Je suis celui qu'on dénomme Bawon!

Toute histoire commence un jour, quelque part.
La radio du bus avait à peine annoncé qu’il était 4 heures PM quand l’accident sur la route de l'aéroport a eu lieu. 8 personnes sont morts ce jour-là . Sous les tas de ferrailles démolis, on voyait se débattre un homme, il s’en est sorti sans trop d’efforts. Il avait les yeux rouges comme le sang, et il respirait nerveusement tel un taureau agacé par un matador. C’était Bawon, le nègre costaud de Delmas 2 dont tout le voisinage redoutait, surement à cause des nombreuses histoires qu’on racontait à son sujet. Il se tenait sans vaciller comme un poteau en béton, et d’une voix grave il grogna: « Je suis celui qu’on dénomme Bawon ! »
Le corridor cinq étoiles, est un petit coin de Delmas 2 qui n’a rien de grandiose comme on pouvait le croire par son nom. Comme la majorité des bidonvilles, il est peuplé par des gens de province, quittant leurs villes natales pour une soi-disant meilleure vie dans la capitale. Il fallait s'integrer dans la ville des brouhahas, où étaient mélangés : écoles, hôpitaux, universités... et toutes les institutions publiques du pays. Avec cette forte concentration, quoi de plus pour te mettre la tête en flamme quand on vit à Port-au-Prince? Dans le corridor, on comptait quelques personnages phares comme pè Senmak, le plus ancien. Atteint d’Alzheimer, il chasse tous les quart-d’ heure son petit-fils de sa maison en criant ô voleur ; mant Gilèn, la fervente protestante qui passe des heures à chanter pwen à l’encontre de Marie, la femme prétentieuse qui voyage très souvent à Saint-Domingue et qui surnomme son fils clair mais nègre, ti panyòl. Et Bawon, l’homme qui passe la majeure partie de son temps à tromper la mort. On raconte qu’il est intouchable, et invincible. C’est l’homme qu’on invoque pour les enfants rebelles, pour mettre fin à une bagarre ou pour donner une raclée, pour transporter un poids lourd, et également pour défier les mauvais airs de la nuit. En gros, c’est le super héros du corridor.
En entrant chez lui après l’accident, Bawon provoquait une curiosité immense dans tout le voisinage. Ses vêtements étaient déchirés et tachés de sang. Ça se voyait qu’il avait encore échappé à la mort, ce qui n’a donc choqué personne car c’est devenu une habitude. Ce qu’ils voulaient savoir, c’était de quel évènement s’agissait-il cette fois. Bawon  rentra directement chez lui, et prend une longue douche tout en sachant qu’il laisse ses voisins et voisines sur leur faim. Cette idée l’amusa. Quand il sortit enfin, il était 7 heures du soir. Il plaça une chaise sur la galerie, et cria : « donnez-moi un bon trempé et une cigarette ! » mant Gilèn fut la première à courir vers la boutique la plus proche, elle revient avec une poche de cigarettes et une bouteille de clairin bien remplie. Les gens se rapprochaient devant la maison de Bawon bloquant ainsi l’étroite ligne qui sert de passage au corridor. En guise d’introduction, Bawon demanda: « qui a écouté les nouvelles cet après-midi ? » les gens parlaient de politique, de sport, des nouvelles étrangères... mais ils semblent tout ignorer de l’accident. Un peu déçu, Bawon leur informa qu’il a eu un accident sur la route de l’aéroport.
- Il y avait une femme à côté de moi avec son enfant âgé à peu près de huit ans. Elle était près de la fenêtre avec son enfant sur les jambes. Ils sont tous morts. J’avais la cervelle du gamin sur ma poitrine ! affirma Bawon. 
Il prit une gorgée du trempé et fuma une cigarette. Entre-temps les gens restaient accrochés sous sa bouche comme une barbe, attendant la suite du discours.
- Moi je vous le dit, continua-t-il. Je crèverai quand le tout-puissant là-haut en décidera. Apres cela, aucun charognard d’ici-bas ne peut m’atteindre! Cet accident n'était pas un hasard mes ami(e)s. c’était une expédition. Et je sais qui est derrière tout ça !
- Mais quel ignorant a pu bien commettre une telle arrogance? demanda mant Gilèn toujours sur sa soif.
- un imbécile qui était chargé d’une construction. S’empressa de répondre Bawon. L’ingénieur le suspecta de voler les matériaux, il l’a donc renvoyé. J’ai été embauché à sa place. Voilà pourquoi il a voulu ma mort.
Il prit à nouveau une gorgée d’alcool avant de continuer, « Je pourrais lui retourner son expédition, mais j'ai pensé à ses enfants, il en a 5. Ils ne sont pas responsables d’être sortis d’une verge d’un sans pudeur. Toutefois, il faut que je lui fasse payer. Il perdra un bras dans un accident. »
L’un des voisins lui dit alors que s’il perd un bras, il ne pourra plus prendre soin de sa famille. Voyant qu’il avait raison, Bawon demanda alors qu’on lui propose quelque chose d’autre. Mant Gilèn allait prendre la parole, mais Bawon l’interrompa illico: « Tais-toi Gilèn ! On a trop remis à Dieu. » Alors Marie s’exclama : « rends-lui impuissant au lit, comme ça sa femme cessera d’être une pondeuse! » Tout le monde s’esclaffa et se mette d’accord. Marie en profita pour parler de sa vie,
- je n’ai que ti panyòl. Malgré cela il me coûte beaucoup. La vie est trop dure pour avoir autant d’enfants. Moi je dois offrir un maximum de bien-être à mon seul fils, il est chez les frères et je pai...
- tchuipsss! Bawon Qu’est-il arrivé à l’enfant à côté de toi dans la voiture ? demanda rageusement mant Gilèn.
-Je viens de dire qu’ils sont tous mort Gilèn, répond Bawon.
« Il fallait bien que cette prétentieuse ferme son clapet ». Pensa mant Gilèn satisfaite.
Il était maintenant 9 heures du soir, chacun pensait à regagner leur coin. Bawon regagna le sien. Épuisé, il s’est écroulé sur son lit. En attendant que vienne le sommeil, Bawon repensa aux évènements de la journée. Ca lui arrivait de penser à sa mort. Il est déjà passé à plusieurs reprises par des coups de couteaux, des balles, le poison, le wanga, les accidents... aucun d’entre eux n’avait marché. Puisqu’il était si fort et résistant, ça lui était pénible d’imaginer sa mort d’une façon trop ordinaire. Pendant qu’il pensa à sa fin, il aperçut tout à coup dans le noir une silhouette dans un recoin de la pièce. « Qui est là ? » demanda-t-il  nerveusement. C’est peut-être en pensant trop à la mort qu’il a fini par l’invoquer. Frénétiquement il se saisit de son portable et alluma la lampe torche. Ce qu’il a vu le laissa perplexe. Un homme au visage pâle, mouillé de la tête au pied. L’eau dégoutait de ses vêtements. « Qui t’envoie ? » demanda Bawon. « Reginald ? » répond l’étranger d’une voix maussade. En écoutant cela,  Bawon fut pris d’un frisson. Personne (sauf les gens très familiers) n’avait su son vrai nom. Il se dressa du lit furieusement, « qui es-tu ?, bon sang!» L’homme se mit à s’avancer vers lui. Voyant son désarroi, Bawon poussa un cri qui lui fait sursauter aussitôt. Il était déjà jour. Son cœur battait si vite qu’il pressa sa poitrine, comme si son cœur tentait de s’échapper. Il se leva entièrement du lit, pour être sûr d’être sorti de son cauchemar. Une fois debout, il n’avait pas fini d’être surpris, il y avait une flaque d’eau dans dans un recoin de la pièce où se tenait le visiteur. Impossible de supporter un instant de plus dans cette chambre. Il décida donc de se rendre chez Béatrice, Sa grasse grimelle à la poitrine imposante et aux fesses rebondies. Cette dernière a toujours été le remède à tous ces maux. Elle est la seule à connaitre une partie de lui que beaucoup d'autres ignorent. Le Bawon romantique et sensible, le Bawon qui peut être extrêmement jaloux et impulsif. Un jour il a même cassé la mâchoire à un cousin de Béa, bien avant qu’il lui soit présenté. Béa c’est sa femme-chance. Depuis qu’ils sont ensemble, il trouve pas mal de jobs, et gagne très souvent à la loterie. En outre, Béa est une fille d’Erzulie...
En rentrant chez lui, Bawon fut arrêté en chemin par Gilèn, qui lui demanda s'il se porte bien. Cette femme l’a toujours donné une attention particulière. Bawon pourrait bien opter pour une aventure, mais il se trouve que Gilèn n’est pas ces genres de femme qui lui mettent de l’eau à la bouche. Il s’empressa de gagner sa niche car le soleil commençait à lui brûler la peau. Une fois chez lui, il se coucha et se met à penser de nouveau à sa gonzesse. Si sa mère était encore là, elle l’aimerait surement, se dit-il. Il se rappela que sa mère avait cette habitude de décrire les vices des habitants de chaque région du pays. Mais Bawon ne l’avait jamais entendu dire du mal des femmes de Jacmel. Sa mère parlait même des défauts des habitants de sa région, en affirmant qu’il n’a pas pire sorciers que ceux de l’Artibonite. Sur ce, elle n’a pas épargné son propre frère. Cet oncle fut la seule figure paternelle que Bawon ait eue. Quant à son père, il ne l’a jamais connu. D’après ce qu’on lui a raconté, il était parti en mer pour l’exil en le laissant à sa mère, alors qu’il avait que 4 mois. Dès lors, on n’a jamais entendu parler de lui. Selon quelques pécheurs de la région, ils auraient vu son cadavre flotté sur la mer. A ces pensées, un courant parcourra tout le corps de Bawon. « L’homme trempé », murmura-t-il confus. « Et si c’était vraiment lui ? Mais pourquoi lui après tout ce temps, et au moment même où je pensais à ma mort ? Qu’a-t-il à me dire ? Est-ce que cela signifie que moi aussi je serai mort en mer ? » Telles furent les questions qui tournaient sans cesse dans sa tête. La noyade est peut-être la pire des fins. Brulé ou haché, on peut crier ou hurler afin d’expulser un peu  de sa souffrance ; mais quand on est mort noyé, tout reste dedans ; indubitablement c’est plus douloureux », raisonna-t-il. Il n’y a pas pire torture quand on essaie de suggérer sa propre mort. « Vaut mieux qu’elle nous rattrape quand on n’y pense pas, c’est moins embêtant. » Conclut-il finalement. Et avant de sombrer dans un sommeil profond, il dit d’une voix presqu’endormie : « Je t’emmerde vieux ! T’as pas été la durant toute ma vie, je ne voudrais pas que tu y sois pendant ma mort.»
Le lendemain, Bawon fut réveillé par des voix d’enfants jouant devant sa maison. Dérangé, il se saisit de son téléphone pour vérifier l’heure, il était dix heures du matin. Il quitta son lit ravi de n’avoir fait aucun cauchemar. Apres sa toilette il se dirigea vers la galerie, et observa les enfants jouer aux billes. Une bille roula dans la rigole, un enfant s’y approche l’air suspect, surveillant surement sa mère, introduit sa main dans le canal où se passent tous les liquides immondes de tout le petit peuple, saisit la bille et l’essuya sur ses vêtements, il s’empressa ensuite d’aller rejoindre les autres. Mant Gilèn s’approcha avec une corbeille. Bawon savait déjà de quoi s’agit-il, du café servi avec du pain.  Ne te dis pas haïtien ou haïtienne si tu n’aimes pas le café. Il dégusta alors avec plaisir son premier repas de la journée. Les enfants prisent dans une querelle commencèrent une bagarre, probablement pour une bille volée. L’un d’eux bouscula un autre, et le metta à terre. Ce dernier marmotta, « c’est à moi que tu peux te mesurer ? Quand Bawon avait donné une raclée a ton père, il avait fait quoi ? Il a préféré plier sa queue. Bande de lâches! »  Cela a fait rigoler Bawon, il se souvient du père du garçon qui s’amusait à déranger tout le voisinage avec une radio qu’il jouait très fort jour et nuit. Tout le monde se plaignait de lui. Un jour Bawon s’introduit chez lui, saisit la radio et l’écrasa au sol. Quand le propriétaire s’interposa, Bawon le prit par les épaules, le secoua assez fort pendant une bonne dizaine de minutes. Quand il le lâcha enfin, il ne pouvait plus se tenir debout. Ce voisin l’avait menacé de porter plainte, et de lui envoyer un mandat ; mais la peur était tellement grande qu’il a dû capituler. Les enfants rejoignent Bawon dans son rire moqueur. Ils en profitent pour laisser le jeu et allaient s’empiler sur sa galerie. ils étaient cinq environ. « Pourquoi on t’a nommé Bawon ? » demanda l’un d’eux. Bawon se cala sur sa chaise et leur demanda en retour : « que savez-vous à ce propos ? » Un autre répondit que Bawon c’est un démon qui vit dans les cimetières et qui se nourrit de la chair des morts.
-Baliverne! Rétorqua Bawon. Bawon c’est le premier homme enterré dans un cimetière. Une fois être le premier, il devient le gardien de toutes les âmes du cimetière. Dit-il, comme s'il parlait à des adultes.
- Et il n’y a pas que moi comme Bawon les amis ! Il ajouta en haussant la voix : « Il y a Bawon Samedi, Bawon Lacroix, Bawon grand chemin, Bawon Tonnerre, Bawon Mazaka Lacroix, Bawon Zoupimba, Bawon Kriminèl... J’ai donc des frères ! S’exclama-t-il en ricanant. Ses auditeurs n’avaient pas l’air d’apprécier la blague. Voyant la peur dans leurs yeux, il décida de les surprendre davantage, « voulez-vous que je vous raconte une histoire? » Les enfants d’un air hésitant fassent un oui de la tête. Bawon avala d’un coup le reste de son café et débuta : « Quand j’avais à peu près vos âges, on m’avait vendu à une société secrète. Ma mère et mon oncle ont décidé de m’emmener dans un cimetière  à minuit pour me traiter. On m’avait installé dans un petit cercueil... Mon oncle à mener mon enterrement comme un prêtre. Les enfants écarquillent davantage les paupières. Bawon regarda dans le vide, comme s’il essayait de décrire une scène qu’il regardait à l’instant même. « Il y avait des bougies tout autour de moi. Une fois mis au trou, mon oncle m’envoya dessus 6 pelles de terre, tout en faisant une longue prière. Et ensuite il m’a déterré, et me passe à ma mère qui elle, m’a frictionné tout le corps avec des feuilles. » En partant mon oncle nous a dit ceci : « ne parlez à personne au long du chemin, et ne regardez pas derrière vous! » Bawon fixa à présent les enfants d’un air menaçant, se penchant vers eux et hurla : « je suis Bawon le mort-vivant! Qui peut tuer celui qui est déjà mort, hein? » Prisent de frayeur, les enfants se mettent à courir. Bawon s’imaginant que ces enfants vont passer la pire nuit de leurs vies, se met à rire cruellement à la manière d’un personnage maléfique d’un dessin animé.
Exténué, Il s’est donc levé de sa chaise, s’étira, baya, et regagna sa chambre. Comme il avait la gorge sèche, il versa un peu d’eau dans le gobelet de mant Gilèn, sans prendre la peine de le rincer. Il avala une grande gorgée qui l’étrangla. Il toussa bruyamment. Dans l’espace d’un moment, le puissant Bawon était en train de s’étouffer. Voyant la gravité de son malaise, il renversa son gobelet d’eau, et essaya en vain de prendre son souffle. Apparemment l’eau à fait fausse route, elle semble avoir emprunté la route de l’inattendu, la route qui mène au destin de tous mortels. Apres quelques minutes, Bawon était resté allonger  au sol, raide comme un morceau de bois. La main droite trempée dans une flaque d’eau, juste là, dans un recoin de la pièce.