La cruauté du destin

Toute histoire commence un jour, quelque part, dans les dédales des couloirs jonchés de désastres à la merci des rayons du torride soleil qui luit faiblement sur chaque côté des expériences puant l’ambre de suicides de plusieurs gens à la quête du bonheur. La brume chagrine déguerpissait sur Port-au-Prince sous l’effet d’une impétueuse pluie qui tomba à grosses gouttes sur toute la ville, embarquant avec elle toutes les saletés des rues de la capitale dans la mer à la teinture du ciel. Le temps fit une insolente mine. Les vagues bleues courrouçaient à l’afflux des déchets en matières plastiques venant des grandes industries qui polluent l’océan. La brise tiède soulevée par les vagues en colère, répandant çà et là dans les hauteurs de Fontamara 27, là où la vie bat toujours son plein dans les petites poêles qui dégagent les fumets de poissons frits ou bouillis, chatouillait le corps de Anne-Marie Ladouceur qui se déchargeait, sur son lit drapé en blanc, de sa lourde journée passée à s’occuper de son mariage qui aura lieu dans très peu de temps. Fatiguée à point de se faire bercer à jamais dans les bras de Morphée, la future mariée se plongea dans une longue léthargie. Le lendemain, elle sauta anxieuse du lit au bruit des coqs dans les ravins qui retentissait comme une trompette dans son limaçon, simulant une alarme. Elle jeta un coup d’œil dans l’horloge plaquée sur les murs de sa chambre, et vit que l’heure de son beau spectacle arrivait au galop. Elle se bondit tout de go sous la douche et s’habilla à la va-vite pour ne pas poser un lapin à Richard Latrouble, l’homme à la peau claire, à la large poitrine, d’une corpulence à déchirer les yeux, qui s’impatientait devant la chaire de l’Eglise Baptiste missionnaire de Port-au-Prince. La vie, sur ses paires de talons aiguilles, s’apprêtait à danser la plus vibrante valse. Anne-Marie était contente devant les parvis de l’église pour s’échapper des griffes de sa maman qui la fourrait malgré ses vingt-cinq ans sous ses longs jupons. Madame Annette René Ladouceur , la veuve, qui avait perdu son mari sous les décombres le 12 janvier 2010 dans un hôtel de la grande rue à l’enseigne « Pêle-mêle », n’avait jamais laissé trainer sa fille avec les jeunes garçons de son quartier qu’elle surnomma « Va-nu-pieds, pauvre chiens» à chaque fois que l’un tentait de lui faire la cour. La jeune comptable qui bossait depuis trois ans déjà dans l’une des succursales de la Sogebank, avait grandi dans un luxe farouche par la petite économie que sa maman accumulait à son poste de secrétaire chez les sœurs de Lalue, là où sa fille avait fait toutes ses études classiques. Pointue, on ne peut plus, son articulation ravissait les jeunes femmes. Sa détermination ainsi que son courage égayaient son unique enfant. Les voisins dirent toujours bien d’elle sinon, ils la jugeaient de son accoutrement incongru qui met toujours en évidence sa silhouette, le matin, quand elle se rendait à son bureau. Ma mère est un portrait de femmes modèle pour qui toutes têtes doivent s’incliner en la saluant, clama-t-elle souvent, tout en s’accommodant à ses rigoureux principes. C’est une nymphe qui n’a pas été facile dans sa jeunesse, seulement mon papa la connaissait, elle déclara.

Maquillée à la pointe, vêtue de sa robe blanche trainant par terre, sa beauté scintillait. Richard Latrouble, le fameux entrepreneur en la voyant marquer ses pas à l’église à l’allure inhabituelle, un décor exceptionnel, laissa fuser un léger sourire. Le mariage fut célébré dans une ambiance de gaieté. Le soir de noce survient par la sensation charnelle qui fait crisser les matelas dans la chambre muette des hôtels. Un spectacle radieux était en train de se produire à coups de reins dans le hall de l’hôtel Decameron donnant sa façade sur les vagues claires qui flottent sur la berge de la côte des arcadins. Les deux jeunes s’engourdissaient sans flamme à l’intérieur.

Le lendemain, alors qu’ils faisaient encore leur sieste, ils avaient entendu claquer la porte d’une brute intonation. C’est qui ? questionna madame Latrouble. La personne derrière la porte n’avait rien répondu. Peut-être, que c’est le serveur qui vient nous servir le petit déjeuner dégageant le meilleur fumet, ou plutôt la femme de chambre qui vient faire le ménage, dit Madame Latrouble qui trépignait d’impatience de bondir sur le tabouret où serait exposé l’exquis plat. L’envie de grignoter quelque chose se brulait et provoquait de bâillements, elle ouvrit à la va-vite la porte et vit une dame noire à longue chevelure qui se pointait dans l’embrasure.
― Que voulez-vous madame ? elle fit d’une mine abordable.
― Ah ! c’est toi, la salope qui a épousé mon homme ? vociféra la dame d’un regard furibond. N’as-tu pas su que ma fille de deux ans porte son nom ?
― Quelle impertinence ! Je ne vous comprends pas madame, rétorqua-t-elle en contractant son poing.
― Tu vas savoir ma petite, fit-t-elle d’une insolente mine.
― quoi ?

La grande dame lui prit par les cheveux, sabotant son visage de coups de poings, de gifles puis s’échappant en courant. Honteuse, très frêle, les tristes larmes ruisselèrent sur les joues de Anne-Marie Ladouceur qui avait peur de s’engager avec le neveu du président de la république dont elle fit la connaissance depuis trois mois, là où elle travaille. Fortuné, il lui fit vite sa demande en mariage. Sa maman, ambitieuse l’exigea de l’épouser. L’homme, blotti dans son lit, ne fit pas signe d’apercevoir la scène des deux dames qui bataillaient. Ainsi, à son réveil, il avait vu sa femme dans un état grabuge, son visage empreint de cinq coriaces doigts de la femme qui s’enflait de rage mue. Qu’y a-t-il chérie ? il lui demanda d’une voix langoureuse.
― J’entendis la porte sonner puis j’étais allé l’ouvrir. Une dame d’une humeur furibonde me prenait par les cheveux pour me dire de quitter son homme en paix.
― Ah ! Sonia, je le ferai payer son insolence, dit l’homme. Elle est venue me tourmenter dans ma lune de miel. Puis, il tamponnait doucement les écorchures de sa femme avec un peu d’ouates.

Elle se mirait dans la longue glace en cristal s’installant dans la grande pièce, l’objet lui renvoyait une image laide, une silhouette torturée par des dures raclées. Elle se mit à pleurer. Quelques temps plus tard, le couple quitta l’hôtel, arpentait la route nationale # 1 pour venir s’installer dans les hauteurs de Pétion-ville, dans une villa à la balustrade au teint rosâtre qui changeait l’allure de la zone. Devant cette maison, poussait une touffe d’oléandre et de lis qui parait l’entrée. Madame Latrouble se précipita dans la pièce où s’exposèrent les cadeaux de son mariage. Elle désemballait en premier la plus grosse boite reçue puis les autres après. Ses yeux se frappèrent sur des photos où la silhouette de sa maman exposée à nu à se délecter une turpide scène. Cette femme qu’elle croyait toujours préserver son image. Mais bon sang, je connais ce visage, dit-elle, c’était le parrain de papa- son témoin de mariage. Elle pardonna à sa maman ces moments de folies et continua à quêter. Elle prit soin de lire la lettre qui accompagnait les photos. Grand fut son étonnement, les phrases tournèrent autour d’elle. « Il faut avouer à la petite que je suis son père, Annette. » signé Jean, au bas de la lettre. Cet incipit gâchait sa journée.

La nuit survint à la hâte avec ses frayeurs immondes, les baffes des natures qui s’emparaient involontairement de son sommeil ; la brume mélancolique mettait sous la couverture son beau sourire, elle prit son téléphone et appela sa maman de chez elle ce soir où elle les images et la lettre lui avaient révélé son identité. Le téléphone sonna sans réponse. Personne n’avait décroché l’appel. Elle avait dû rappeler quand un homme à la voix rauque décrocha l’appel en lui disant que sa maman l’attendait toute suite à la maison. Son homme se douchait, elle lui fit un signe de mains et se bondit tout de suite dans sa Vitara flambant neuve qu’il lui avait offert. Le moteur ronronnant au démarrage de la voiture qui laissait échapper de son pot des petits nuages.
« Mes aïeux ! sa fille vient à peine de se marier, Mh ! » soupirèrent les voisins. Anne-Marie, en garant la voiture, ne klaxonnait pas aux gens qui chuchotèrent sur son visage parsemé d’éraflures. Brusquement, elle tomba sur le cadavre de sa maman que les ambulanciers transportaient à la morgue sur un brancard. Elle fit un cri convulsif. Ses larmes se déversèrent à grosses gouttes sur ses joues. Sa maman est morte d’un arrêt cardiaque après avoir vu sur les réseaux sociaux la vidéo de sa fille en train de se faire tabasser dans les halls de l’hôtel, le lendemain de sa lune de miel, par l’une des maitresses de son mari.

Quelques semaines plus tard, ce fut les funérailles. Le couple Latrouble s’installa dans la première rangée de l’église, près de la dépouille mortelle, à recevoir les condoléances. Les gens s’affairaient autour du cadavre avec leur smartphone en mains pour se taper des selfies. La toile imprégnait des images de Madame René Ladouceur et des messages du genre (RIP madame René, on ne vous oubliera jamais).

Quelques mois après, la fille toute seule, sombrée dans le désespoir se blottit dans un coin pour rêvasser les moments qu’elle avait vécu en compagnie de sa maman qui putréfiât dans le sépulcre. L’affection ne fit plus comble dans son union, l’homme l’ignora complètement. Il lui lançait des beaux morceaux quand seulement l’envie de suer à corps nu, se brula. Le PDG des chaines de supermarchés Délices sortit à la rencontre de ces vieux copains, une cigarette en mains, à siroter une bouteille de clairin assorossi ( Plante dont les feuilles sont amères) mêlée d’une cannelle et d’un âcre gingembre. Et chaque fois, fut pareil, Anne- Marie, courtisée par le stress, commençait à maigrir à vue d’œil.
Elle préparait à manger à son mari quand son téléphone vibra sur l’évier. C’est ton papa, dit l’homme à la voix rauque en débutant. Je t’en supplie de ne pas raccrocher, il quémandait d’une voix langoureuse.
― Qu’est-ce qu’il y a encore, je sais que vous êtes mon papa ? elle demanda au monsieur d’un ton morose.
― Ta maman ne couchait pas seulement avec les hommes. Elle suait à grosses gouttes aussi avec la none supérieure à l’allure masculine qui la dompta. J’ai quelques photos ici avec moi qui avaient été enregistrées sur la camera installée discrètement dans son bureau.
― C’est pourquoi, notre relation n’avait pas perduré.

Anne- Marie, abasourdie, resta la bouche mi-close en écoutant les propos du monsieur. « Je ne peux pas le croire, ma maman était une fervente dame, elle ne ferait pas une chose pareille, non non. » cria-t-elle encourant.
Après quelques mois, sa chaire se perdit dans les fardeaux de l’océan qu’elle n’arrivait pas à supporter. Elle, toute décidée, prit la clé de sa voiture et arpenta la route nationale # 2 en direction de Jacmel pour faire le vide. Elle laissa un mémo sur son lit conjugal insinuant « chérie, je m’en vais prendre un peu d’air à Jacmel ». Son ventre tirait en avant, elle s’arrêta à l’hôtel dont les fenêtres dominent la mer en colère.

Il faisait nuit. Les étoiles scintillaient dans le ciel. Elle s’assit les jambes repliées sous ses fesses, tenant en main son portable, à attendre l’appel téléphonique de son mari qui viendrait animer sa soirée avec un « je t’aime chérie ». Connecté à internet, le lot de message de whatssap vibra son smartphone, elle prit soin de télécharger les images qui circulaient dans les groupes, et se heurta sur la photo du ménage de deux garçons à torse nu, sués jusqu’à rendre la baille, dans une belle Toyota Lexus flambant neuve que la police avait saisi, la nuit de son voyage, à la ruelle Wilson #2 à la suite d’un mouvement de tangages bien rythmé, dans les hauteurs de Turgeau. Elle n’avait pas mis de temps à l’identifier. C’était la voiture de l’homme à qui personne ne refuse jamais un moment d’amour, quelle que soit la position. C’était son mari, avec son parrain en plus. Cela l’écœurait jusqu’à vomir son fiel. Madame sur le point de donner naissance à sa progéniture, allait s’évanouir lorsque le serveur, avec une bière prestige arriva dans sa chambre. Madame, qu’avez-vous ? demanda le jeune garçon pitoyablement, muni de son uniforme. On la transporta à l’hôpital. Les docteurs firent une diligence incomparable pour la retirer du canal qui mène droitement les humains dans les couloirs les plus sombres et obscurs. Son enfant ne survécut pas à la césarienne.

Son papa qui entendit la nouvelle dans les médias que la femme du PDG des chaines des plus grands supermarchés Délices a accouché, se précipita dans un bus chargé jusqu’à s’aplatir à Portail -Leôgane qui se rendit à Jacmel. Le chauffeur, alcoolique au volant, accélérait sur la route sinueuse, n’échappa pas à un mortel accident. Son papa, alors ne laissait pas sa progéniture emprunter seul le chemin. La fille affolée en regardant passer à la télévision ce terrible accident, fit une crise cardiaque. La vie dansait alors à l’enceinte de l’Eglise Baptiste missionnaire une triste valse qui fait pleurer le monde en apprenant les malheurs de cette famille. M. Richard Latrouble s’affolait alors derrière les barreaux.