John Wayne, la carriole, un chat, la mer

Et le flon-flon fait son charivari sur la margelle, on dirait une valse à trois temps, à quatre peut-être. La grenouille, une reinette, a mangé le silence. Une vraie régalade. La vie, quoi !

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Elle avait un tout petit corps, minuscule.
On aurait dit une merlette.
Et quand elle courait, ses mollets étaient comme des pattes : brindilles si fines que le sable en crissait, parfois.
Elle courait et chacun de ses pas était un acte.
Était une trace.
À son âge, elle se disait que tout cela n’était qu’un jeu alors elle jouait, s’amusait à courir sur ses raides gambettes.
Se rappelant Papa, autrefois.
Il serinait que ses guiboles, c’était « du bois qu’on fait les flûtes » mais son bois, à elle, c’était ses os, c’était ses muscles.
Alors elle courait et courait encore, souffle jeté dans la bouche du vent, poings de ses mains ronds comme des galets, pieds tors, nus sur le bord.
C’était le bord de la mer et chaque matin, chaque soir, elle s’en allait, clamant à la cantonade : « Je vais à la mer ».
Le chat - c’était lui, la cantonade - le chat embrassait alors sa joue, d’une langue à sa joue rose pareille puis, il la regardait partir, tout petit corps minuscule : elle était serin noir, bancal et sans fierté.
Un serin noir.
Et, à peine passée la barrière du jardin, elle courait.
Aussitôt, quelque chose faisait déploiement. C’était profond. C’était intense.
C’était immédiat, éternellement.
C’était un acte.
Une trace.

D’abord, ses mains. De boules bosselées, elles devenaient plates comme des cuillères plates, spatules très vieilles touillant le froid, le chaud comme une soupe de l’hiver, de l’été.
Elle fendait l’air du coupant de ses paumes. L’horizon n’était plus qu’une tranche de pain brié et sa bouche croquait dedans.
Elle avait faim.
Faim de cailloux, de bouts de ciel et de paix.
Elle mangeait les novembres comme des frites au soleil de son bord.
Ses mains puis ses seins.
De rien du tout, ils se faisaient majestueux, ses seins, prétentieux, même. Elle n’en revenait pas, se disant que la vie, bon dieu, la vie, quelle histoire !
La bourrasque, en caresses, glissait en son chandail, s’agitait dessous, suçotait la petite pagaille, ça faisait des picotis, un grésil au poitrail.
Ses hanches, elles, semblaient porter le monde. Elles portaient le monde. Il était si petit, minuscule.
Rien ne tenait parfaitement mais elle courait, débarquait là comme avant.
Comme avant ses jambes de bois. L’engourdissement.

C’était il y a longtemps.
Un goût de chocolat. Chewing-gum pour la première fois. Une histoire de débarquement. Accent américain.
C’était pas un western. Pas John Wayne.
Mais son corps : une carriole, si petite, minuscule. Au mauvais endroit, mauvais moment.
Un char dessus puis des pas. Courus.
C’est là qu’elle était devenue oiseau.
Merlette.
Serin noir. C’est comme on veut.

Maintenant, elle rentrait, avait battu tous ses records, gagné toutes les médailles du monde et même de l’univers.
Elle rentrait, courait, dos de plumes aux sueurs du soir et le chat, en état d’attente, laperait sa joue, juché dessus, ses coussinets en roses fichus.
Elle rangerait ses pas courus, ses jambes de bois, jusque demain, la mer.