Moi, je ferai du chien de traîneaux. Pour visiter le Pôle Nord, il n'y a pas mieux. Je serai emmitouflé dans trente-six épaisseurs de peaux de bêtes et je dirigerai ma meute par des grands cris ... [+]
Bertrand regarde la boîte et si elle avait possédé un globe oculaire, on aurait pu dire que la boîte regarde Bertrand. C'est une belle boîte, du genre à contenir deux chaussures, comme on en voit chez monsieur Barrier, le marchand de souliers où travaille Yolande, la maman de Bertrand. La seule différence, c'est que la boîte qu'observe Bertrand est rouge, d'un rouge vif, comme les petites voitures de F1 de l'écurie italienne qui font la course dans sa chambre, les jours de grand prix.
Yolande s'y connaît en boîtes. C'est Thérèse, sa mère, qui lui a légué cet objet. Avant de mourir, elle a bien spécifié à Yolande qu'il ne fallait en aucun cas chercher à l'ouvrir. La dernière fois que quelqu'un s'y est risqué, il y a eu la guerre.
Yolande a donné la boîte à Bertrand pour qu'il puisse y loger ses secrets d'enfant. Elle lui a rapporté ce que lui avait raconté Thérèse, en lui précisant qu'elle ne croyait pas du tout au mauvais sort colporté par cette boîte.
Depuis ce moment-là, Bertrand regarde la boîte. Il a des doutes. Il se souvient que sa grand-mère ne disait pas n'importe quoi. Elle était capable de prédire la pluie ou le beau temps avec un jour d'avance. Dans ce domaine, mémé Thérèse battait les présentatrices de la météo télévisée à plat de couture. Par conséquent, elle avait de bonnes raisons pour ne pas ouvrir la boîte.
Ce serait pourtant facile. Sa forme est parfaitement parallélépipédique comme toute boîte digne de ce nom. Il suffirait de soulever le couvercle du bout des doigts ; aucun crochet, aucune attache ne s'oppose à l'ouverture. Le couvercle se lèverait en tournant autour des deux charnières dorées qui sont fixées à l'arrière de l'objet.
Pour l'honorer, Bertrand a appris à écrire et prononcer le mot « parallélépipédique » pour pouvoir l'énoncer en classe. Mademoiselle Duport, son institutrice, n'en est pas encore revenue.
Même Maurice, le chat tigré de la maison se méfie de la boîte. D'habitude, il se précipite sur n'importe quel container pour tenter de se faufiler dedans, mais là, il semble très sceptique. Il ne miaule même pas pour qu'on lui permette de s'y installer.
Quand on a dix ans et qu'on bute sur un mystère, que fait-on ? Le regard de Bertrand s'illumine soudain :
- On interroge Google !
L'opération est un peu compliquée parce qu'il a besoin de l'autorisation à sa mère pour se servir de l'ordinateur familial. Bertrand utilise un subterfuge, il dit qu'il veut vérifier l'orthographe du mot : « parallélépipédique ».
Bertrand s'installe au bureau paternel, puis ouvre Google et tape « boîte rouge ».
Le petit rond bleu tourne sur lui-même, tourne, tourne, tourne... Devant cette lenteur, Bertrand pense que le PC de son père est pourri de virus, ou alors que le concept de « boîte rouge » échappe aux connaissances humaines.
Finalement, l'outil de recherche stoppe sa course. Les premiers textes qui apparaissent concernent des choses qui parlent de boîtes. Bertand y trouve une collection de boîtes de bijoux, une publicité pour une marque de boîtes de sardines, une vieille boîte à musique dotée d'une manivelle. Puis, l'enfant de Yolande lit des débuts d'articles qui parlent de « rouge » : à propos des fraises et des cerises, des rouges à lèvres de sa mère, du vin de son père...
Mais rien... Pas un mot sur « boîte rouge ».
Bertrand a une nouvelle idée : Marcus. Marcus est un vieux monsieur qui habite en solitaire dans une petite maison, au bout de la rue. Marcus est tellement âgé que Bertrand pense qu'il a vécu au XIXe siècle. Le gamin a déjà constaté que Marcus sait beaucoup plus de choses que les autres adultes.
Sous prétexte d'aller chercher le pain à la boulangerie, Bertrand emporte la boîte rouge chez monsieur Marcus. Celui est stupéfait :
— Mon Dieu, Bertrand ! Tu as la boîte rouge ! Tu es dans la légende de la boîte rouge !
Marcus, un peu tourneboulé, convie Bertrand à s'asseoir et entreprend de lui conter l'histoire de la boîte rouge.
— Tu as entendu parler de Ravaillac à l'école ?
Oui, Bertrand connaît ce sinistre personnage qui tua un roi. Soit dit en passant, l'histoire a donné lieu à une révolte des parents d'élèves dans la classe de Bertrand. La majorité des mamans présentes, y compris Yolande, se sont vivement élevées contre l'enseignement de mademoiselle Duport. Comment peut-on évoquer le cruel assassinat d'Henri IV devant des enfants de dix ans ?
Mademoiselle Duport a répondu que c'était dans le programme. Bertrand a cru comprendre qu'une pétition anti-Ravaillac a été envoyée au ministère.
Bref... continue Marcus. Au moment de son supplice, une main de Ravaillac a été coupée par le bourreau. Dans la foule agitée par une cohue indescriptible, un homme aurait surgi, se serait emparé de la main sanguinolente, l'aurait glissée dans une boîte rouge et se serait enfui. Personne ne l'ayant poursuivi, il conserva cet objet morbide dans sa famille.
Le temps passant, cette boîte se perdit. Elle circula – si l'on ose dire – entre de nombreuses mains. Un mauvais sort s'acharna sur elle. Chaque fois que l'un des propriétaires de la boîte l'ouvrait, un drame se produisait. Par exemple, la tradition rapporte que Louis XVI hérita de la boîte. La curiosité le poussa à soulever le couvercle et il perdit la tête. Autre exemple : malgré sa supériorité, le cycliste Eugène Christophe ne put gagner le tour de France 1919 à cause d'un sévère ennui mécanique de sa bécane. On apprit qu'au départ de l'étape, il avait ouvert la boîte rouge trouvée chez sa grand-mère. Il semble également que la tempête de 1999 ait été provoquée par un imprudent qui tenait à s'informer du contenu de la boîte.
Bertrand est médusé par cette légende horrible. Le mieux, lui dit Marcus, c'est de ne pas la conserver vers toi :
— Porte cet objet au commissariat, les policiers sauront ce qu'il faut faire.
Bertrand ne se sent pas d'endosser la responsabilité d'un nouvel échec des coureurs français dans la Grande Boucle ni d'un ouragan national. Il arrive devant l'immeuble des policiers de son quartier, la boîte rouge sous le bras, et demande à voir le commissaire Salomon de toute urgence. Bertrand le connaît : quand il est venu dans sa classe, il a trouvé le policier sympa. Il a bien expliqué aux enfants les dangers de la route. Puis, il a organisé un exercice pratique dans la cour avec des vélos et des piétons. Bertrand a beaucoup aimé cette journée.
Présentement, d'une oreille amusée, Fernand Salomon écoute Bertrand lui raconter la légende de la boîte rouge. Puis, Bertrand voit la grosse main du fonctionnaire s'approcher du couvercle. Le gamin crie :
— Non ! Non !
Le policier est hilare car un homme de sa trempe n'a pas peur d'une simple boîte. Il l'ouvre !
À l'instant précis où son regard se porte sur l'intérieur de la boîte, son rire s'arrête net et se transforme en gargouillis incompréhensible. Bertrand sent poindre une tension inconnue dans le bureau. Le célèbre cigare du commissaire tombe de ses lèvres charnues :
— Bon... Écoute mon petit gars, tu vas aller me chercher ton papa et ta maman. Je voudrais bien savoir comment et pourquoi ils conservent une main de cadavre à leur domicile.
Yolande s'y connaît en boîtes. C'est Thérèse, sa mère, qui lui a légué cet objet. Avant de mourir, elle a bien spécifié à Yolande qu'il ne fallait en aucun cas chercher à l'ouvrir. La dernière fois que quelqu'un s'y est risqué, il y a eu la guerre.
Yolande a donné la boîte à Bertrand pour qu'il puisse y loger ses secrets d'enfant. Elle lui a rapporté ce que lui avait raconté Thérèse, en lui précisant qu'elle ne croyait pas du tout au mauvais sort colporté par cette boîte.
Depuis ce moment-là, Bertrand regarde la boîte. Il a des doutes. Il se souvient que sa grand-mère ne disait pas n'importe quoi. Elle était capable de prédire la pluie ou le beau temps avec un jour d'avance. Dans ce domaine, mémé Thérèse battait les présentatrices de la météo télévisée à plat de couture. Par conséquent, elle avait de bonnes raisons pour ne pas ouvrir la boîte.
Ce serait pourtant facile. Sa forme est parfaitement parallélépipédique comme toute boîte digne de ce nom. Il suffirait de soulever le couvercle du bout des doigts ; aucun crochet, aucune attache ne s'oppose à l'ouverture. Le couvercle se lèverait en tournant autour des deux charnières dorées qui sont fixées à l'arrière de l'objet.
Pour l'honorer, Bertrand a appris à écrire et prononcer le mot « parallélépipédique » pour pouvoir l'énoncer en classe. Mademoiselle Duport, son institutrice, n'en est pas encore revenue.
Même Maurice, le chat tigré de la maison se méfie de la boîte. D'habitude, il se précipite sur n'importe quel container pour tenter de se faufiler dedans, mais là, il semble très sceptique. Il ne miaule même pas pour qu'on lui permette de s'y installer.
Quand on a dix ans et qu'on bute sur un mystère, que fait-on ? Le regard de Bertrand s'illumine soudain :
- On interroge Google !
L'opération est un peu compliquée parce qu'il a besoin de l'autorisation à sa mère pour se servir de l'ordinateur familial. Bertrand utilise un subterfuge, il dit qu'il veut vérifier l'orthographe du mot : « parallélépipédique ».
Bertrand s'installe au bureau paternel, puis ouvre Google et tape « boîte rouge ».
Le petit rond bleu tourne sur lui-même, tourne, tourne, tourne... Devant cette lenteur, Bertrand pense que le PC de son père est pourri de virus, ou alors que le concept de « boîte rouge » échappe aux connaissances humaines.
Finalement, l'outil de recherche stoppe sa course. Les premiers textes qui apparaissent concernent des choses qui parlent de boîtes. Bertand y trouve une collection de boîtes de bijoux, une publicité pour une marque de boîtes de sardines, une vieille boîte à musique dotée d'une manivelle. Puis, l'enfant de Yolande lit des débuts d'articles qui parlent de « rouge » : à propos des fraises et des cerises, des rouges à lèvres de sa mère, du vin de son père...
Mais rien... Pas un mot sur « boîte rouge ».
Bertrand a une nouvelle idée : Marcus. Marcus est un vieux monsieur qui habite en solitaire dans une petite maison, au bout de la rue. Marcus est tellement âgé que Bertrand pense qu'il a vécu au XIXe siècle. Le gamin a déjà constaté que Marcus sait beaucoup plus de choses que les autres adultes.
Sous prétexte d'aller chercher le pain à la boulangerie, Bertrand emporte la boîte rouge chez monsieur Marcus. Celui est stupéfait :
— Mon Dieu, Bertrand ! Tu as la boîte rouge ! Tu es dans la légende de la boîte rouge !
Marcus, un peu tourneboulé, convie Bertrand à s'asseoir et entreprend de lui conter l'histoire de la boîte rouge.
— Tu as entendu parler de Ravaillac à l'école ?
Oui, Bertrand connaît ce sinistre personnage qui tua un roi. Soit dit en passant, l'histoire a donné lieu à une révolte des parents d'élèves dans la classe de Bertrand. La majorité des mamans présentes, y compris Yolande, se sont vivement élevées contre l'enseignement de mademoiselle Duport. Comment peut-on évoquer le cruel assassinat d'Henri IV devant des enfants de dix ans ?
Mademoiselle Duport a répondu que c'était dans le programme. Bertrand a cru comprendre qu'une pétition anti-Ravaillac a été envoyée au ministère.
Bref... continue Marcus. Au moment de son supplice, une main de Ravaillac a été coupée par le bourreau. Dans la foule agitée par une cohue indescriptible, un homme aurait surgi, se serait emparé de la main sanguinolente, l'aurait glissée dans une boîte rouge et se serait enfui. Personne ne l'ayant poursuivi, il conserva cet objet morbide dans sa famille.
Le temps passant, cette boîte se perdit. Elle circula – si l'on ose dire – entre de nombreuses mains. Un mauvais sort s'acharna sur elle. Chaque fois que l'un des propriétaires de la boîte l'ouvrait, un drame se produisait. Par exemple, la tradition rapporte que Louis XVI hérita de la boîte. La curiosité le poussa à soulever le couvercle et il perdit la tête. Autre exemple : malgré sa supériorité, le cycliste Eugène Christophe ne put gagner le tour de France 1919 à cause d'un sévère ennui mécanique de sa bécane. On apprit qu'au départ de l'étape, il avait ouvert la boîte rouge trouvée chez sa grand-mère. Il semble également que la tempête de 1999 ait été provoquée par un imprudent qui tenait à s'informer du contenu de la boîte.
Bertrand est médusé par cette légende horrible. Le mieux, lui dit Marcus, c'est de ne pas la conserver vers toi :
— Porte cet objet au commissariat, les policiers sauront ce qu'il faut faire.
Bertrand ne se sent pas d'endosser la responsabilité d'un nouvel échec des coureurs français dans la Grande Boucle ni d'un ouragan national. Il arrive devant l'immeuble des policiers de son quartier, la boîte rouge sous le bras, et demande à voir le commissaire Salomon de toute urgence. Bertrand le connaît : quand il est venu dans sa classe, il a trouvé le policier sympa. Il a bien expliqué aux enfants les dangers de la route. Puis, il a organisé un exercice pratique dans la cour avec des vélos et des piétons. Bertrand a beaucoup aimé cette journée.
Présentement, d'une oreille amusée, Fernand Salomon écoute Bertrand lui raconter la légende de la boîte rouge. Puis, Bertrand voit la grosse main du fonctionnaire s'approcher du couvercle. Le gamin crie :
— Non ! Non !
Le policier est hilare car un homme de sa trempe n'a pas peur d'une simple boîte. Il l'ouvre !
À l'instant précis où son regard se porte sur l'intérieur de la boîte, son rire s'arrête net et se transforme en gargouillis incompréhensible. Bertrand sent poindre une tension inconnue dans le bureau. Le célèbre cigare du commissaire tombe de ses lèvres charnues :
— Bon... Écoute mon petit gars, tu vas aller me chercher ton papa et ta maman. Je voudrais bien savoir comment et pourquoi ils conservent une main de cadavre à leur domicile.