La déroute de Paul Kondané

Toute histoire commence un jour, quelque part, un jeune étudiant nommé Paul Kondané, arrive à l’université. Très enthousiaste, il se voit diriger le monde. Pour lui, la vie est un long fleuve tranquille.
Issu de famille très modeste, Paul Kondané croit en ses convictions et mène autant que possible une vie exemplaire.
Ses journées, il les passe entre les salles de cours et sa résidence universitaire. Réussir ses études est la priorité de Paul.
Son père est un étranger pour lui. Il ne l’assiste presque jamais, si non par quelques conseils. Cependant ce dernier ne se lasse jamais de s’adresser à son fils en ces termes :
« Paul Kondané je n’ai ni or, ni argent à t’offrir, mais les conseils, je te les donne ; Ne cherche jamais à réussir ta vie ; cherche à la gagner. »
Aussi se résout-il de mener ses études avec la dernière énergie afin de pouvoir faire plaisir à son père qui n’arrête pas de lui mettre la pression : « Paul Kondané, c’est toi qui me sortiras de la misère qui s’est établie à ma porte depuis des années ».
Trois années s’étaient écoulées, trois années de succès couronné par une licence en science politique mais la joie du succès sera de courtes durées, estompées par la bataille en vue de son insertion sociale. Dans la tourmente, Paul commence à ressentir le poids des difficultés de la vie.
Dès lors commence la phase de la remise en question des principes de vie qu’il s’était lui-même imposés, principes orientés vers la recherche de la volonté du Créateur dans tous ses actes. Sous le marteau de la pression familiale et l’enclume de ses échecs récurrents aux divers concours, le jeune homme commence à douter de ses capacités, et même à avoir honte de lui-même. Il se met alors à promener des regards inquiets à l’entour, envieux du succès des congénères apparemment moins sérieux que lui. Que faire ?
Dans son esprit visiblement taraudé par les propos de son père : « ne cherche jamais à réussir ta vie, cherche à la gagner », il lui sembla qu’il n’avait pas compris leur sens profond. Car réussir dans la vie pour lui supposait l’observance d’un certain nombre de règle de vie calqué sur les saintes écritures. Son père était-il conscient de tout cela ?
Intérieurement perturbé, et d’office incapable de demeurer dans ses convictions premières face à un père aux abois qui l’écrase de tout son poids, les centres d’intérêts de Paul commencent à glisser fatalement. Soucieux de faire plaisir à un père vieillissant à l’attente de la mort, il se sentit coincé à la croisée de deux chemins : la droiture, l’équité, la justice qu’il s’était efforcé jusqu’ici de pratiquer, et la compromission inévitable pour sa survie. Il était sur le point de céder à l’obligation de faire des concessions : qui allait hélas aboutir à la trahison de l’amour de ce Dieu qu’il avait toujours respecté et obéi jusqu’ici. Il choisissait ainsi la mort, et il ne s’en doutait pas ! Il se souvint un instant de ce que Confucius disait : « la nature fait des hommes semblables, la vie les rend différents ».
Paul s’étant levé tard un matin de janvier, se rendit compte que sa vie de piété était incompatible avec les activités à entreprendre dans son milieu de vie pour s’intégrer. Son incitation à « gagner la vie » pris le dessus sur les valeurs auxquelles il avait par le passé attachés un grand prix. Il commença à rechercher l’argent, la considération et la gloire subséquente.
Dès lors Paul kondané commencera à hurler avec les loups : il tentait sa chance dans les jeux divers, les paris sportifs, les courses des chiens et des chevaux, les combats de coq, les machines à sous. C’était assez exaltant, déstressant même ! Car les gains étaient au rendez-vous. Mais il ne tarda pas à réaliser que ses rentrées étaient minables au regard des sommes investies. Il apprit un jour que les gros lots étaient réservés aux initiés... Il décida de marquer une pause. Parce que, entre-temps, on le sollicita pour le poste de Directeur d’une société anonyme faisant dans le proxénétisme la cible étant les étudiantes. Recevant en contre parti de l’argent, des faveurs et avantages divers, la vie du jeune homme avait emprunté l’autoroute du succès. Aussi les réjouissances étaient-elles au rendez-vous. La famille, reprit confiance, l’avenir s’annonçait meilleur. L’égo du jeune homme qui avait été entamé par la dureté de la vie se restaurait ; de sa bouche pouvait désormais sortir des mots du genre : « faites-moi confiance, je ne serai peut-être pas Président mais je serai quelqu’un d’important car je suis né pour réussir »
Le chemin de la gloire semblait s’ouvrir devant lui, admiré de ceux de sa génération qui voyait en lui un héros ayant réussi la gageure de s’insérer dans la vie active par les temps qui couraient. Dans la même lancée, Paul Kondané entrepris de mettre sur pieds une plateforme de trafique de note au profit des étudiants malheureux.
La vie de Paul Kondané avait pris une autre dimension. Il était alors à l’image du malien Mamoudou Gassama ovationné et adulé par sa famille et ses fans. Aussi se sentait-il pousser des ailes. On pouvait enfin compter sur le champion. Le chant de la victoire de l’artiste kerosen : «  ma vie a changé.......aujourd’hui j’ai triomphé » fut à cet effet psalmodié à toutes les cérémonies auxquelles le champion prenait part.
Il avait poussé si loin la perversité qu’il lui était quasi impossible de revenir sur ses pas, d’éviter de franchir le Rubicon susceptible de le mener au sacrifice suprême. Il jugeait déjà son logement à la cité inconfortable, et pas assez à ses goûts. Le prodige décida donc de s’installer dans un appartement digne du « baobab » qu’il était devenu.
Ses amis d’enfance ne manquaient aucune occasion de lui témoigner admiration et respect.
Tel était devenu Paul. A ses anciens pasteurs qui osaient s’approcher de lui, il rétorquait, désinvolte, «  essayez un peu la pauvreté vous me diriez si la piété sera encore votre apanage ! »
Pendant qu’il courait à sa perte, aucun de ses proches avisé n’osait se prononcer sur sa conduite par crainte d’être mal vu, et ainsi de s’attirer ses foudres. Tous semblaient penser comme Gandhi, à tort ou à raison, que la vie est un mystère qu’il faut vivre et non problème à résoudre.
Lors des réunions familiales, si un individu venait à contrarier ou même fustiger pire encore à attirer son attention sur la conduite déréglée de Paul, sa famille en avait après vous. Ce fut le cas un jour, lors d’une réunion de famille : Paul avait décidé d’organiser un grand festin. C’est alors qu’un cousin attacha le grelot pour dire : « d’où cet enfant tire-t-il tout cet argent ?...à mon avis cet argent n’est pas simple ». Il n’avait pas fini de parler que le père réplica durement : « pauvre jaloux, tu passes ton temps, Essomba à enquêter sur l’origine de la richesse de ton frère ! Tu dis qu’elle n’est pas simple ! T’es-tu demandé si la pauvreté dans laquelle tu croupis, toi, est simple? ». Il s’en suivit un flot d’injures au point que le hardi n’eut pour unique recours que de pleurer toutes les larmes de son corps.
Aucune observation désobligeante ne fut plus osée depuis ce jour. Paul Kondané était devenu le héros incontesté de la famille, la poule aux œufs d’or, le seul interlocuteur capable de réaliser ses promesses. Toutes dispositions qui rendaient le nouveau riche instoppable.
Il enchainait alors forfait sur forfait, insatiable. Il fit une rencontre un soir du mois d’avril, rencontre qui devait bouleverser sa vie et le projeter vers la destinée qu’il avait choisi, le champion fit la rencontre d’un professeur à qui il avait rendu auparavant des services. Le professeur avait remarqué que le jeune homme était déterminé et bien préparé à accepter l’offre qu’il allait lui proposer.
Il le convia alors à un rite préparatoire au succès : Paul devait signer un document blanc qu’il lui présentait et dont l’économie du texte devait être révélée après coups. Il s’exécuta sans arrière-pensée. Mais quand il prit connaissance du contenu du texte, il était seul face à son destin : le professeur n’était plus là. Il s’écria :
- Ce n’est pas croyable !
- Et pourquoi donc !
Révolte, Mélancolie, tristesse, Détresse, hantise, tous ces sentiments se bousculaient en lui. Il venait de signer consciemment son arrêt de mort.
Toutefois, il se ravisa, en se rappelant de ce que EINSTEIN disait : « la vie, c’est comme une bicyclette, il faut avancer pour ne pas perdre l’équilibre ». Il n’avait plus qu’une issue : relever la tête et jouir pleinement des cinq années de grâce que lui octroyait le contrat fatal.
Dans cette course folle, il se livra à toute sorte de plaisir et de volupté, la vie étant devenue pour lui une pièce de théâtre dans laquelle chaqu’un joue sa partition et s’en va. Ayant arrêté depuis fort longtemps avec ses études, il utilisa son argent pour des chantiers de construction, et de dons divers aux orphelinats.
Il passait dorénavant son temps dans les boites de nuit, s’empiffrant d’alcool et de toute sorte d’expédients jusqu’à l’aube. La famille de Paul était définitivement à l’abri de la misère, la richesse était sans cesse grandissante mais la vie suicidaire du jeune allait bientôt le précipiter dans les abysses.
Pendant qu’il s’envolait comme à l’accoutumée, il tomba à la renverse en pleine piste de dance. Les habitués de sa boite préférée se précipitaient autour de lui pour s’enquérir de la situation. Il balbutia, disant qu’il avait reçu une gifle en plein visage. On appela les ambulances...
A l’hôpital où on l’avait transporté, les médecins avaient défilés à son chevet tout le restant de la nuit. Visiblement, on avait diagnostiqué aucun accident clinique et pourtant sa santé s’était rapidement détériorée au point qu’il était entré pratiquement dans une phase d’inconscience.
Les jours d’après, toute la famille était présente à l’hôpital, au chevet de Paul jusqu’ici sans réaction. Le père, désemparé, en larmes, se roulait au sol accusant les jaloux et les sorciers de son village, tous ceux qui en voulaient à son fils.
Déjà quatre jours sans signe l’on ne sait vraiment pas si Paul est toujours vivant...le médecin ordonna qu’on laissât le malade seul. Après une journée de soins hasardeux tout le corps médical intéressé par le cas était dans l’embarras.
Au cinquième jour, le malade commença à s’agiter et le médecin traitant fit appeler le père au chevet de son fils malade. Mais quand ce dernier fit son entré presque toute la famille se précipita à sa suite, Paul s’étant retourné et les yeux légèrement ouvert larmoyaient. Il balbutia des mots à peine audibles : « ces chaussures, ces vêtements, Paul ne les mettra plus jamais... ces villas huppées à peine achevées il n’y entrera plus jamais non plus... et les clés, mes bourreaux les ont même déjà arrachées. Papa j’ai voulu te faire plaisir mais c’était au prix de ma vie. Adieu ! Je vous aime ». Il referma les yeux, un silence funeste envahit la salle.