comprenant « balle » et non « bal ». Mais alors pourquoi m’avoir prédit ma mort ? Alors que je n’avais jamais autant vécu.
Je connus dix années de joie et de succès admirables au bout desquelles pour rendre hommage au patron de la guinguette, je revins chanter au 17 rue du Cher. Je pris un verre de rouge au comptoir tournant le dos à la piste et sentis à l’arrière de mon crâne le canon d’un revolver et une voix prononça ces mots : « C’est maintenant ».
Une femme était assise devant une table et tenait une boule de cristal entre ses mains, une bohémienne qui allait me dire la bonne aventure et me prédire monts et merveilles. Je n’avais jamais consulté de voyant, j’avais toujours trouvé cela un peu ridicule. J’étais serveur à l’époque, les fins de mois étant difficiles je demandai à la dame combien ça allait coûter : « Pour toi, rien ! Gratuit. Assieds-toi ! ». Je fus surpris, ces gens là n’ayant pas pour réputation d’être désintéressés, mais cela m’arrangeait et je m’assis bien vite. Elle malaxa la boule de ses mains blanches aux ongles rouges, celle-ci s’illumina et la bohémienne se mit à souffler, à maugréer dans une langue qui m’était inconnue, elle pâlit, rougit, s’agita et finit par me dire : « Grand malheur jeune homme, si toi vas un jour au 17 rue du Cher, toi mourir d’un balle dans la tête, toi : jamais aller à cette adresse, sinon, toi mourir ! ». J’eus aussitôt envie de rire mais face à son expression terrifiée et à son soudain mutisme, je demandai : « Je mourrai d’une balle, mais comment ? Je serai assassiné ? Il s’agira d’une balle perdue ? Dites m’en plus ». « Vois toi mourir avec balle au 17 rue du Cher, toi partir maintenant. » Pas de promesse d’amour, de succès, d’argent mais la chronique d’une mort annoncée ! Mes a priori bousculés, je laissai quelques pièces sur la table et retrouvai la lumière du jour.
J’oubliai vite cette prédiction pour me pencher vers mes préoccupations principales : faire la noce, avoir des conquêtes, vivre de l’air du temps. Quelques mois plus tard, je fus invité par un ami dans le vingtième au 20 rue de la Cour des Noues. Je descendis au Métro Gambetta et empruntai la rue en question, je découvris qu’elle était perpendiculaire à la rue du Cher. Je vis simplement la plaque « Rue du Cher » et cette vision me glaça le sang. Tout d’un coup, alors que j’avais tout oublié comme on oublie un mauvais rêve, cette malédiction me frappa de plein fouet. Je continuai mon chemin et arrivai chez mon ami pâle et fiévreux : « Ben mon vieux, c’est pas la grande forme ! Tu viens de croiser un fantôme ? ». Je décidai de ne rien lui raconter, j’avais le sentiment que formuler ce présage ne ferait que lui donner foi et me porter malheur. Je prétextai une mauvaise grippe et écourtait la soirée.
Les semaines qui suivirent furent terribles, je ne dormais plus, je refusais toutes les invitations ou activités situées dans les arrondissements adjacents au vingtième : dix-neuvième, onzième, dixième, douzième. Habitant une chambre de bonne dans le cinquième, je me sentais relativement à l’abri et je finis par ne plus quitter mon quartier : je me rendais à mon travail dans une rue voisine et retournais chez moi aussitôt après.
Peu à peu, je m’isolai, refusai de rencontrer tel ou tel ami de peur d’être obligé de m’approcher de cette rue de malheur qu’il faudrait éviter toute ma vie. Mon existence étant devenue un enfer, je pris la résolution de m’installer en province chez une grande tante qui possédait une maison à Carteret dans le Cotentin.
Là, loin de Paris, je repris doucement goût à la vie et surtout à la compagnie des dames qui m’avait manquée. Pendant deux ans, je reconstruisis ma vie, je louai une maison de pêcheur, fréquentai les bars à matelots, trouvai un emploi de livreur, me fis de nouveaux amis. Le danger semblait définitivement écarté.
Les mois passèrent et je me mis à repenser à cette prédiction et au 17 rue du Cher de manière quotidienne. Qu’il y avait-il au 17 rue du Cher ? A quoi ressemblait vraiment cette rue ? Pourquoi devais-je y mourir ? Et dans quelles circonstances ? Je me réveillai la nuit avec cette adresse tournant en boucle dans ma tête : 17 rue du Cher... 17 rue du Cher... 17 rue du Cher... Et une irrésistible envie de m’y rendre. Comme si j’avais été le jouet d’un hypnotiseur m’obligeant à agir contre ma volonté.
Il fallait que je fasse face à ce destin : plutôt mourir que d’avoir peur de mourir toute ma vie.
Je pris un aller simple pour Paris, j’embrassai tendrement ma tante sur le front, fis une dernière fois la tournée des grands ducs, passai une nuit d’amour avec Margaux et pris le train de sept heures quarante sept.
A dix heures, je me trouvai à l’angle de la rue Belgrand et de la rue du Cher. A dix heures quinze, à l’angle de la rue de la Cour des Noues et de la rue du Cher. A dix heures trente, dans la rue des Pyrénées, parallèle à la rue du Cher. A dix heures quarante cinq au 1 de la rue du Cher. A onze heures quinze au 7. Je progressai lentement mais rien n’aurait pu me détourner du 17 rue du Cher. Les immeubles haussmanniens semblaient me susurraient : « N’y vas pas, attention, repars, fuis ! ». J’avançai néanmoins pour rencontrer ma dernière conquête : la mort. J’eus un souffle au cœur au 15 rue du Cher, je m’arrêtai pour reprendre ma respiration quand une douce musique me parvint aux oreilles, le son d’un accordéon et la voix d’une goualeuse. Je m’approchai et découvris que ces bruits émanaient du 17 rue du Cher qui n’était autre qu’une guinguette. J’allais mourir dans une guinguette en faisant la fête ! Ironie du sort.
Je poussai la porte et fus aussitôt entraîné par une jolie demoiselle dans un tourbillon de danse et d’ivresse. Avant de mourir, je tâchai d’en profiter. Je remarquai un groupe de petites frappes accoudées au comptoir, l’un d’eux me regardait d’un mauvais œil, le petit ami de la belle sans doute ? Allait-il être mon assassin ? Il était encore temps de partir mais je n’en eu aucune envie. Je voulais que la prédiction s’opère coûte que coûte pour m’en libérer. Plus je m’en approchais, plus je me sentais vivant et heureux.
Le musicien et la chanteuse firent une pause, je bus un demi en contemplant la scène : le micro, l’accordéon, l’éclairage... Et là, quelque chose d’incontrôlable me poussa à monter sur scène. J’allumai le micro et me mis à chanter, des chansons de marins surtout et une chanson que j’avais écrite naguère. Les clients s’agglutinèrent devant la scène, la demoiselle au premier rang et les petites frappes au second. Je continuai attendant qu’une balle me touche en plein cœur. Mais rien n’arrivait, alors je chantai jusqu’à plus soif pour finir épuisé. La spectateurs m’ovationnèrent, un agent me donna sa carte, le patron de la guinguette me proposa de me programmer sur plusieurs mois, on m’offrit moultes verres, on me promit la lune, le Pérou et plus encore.
Le présumé petit ami de la belle m’apostropha : « Ma parole ! Toi mon gars, t’as vraiment le bal musette dans la tête ! T’es fait pour ça mon vieux, une carrière toute tracée ! ».
Dès le lendemain j’écrivis une chanson intitulée : « Un bal dans la tête ». Que j’avais été bête d’avoir perdu du temps en comprenant « balle » et non « bal ». Mais alors pourquoi m’avoir prédit ma mort ? Alors que je n’avais jamais autant vécu.
Je connus dix années de joie et de succès admirables au bout desquelles pour rendre hommage au patron de la guinguette, je revins chanter au 17 rue du Cher. Je pris un verre de rouge au comptoir tournant le dos à la piste et sentis à l’arrière de mon crâne le canon d’un revolver et une voix prononça ces mots : « C’est maintenant ».