Novembre en Avignon. Le Rhône est gris, boueux. Il se révulse, bouillonne, frissonne au premier vent d’hiver... Un mistral glacial cingle la ville en brusques rafales, répandant par vagues des... [+]
BEAUCAIRE, août 1365
Personne à Beaucaire ne connaissait le véritable nom de Jocelyne Marsot. Pour la population locale et bien des visiteurs, elle était simplement « Dame Maquerelle » un surnom qu’on lui donnait avec un mélange d’ironie, de respect et de crainte! Et pour cause! Elle cumulait à la fois toutes les étiquettes: prostituée de haut vol, courtisane avertie, maquerelle âpre au gain, demi-mondaine qu‘on invitait partout... Rien de ce qui touchait de près ou de loin au commerce florissant du sexe tarifé n’échappait à sa haute surveillance, grâce à un réseau très efficace de connaissances, d’indicateurs et de protecteurs... Elle avait même pignon sur rue, une magnifique demeure en pierres de la Vallée des Baux où elle dirigeait en maîtresse avertie son cheptel de filles de joie, triées sur le volet, initiées par elle à tous les arts de l’amour, aux perversités les plus étranges et aux fantasmes les plus secrets des hommes et des femmes...
A l’approche de la cinquantaine, elle avait recours à tous les artifices pour masquer les outrages des ans et les séquelles d’une vie dissolue consacrée comme une vocation au plaisir et à la débauche! Sa poitrine opulente débordait de partout, mais d’habiles corsetières en avaient fait la vitrine de ses charmes. Ses hanches larges, ses fesses dodues sa démarche provocante étaient une invite sans ambiguïté à la visite d’une intimité triomphante. La petite vérole avait-elle fait ses ravages sur son visage fatigué? Qu’importe! Une heure d’un maquillage outrancier le transformait en une sorte de masque grotesque: un emplâtre épais dissimulait les cratères de sa peau, un rouge incarnat dessinait ses lèvres mafflues, ses pommettes étaient rehaussées d’un rose éclatant, l’œil était charbonneux... Rarement adepte de bains et de toilettes intimes, d’une hygiène très improbable, elle s’arrosait régulièrement des parfums les plus suaves: avant de la voir, on la sentait venir!
Elle était brillante, la garce! Intelligente, vive, curieuse de tout, elle savait s’adapter à toutes les situations: dans les salons huppés, elle minaudait volontiers mais toujours avec humour, finesse et légèreté; chez elle, dans l’exercice de sa fonction, elle avait le verbe cru, le blasphème facile, des manières de maquignon roué et le vocabulaire sordide propre aux gens de sa condition et à sa clientèle hétéroclite!
Toujours prompte à retrousser jupons, elle avait, disait-elle, un bouillon dans la marmite, et le conil y était toujours au chaud. Fi donc! Qu’un bel homme passât à sa portée, pour peu que son escarcelle fût bien garnie, elle frétillait du séant, le regard torve, dans lequel se mêlaient aussitôt lubricité et appât du gain facile!
La bougresse avait un secret... Secret de polichinelle, il est vrai, mais que ses relations dans tous les milieux de la région protégeaient... Gare aux bavards! Avant de s’exposer au tribunal ecclésiastique ou à la vindicte populaire, notre maquerelle s’était entourée d’un luxe de précautions qui allait du chantage à la possession de documents dûment signés et attestés par de complaisants témoins... La peur du bûcher lui avait conseillé prudence et circonspection!
Son secret avait pour cadre le sous-sol de sa demeure, dans de vastes pièces voûtées alimentées en eau par un astucieux système de canalisations souterraines destiné autrefois aux activités de peausserie de l’ancien propriétaire de la maison. On y accédait depuis l’étage par un escalier dérobé, soigneusement dissimulé par de lourdes tentures de brocart de Byzance et un petit meuble à secrets rehaussé de moulures dorées, cadeau d’un riche armateur arlésien. Une première pièce de son antre secrète servait de boudoir et de salon de réception, ni trop opulent, ni trop misérable, avec juste ce qu’il fallait de rassurant et de discret pour accueillir les visiteuses furtives... En enfilade, une autre salle aux murs blanchis à la chaux et au sol dallé immaculé... Peu de meubles...
Une petite table sur laquelle une bassine de cuivre, un broc, une aiguière et quelques tissus douteux étaient disposés... Adossé au mur, ce qui ressemblait fort à l’armoire d’un apothicaire, avec ses fioles de verres, ces pots d’onguents, ses poires anatomiques en cuir de chevreau, et même une étagère mystérieuse où s’alignaient méticuleusement des aiguilles de fer polies, des outils étranges, toutes sortes de lames effilées, des pointes damasquinées ou taillées dans de l’ivoire...Au centre, ce qui ressemblait à un lit haut, recouvert de cuir lustré, sans baldaquin mais flanqué de potences destinées à y suspendre des lampes à huile... Un étrange système de cordes, de poulies, reliaient la moitié inférieure de la couche articulée, équipée d’un étrange système d’étriers, de lanières de cuir et de boucles de serrage...
La mère Jocelyne exerçait son art funeste avec dextérité et un savoir-faire indéniable; à l'arsenal végétal transmis depuis des temps immémoriaux, elle avait ajouté sa touche de modernisme! Elle était une chaude partisane et une adepte convaincue de l’usage des produits chimiques, apparus avec les développements de l'art des vieux alchimistes du Moyen Age: arsenic, mercure, phosphore et plomb, pour ne citer que les principaux, tous agents toxiques aux résultats, remarquables, mais autant sur la mère que sur le fœtus!
Car la catin était aussi connue à des lieues pour ses talents de maquerelle et de courtisane que pour son activité la plus secrète et non moins rémunératrice: elle était ce que l’on convient d’appeler, une faiseuse d’anges! Et des plus expertes!...
Chez elle, l'utilisation d'instruments divers pour perforer les membranes n'était pas rare : aiguille à tricoter, tringle de rideaux, fil de fer, pointe de ciseaux, sondes...
Mais on ne mourrait pas, chez elle... ou si peu!
Chez les autres, les barbiers, les sorcières, les accoucheuses ratées, les avortées mouraient très souvent dans des conditions et des souffrances horribles; ces décès étaient le plus souvent liés à l'infection, à des perforations, parfois à un choc, une embolie pulmonaire foudroyante et une septicémie qui emportaient la femme en quelques heures après les manœuvres abortives.
Leurs substances médicinales, bien que populaires, étaient inefficaces, l’ergot de seigle, le gaïac, le nièvre, la camomille, l'absinthe, le safran...
Elles utilisaient sans précaution ni connaissances des produits toxiques qui provoquaient souvent la mort du fœtus, et tout aussi souvent le décès des mères dans d’atroces souffrances!
Elle, la mère maquerelle, pratiquait en artiste émérite, elle pratiquait un art, disait-elle! En douceur, mêlant habilement les techniques mécaniques (mais affinées, appliquées avec dextérité) combiné avec tout l’arsenal des substances naturelles qu’elle utilisait avec circonscription, grâce aux conseils avisés d’un moine-alchimiste de l’Abbaye de Saint-Roman.
Personne à Beaucaire ne connaissait le véritable nom de Jocelyne Marsot. Pour la population locale et bien des visiteurs, elle était simplement « Dame Maquerelle » un surnom qu’on lui donnait avec un mélange d’ironie, de respect et de crainte! Et pour cause! Elle cumulait à la fois toutes les étiquettes: prostituée de haut vol, courtisane avertie, maquerelle âpre au gain, demi-mondaine qu‘on invitait partout... Rien de ce qui touchait de près ou de loin au commerce florissant du sexe tarifé n’échappait à sa haute surveillance, grâce à un réseau très efficace de connaissances, d’indicateurs et de protecteurs... Elle avait même pignon sur rue, une magnifique demeure en pierres de la Vallée des Baux où elle dirigeait en maîtresse avertie son cheptel de filles de joie, triées sur le volet, initiées par elle à tous les arts de l’amour, aux perversités les plus étranges et aux fantasmes les plus secrets des hommes et des femmes...
A l’approche de la cinquantaine, elle avait recours à tous les artifices pour masquer les outrages des ans et les séquelles d’une vie dissolue consacrée comme une vocation au plaisir et à la débauche! Sa poitrine opulente débordait de partout, mais d’habiles corsetières en avaient fait la vitrine de ses charmes. Ses hanches larges, ses fesses dodues sa démarche provocante étaient une invite sans ambiguïté à la visite d’une intimité triomphante. La petite vérole avait-elle fait ses ravages sur son visage fatigué? Qu’importe! Une heure d’un maquillage outrancier le transformait en une sorte de masque grotesque: un emplâtre épais dissimulait les cratères de sa peau, un rouge incarnat dessinait ses lèvres mafflues, ses pommettes étaient rehaussées d’un rose éclatant, l’œil était charbonneux... Rarement adepte de bains et de toilettes intimes, d’une hygiène très improbable, elle s’arrosait régulièrement des parfums les plus suaves: avant de la voir, on la sentait venir!
Elle était brillante, la garce! Intelligente, vive, curieuse de tout, elle savait s’adapter à toutes les situations: dans les salons huppés, elle minaudait volontiers mais toujours avec humour, finesse et légèreté; chez elle, dans l’exercice de sa fonction, elle avait le verbe cru, le blasphème facile, des manières de maquignon roué et le vocabulaire sordide propre aux gens de sa condition et à sa clientèle hétéroclite!
Toujours prompte à retrousser jupons, elle avait, disait-elle, un bouillon dans la marmite, et le conil y était toujours au chaud. Fi donc! Qu’un bel homme passât à sa portée, pour peu que son escarcelle fût bien garnie, elle frétillait du séant, le regard torve, dans lequel se mêlaient aussitôt lubricité et appât du gain facile!
La bougresse avait un secret... Secret de polichinelle, il est vrai, mais que ses relations dans tous les milieux de la région protégeaient... Gare aux bavards! Avant de s’exposer au tribunal ecclésiastique ou à la vindicte populaire, notre maquerelle s’était entourée d’un luxe de précautions qui allait du chantage à la possession de documents dûment signés et attestés par de complaisants témoins... La peur du bûcher lui avait conseillé prudence et circonspection!
Son secret avait pour cadre le sous-sol de sa demeure, dans de vastes pièces voûtées alimentées en eau par un astucieux système de canalisations souterraines destiné autrefois aux activités de peausserie de l’ancien propriétaire de la maison. On y accédait depuis l’étage par un escalier dérobé, soigneusement dissimulé par de lourdes tentures de brocart de Byzance et un petit meuble à secrets rehaussé de moulures dorées, cadeau d’un riche armateur arlésien. Une première pièce de son antre secrète servait de boudoir et de salon de réception, ni trop opulent, ni trop misérable, avec juste ce qu’il fallait de rassurant et de discret pour accueillir les visiteuses furtives... En enfilade, une autre salle aux murs blanchis à la chaux et au sol dallé immaculé... Peu de meubles...
Une petite table sur laquelle une bassine de cuivre, un broc, une aiguière et quelques tissus douteux étaient disposés... Adossé au mur, ce qui ressemblait fort à l’armoire d’un apothicaire, avec ses fioles de verres, ces pots d’onguents, ses poires anatomiques en cuir de chevreau, et même une étagère mystérieuse où s’alignaient méticuleusement des aiguilles de fer polies, des outils étranges, toutes sortes de lames effilées, des pointes damasquinées ou taillées dans de l’ivoire...Au centre, ce qui ressemblait à un lit haut, recouvert de cuir lustré, sans baldaquin mais flanqué de potences destinées à y suspendre des lampes à huile... Un étrange système de cordes, de poulies, reliaient la moitié inférieure de la couche articulée, équipée d’un étrange système d’étriers, de lanières de cuir et de boucles de serrage...
La mère Jocelyne exerçait son art funeste avec dextérité et un savoir-faire indéniable; à l'arsenal végétal transmis depuis des temps immémoriaux, elle avait ajouté sa touche de modernisme! Elle était une chaude partisane et une adepte convaincue de l’usage des produits chimiques, apparus avec les développements de l'art des vieux alchimistes du Moyen Age: arsenic, mercure, phosphore et plomb, pour ne citer que les principaux, tous agents toxiques aux résultats, remarquables, mais autant sur la mère que sur le fœtus!
Car la catin était aussi connue à des lieues pour ses talents de maquerelle et de courtisane que pour son activité la plus secrète et non moins rémunératrice: elle était ce que l’on convient d’appeler, une faiseuse d’anges! Et des plus expertes!...
Chez elle, l'utilisation d'instruments divers pour perforer les membranes n'était pas rare : aiguille à tricoter, tringle de rideaux, fil de fer, pointe de ciseaux, sondes...
Mais on ne mourrait pas, chez elle... ou si peu!
Chez les autres, les barbiers, les sorcières, les accoucheuses ratées, les avortées mouraient très souvent dans des conditions et des souffrances horribles; ces décès étaient le plus souvent liés à l'infection, à des perforations, parfois à un choc, une embolie pulmonaire foudroyante et une septicémie qui emportaient la femme en quelques heures après les manœuvres abortives.
Leurs substances médicinales, bien que populaires, étaient inefficaces, l’ergot de seigle, le gaïac, le nièvre, la camomille, l'absinthe, le safran...
Elles utilisaient sans précaution ni connaissances des produits toxiques qui provoquaient souvent la mort du fœtus, et tout aussi souvent le décès des mères dans d’atroces souffrances!
Elle, la mère maquerelle, pratiquait en artiste émérite, elle pratiquait un art, disait-elle! En douceur, mêlant habilement les techniques mécaniques (mais affinées, appliquées avec dextérité) combiné avec tout l’arsenal des substances naturelles qu’elle utilisait avec circonscription, grâce aux conseils avisés d’un moine-alchimiste de l’Abbaye de Saint-Roman.