Je serais assis à la terrasse du café, juste devant la sortie de la gare, au bord de la grande place carrée, tu sais, avec tous les sièges en bois noir, et les grands parasols rouge bordeaux ... [+]
La dernière chasse
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Finaliste
Jury
Jury
Il dit « Je vais promener les chiens. »
Elle ne se retourne pas, elle hoche simplement la tête. Elle pense « Ses chiens, il n'y en a que pour eux ! ». Puis reprend ses activités culinaires. Elle sait bien où il va. À la chasse ! Comme d'habitude.
En fait, il ne chassait pas. Il ne chassait plus depuis bien longtemps, depuis un accident lorsqu'il était jeune, il avait gravement blessé son oncle. Une étourderie impardonnable. Une vieille histoire jamais oubliée.
Pourtant, il aimait rejoindre ses copains chasseurs, sur le coup de midi, pour l'apéro. Alors, il mettait dans sa sacoche deux ou trois bouteilles de blanc, trois ou quatre sachets de cacahuètes, il enfilait la laisse aux deux chiens tout excités, et quittait la maison après avoir annoncé « Je vais promener les chiens. »
Pendant un kilomètre, il longeait la départementale, puis s'enfonçait dans un sentier au milieu du Grand Taillis. Là, il pouvait lâcher les chiens. Il marchait encore quelques centaines de mètres, jusqu'au bord du grand champ. C'est généralement ici, à la limite entre bois et champs cultivés, qu'ils se retrouvaient tous ensemble. Les chasseurs l'attendaient, ils avaient déposé gibecières, fusils et manteaux sur le sol, s'étaient assis en cercle. Lui arrivait souvent le dernier, déposait au centre ses bouteilles de vin, sortait les gobelets en plastique et les cacahuètes. C'est seulement lorsqu'il s'était assis avec eux qu'il les saluait un à un, d'un petit mot à chacun « Alors, Max, ton dos, ça va mieux ? Et toi, Louis, ta femme t'a laissé sortir ? Longtemps que j't'avais pas vu, Henri ! » et quand il avait terminé, on faisait tourner les bouteilles et chacun se servait avec un air réjoui.
Ce jour-là, le temps est chaud, le sol parfaitement sec, il décide de passer par le chemin qui contourne le Grand Taillis. Il détache les chiens presque tout de suite, qui se mettent à courir, à bondir à travers champs. Il les surveille du regard, qu'ils ne s'éloignent pas trop. Seulement les maïs sont hauts et serrés, il les perd de vue, siffle une fois ou deux, faiblement. Il n'est pas vraiment inquiet. Il distingue leurs traces parmi les cultures, là où le maïs est légèrement couché. Alors, il les suit et pénètre dans le champ. Il entend vaguement des bruits étouffés, il hésite, chiens, ou hommes, ou autres. Et il se met à craindre que ses chiens ne soient plus très visibles et que ses copains ne les confondent avec des animaux sauvages. Alors il presse le pas. Il avance difficilement, écartant les épis avec les bras, totalement recouvert par les plants. C'est vrai aussi qu'il n'est pas bien grand, et qu'il est penché en avant pour voir où il marche.
Il n'y a qu'un seul coup de feu. Qui résonne étrangement au milieu du champ de maïs. Un seul coup de feu, suivi d'un seul cri. Faible, juste un gémissement. Le silence qui suit est rapidement comblé par le bruit de course des bottes sur la terre dure, le frottement des épis agités par les hommes et les chiens. Un cercle se forme autour de lui, autour de son corps écroulé par terre, agité de légers soubresauts. Le sang coule lentement, une flaque s'étend au pied des tiges de maïs. On se regarde, on s'interroge, on hésite.
L'un des chasseurs, l'un de ses amis, se met à courir vers le village, franchit la route, atteint sa voiture. Le temps qu'il prévienne les gendarmes, le médecin, le SAMU, le temps est long, trop long.
Il décède dans l'ambulance qui l'emmène à l'hôpital.
Plus tard, ce jour-là. Elle voit arriver les copains de son homme, la bande au complet, fusil cassé sur l'épaule, tête basse. L'un d'eux tient les deux chiens en laisse. Il s'avance vers elle lentement. C'est lui qui a tiré. Il explique, en quelques mots bredouillants. Elle comprend vite, ne dit rien, ne pleure pas, pas encore. Il lui tend les deux laisses. Puis les hommes reculent vers le portail, toujours muets. Misérables et honteux.
Elle attache les chiens à l'anneau à côté de la porte. Elle rentre dans la maison, d'un pas décidé. Longs moments, où rien ne semble pouvoir bouger. Lorsqu'elle ressort, elle tient le fusil, son fusil à lui, dont il ne s'est plus servi depuis longtemps. Elle a inséré deux cartouches, du gros, sa dernière chasse devait être au sanglier. Elle se dresse face aux deux chiens, les bêtes s'agitent, inquiètes et gémissantes. Elle tire. Deux fois.
Elle ne se retourne pas, elle hoche simplement la tête. Elle pense « Ses chiens, il n'y en a que pour eux ! ». Puis reprend ses activités culinaires. Elle sait bien où il va. À la chasse ! Comme d'habitude.
En fait, il ne chassait pas. Il ne chassait plus depuis bien longtemps, depuis un accident lorsqu'il était jeune, il avait gravement blessé son oncle. Une étourderie impardonnable. Une vieille histoire jamais oubliée.
Pourtant, il aimait rejoindre ses copains chasseurs, sur le coup de midi, pour l'apéro. Alors, il mettait dans sa sacoche deux ou trois bouteilles de blanc, trois ou quatre sachets de cacahuètes, il enfilait la laisse aux deux chiens tout excités, et quittait la maison après avoir annoncé « Je vais promener les chiens. »
Pendant un kilomètre, il longeait la départementale, puis s'enfonçait dans un sentier au milieu du Grand Taillis. Là, il pouvait lâcher les chiens. Il marchait encore quelques centaines de mètres, jusqu'au bord du grand champ. C'est généralement ici, à la limite entre bois et champs cultivés, qu'ils se retrouvaient tous ensemble. Les chasseurs l'attendaient, ils avaient déposé gibecières, fusils et manteaux sur le sol, s'étaient assis en cercle. Lui arrivait souvent le dernier, déposait au centre ses bouteilles de vin, sortait les gobelets en plastique et les cacahuètes. C'est seulement lorsqu'il s'était assis avec eux qu'il les saluait un à un, d'un petit mot à chacun « Alors, Max, ton dos, ça va mieux ? Et toi, Louis, ta femme t'a laissé sortir ? Longtemps que j't'avais pas vu, Henri ! » et quand il avait terminé, on faisait tourner les bouteilles et chacun se servait avec un air réjoui.
Ce jour-là, le temps est chaud, le sol parfaitement sec, il décide de passer par le chemin qui contourne le Grand Taillis. Il détache les chiens presque tout de suite, qui se mettent à courir, à bondir à travers champs. Il les surveille du regard, qu'ils ne s'éloignent pas trop. Seulement les maïs sont hauts et serrés, il les perd de vue, siffle une fois ou deux, faiblement. Il n'est pas vraiment inquiet. Il distingue leurs traces parmi les cultures, là où le maïs est légèrement couché. Alors, il les suit et pénètre dans le champ. Il entend vaguement des bruits étouffés, il hésite, chiens, ou hommes, ou autres. Et il se met à craindre que ses chiens ne soient plus très visibles et que ses copains ne les confondent avec des animaux sauvages. Alors il presse le pas. Il avance difficilement, écartant les épis avec les bras, totalement recouvert par les plants. C'est vrai aussi qu'il n'est pas bien grand, et qu'il est penché en avant pour voir où il marche.
Il n'y a qu'un seul coup de feu. Qui résonne étrangement au milieu du champ de maïs. Un seul coup de feu, suivi d'un seul cri. Faible, juste un gémissement. Le silence qui suit est rapidement comblé par le bruit de course des bottes sur la terre dure, le frottement des épis agités par les hommes et les chiens. Un cercle se forme autour de lui, autour de son corps écroulé par terre, agité de légers soubresauts. Le sang coule lentement, une flaque s'étend au pied des tiges de maïs. On se regarde, on s'interroge, on hésite.
L'un des chasseurs, l'un de ses amis, se met à courir vers le village, franchit la route, atteint sa voiture. Le temps qu'il prévienne les gendarmes, le médecin, le SAMU, le temps est long, trop long.
Il décède dans l'ambulance qui l'emmène à l'hôpital.
Plus tard, ce jour-là. Elle voit arriver les copains de son homme, la bande au complet, fusil cassé sur l'épaule, tête basse. L'un d'eux tient les deux chiens en laisse. Il s'avance vers elle lentement. C'est lui qui a tiré. Il explique, en quelques mots bredouillants. Elle comprend vite, ne dit rien, ne pleure pas, pas encore. Il lui tend les deux laisses. Puis les hommes reculent vers le portail, toujours muets. Misérables et honteux.
Elle attache les chiens à l'anneau à côté de la porte. Elle rentre dans la maison, d'un pas décidé. Longs moments, où rien ne semble pouvoir bouger. Lorsqu'elle ressort, elle tient le fusil, son fusil à lui, dont il ne s'est plus servi depuis longtemps. Elle a inséré deux cartouches, du gros, sa dernière chasse devait être au sanglier. Elle se dresse face aux deux chiens, les bêtes s'agitent, inquiètes et gémissantes. Elle tire. Deux fois.

Pourquoi on a aimé ?
Sobriété et tension portent cette histoire de drame ordinaire. Le récit de cette séance de chasse se fait sans accrocs, et le suspense nous tient
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Pourquoi on a aimé ?
Sobriété et tension portent cette histoire de drame ordinaire. Le récit de cette séance de chasse se fait sans accrocs, et le suspense nous tient