Le bateau tangue violemment, secoué par les flots furieux qui se déchaînent autour de nous. L'océan est comme un immense paysage de montagnes aux pics acérés... [+]
L'Ourson
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Au premier jour, on me tendit à elle. Ses doigts rondelets touchèrent mon visage, jouèrent un instant avec la bille ronde de mes yeux, sous le regard tendre de ceux qui nous avaient unis. Son babillage rieur caressa mes oreilles, et je sus que son chemin serait le mien. Elle me plaisait, avec ses grands yeux lagons et ses boucles brunes, déjà épaisses sur son crâne fragile. Elle me posa contre sa bouche tendre, humide, imita ces baisers qu'elle recevait si souvent et qu'elle ne savait encore rendre.
Hier me semblait encore proche, mais une aube lumineuse s'était levée sur nous. Nous étions au deuxième jour et son parc de barreaux avait été troqué pour un adorable lit de bois blanc. Nous courions à travers notre jardin, main dans la main, cueillions les baies sucrées qui poussaient dans les arbres fruitiers de Maman. C'était un jardin plein de couleurs, d'odeurs et de textures. L'herbe sur laquelle nous nous abandonnions était aussi douce qu'un fleuve de caresses. Les brins d'herbe gorgés de rosée chatouillaient nos doigts lorsque nous y passions la main et piquaient, juste pour rire, nos pieds nus. Elle posait contre mon coeur des fruits de toutes les couleurs, parce qu'elle aimait tout partager avec moi. Nous étions les meilleurs amis du monde. Elle se gorgeait de la vie, le regard posé sur ce beau ciel bleu de printemps, toute barbouillée de prunes, de rhubarbes et de fraises parfumées, et je me gorgeais de sa vie, bien que les seules couleurs qui m'ornaient fussent celles du feutre et de la craie.
Tout était expérience, découverte. La feuille agitée par la brise nous fascinait autant que la coccinelle rondelette, s'extirpant de sa longue et morne hibernation. Sous nos yeux ébahis, le monde s'éveillait pour nous. Rien que pour nous.
Dans nos captivantes pérégrinations, cependant, le temps ne nous attendait pas. Bientôt l'ombre du soir nous rappela à notre foyer. Alors que la première étoile nocturne s'allumait contre la voûte indigo, nous nous glissions dans les draps tièdes de notre lit, l'esprit plein de rêves et d'attente. Demain viendrait, mais nous ne le craignions pas. Les rideaux du baldaquin nous protégeaient de cette grande ombre qu'était la nuit, chrysalide opaline qui attendait l'heure de se briser sous le regard bienveillant de Vénus.
Le soleil déversait une lumière éclatante lorsque vint le troisième jour. Je m'éveillais de mes songes en sentant la chaleur de l'été chauffer mon nez de plastique. Je ne pouvais tourner mon visage, mais je sus qu'elle s'était déjà éveillée, et qu'elle avait quitté ses draps blancs, sans moi. Ma tête, calée contre un coussin froissé, me permis seulement de voir cette chambre que je ne reconnus pas. Les jouets éparpillés à chaque recoin, les poupées vêtues de rose et de blé avaient disparu sans laisser de trace. Les oiseaux chantaient derrière les fenêtres ouvertes, mais je sus que l'heure où nous les poursuivions en imitant leurs cris avait péri avec la naissance de l'été. La porte s'ouvrit à la volée sur mon amie, qui entra avec une grâce virginale. Elle était toute belle sous le feu du ciel. Si belle que j'en eus un pincement au coeur. Moi, j'avais vieilli, et je ne me sentais plus tant d'attrait qu'aux premiers matins. La craie et le feutre, imitant le jus sucré des fruits autour de mon museau, me paraissaient ridicules alors qu'elle dansait près de son miroir, si propre sur elle, si svelte. Satisfaite de son reflet, elle m'abandonna sans un regard, ni pour moi, ni pour les roses fraîchement écloses dans le jardin. Elle ne s'était intéressée qu'à ces fleurs imprimées sur sa petite robe de coton jaune. Moi, j'aurais aimé aller les respirer avec elle, ces roses.
Midi sonna et ma belle entra. J'aurais voulu fermer les yeux lorsqu'elle se dépara de sa robe aux jupes volantes. Ses cheveux tombèrent en cascades de boucles contre sa nuque. C'était son unique apprêt, scintillant d'une myriade de tons bruns. Je ne pouvais pas lui en vouloir de m'avoir oublié un si court instant, bien qu'il m'eut paru une éternité. Comment aurait-elle pu imaginer la blessure qu'elle nous faisait ? Elle avait l'air si insouciante. Mais alors que je me confondais en admiration pour elle, deux lames étincelantes brillèrent sous les flammes ardentes de la mi-journée. Les ciseaux tranchèrent ses beaux cheveux bouclés avec un grincement déchirant. Le frottement des lames faisaient écho au cri que je ne pouvais pousser. Spectateur impuissant, je l'observai peindre ses yeux ainsi que ses lèvres de noir et de pourpre. Je vis son allure fière à travers le tain. J'étais confus. Car alors qu'elle contemplait sa douceur mourir, profanée, elle semblait triste et perdue. Ah, si ma bouche n'avait pas été faite de couture, je lui aurais crié de se retourner et de me voir ! Car je savais, moi, quelle tristesse la rongeait. Celle d'oublier son vieil ami, qui ne lui avait pourtant jamais fait de mal.
La mélopée des oiseaux fut remplacée par celle des cigales et ma petite nana entra, tout de sombre vêtue. Elle tenait à sa main un nouvel ami. Il me déplut profondément, peut-être même plus qu'à ceux qui criaient derrière la porte, furieux de la voir me quitter pour un garçon terne, alors qu'ils nous avaient unis avec tant de tendresse. La porte claqua sauvagement et nous restâmes tous trois, immobiles, à nous interroger sur les prochaines minutes. Ses yeux d'azur glissèrent sur ma face pelucheuse. Elle s'approcha et la main du garçon tomba dans le vide. J'aurais voulu sourire alors que l'espoir rejaillissait. Mais elle me prit et, avec un coup d'oeil méprisant que je ne lui connaissais pas, me laissa tomber dans une malle. L'obscurité m'engloutit alors que les charnières cessaient de grincer au-dessus de moi. Elle m'avait enfermé loin de ses yeux.
Il se passa du temps, beaucoup de temps, avant que ma prison ne s'ouvre sur le quatrième jour. Je la reconnus tout de suite, ma tendre amie. Son regard étonné me couvait avec intensité, si bien que je ne remarquai pas tout de suite le poupon qu'elle tenait sur son bras replié. Un sourire printanier coula sur son visage et nous revîmes les barreaux de notre lit, les arbres fruitiers et les couleurs fantastiques que nous regardions se refléter sur les nuages. Pendant une seconde, nous courions de nouveau sur l'épaisse pelouse qui nous avait offert tant de trésors, des coccinelles encore alanguies de sommeil aux sauterelles bondissantes, que nous tentions en vain d'attraper entre nos doigts. Sa main habile me happa et elle me serra contre son coeur, puis contre le visage barbouillé de lait. Celui-ci m'observait, curieux, bien niché contre son sein. J'entendis son rire alors que sa poupée m'enfermait entre ses bras, tout contre son cœur. Aussitôt, la longue et fastidieuse attente dans l'oubli s'envola comme si elle n'avait jamais existé.
Mon amie n'avait pas ouvert mon coffre pour elle. Cependant, en plongeant ses yeux lagons dans mes billes noires, les saisons insouciantes de l'enfance, jusqu'alors oubliées sous les décombres d'une chambre d'enfant abandonnée, avaient retrouvées leurs feux et leurs couleurs.
C'était à présent à son poupon qu'elle me léguait. Bientôt, le ciel s'embrasera des premières teintes du printemps. Viendra alors le tour de l'été, et, lorsque je rêverai de sentir le parfum des roses, le noir m'engloutira de nouveau. Je ne me fais plus d'inquiétudes, cependant, car dès lors que les babillages résonneront entre les murs de la chambre, je serai là, prêt à faire mon office, conservant sur mon corps pelucheux les restes des printemps révolus.
Hier me semblait encore proche, mais une aube lumineuse s'était levée sur nous. Nous étions au deuxième jour et son parc de barreaux avait été troqué pour un adorable lit de bois blanc. Nous courions à travers notre jardin, main dans la main, cueillions les baies sucrées qui poussaient dans les arbres fruitiers de Maman. C'était un jardin plein de couleurs, d'odeurs et de textures. L'herbe sur laquelle nous nous abandonnions était aussi douce qu'un fleuve de caresses. Les brins d'herbe gorgés de rosée chatouillaient nos doigts lorsque nous y passions la main et piquaient, juste pour rire, nos pieds nus. Elle posait contre mon coeur des fruits de toutes les couleurs, parce qu'elle aimait tout partager avec moi. Nous étions les meilleurs amis du monde. Elle se gorgeait de la vie, le regard posé sur ce beau ciel bleu de printemps, toute barbouillée de prunes, de rhubarbes et de fraises parfumées, et je me gorgeais de sa vie, bien que les seules couleurs qui m'ornaient fussent celles du feutre et de la craie.
Tout était expérience, découverte. La feuille agitée par la brise nous fascinait autant que la coccinelle rondelette, s'extirpant de sa longue et morne hibernation. Sous nos yeux ébahis, le monde s'éveillait pour nous. Rien que pour nous.
Dans nos captivantes pérégrinations, cependant, le temps ne nous attendait pas. Bientôt l'ombre du soir nous rappela à notre foyer. Alors que la première étoile nocturne s'allumait contre la voûte indigo, nous nous glissions dans les draps tièdes de notre lit, l'esprit plein de rêves et d'attente. Demain viendrait, mais nous ne le craignions pas. Les rideaux du baldaquin nous protégeaient de cette grande ombre qu'était la nuit, chrysalide opaline qui attendait l'heure de se briser sous le regard bienveillant de Vénus.
Le soleil déversait une lumière éclatante lorsque vint le troisième jour. Je m'éveillais de mes songes en sentant la chaleur de l'été chauffer mon nez de plastique. Je ne pouvais tourner mon visage, mais je sus qu'elle s'était déjà éveillée, et qu'elle avait quitté ses draps blancs, sans moi. Ma tête, calée contre un coussin froissé, me permis seulement de voir cette chambre que je ne reconnus pas. Les jouets éparpillés à chaque recoin, les poupées vêtues de rose et de blé avaient disparu sans laisser de trace. Les oiseaux chantaient derrière les fenêtres ouvertes, mais je sus que l'heure où nous les poursuivions en imitant leurs cris avait péri avec la naissance de l'été. La porte s'ouvrit à la volée sur mon amie, qui entra avec une grâce virginale. Elle était toute belle sous le feu du ciel. Si belle que j'en eus un pincement au coeur. Moi, j'avais vieilli, et je ne me sentais plus tant d'attrait qu'aux premiers matins. La craie et le feutre, imitant le jus sucré des fruits autour de mon museau, me paraissaient ridicules alors qu'elle dansait près de son miroir, si propre sur elle, si svelte. Satisfaite de son reflet, elle m'abandonna sans un regard, ni pour moi, ni pour les roses fraîchement écloses dans le jardin. Elle ne s'était intéressée qu'à ces fleurs imprimées sur sa petite robe de coton jaune. Moi, j'aurais aimé aller les respirer avec elle, ces roses.
Midi sonna et ma belle entra. J'aurais voulu fermer les yeux lorsqu'elle se dépara de sa robe aux jupes volantes. Ses cheveux tombèrent en cascades de boucles contre sa nuque. C'était son unique apprêt, scintillant d'une myriade de tons bruns. Je ne pouvais pas lui en vouloir de m'avoir oublié un si court instant, bien qu'il m'eut paru une éternité. Comment aurait-elle pu imaginer la blessure qu'elle nous faisait ? Elle avait l'air si insouciante. Mais alors que je me confondais en admiration pour elle, deux lames étincelantes brillèrent sous les flammes ardentes de la mi-journée. Les ciseaux tranchèrent ses beaux cheveux bouclés avec un grincement déchirant. Le frottement des lames faisaient écho au cri que je ne pouvais pousser. Spectateur impuissant, je l'observai peindre ses yeux ainsi que ses lèvres de noir et de pourpre. Je vis son allure fière à travers le tain. J'étais confus. Car alors qu'elle contemplait sa douceur mourir, profanée, elle semblait triste et perdue. Ah, si ma bouche n'avait pas été faite de couture, je lui aurais crié de se retourner et de me voir ! Car je savais, moi, quelle tristesse la rongeait. Celle d'oublier son vieil ami, qui ne lui avait pourtant jamais fait de mal.
La mélopée des oiseaux fut remplacée par celle des cigales et ma petite nana entra, tout de sombre vêtue. Elle tenait à sa main un nouvel ami. Il me déplut profondément, peut-être même plus qu'à ceux qui criaient derrière la porte, furieux de la voir me quitter pour un garçon terne, alors qu'ils nous avaient unis avec tant de tendresse. La porte claqua sauvagement et nous restâmes tous trois, immobiles, à nous interroger sur les prochaines minutes. Ses yeux d'azur glissèrent sur ma face pelucheuse. Elle s'approcha et la main du garçon tomba dans le vide. J'aurais voulu sourire alors que l'espoir rejaillissait. Mais elle me prit et, avec un coup d'oeil méprisant que je ne lui connaissais pas, me laissa tomber dans une malle. L'obscurité m'engloutit alors que les charnières cessaient de grincer au-dessus de moi. Elle m'avait enfermé loin de ses yeux.
Il se passa du temps, beaucoup de temps, avant que ma prison ne s'ouvre sur le quatrième jour. Je la reconnus tout de suite, ma tendre amie. Son regard étonné me couvait avec intensité, si bien que je ne remarquai pas tout de suite le poupon qu'elle tenait sur son bras replié. Un sourire printanier coula sur son visage et nous revîmes les barreaux de notre lit, les arbres fruitiers et les couleurs fantastiques que nous regardions se refléter sur les nuages. Pendant une seconde, nous courions de nouveau sur l'épaisse pelouse qui nous avait offert tant de trésors, des coccinelles encore alanguies de sommeil aux sauterelles bondissantes, que nous tentions en vain d'attraper entre nos doigts. Sa main habile me happa et elle me serra contre son coeur, puis contre le visage barbouillé de lait. Celui-ci m'observait, curieux, bien niché contre son sein. J'entendis son rire alors que sa poupée m'enfermait entre ses bras, tout contre son cœur. Aussitôt, la longue et fastidieuse attente dans l'oubli s'envola comme si elle n'avait jamais existé.
Mon amie n'avait pas ouvert mon coffre pour elle. Cependant, en plongeant ses yeux lagons dans mes billes noires, les saisons insouciantes de l'enfance, jusqu'alors oubliées sous les décombres d'une chambre d'enfant abandonnée, avaient retrouvées leurs feux et leurs couleurs.
C'était à présent à son poupon qu'elle me léguait. Bientôt, le ciel s'embrasera des premières teintes du printemps. Viendra alors le tour de l'été, et, lorsque je rêverai de sentir le parfum des roses, le noir m'engloutira de nouveau. Je ne me fais plus d'inquiétudes, cependant, car dès lors que les babillages résonneront entre les murs de la chambre, je serai là, prêt à faire mon office, conservant sur mon corps pelucheux les restes des printemps révolus.
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