Ça n'est pas pour me vanter, mais je viens de réaliser un véritable coup d’éclat. À soixante-quinze ans, je suis devenue sans conteste la vieille dame indigne de Moussy lès Limas. J’habite... [+]
Pièce en trois actes. Les personnages sont, par ordre d’entrée en scène, Raimundo, Cristobal, Tom, Jeanne la mère d’Hilda et Hilda .
ACTE I - RAIMUNDO VIENT CHERCHER HILDA
Raimundo, sonne à la grille d’un pavillon de banlieue cossu. Il paraît épuisé. Il s’appuie contre la grille de fer forgé. Cristobal paraît à l’entrée, sous la marquise, au bout d’une balustrade de pierre. Ils se parlent à travers le jardin qui sépare l’entrée du pavillon, de la grille.
RAIMUNDO- Je voudrais voir Hilda, c’est pour la voir que je suis venu...
CRISTOBAL- Vous ne pouvez la voir à cette heure-ci. Il est tard, revenez donc demain.
RAIMUNDO- Je suis venu de loin exprès pour elle. Je ne repartirai pas sans l’avoir vue.
CRISTOBAL- Rentrez plutôt vous reposer chez vous. Je vous vois vous cramponner à la grille pour ne pas vous écrouler de douleur et d’épuisement...
RAIMUNDO- Justement, je viens de loin et je suis si fatigué que j’entends bien rentrer avec elle. Je veux qu’elle me ramène à la maison.
CRISTOBAL- Je ne peux pas me résoudre encore à la quitter si vite. Nous avons parcouru un tel chemin ensemble...
RAIMUNDO- Vous m’avez pourtant dit au téléphone que je pouvais venir la voir quand je voudrais...
CRISTOBAL- Oui, mais depuis j’ai réfléchi. Je ne suis pas si sûr de vouloir l’abandonner.
RAIMUNDO- Un homme riche comme vous, vous pourrez en avoir d’autres. Une autre comme elle, peut-être. Ou alors une qui vous plaira plus.
CRISTOBAL- Hilda est unique, je l’ai trouvée un jour sur le trottoir, rien ne la remplacera.
RAIMUNDO- Mais si, allons, vous ne la regretterez pas. Vous connaissez la chanson : « Une de perdue, dix de retrouvées ». Mais moi...
CRISTOBAL- Ne retournez pas le fer dans la plaie. J’aurais trop de chagrin de la quitter.
RAIMUNDO- J’insiste, je suis riche aussi, vous le savez, je vous donnerai ce que vous me demanderez...
CRISTOBAL- Ce n’est pas une question d’argent. Vous pensez bien, Hilda, elle a été si magnifique. Tout le monde me l’envie.
RAIMUNDO- Je le sais, j’ai vu une photo d’elle dans Vogue.
CRISTOBAL- Bien, il faudra alors, si vous voulez vraiment partir avec elle ce soir, me laisser en souvenir la photo en plus de l’argent.
RAIMUNDO- Vous acceptez donc ! Merci, merci !... Affaire conclue alors ?
CRISTOBAL- Affaire conclue. Voici les clés. Elle est stationnée dans le garage. Allons la chercher...
Raimundo entre dans le pavillon. Ils se dirigent vers le garage où Raimundo prendra possession d’une somptueuse Cadillac blanche nommée Hilda.
ACTE II - TOM VIENT CHERCHER HILDA
Tom, blouson de cuir noir, râpé, jean délavé, troué au genou gauche, tenu par une large ceinture à boucle en forme de gueule de lion, santiags décorés de clous brillants, les cheveux lustrés, se tient devant la grille du pavillon chic où habite Hilda jeune lycéenne, non loin de chez Cristobal.
Dans le jardinet il aperçoit Jeanne, la mère d’Hilda. Elle est vêtue d’un tailleur gris bleu, austère mais de grande classe, porte des souliers de cuir bleu verni. Ses cheveux blonds sont tirés derrière la tête en un chignon sans défaut. Un maquillage sobre mais impeccable complète le tout. Elle est assise dans un fauteuil de jardin et lit.
TOM- Madame ! Madame ! Hilda est-elle là ?...
JEANNE- Que lui voulez-vous ?
TOM- Je voudrais voir Hilda, c’est pour la voir que je suis venu...
JEANNE- Je ne vous connais pas. Qui êtes-vous ?
TOM- Un copain d’Hilda. Elle m’attend. Nous devons aller à Torcy.
JEANNE- Elle ne m’a jamais parlé de vous. Qu’allez-vous faire à Torcy ?
TOM- Un spectacle... Hilda m’a promis de m’accompagner.
JEANNE- Un spectacle à Torcy ? Dans cette tenue ? J’en suis surprise. Hilda ne m’en a pas parlé...
TOM- Je vous assure. Elle m’a dit « Passe à la maison ». C’est pour elle que je suis là. Il y a longtemps que cette soirée est prévue...
JEANNE- Elle révise son bac. Elle le passe lundi. Et vous ?
TOM- Le bac, moi ! Non. On s’est vu chez Georges, la semaine dernière. Je lui ai proposé de venir avec moi à la ra... à la soirée, je veux dire.
JEANNE- Et elle a accepté ? Je ne le crois pas. Hilda me dit tout. Je connais ses amis et ses habitudes. Vous n’êtes pas de son style...
TOM- Elle a même prétendu que ça pourrait lui servir pour ses études de « sociophagie ».
JEANNE- De sociologie...Vous n’avez pas l’air très au courant, jeune homme ! Quel genre de soirée est-ce donc ?
TOM- Une ra.., pardon, une soirée musicale et dansante.
Tom est de plus en plus désarçonné par le barrage qu’effectue Jeanne. Un doute s’insinue dans son esprit sur la réalité de la promesse qu’Hilda lui a faite. Jeanne de son côté suspecte de plus en plus l’honnêteté du prétexte de Tom pour emmener Hilda.
JEANNE- Hilda ne fréquente pas les bals. Ce serait donc la première fois ! Avec vous ? Vêtu comme vous l’êtes !
TOM- C’est ma tenue de sortie. Vous auriez préféré que je vienne la chercher avec mon bleu de mécano. Elle a accepté devant Georges, je vous le dis. Appelez-la, donc. Demandez-le-lui !
JEANNE- Je ne la dérangerais pas. Si elle s’était engagée, comme vous le prétendez, elle vous attendrait ici. Elle me paraît bien plus occupée à autre chose qu’à penser à vous, maintenant.
Tom passe progressivement du doute, à la déception puis à la colère.
TOM- Ben alors, si j’avais su...Votre fille m’a trompé sans vergogne. Je m’en souviendrais de cette « bourge ». Vous pouvez vous la garder dans votre naphtaline. Il y en a plus d’une qui n’aurait pas demandé mieux que de venir avec Tommy à Torcy. Avec cette rave elle ne sait pas ce qu’elle rate. Là au moins, on s’éclate...
JEANNE- Le vernis ne tient pas longtemps chez des gens comme vous, jeune homme. Il suffit d’un refus et le masque tombe. Tout est dit. Vous voudrez bien ne plus importuner Hilda à l’avenir.
A ce moment Hilda, alertée par l’escalade des voix qu’elle entend à l’extérieur, pousse la porte du jardin. Elle aperçoit le visage outré de sa mère et celui, chargé de mépris de Tom...
HILDA- Tom, toi ici ! Que fais-tu là ? Que se passe-t-il ?
TOM- Demandes à ta mère. Je regrette d’être venu. Quel accueil chez toi ! Pas la peine de te montrer aussi sympa avec moi chez Georges. Tiens, en voilà un qui va apprendre ce que valent ses copines. Pour moi parole donnée, parole sacrée.
HILDA- Je ne comprends pas, Tom. Maman que s’est-il passé ?
JEANNE- Ce jeune homme prétend que tu avais accepté son invitation à une soirée dansante. Une rave ? Des travaux pratiques pour préparer ta sociologie ? Il m’a inventé n’importe quoi.
Le visage de Hilda s’éclaire soudain. Elle pouffe puis est prise d’un fou rire.
HILDA- Ah ! je comprends. Oui, bien sûr...J’ai vu Tom l’autre jour chez Georges. On finissait de bachoter et Tom que je ne connaissais pas est passé. On a parlé un peu tous les trois. C’est tombé sur les raves. Chacun avait son opinion sur ce truc. Tom m’a proposé de m’emmener à la prochaine.
TOM- (Triomphant et s’adressant à Jeanne) Ah ! Vous voyez bien madame que j’avais raison.
HILDA- J’ai pensé que ce n’était pas sérieux et j’ai dit oui, comme j’aurais pu dire non. J’ai même rajouté que j’aurais ainsi un sujet de dissertation sociologique. C’était une plaisanterie. Puis j’ai oublié, tu penses... (Elle s’adresse à Tom)
Dis Tom, c’est vrai, tu as pris ça au sérieux ?
TOM- Jamais je ne plaisante avec ces choses. Et pour des intello comme toi et Georges je pensais que la parole donnée avait un poids. Je me voyais déjà à Torcy avec une meuf comme toi...Avec ton look tendance et ton air classique on aurait cassé la baraque !
HILDA- Tu aurais tout de même pu me prévenir à l’avance au lieu de te pointer là, le bec enfariné : « c’est moi que v’là. Il y a une rave. J’emmène votre fille. Pas de discussion. Oust ! on se dépêche ! »
TOM- Parce que tu crois qu’on prend rendez-vous pour une rave comme pour aller chez la comtesse ? C’est pas le bal des debs. A Torcy, ce soir, c’est de la vraie teuf, de la techno hard. J’ai su juste ce matin que ça se passait là ce soir. Voilà ! J’aimerais que tu m’accompagnes.
Jeanne est sidérée. Elle écoute sa fille et Tom et découvre un univers à cent lieues du sien. Hilda est tout de même flattée de l’intérêt que lui porte Tom et de ses pronostics sur son succès. L’aventure serait tentante. Tom se dit qu’il a encore une chance...
HILDA- Ecoute ça n’est pas à mon programme. Je révise mon bac. Et pour être honnête il faudrait que j’en parle avant avec ma mère.
JEANNE- Hilda, ce serait bien la première fois que tu fréquenterais un lieu pas sérieux. Inutile de te dire que je ne suis pas d’accord. Et je ne pense pas que ton père accepterait.
HILDA- Maman c’est peut-être une expérience unique pour moi. Même si c’est la première et la dernière fois. Je pourrais me faire une opinion sur le terrain, des raves.
JEANNE- Tu connais bien les dangers que l’on court dans ces endroits. J’en ai la peau hérissée. La drogue..., les viols..., d’autres choses pires encore. Je serais aux cents coups en attendant ton retour.
HILDA- J’ai aussi besoin d’un peu de détente, maman. Les derniers mois ont été durs et je ne suis pas sortie si souvent...Et puis Tom m’accompagne. Nous essaierons de convaincre Georges de venir aussi, si cela te rassure...
Tu m’avais promis de m’autoriser plus de liberté à ma majorité, de me faire confiance...Alors c’est l’occasion, maman...
JEANNE- Je te fais confiance plus que tu ne le penses. Mais j’aurais peur pour toi. Promets-moi, si tu décides tout de même d’y aller, d’emmener Georges... Et tu rentreras avant minuit, n’est-ce pas ?
TOM- (A Jeanne) Vous faites confiance à Hilda et vous vous méfiez de moi. Je sais que je dois veiller sur Hilda. Elle n’a pas besoin de Georges pour cela...Vous ne m’aimez pas beaucoup, madame.
JEANNE- Je vous aimerais peut-être un peu plus quand vous l’aurez reconduite ici. Où se trouve Torcy ? Comment vous y rendrez-vous ?
HILDA- Ça, c’est le problème de Tom. C’est lui qui organise la sortie, alors c’est lui qui s’occupe du voyage. Aller et retour...
Tom et Hilda quittent la maison d’Hilda et remontent la rue. Ils vont à la rave...
ACTE III : HILDA VA AU THÉÂTRE
TOM- Eh bien, si je m’attendais à ça. La mère et la fille, c’est pareil. Essayez de faire plaisir ! On se fiche de vous, vous êtes moins que rien !
HILDA- C’est une scène que tu me fais ? Je ne suis pas obligée de t’accompagner dans ces conditions. Je ne sais pas où se trouve Torcy. Et tu n’as même pas de voiture !
TOM- Ton père aurait pu nous prêter la sienne. Je l’ai vue garée près de l’entrée. J’ai mon permis.
HILDA- C’est comme ça que tu procèdes avec tes copines ? « Cher papa, j’ai besoin de votre auto pour emmener votre fille à une rave J’ai mon permis, sous savez. » Et hop, c’est réglé !
TOM- C’est bien ça les bourges. On leur rend un service et il faut encore les remercier d’avoir accepté qu’on le leur rende sans qu’ils l’aient demandé.
Ils marchent en se querellant Ils prennent la première rue à droite et tombent sur Raimundo, les bras croisés, perplexe, sur le trottoir. Costume de flanelle noire, chemise blanche, nœud papillon, il regarde, d’un air désabusé, Hilda (la voiture) rangée au bord du trottoir. Elle est tombée en panne quelques centaines de mètres après avoir quitté le garage de Cristobal.
TOM- Ouaahh ! T’as vu la caisse. C’est une Cad 1950 ou je ne m’y connais pas ! Une décapotable, en plus. Regarde ces ailerons sur les feux arrière et le chrome des pare-chocs. Une merveille ! Et toute blanche. Voilà ce qu’il nous faudrait pour Torcy !
HILDA- Elle est belle, mais un peu ringarde, non ? C’est quoi une Cad ?
TOM- Une Cadillac, voyons ! Une voiture de star. Comment, tu ignores cela ! A chacun sa culture n’est-ce pas. Moi je suis mécano et je m’y connais en voitures. Oh là là ! Le galbe de la grille de radiateur ! Et ces courbes ! Elle doit bien faire ses deux tonnes !
Il s’approche de Raimundo et s’adresse à lui
TOM- Elle est à vous, la bagnole ?
RAIMUNDO- Oui maintenant elle est à moi. Hélas. J’étais bien plus heureux quand je l’admirais de loin.
TOM- Que vous avez l’air triste, monsieur ! Si elle était à moi, je bicherais grave. Quelle arrivée à Torcy ! Hilda et moi, c’est top succès !
RAIMUNDO- A Torcy, quelle idée ! Vous n’iriez pas bien loin. Elle est en panne. Et d’abord comment connaissez-vous le nom de ma voiture ?
TOM- Le nom de votre voiture ? Je ne le connais pas. Elle a un nom ?
RAIMUNDO- Je viens de l’acheter à un collectionneur. Je la convoitais depuis longtemps. Elle s’appelle Hilda.
TOM- Hilda ! vous l’appelez Hilda ! Ah ! Ah ! Ah ! Mais Hilda c’est ma copine. Vous n’avez pas le droit de l’appeler Hilda !
RAIMUNDO- Mademoiselle s’appelle Hilda ? Mais c’est un nom d’une autre génération. Impossible... La vôtre a un look si moderne avec son jean ras du nombril et ses mèches hérisson style Biguine... (Il regarde Hilda, la lycéenne). Quoique... il y a quelque chose d’une éducation BCBG dans votre allure. Est-il vrai, mademoiselle, que vous vous appelez Hilda ?
HILDA- Hilda, oui. Et même depuis le jour de ma naissance, m’a-t-on dit. Mon nom est un nom rare, mais pas ringard. Qui a osé baptiser ainsi votre automobile ?
RAIMUNDO- Elle s’appelle comme cela depuis si longtemps. Vous n’étiez pas encore née. Elle a appartenu à un roi du rock en Amérique. C’est peut-être lui. Elle est venue ensuite en France. Un ambassadeur en était tombé amoureux. La photo d’Hilda est parue dans Vogue. Elle a été la compagne d’un collectionneur. Il s’en est lassé puisqu’il me l’a cédée. Fatigué de ses caprices, sans doute.
TOM- Vous en parlez comme d’une meuf du show-biz. Que lui est-il arrivé ?
RAIMUNDO- Elle a fait un petit bout de chemin avec moi puis elle m’a lâché sans une explication. Elle n’appréciait peut-être pas ma conduite.
TOM- Il y avait longtemps qu’elle n’avait pas été sortie, c’est sûr. Il leur faut du mouvement, vous savez. Rouler, sentir la caresse de votre main sur son volant. Il suffit parfois de leur chatouiller la batterie et le courant passe mieux...
RAIMUNDO- J’aurais mieux fait de m’intéresser à une femme, une vraie Hilda, comme la vôtre, au lieu de m’enticher de cette voiture.
Hilda sourit d’aise devant le compliment. Elle commence à regarder Raimundo avec d’autres yeux. Tom prend un air narquois, il s’adresse à voix basse à Raimundo.
TOM-...Et moi j’aurais mieux fait de draguer une voiture. Une comme la vôtre. Je sens que je la comprends, celle-là, je sais ce qu’il lui faut. Alors qu’Hilda....
HILDA- ( A Tom) Qu’est-ce que vous complotez, tous les deux ? Et moi dans tout ça. Je croyais que nous devions aller à une rave. Torcy, c’est loin. Et je dois être de retour avant minuit. (Irritée) Tom, t’accompagner devient une galère.
TOM- (confidentiellement à Raimundo) Vous voyez ! (A voix haute) Si je lui redonne vie, vous nous emmèneriez à Torcy ?
RAIMUNDO- Ce n’est pas ma route. Je vais au théâtre et je n’ai plus beaucoup de temps devant moi.
TOM- Alors il faut faire vite.
Il s’avance vers la Hilda, la voiture, et fait mine de soulever le capot du moteur.
RAIMUNDO- Halte là ! Un peu de pudeur, jeune homme. On ne pénètre pas ainsi dans l’intimité d’une voiture sans le consentement de son maître.
TOM- Jaloux et possessif en plus ! Je vois. Je suis mécano, monsieur. Oui, le médecin de ces dames, le gynéco des voitures en quelque sorte. Je peux tout voir et tout toucher. Un pro, quoi. Avec moi elles repartent !
HILDA- Le voilà parti dans ses fantasmes. Il préfère les voitures aux personnes.
RAIMUNDO- S’il en est ainsi, faisons donc un échange. Pour la soirée tout au moins...
TOM- (Intéressé mais méfiant) C’est quoi votre deal ?
RAIMUNDO- Je vous laisse dépanner mon Hilda et même vous rendre à Torcy avec elle et j’emmène votre Hilda au théâtre. (A Hilda, avec un sourire timide et séducteur) Acceptez-vous, Hilda ?
Hilda a les yeux qui brillent. Échapper à la galère de la rave, malgré son intérêt « scientifique » pour ce phénomène, quelle chance ! Raimundo paraît aussi lui porter un intérêt personnel qu’elle ne retrouve pas chez Tom. Le jeu de la séduction avec un adulte, qu’elle devine séducteur et attentionné à sa personne, n’est pas pour lui déplaire.
HILDA- Ce serait une bonne idée. Qu’allez-vous donc voir ?
RAIMUNDO- Une pièce de boulevard : « Occupe-toi d’Amélie ». Une cure de rire. Je m’occuperai de vous, Hilda, toute cette soirée.
HILDA- Et comment irions-nous ?
RAIMUNDO- J’appelle un taxi tout de suite.
HILDA- Alors j’appelle ma mère pour l’informer de mon changement de programme. Elle va être rassurée. Dites, vous me raccompagnerez à la maison, à la fin du spectacle ?
RAIMUNDO- Hilda, je suis votre chevalier servant.
Tom assiste à l’échange bouche bée, le souffle coupé. Deux sentiments contradictoires s’affrontent chez lui. Il est frustré qu’Hilda l’abandonne sans le moindre ménagement, qu’elle cède, devant lui, à l’invite d’un autre. C’est un choc narcissique difficile à encaisser. Mais la perspective de rester seul avec Hilda Cadillac, de soulever son capot, de découvrir ses mystères, d’entendre le ronronnement de son moteur, quand il l’aura remise en route, l’envahit d’une excitation presque érotique.
TOM- Hilda, tu me fais beaucoup de peine. J’avais encore des illusions jusqu'à tout à l’heure. Tu es la plus infidèle de toutes les filles que je connais...
HILDA- Je ne suis pas dupe, Tom. A Torcy je ne t’aurais servi que de faire-valoir. Tu ne t’intéresses pas à moi vraiment. Je te vois à genoux, déjà, devant Hilda...
RAIMUNDO- Allons Tom. Je croyais que vous n’étiez pas jaloux. Voici donc les clés d’Hilda et ses papiers. Nous nous retrouverons ici-même à minuit.
TOM- Oh ! Merci monsieur. Je la ramènerais intacte soyez-en sûr. J’y veillerai comme à la prunelle de mes yeux. Personne d’autre que moi n’y touchera.
RAIMUNDO- Eh bien il est temps de nous séparer. A plus tard, tous les quatre, à minuit, sous le clair de lune.
Hilda a pris le bras de Raimundo. Elle s’éloigne avec lui. Tom a soulevé le capot de la Cadillac. Son buste plonge dans le compartiment du moteur. Il sifflote. Le moteur commence à émettre des ronronnements.
RENDONS À CÉSAR CE QUI EST À CÉSAR
Le premier acte a été co-écrit par Damien et un autre auteur qui souhaite conserver l’anonymat. Le second et troisième acte ont été écrits par Damien seul.
Le titre et la première réplique de l’acte I proviennent d’une réplique d’une pièce écrite par Marie Ndiaye : « Hilda ».
ACTE I - RAIMUNDO VIENT CHERCHER HILDA
Raimundo, sonne à la grille d’un pavillon de banlieue cossu. Il paraît épuisé. Il s’appuie contre la grille de fer forgé. Cristobal paraît à l’entrée, sous la marquise, au bout d’une balustrade de pierre. Ils se parlent à travers le jardin qui sépare l’entrée du pavillon, de la grille.
RAIMUNDO- Je voudrais voir Hilda, c’est pour la voir que je suis venu...
CRISTOBAL- Vous ne pouvez la voir à cette heure-ci. Il est tard, revenez donc demain.
RAIMUNDO- Je suis venu de loin exprès pour elle. Je ne repartirai pas sans l’avoir vue.
CRISTOBAL- Rentrez plutôt vous reposer chez vous. Je vous vois vous cramponner à la grille pour ne pas vous écrouler de douleur et d’épuisement...
RAIMUNDO- Justement, je viens de loin et je suis si fatigué que j’entends bien rentrer avec elle. Je veux qu’elle me ramène à la maison.
CRISTOBAL- Je ne peux pas me résoudre encore à la quitter si vite. Nous avons parcouru un tel chemin ensemble...
RAIMUNDO- Vous m’avez pourtant dit au téléphone que je pouvais venir la voir quand je voudrais...
CRISTOBAL- Oui, mais depuis j’ai réfléchi. Je ne suis pas si sûr de vouloir l’abandonner.
RAIMUNDO- Un homme riche comme vous, vous pourrez en avoir d’autres. Une autre comme elle, peut-être. Ou alors une qui vous plaira plus.
CRISTOBAL- Hilda est unique, je l’ai trouvée un jour sur le trottoir, rien ne la remplacera.
RAIMUNDO- Mais si, allons, vous ne la regretterez pas. Vous connaissez la chanson : « Une de perdue, dix de retrouvées ». Mais moi...
CRISTOBAL- Ne retournez pas le fer dans la plaie. J’aurais trop de chagrin de la quitter.
RAIMUNDO- J’insiste, je suis riche aussi, vous le savez, je vous donnerai ce que vous me demanderez...
CRISTOBAL- Ce n’est pas une question d’argent. Vous pensez bien, Hilda, elle a été si magnifique. Tout le monde me l’envie.
RAIMUNDO- Je le sais, j’ai vu une photo d’elle dans Vogue.
CRISTOBAL- Bien, il faudra alors, si vous voulez vraiment partir avec elle ce soir, me laisser en souvenir la photo en plus de l’argent.
RAIMUNDO- Vous acceptez donc ! Merci, merci !... Affaire conclue alors ?
CRISTOBAL- Affaire conclue. Voici les clés. Elle est stationnée dans le garage. Allons la chercher...
Raimundo entre dans le pavillon. Ils se dirigent vers le garage où Raimundo prendra possession d’une somptueuse Cadillac blanche nommée Hilda.
ACTE II - TOM VIENT CHERCHER HILDA
Tom, blouson de cuir noir, râpé, jean délavé, troué au genou gauche, tenu par une large ceinture à boucle en forme de gueule de lion, santiags décorés de clous brillants, les cheveux lustrés, se tient devant la grille du pavillon chic où habite Hilda jeune lycéenne, non loin de chez Cristobal.
Dans le jardinet il aperçoit Jeanne, la mère d’Hilda. Elle est vêtue d’un tailleur gris bleu, austère mais de grande classe, porte des souliers de cuir bleu verni. Ses cheveux blonds sont tirés derrière la tête en un chignon sans défaut. Un maquillage sobre mais impeccable complète le tout. Elle est assise dans un fauteuil de jardin et lit.
TOM- Madame ! Madame ! Hilda est-elle là ?...
JEANNE- Que lui voulez-vous ?
TOM- Je voudrais voir Hilda, c’est pour la voir que je suis venu...
JEANNE- Je ne vous connais pas. Qui êtes-vous ?
TOM- Un copain d’Hilda. Elle m’attend. Nous devons aller à Torcy.
JEANNE- Elle ne m’a jamais parlé de vous. Qu’allez-vous faire à Torcy ?
TOM- Un spectacle... Hilda m’a promis de m’accompagner.
JEANNE- Un spectacle à Torcy ? Dans cette tenue ? J’en suis surprise. Hilda ne m’en a pas parlé...
TOM- Je vous assure. Elle m’a dit « Passe à la maison ». C’est pour elle que je suis là. Il y a longtemps que cette soirée est prévue...
JEANNE- Elle révise son bac. Elle le passe lundi. Et vous ?
TOM- Le bac, moi ! Non. On s’est vu chez Georges, la semaine dernière. Je lui ai proposé de venir avec moi à la ra... à la soirée, je veux dire.
JEANNE- Et elle a accepté ? Je ne le crois pas. Hilda me dit tout. Je connais ses amis et ses habitudes. Vous n’êtes pas de son style...
TOM- Elle a même prétendu que ça pourrait lui servir pour ses études de « sociophagie ».
JEANNE- De sociologie...Vous n’avez pas l’air très au courant, jeune homme ! Quel genre de soirée est-ce donc ?
TOM- Une ra.., pardon, une soirée musicale et dansante.
Tom est de plus en plus désarçonné par le barrage qu’effectue Jeanne. Un doute s’insinue dans son esprit sur la réalité de la promesse qu’Hilda lui a faite. Jeanne de son côté suspecte de plus en plus l’honnêteté du prétexte de Tom pour emmener Hilda.
JEANNE- Hilda ne fréquente pas les bals. Ce serait donc la première fois ! Avec vous ? Vêtu comme vous l’êtes !
TOM- C’est ma tenue de sortie. Vous auriez préféré que je vienne la chercher avec mon bleu de mécano. Elle a accepté devant Georges, je vous le dis. Appelez-la, donc. Demandez-le-lui !
JEANNE- Je ne la dérangerais pas. Si elle s’était engagée, comme vous le prétendez, elle vous attendrait ici. Elle me paraît bien plus occupée à autre chose qu’à penser à vous, maintenant.
Tom passe progressivement du doute, à la déception puis à la colère.
TOM- Ben alors, si j’avais su...Votre fille m’a trompé sans vergogne. Je m’en souviendrais de cette « bourge ». Vous pouvez vous la garder dans votre naphtaline. Il y en a plus d’une qui n’aurait pas demandé mieux que de venir avec Tommy à Torcy. Avec cette rave elle ne sait pas ce qu’elle rate. Là au moins, on s’éclate...
JEANNE- Le vernis ne tient pas longtemps chez des gens comme vous, jeune homme. Il suffit d’un refus et le masque tombe. Tout est dit. Vous voudrez bien ne plus importuner Hilda à l’avenir.
A ce moment Hilda, alertée par l’escalade des voix qu’elle entend à l’extérieur, pousse la porte du jardin. Elle aperçoit le visage outré de sa mère et celui, chargé de mépris de Tom...
HILDA- Tom, toi ici ! Que fais-tu là ? Que se passe-t-il ?
TOM- Demandes à ta mère. Je regrette d’être venu. Quel accueil chez toi ! Pas la peine de te montrer aussi sympa avec moi chez Georges. Tiens, en voilà un qui va apprendre ce que valent ses copines. Pour moi parole donnée, parole sacrée.
HILDA- Je ne comprends pas, Tom. Maman que s’est-il passé ?
JEANNE- Ce jeune homme prétend que tu avais accepté son invitation à une soirée dansante. Une rave ? Des travaux pratiques pour préparer ta sociologie ? Il m’a inventé n’importe quoi.
Le visage de Hilda s’éclaire soudain. Elle pouffe puis est prise d’un fou rire.
HILDA- Ah ! je comprends. Oui, bien sûr...J’ai vu Tom l’autre jour chez Georges. On finissait de bachoter et Tom que je ne connaissais pas est passé. On a parlé un peu tous les trois. C’est tombé sur les raves. Chacun avait son opinion sur ce truc. Tom m’a proposé de m’emmener à la prochaine.
TOM- (Triomphant et s’adressant à Jeanne) Ah ! Vous voyez bien madame que j’avais raison.
HILDA- J’ai pensé que ce n’était pas sérieux et j’ai dit oui, comme j’aurais pu dire non. J’ai même rajouté que j’aurais ainsi un sujet de dissertation sociologique. C’était une plaisanterie. Puis j’ai oublié, tu penses... (Elle s’adresse à Tom)
Dis Tom, c’est vrai, tu as pris ça au sérieux ?
TOM- Jamais je ne plaisante avec ces choses. Et pour des intello comme toi et Georges je pensais que la parole donnée avait un poids. Je me voyais déjà à Torcy avec une meuf comme toi...Avec ton look tendance et ton air classique on aurait cassé la baraque !
HILDA- Tu aurais tout de même pu me prévenir à l’avance au lieu de te pointer là, le bec enfariné : « c’est moi que v’là. Il y a une rave. J’emmène votre fille. Pas de discussion. Oust ! on se dépêche ! »
TOM- Parce que tu crois qu’on prend rendez-vous pour une rave comme pour aller chez la comtesse ? C’est pas le bal des debs. A Torcy, ce soir, c’est de la vraie teuf, de la techno hard. J’ai su juste ce matin que ça se passait là ce soir. Voilà ! J’aimerais que tu m’accompagnes.
Jeanne est sidérée. Elle écoute sa fille et Tom et découvre un univers à cent lieues du sien. Hilda est tout de même flattée de l’intérêt que lui porte Tom et de ses pronostics sur son succès. L’aventure serait tentante. Tom se dit qu’il a encore une chance...
HILDA- Ecoute ça n’est pas à mon programme. Je révise mon bac. Et pour être honnête il faudrait que j’en parle avant avec ma mère.
JEANNE- Hilda, ce serait bien la première fois que tu fréquenterais un lieu pas sérieux. Inutile de te dire que je ne suis pas d’accord. Et je ne pense pas que ton père accepterait.
HILDA- Maman c’est peut-être une expérience unique pour moi. Même si c’est la première et la dernière fois. Je pourrais me faire une opinion sur le terrain, des raves.
JEANNE- Tu connais bien les dangers que l’on court dans ces endroits. J’en ai la peau hérissée. La drogue..., les viols..., d’autres choses pires encore. Je serais aux cents coups en attendant ton retour.
HILDA- J’ai aussi besoin d’un peu de détente, maman. Les derniers mois ont été durs et je ne suis pas sortie si souvent...Et puis Tom m’accompagne. Nous essaierons de convaincre Georges de venir aussi, si cela te rassure...
Tu m’avais promis de m’autoriser plus de liberté à ma majorité, de me faire confiance...Alors c’est l’occasion, maman...
JEANNE- Je te fais confiance plus que tu ne le penses. Mais j’aurais peur pour toi. Promets-moi, si tu décides tout de même d’y aller, d’emmener Georges... Et tu rentreras avant minuit, n’est-ce pas ?
TOM- (A Jeanne) Vous faites confiance à Hilda et vous vous méfiez de moi. Je sais que je dois veiller sur Hilda. Elle n’a pas besoin de Georges pour cela...Vous ne m’aimez pas beaucoup, madame.
JEANNE- Je vous aimerais peut-être un peu plus quand vous l’aurez reconduite ici. Où se trouve Torcy ? Comment vous y rendrez-vous ?
HILDA- Ça, c’est le problème de Tom. C’est lui qui organise la sortie, alors c’est lui qui s’occupe du voyage. Aller et retour...
Tom et Hilda quittent la maison d’Hilda et remontent la rue. Ils vont à la rave...
ACTE III : HILDA VA AU THÉÂTRE
TOM- Eh bien, si je m’attendais à ça. La mère et la fille, c’est pareil. Essayez de faire plaisir ! On se fiche de vous, vous êtes moins que rien !
HILDA- C’est une scène que tu me fais ? Je ne suis pas obligée de t’accompagner dans ces conditions. Je ne sais pas où se trouve Torcy. Et tu n’as même pas de voiture !
TOM- Ton père aurait pu nous prêter la sienne. Je l’ai vue garée près de l’entrée. J’ai mon permis.
HILDA- C’est comme ça que tu procèdes avec tes copines ? « Cher papa, j’ai besoin de votre auto pour emmener votre fille à une rave J’ai mon permis, sous savez. » Et hop, c’est réglé !
TOM- C’est bien ça les bourges. On leur rend un service et il faut encore les remercier d’avoir accepté qu’on le leur rende sans qu’ils l’aient demandé.
Ils marchent en se querellant Ils prennent la première rue à droite et tombent sur Raimundo, les bras croisés, perplexe, sur le trottoir. Costume de flanelle noire, chemise blanche, nœud papillon, il regarde, d’un air désabusé, Hilda (la voiture) rangée au bord du trottoir. Elle est tombée en panne quelques centaines de mètres après avoir quitté le garage de Cristobal.
TOM- Ouaahh ! T’as vu la caisse. C’est une Cad 1950 ou je ne m’y connais pas ! Une décapotable, en plus. Regarde ces ailerons sur les feux arrière et le chrome des pare-chocs. Une merveille ! Et toute blanche. Voilà ce qu’il nous faudrait pour Torcy !
HILDA- Elle est belle, mais un peu ringarde, non ? C’est quoi une Cad ?
TOM- Une Cadillac, voyons ! Une voiture de star. Comment, tu ignores cela ! A chacun sa culture n’est-ce pas. Moi je suis mécano et je m’y connais en voitures. Oh là là ! Le galbe de la grille de radiateur ! Et ces courbes ! Elle doit bien faire ses deux tonnes !
Il s’approche de Raimundo et s’adresse à lui
TOM- Elle est à vous, la bagnole ?
RAIMUNDO- Oui maintenant elle est à moi. Hélas. J’étais bien plus heureux quand je l’admirais de loin.
TOM- Que vous avez l’air triste, monsieur ! Si elle était à moi, je bicherais grave. Quelle arrivée à Torcy ! Hilda et moi, c’est top succès !
RAIMUNDO- A Torcy, quelle idée ! Vous n’iriez pas bien loin. Elle est en panne. Et d’abord comment connaissez-vous le nom de ma voiture ?
TOM- Le nom de votre voiture ? Je ne le connais pas. Elle a un nom ?
RAIMUNDO- Je viens de l’acheter à un collectionneur. Je la convoitais depuis longtemps. Elle s’appelle Hilda.
TOM- Hilda ! vous l’appelez Hilda ! Ah ! Ah ! Ah ! Mais Hilda c’est ma copine. Vous n’avez pas le droit de l’appeler Hilda !
RAIMUNDO- Mademoiselle s’appelle Hilda ? Mais c’est un nom d’une autre génération. Impossible... La vôtre a un look si moderne avec son jean ras du nombril et ses mèches hérisson style Biguine... (Il regarde Hilda, la lycéenne). Quoique... il y a quelque chose d’une éducation BCBG dans votre allure. Est-il vrai, mademoiselle, que vous vous appelez Hilda ?
HILDA- Hilda, oui. Et même depuis le jour de ma naissance, m’a-t-on dit. Mon nom est un nom rare, mais pas ringard. Qui a osé baptiser ainsi votre automobile ?
RAIMUNDO- Elle s’appelle comme cela depuis si longtemps. Vous n’étiez pas encore née. Elle a appartenu à un roi du rock en Amérique. C’est peut-être lui. Elle est venue ensuite en France. Un ambassadeur en était tombé amoureux. La photo d’Hilda est parue dans Vogue. Elle a été la compagne d’un collectionneur. Il s’en est lassé puisqu’il me l’a cédée. Fatigué de ses caprices, sans doute.
TOM- Vous en parlez comme d’une meuf du show-biz. Que lui est-il arrivé ?
RAIMUNDO- Elle a fait un petit bout de chemin avec moi puis elle m’a lâché sans une explication. Elle n’appréciait peut-être pas ma conduite.
TOM- Il y avait longtemps qu’elle n’avait pas été sortie, c’est sûr. Il leur faut du mouvement, vous savez. Rouler, sentir la caresse de votre main sur son volant. Il suffit parfois de leur chatouiller la batterie et le courant passe mieux...
RAIMUNDO- J’aurais mieux fait de m’intéresser à une femme, une vraie Hilda, comme la vôtre, au lieu de m’enticher de cette voiture.
Hilda sourit d’aise devant le compliment. Elle commence à regarder Raimundo avec d’autres yeux. Tom prend un air narquois, il s’adresse à voix basse à Raimundo.
TOM-...Et moi j’aurais mieux fait de draguer une voiture. Une comme la vôtre. Je sens que je la comprends, celle-là, je sais ce qu’il lui faut. Alors qu’Hilda....
HILDA- ( A Tom) Qu’est-ce que vous complotez, tous les deux ? Et moi dans tout ça. Je croyais que nous devions aller à une rave. Torcy, c’est loin. Et je dois être de retour avant minuit. (Irritée) Tom, t’accompagner devient une galère.
TOM- (confidentiellement à Raimundo) Vous voyez ! (A voix haute) Si je lui redonne vie, vous nous emmèneriez à Torcy ?
RAIMUNDO- Ce n’est pas ma route. Je vais au théâtre et je n’ai plus beaucoup de temps devant moi.
TOM- Alors il faut faire vite.
Il s’avance vers la Hilda, la voiture, et fait mine de soulever le capot du moteur.
RAIMUNDO- Halte là ! Un peu de pudeur, jeune homme. On ne pénètre pas ainsi dans l’intimité d’une voiture sans le consentement de son maître.
TOM- Jaloux et possessif en plus ! Je vois. Je suis mécano, monsieur. Oui, le médecin de ces dames, le gynéco des voitures en quelque sorte. Je peux tout voir et tout toucher. Un pro, quoi. Avec moi elles repartent !
HILDA- Le voilà parti dans ses fantasmes. Il préfère les voitures aux personnes.
RAIMUNDO- S’il en est ainsi, faisons donc un échange. Pour la soirée tout au moins...
TOM- (Intéressé mais méfiant) C’est quoi votre deal ?
RAIMUNDO- Je vous laisse dépanner mon Hilda et même vous rendre à Torcy avec elle et j’emmène votre Hilda au théâtre. (A Hilda, avec un sourire timide et séducteur) Acceptez-vous, Hilda ?
Hilda a les yeux qui brillent. Échapper à la galère de la rave, malgré son intérêt « scientifique » pour ce phénomène, quelle chance ! Raimundo paraît aussi lui porter un intérêt personnel qu’elle ne retrouve pas chez Tom. Le jeu de la séduction avec un adulte, qu’elle devine séducteur et attentionné à sa personne, n’est pas pour lui déplaire.
HILDA- Ce serait une bonne idée. Qu’allez-vous donc voir ?
RAIMUNDO- Une pièce de boulevard : « Occupe-toi d’Amélie ». Une cure de rire. Je m’occuperai de vous, Hilda, toute cette soirée.
HILDA- Et comment irions-nous ?
RAIMUNDO- J’appelle un taxi tout de suite.
HILDA- Alors j’appelle ma mère pour l’informer de mon changement de programme. Elle va être rassurée. Dites, vous me raccompagnerez à la maison, à la fin du spectacle ?
RAIMUNDO- Hilda, je suis votre chevalier servant.
Tom assiste à l’échange bouche bée, le souffle coupé. Deux sentiments contradictoires s’affrontent chez lui. Il est frustré qu’Hilda l’abandonne sans le moindre ménagement, qu’elle cède, devant lui, à l’invite d’un autre. C’est un choc narcissique difficile à encaisser. Mais la perspective de rester seul avec Hilda Cadillac, de soulever son capot, de découvrir ses mystères, d’entendre le ronronnement de son moteur, quand il l’aura remise en route, l’envahit d’une excitation presque érotique.
TOM- Hilda, tu me fais beaucoup de peine. J’avais encore des illusions jusqu'à tout à l’heure. Tu es la plus infidèle de toutes les filles que je connais...
HILDA- Je ne suis pas dupe, Tom. A Torcy je ne t’aurais servi que de faire-valoir. Tu ne t’intéresses pas à moi vraiment. Je te vois à genoux, déjà, devant Hilda...
RAIMUNDO- Allons Tom. Je croyais que vous n’étiez pas jaloux. Voici donc les clés d’Hilda et ses papiers. Nous nous retrouverons ici-même à minuit.
TOM- Oh ! Merci monsieur. Je la ramènerais intacte soyez-en sûr. J’y veillerai comme à la prunelle de mes yeux. Personne d’autre que moi n’y touchera.
RAIMUNDO- Eh bien il est temps de nous séparer. A plus tard, tous les quatre, à minuit, sous le clair de lune.
Hilda a pris le bras de Raimundo. Elle s’éloigne avec lui. Tom a soulevé le capot de la Cadillac. Son buste plonge dans le compartiment du moteur. Il sifflote. Le moteur commence à émettre des ronronnements.
RENDONS À CÉSAR CE QUI EST À CÉSAR
Le premier acte a été co-écrit par Damien et un autre auteur qui souhaite conserver l’anonymat. Le second et troisième acte ont été écrits par Damien seul.
Le titre et la première réplique de l’acte I proviennent d’une réplique d’une pièce écrite par Marie Ndiaye : « Hilda ».
Bonne journée, Damien.
Ici, à La Réunion, on attend de pied ferme le cyclone Berguitta...
Les images de Berguitta à la télévision étaient impressionnantes. J'espère que vous vivez dans une hauteur et que les torrents ne vous ont pas touchée. Le courant coupé, peut-être ? Après la tempête c'est toujours le beau temps, fort heureusement....
Une invitation à soutenir ma nouvelle 'Le tisseur de rêves' en finale du Grand Prix.
http://short-edition.com/fr/oeuvre/nouvelles/le-tisseur-de-reves-1
Merci d'avance.
Je viens de lire "Le tisseur de rêves". Quel joli titre !
'Je viens chercher Hilda' est une pièce vivante et très bien construite ! C'est bien aussi de proposer des textes avec des formes sortant de l'ordinaire !
Merci d'avoir lu le tisseur et pour votre avis éclairé :-) Bonne continuation Damien et au plaisir de vous lire à nouveau !
http://short-edition.com/fr/oeuvre/poetik/de-l-autre-cote-de-notre-monde
Bien sûr j'ai rendu visite à votre manifeste pour l'humanité et vous souhaite sincèrement bonne chance.
Je vous offre à lire une scénette de théâtre : "Un coin de Parapluie"