Je présenterai ce papier

Toute histoire commence un jour, quelque part. Comme toute histoire digne de ce nom, mon histoire possède sa variante romantique, couleur mauve-vermeille. Alors voilà, Lévis Ekandié, taulard, fiancé, séparé de sa fiancée et sans enfants. Lucie qu’on appelait ma fiancée. Lulu que je disais, pour paraitre bourgeois, français, hautement et faussement raffiné.
Lulu était une fine fleur, fine pour dire petite, inapercevable comme une brise légère un midi de saison sèche en plein nord du pays. Elle était timide, très timide mais aimante et compréhensive. Ce fut d’ailleurs la seule qui m’accepta quand ma calvitie pointa, sans crier gare et que ma poche ne cliquetais plus quand on la retournait à la recherche de pièces, la seule qui accepta d’accepter mes caprices, d’accepter ma lâcheté quand même, parce que je suis assez lâche, assez redondant, parce que j’aime caracoler sur les mêmes ragots, parce que je m’excite trop quand il y a séance de débat, d’ergoteries et autres politicailleries, parce que je suis comme ces vieux bedonnants assis sous des palmiers les dimanches soirs c’est-à-dire étriqué, bavard, coquin, à la différence qu’ils ne sont pas étriqués, eux !

Donc Lucie, Lulu, ma poule, raffolait de ce que j’appelle ma tour de pise. On le faisait matin, midi et soir. On était insatiables, virevoltants. Elle me disait que jamais elle ne trouverait un homme comme moi, un dindon comme moi, un alpha-mâle comme moi. Et moi, ça flattait mon ego, le nourrissait, le polissait chaque fois. Je souriais chaque fois avec cet air prétentieux qu'on ne décrit plus. Et après, je la grimpais comme il faut c'est à dire quatre à cinq fois avant le dîner. On vivait donc de cet élan lascif en espérant qu'il serait sempiternel. Mais bon, l'homme propose, Dieu dispose.

Mes malheurs commencèrent un midi de saison sèche parce que les malheurs ne viennent qu'en cette saison là c'est à dire secs et sans pitié.
Donc, le soleil brille haut dans le ciel, odeur de sauce-poisson, poisson frit, riz, sauce-légumes bifurque dans l'air. Je propose à Lucie de partir déjeuner avant de revenir à nos préoccupations érotiques, avant que je n’aille fureter entre ses fesses.
Lucie, enseignante du primaire est en congé donc on profite du temps pour sortir, pour paraître normaux. On s'assoit et je décide d'aller pisser un coup parce qu’il faut toujours aller pisser après la chose, sinon ce n'est pas trop bien. Je sors donc pour me décharger ; quelque part aux alentours, il y a l'orée d'une brousse. Je suis là, sous un soleil condescendant, sortant mon truc, ma tour de pise et si tu me suis bien depuis le début, tu sais bien qu'il en faut pas trop pour que ça pointe, pour que mon truc là exhale.

Soudain, je ne sais comment, une antilope, une sirène, une femme sublime, une créature à la carnation d'argile se matérialise dans mon viseur. Et les belles femmes comme ça, on ne détourne pas le regard sinon ce serait manquer de respect à Dieu, ce serait insulter le travail de Dieu, ce serait insulter son art. Alors je me tourne pour voir qui c'est, pour voir qui c'est qui a des fesses tendues comme ça, qui c'est qui a une hanche obsédante comme ça et comme j'espère que tu me suis depuis le début, ma tour de pise est incontrôlable, elle s'est enflammée. Elle s'est étirée d'un bond, elle a répondu à l'appel du zénith, elle s'est « fléchée » comme j'aime dire. Elle a balancé dans le vent. Comme j'étais dans une place pas privée du tout, quelqu'un a crié « tu n'as pas honte? La petite fille là! », et moi ça m'a surpris, ça m'a mis dans une situation embarrassante, ça a dû être plus excitant pour ma tour de pise parce qu'elle a encore durci et qu'elle ne rentrait pas dans la culotte. Et donc cette personne a encore crié « Tu es sérieux là? Tu t’excites sur la petite Awa comme ça. Elle n’a que dix-sept ans, sale pédophile! » Et ce dernier mot a attiré l'attention de tout le monde. Et moi je me suis retourné pour faire taire cette personne qui racontait des inepties, lui mettre une claque, parce que je n'aime pas trop qu'on débite des conneries. Et là je remarque que cette personne c'est Lulu, ma poule, que j'ai envoyé valser avec une claque venue d'ailleurs, une claque incontinente. Je me suis fait huer, on m'a insulté, Lulu pleurait me rejetant, la police est arrivée et on m'a taxé de sale pédophile puis Lulu a acquiescé et on m'a envoyé en taule sans vouloir comprendre ce qui se passait.

On m'a donc envoyé dans cette cellule, la cellule des pédophiles qu’on la surnomme, où il y avait déjà trois autres personnes. Je dois dire que ces trois personnes, ces salauds, parce que je ne comprends pas cette orientation sexuelle, ce vice que je considère comme contre-nature, m'ont accueilli avec tout l'amour du monde! Ils m'ont dit que je n'avais pas à pleurer, que je n'avais pas à souffrir de ce que les gens n'arrivaient pas à comprendre, que le monde était comme ça, que même Dieu ne saurait m'aimer comme ils le feront, qu'il n'y a qu'un pédophile pour en comprendre un autre. Et moi j'ai remis les points sur les i, je leur ai raconté mon histoire même si elle est loufoque, et je leur expliqué que je ne m’attendais pas à ce qu'ils me croient mais qu'ils comprennent que je n'étais pas comme eux! Et là, l'un d'eux avec son visage famélique, sa tête de monsieur-je-suis-intelligent-et-je-suis-conscient-de-mon-libre-arbitre m'a dit que j'étais un faux-type, un faux dévot, un connard, quelqu'un qui se ment à lui-même, que personne ne pourra m'aider mais qu'au moins je croupirai dans cette cellule avec eux, qu'on m'oubliera ou du moins qu'on se rappellera de Ekandié le pédophile et que je ferai mieux d'être comme eux, c'est à dire un pédophile, que je m'assume plutôt que de me perdre en tartuferies. Alors, je l'ai envoyé mon poing dans la figure, un poing tel une braise, je l'ai laminé comme on dit ici sans qu'on ne vienne me retenir. Je le laminais et monsieur-je-suis-intelligent-et-je-suis-conscient-de-mon-libre-arbitre m'a laissé faire, bien qu'il en prît quand même assez pour son compte. Et puis après cette échauffourée des cœurs, je me suis senti mieux, je me suis mis dans un coin de la cellule nauséabonde et les autres ont continué à bavarder comme si rien ne venait de se passer.

Quelques heures plus tard (le soleil s'était déjà couché), Lulu est venue me voir devant ma cellule. Je ne sais pas si elle avait le droit mais le garde derrière froissait un billet entre ses mains. Il n'y avait que les barreaux qui nous séparaient. Je me suis senti petit, humilié dans cette cage. J'avais l'impression qu'elle me regardait de haut et qu'elle m'en voulait aussi! Même que ses traits étaient tendus et qu'elle n'arrivait pas à sortir grand-chose de sa bouche. Pour l'avoir si bien connue, je peux dire qu'elle était triste, contrariée, que ses émotions dansaient la zumba, la kompa, le ndombolo, qu'elle ne savait même plus où elle en était et que je n'avais jamais vu une femme dans cet état. Pour mettre terme à ce monologue silencieux et pour garder le dessus, parce que oui je me devais de garder la situation en main et ne pas être le dominé, je lui ai dit que c'était sa faute, que j'étais là à cause de sa jalousie insensée. Et elle, se livrant à une colère véhémente m'a balancé des choses dures, des choses qui blessent même quand vous êtes un salaud et puis comme elle était une sacrée intellectuelle quand même, elle disait des choses que je comprenais pas et que je n'ai jamais d'ailleurs compris. Et pendant qu’elle pérorait, ce qui a coupé le cordon nous liant, c'est que mes compagnons de cellule riaient à ce que je ne comprenais pas, monsieur-je-suis-intelligent-et-je-suis-conscient-de-mon-libre-arbitre riait aussi, il riait aux éclats dénotant ainsi mon inintelligence et me traitant par bribes de rires, d'acculturé. Ce fut la misère pour moi pendant vingt-cinq minutes.

Je me rends compte maintenant que notre histoire n'avait rien d'extraordinaire, que dans le monde, des couples lascifs à en perdre la raison il doit y avoir un tas, que ce n'était pas forcément spécial entre nous, je me suis mis à comparer l'idylle de Maria et José dans ce télénovelas qui passe en fin de journée, je me suis mis à comprendre qu'il n'y avait pas tellement de feu et sur le coup, ça m'a énervé, je me suis dit que j'avais encore perdu du temps à chercher l'amour au lieu de me trouver un travail, qu'il fallait tout recommencer maintenant! J'ai arrêté de penser parce que j'avais compris que le temps c'est de l'argent et j'ai crié « stop ». Un « stop fulgurant », un « stop » qui aurait fait sursauter une fourmi dans cette cellule de la honte. Et sous les regards évasifs de mes colocataires, Je lui ai dit qu'elle pouvait aller se faire foutre, que c'était fini entre nous, que maintenant, il n'y aura plus de tour de pise pour elle. Je lui ai ordonné de rendre témoignage pour me sortir de là, je voulais être dehors dès lors, je lui ai ordonné de raconter la vérité et sa jalousie inconnue, je lui ai dit qu'après ça on se quitterait, qu'elle n'avait plus d'importance à mes yeux, en tout cas pas plus qu'une merde de mouton puis j'ai rugi un « est ce que c'est bien compris? » Elle a acquiescé en sanglotant. Elle respirait difficilement. Elle est partie.
Personne n'est venu me libérer. Et mon séant a connu le sol de la prison pendant toute la nuit.
Le lendemain matin, quand les rayons de soleil ont pénétré la cellule, quelqu'un est venu me voir. Un policier replet à qui personne n’envierait la calvitie y compris moi-même, le visage à moitié endormi, nous a réveillé avec sa baïonnette et m'a annoncé que Lulu, Lucie, ma poule était morte, suicidée!

Il a dit que c'est au bout d'une corde autour de son cou qu'elle avait effectué le saut dans les abysses, qu'elle s'en était allé pour une nouvelle quête.J'aurais voulu lui dire qu'un tel euphémisme n'avait pas lieu d'être ici, devant cette cellule des pédophiles mais une tristesse inconnue m'immergea et pour la première fois, la peur de ne savoir quoi faire s'empara de moi. Je me sentis mal pour Lucie. Même que mes oreilles se mirent à bourdonner tellement fort, mon cœur se mit à battre à la chamade, mes yeux devinrent larmoyants. Mais ce qui me tarabustait plus que tout était le fait que tout cela était un peu de ma faute. J'avais peut-être tué Lucie. Même le plus grand des salauds en serait affligé. Je m'assieds donc pour pleurer, pour montrer au monde ma détresse. Le gardien lui, ayant effectué sa tâche, s'en lave les mains et au moment de se retourner pour partir, se fait interpeller par l'un des trois autres prisonniers. Ce n'est pas monsieur-je-sais-tout, c'est l'un des deux autres, un que je n'avais même pas remarqué, que je n'avais pas vu sourciller de la nuit. Quand il se lève de ce coin de la pièce plongée dans la pénombre, sa silhouette longiligne, squelettique m'horripile. Ce n'était pas de l'étisie dont il était victime cet homme, ce devait être un sidéen tout craché.
Il s'avance à pas tellement légers qu'on citerait une feuille et quelconque bourrasque. Donc cet homme que je ne connais ni d'Adam et d’Eve va parler aux oreilles du policiers à travers les barreaux.
Et juste après, le garde me lance un regard de fauve, un regard destructeur et dégoûté. Et puis comme je n'aime pas ça, je n'aime pas qu'on me défie du regard comme ça, qu'on déshabille mon essence comme ça, j'ai interpellé le squelette, je lui ai demandé de répéter tout haut ce qu'il pensait tout bas!
Et lui, avec son cul qui ne fait pas l'épaisseur d'une assiette a crié, a clamé haut et fort que j'étais un tueur, que j'étais l'assassin de Lucie. Il a ajouté que depuis la veille, je le rappelais quelqu'un, que maintenant cela ne faisait pas l'ombre d'un doute, que j'étais Kempf et Kempf c'est quand même le plus enculé des criminels qu'a connu cette ville, Kempf c'était un salaud de la pire espère, je dirais même que l'anus du diable il ne le mériterait pas cet homme, ce Kempf. Il avait violé, tué, homme, femme, animaux, à des fins sacrificatoires. Il avait volé, terrorisé et crée l'hystérie, la panique, il avait déréglé la quiétude des gens de la ville. Puis un jour il disparut sans que personne ne sache qui il était, sans que personne ne l'ait vu et devenant ainsi une sorte de mythe à louer pour les criminels, pour les reclus de la société. Il était devenu une légende, Kempf étant devenu le nom à ne pas prononcer. Et voilà qu'on me traitait de Kempf, c'était comme si on me traitait de diable. Mais revenons à nos moutons. Je me retins de sauter au cou de celui que j'appelle désormais « Squelette » qui commençait à me morailler encore plus le cœur que monsieur-je-sais-tout. Et ce salaud affirma avoir travaillé pour moi durant des années avant ma disparition. Ce dernier avoua n'être qu'un minuscule maillon de toute une secte que je ne connaissais pas et qui vouait un culte en mon nom. Même que pour y adhérer, ce n'est pas du sang d'animal qu’on utilise mais du vrai sang d'humain. Moi ça m'a effrayé qu'il dise ça. Il a ajouté qu'on était tous témoin de la dispute d'hier. Comment cela aurait pu amener une femme à se suicider? Ses déductions s'embaumèrent de logiques derrière ce ton rhétorique. Je me suis même senti pendant un bref moment dans la peau de Kempf, je me suis permis d'oublier Lulu, ma poule. Sur le moment, cette fausse information glaça le garde. Puis très vite, son attitude changea. Il avait surement compris qu'il pouvait être cette matinée là le porteur d'une nouvelle hallucinante.
Cela créa un tohu-bohu général dans la prison. Kempf était revenu. Même qu'il était plus fort que jamais! Même qu'il avait changé d'apparence ce bougre. Et moi mon silence se changeait en simagrée loufoque. Qui ne dit rien consent.
Pendant que moi, je m'efforçais de faire mon deuil, la nouvelle de la résurrection de Kempf sonna un état d'alerte dans toute la ville. On m'attacha à un arbre dans la cour de la prison. Diverses personnes payèrent très cher pour pouvoir me cracher à la figure. Donc chacun venait à tour de rôle me jeter quelque insanité, petit coup de poing au poing au ventre puis un autre prenait sa place. En moins d'une journée, je devins le souffre-douleur de cette ville, un symbole de vengeance, le symbole de la victoire de cette ville sur le crime. Kempf était fini. Pour eux, ils l'avaient battu. Mais je n'étais pas Kempf. Cependant, dans mon semi-coma après l'armada de coups, je ne pouvais plus contester quoi que ce soit. Bouche enflée n'avait plus de mot à dire. Je pensai à Lulu et je la détestai. Elle était morte suicidée. C'était son choix. Moi, je vais périr sans l'avoir voulu.

Demain, je vais passer devant un tribunal. Je ne parlerai pas, je présenterai ce papier.