Khassoum

Toute histoire commence un jour, quelque part. Celle de Khassoum a débuté un jour pluvieux du mois d'Août 2010 dans une cité gondwanaise, le Kakandé. Cette cité située à l’ouest du Gondwana possède un sous-sol qui regorge de richesses, de funestes richesses qui n’ont d’égal que la formidable pauvreté de ses habitants. C’est là que le jeune khassoum a quelques temps plus tôt, assisté impuissant et amer au décès de son père. Ce père qui représentait le dernier rempart contre la misère et la famine. La dernière digue venait donc de céder laissant le jeune homme et sa mère à la merci de la déferlante. L’école prend immédiatement fin pour khassoum, lui qui pourtant aime lire, est curieux et brillant. Après avoir inhumé son père, sa mère lui apprend qu’il doit faire ses bagages pour rallier Gnakry le lendemain afin d’y poursuivre une formation de plombier auprès d’une tante. La nuit est tombée sur le Kakandé et Khassoum, allongé sur ce qui lui sert de lit, pense encore et encore. Le sommeil le fuit alors que la peine d’avoir perdu son père s'agrège au chagrin de savoir qu’à l’aube il quittera sa mère. La nuit paraît éternelle et lentement les questions se succèdent comme les secondes. Il ne comprend pas pourquoi il doit partir alors que sur place les multinationales se bousculent pour exploiter les richesses « Bateaux et trains dont on ne connaît d’ailleurs pas la destination sont remplis de minerais. Cela doit sans doute rapporter énormément d’argent aux hommes politiques. Ils avaient pourtant promis de changer le visage de la région et d’employer les jeunes grâce à l’exploitation de ces richesses. » se dit-il. « Que vais-je devenir ? Comment vais-je pouvoir aider ma pauvre mère ? » pense-t-il en regardant le ciel, espérant un signe divin.
Le lendemain matin, c’est le cœur lourd et les bras chargés que Khassoum s’embarque pour Gnakry dans un vieil autocar où il a pour compagnons de voyage, humains poules et chèvres. Il est bien décidé à réussir sa vie à la capitale afin de venir en aide à sa mère, la première de ses priorités. Quelques heures plus tard, au terme d’un voyage éreintant entre pannes et routes cabossés, voici Khassoum enfin à Gnakry, la détermination se lit sur son visage. Il franchit le premier obstacle en trouvant une place dans un taxi, ce qui représente un exploit car trouver une place dans un taxi est un véritable parcours du combattant dans la capitale. Arrivé chez sa tante, le jeune homme est installé dans une chambre avec ses cousins, l’ambiance est détendue et les appréhensions disparaissent immédiatement. Une bonne nuit de sommeil plus tard, Khassoum prend son petit-déjeuner avant de se rendre à l'école professionnelle pour son premier jour. C’est le début d’une nouvelle vie, une routine bien rodée, de nouveaux amis et une belle notoriété dans le quartier.
Une année s’est écoulée, et Khassoum tel un caméléon s’est fondu dans son nouvel environnement. C’est une métamorphose. Bien dans sa peau, à l’aise avec les gens, il est drôle et est apprécié de tous et c’est de surcroît un très bon footballeur que tous les clubs locaux se disputent. C’est devenu un solide gaillard, une force de la nature. Grand, robuste, il impressionne par sa carrure et son assurance. C’est également un des meilleurs élèves de sa classe et il ne fait aucun doute qu’il obtiendra son diplôme et qu’il fera un excellent plombier. Tout semble réussir à Khassoum, il a le sourire et on devine à le voir qu’il est comblé et heureux. Mais ce qu’on n’entrevoit guère, c’est le malaise et la préoccupation qu’il cache avec brio aux tréfonds de son être. Ce n’est en effet pas la belle vie à la maison pour le jeune homme. Brimades et injustices se multiplient, ce qui le fait fuir cet endroit et le conduit à passer plus de temps sur le terrain de football. Il lui arrive même de manger et de passer la nuit chez des amis. Cependant La fierté qui l’anime l’empêche de se plaindre, l’humour est sa marque de fabrique et partout où il se trouve on entend les éclats de rire. Homme de foi, Patient et optimiste il se dit que c’est une épreuve divine et qu’il faut tenir bon. La vie se poursuit ainsi, entre les cours le matin, le football l’après midi, les fous rires le soir autour du thé avec les jeunes du quartier. Quatre années se sont écoulées, Khassoum est désormais diplômé et est officiellement habilité à exercer la plomberie. Il est fier lorsqu’il appelle sa mère pour le lui annoncer, elle l’est autant. Il faut maintenant se faire embaucher or ce n’est pas une mince affaire dans un pays où le chômage des jeunes est endémique. C’est la désillusion. Dans l’impossibilité de trouver un emploi salarié et d’envoyer de l’argent à sa mère, il décide de se tourner vers le sport pour se faire un peu d’argent et les sollicitations ne manquent pas. Il sait qu’il ne gagnera pas de grosses sommes mais il sait aussi qu’il n’a pas d’autre choix et il se dit qu’avec un peu de chance il se fera repérer par des clubs plus huppés du Gondwana et même pourquoi pas d’ailleurs. C’est ainsi qu’il intègre La Baraka Football Club et qu’il en devient l’attaquant. Khassoum gagne en notoriété mais comme il le prévoyait il ne gagne que des broutilles et ne peut toujours pas prendre soin de sa mère comme il le souhaiterait, par conséquent il décide de se rendre au Teranga, une autre partie du Gondwana pour tenter sa chance dans le football. Les valises sont bouclées et l’aventurier intrépide se lance à la conquête de la réussite. Une fois au Teranga, après un très long voyage en car, il tente par tous les moyens de se faire repérer en jouant pour divers petits clubs. Mais Au bout d’un an, désespéré il veut rentrer à Gnakry, et c’est ce qu’il va s’empresser de faire. Si cette épreuve n’entame en rien sa détermination et son courage, elle ne lui laisse que peu d’espoir. C’est donc désabusé et amer qu’il retourne chez sa tante, cet endroit qu’il associe à l’enfer. Elle ne cache pas son mépris pour lui, encore moins la réjouissance que suscitent les échecs de Khassoum en elle. Deux jours sont passés depuis qu’il est revenu, ce matin il est réveillé par cris et jurons, un téléphone aurait disparu et bien entendu le principal suspect du vol c’est lui, le bon à rien. On le convoque immédiatement devant tous les habitants de la maison. Satan(te) est debout, Coran entre les mains, elle lui enjoint de poser sa main droite et de jurer qu’il n’est pas l’auteur du forfait. N’ayant rien à se reprocher, il s'exécute prestement. C’en est trop !
Touché dans son amour propre et humilié, il se jure de partir de cet enfer, peu importe où cela le mènera, advienne que pourra ! Pourtant rien ne trahit son mal être, il reste le comique connu de tous. Alors que tout le quartier a appris ce qui s’était joué le matin même, tous s’indignent du traitement qu’il a subi mais il ne laisse le temps a personne de le prendre en pitié et use d’une déconcertante autodérision : « Je l’ai bien mérité, je ne suis qu’un misérable et un voleur, d’ailleurs j’aimerais que dorénavant vous m’appeliez Cosette Lupin dans le quartier ». Il éclate de rire et tout le monde avec lui, puis il aborde rapidement un autre sujet. Passé maître dans l’art de dissimuler ses sentiments et ses désirs, Khassoum cache bien sa nouvelle obsession, obtenir un passeport et prendre par le bras Madame Aventure pour se laisser guider par elle. Il a conscience que dans un pays ou la corruption est une norme, il doit trouver une personne avec suffisamment de relations pour lui dénicher le précieux sésame. Pour la première fois il faudra s’ouvrir à quelqu’un, lui faire part de ses projets et solliciter son aide, ce qui certes n’est pas impossible mais Khassoum, enchainé par sa fierté éprouve toute les difficultés du monde à retirer sa carapace. A l'issue d’une mûre réflexion, il trouve la solution. Incapable de demander en personne, il choisit d’écrire à la mère de son ami, cette dame si gentille qui lui permet de manger et de dormir sous son toit quand il le souhaite, voudra sans doute lui venir en aide. Une feuille, un stylo et il couche sur papier tout ce qui le tracasse, il demande de l’aide. Elle ne tardera pas à le faire venir à son domicile pour lui assurer qu’elle est disposée à l’aider. Soulagé, il va lui fournir tous les documents nécessaires à l’établissement d’un passeport. Pendant ce temps, Khassoum contacte un ami se trouvant au Royaume de Chérifie Atlas, ami qui lui recommande de venir afin qu’ils tentent ensemble de rejoindre le Kangouroustan. C’est au delà de ses espérances, il rassemble ses économies et prépare minutieusement son plan qu’il veille bien à garder secret. Trois semaines se sont écoulées, Khassoum avec l’aide de sa bonne samaritaine, est enfin en possession d’un passeport et d’un billet d’avion et il va dès le lendemain et pour la première fois mettre les pieds dans cet étrange et irrationnel appareil qu’on appelle avion. C’est la dernière nuit, il est troublé et se remémore les conseils de sa mère, il se demande s’il la reverra un jour mais ce n’est pas le moment de flancher, l’aventure commence demain.
Six heures du matin, khassoum fait ses ablutions puis sa prière et sans dire mot il prend sa valise et s’en va sauter dans un taxi en direction de l’aéroport où il arrive trente minutes plus tard. Il s’empresse d’accomplir ses formalités avant de remarquer que son vol est retardé. Suspicieux il va se renseigner et apprend que ce retard est dû à la présence du Président qui doit se rendre à Paname dans la république de Mbengué pour des soins de santé et pour rendre visite à ses enfants. Khassoum est révolté intérieurement mais ne peut s'empêcher, le sourire aux lèvres, de faire preuve d’ironie face à son interlocuteur : “Il est bien connu de tous que Monsieur son Excellence le Président est un homme sage et avisé, pourquoi gaspiller de l’argent du temps et de l’énergie à mettre des moyens dans l’éducation et la santé pour tous alors qu’il suffit simplement d’acheter un hôtel particulier à Paris, d’y envoyer étudier ses enfants dans de bonnes et chères écoles et de leur transmettre démocratiquement les rênes du pouvoir. Et s’il a une grippe c’est logique de sauter dans un avion et d’aller se faire soigner à Paname dans un grand hôpital puisqu’il n’y a ici que des dispensaires. Nul doute n’est permis, c’est un homme de bien, envoyé pour nous par la divine providence” s’exclame-t-il levant les bras et le regard au ciel. Le président arrive quelques instants plus tard dans un cortège de plusieurs véhicules. Il est entouré par des soudards armés jusqu’aux dents, son cortège fonce directement sur le tarmac. Le regard noir, Khassoum observe la scène avec dédain, il abhorre ces hommes et ne peut s'empêcher de se gausser d’eux tant il les trouve ridicules. Il met ses écouteurs et détourne le regard en fredonnant les paroles du titre “Quitte le pouvoir” de Tiken Jah Fakoly et Didier Awadi. Président fondateur décolle vingt minutes plus tard, la voie est libre et Khassoum va pouvoir à son tour prendre son envol. La boule au ventre, il s’installe confortablement pendant que l’avion amorce son décollage. C’est parti pour un peu plus de trois heures d'anxiété pendant lesquelles il n’aura de cesse de songer à la mort. Fort heureusement pour lui, l’atterrissage sonne le gla de ces pensées maussades et le jeune homme soulagé met le pied hors de l’avion et retrouve son ami Moïse venu l’accueillir. Les effusions de joie sont de courte durée, les deux compères s’éclipsent et veillent à ne pas se faire remarquer car il arrive parfois dans ce Royaume que des gondwanais se fassent molester au simple motif qu’ils ont la peau noire. Ils arrivent après 45 minutes de marche chez Moïse où ils engloutissent un grand plat de riz accompagné de poissons. Le sommeil ne tarde pas à terrasser les deux gaillards qui se livrent à un intense concours de ronflement dont il serait ardu de désigner le vainqueur. Au réveil le lendemain, les deux complices échafaudent sans perdre de temps le plan qui va leur permettre d’embarquer à bord du bateau à destination de l'île continent du Kangouroustan qui grâce au big-bang provoqué par les terribles changements climatiques récents, s’est retrouvée au beau milieu de l’atlantique nord, à mi-chemin entre le Gondwana de l’ouest et l’OncleSamie de l’Est.
Le plan est prêt, Khassoum et Moïse embarquent clandestinement la nuit suivante à bord du Karaboudjan et le bateau jette l’ancre cependant les deux passagers clandestins sont débusqués peu de temps avant l’arrivée, on les enferme dans la même cellule que Tintin qui leur propose de se joindre à lui pour s’évader de ce trou lugubre. Avec l’aide de Milou qui parvient à dérober les clés, les trois comparses s'extirpent du cachot au moment où le bateau accoste au Kangouroustan. Déguisés, c’est sans peine qu’ils gagnent l'extérieur. Joie de courte durée, c’est sous le regard désabusé et navré de Tintin que les deux amis sont arrêtés par la police pour défaut de permis de séjour. Khassoum et Moïse sont ainsi conduit au poste de police mais contre toute attente et grâce à Tintin qui a témoigné en leur faveur, ils sont libérés et obtiennent le droit de rester et de travailler. Tintin fait preuve d’une insondable bienveillance en leur trouvant un hébergement et un travail dans une usine avant de poursuivre ses aventures en compagnie de son fidèle ami depuis 90 ans, Milou. « Au Revoir mes amis et bonne chance » s'écrie Tintin en s’éloignant.
Cela fait presque deux mois que Khassoum travaille dans l’usine de recyclage de déchets, il loue un studio avec Moïse et il réalise enfin son rêve en envoyant de l’argent à sa mère qu’il appelle régulièrement. Il s’assure qu’elle ne manque de rien et qu’elle est en bonne santé en attendant de pouvoir un jour aller lui rendre visite. Pour le moment et depuis quelques jours, il est obnubilé par le sort des autochtones du Kangouroustan, qu’il a d’ailleurs pris au départ pour des migrants Gondwanais du fait de leur ressemblance. Mais après s’être un peu renseigné sur l’histoire de ce pays, il découvre que ceux qu’il a pris pour les autochtones et qui aujourd’hui imposent des mesures drastiques aux immigrés ne sont autres que des descendants d’immigrés Grands-Bretons venus du vieux continent pour par la force, prendre possession de ces terres puis exclure et ségréguer les autochtones. La même chose s’est produite avec les Sioux, les Cherokee, les Apaches et autres en OncleSamie et en Bolsonarie. Khassoum pleure en regardant le témoignage du chef Raoni Metuktire, un homme humble qui résiste et se bat contre le pouvoir, l’argent et la cupidité afin de préserver la nature et protéger l’environnement. Pour une fois l’ironie de Khassoum le quitte, c’est un homme révolté qui va se jeter dans son lit, il ne comprend pas pourquoi les hommes sont des êtres si insensés, belliqueux, arrogants et cupides. Il ne veut pas être de ceux-là et garde l’espoir d’un monde meilleur pour lequel il compte se battre mais il est temps de dormir car demain est un autre jour.