Intrusion

Toute histoire commence un jour, quelque part sinon elle n'existerait certainement jamais si ce n'est d'une date, d'un lieu dont on a notamment besoin pour se rappeler à l'auparavant, replonger dans des souvenirs gais ou douloureux qui ne sont que le binôme de la vie, entre joies et larmes, entre bonheur et malheur, dans le monde-caméléon qui change de couleurs au gré des secondes, des minutes, des heures, du temps...
.<< Un jour de 1979 s'étaient vues cueillir dans l'allée claire, de tendres fleurs du matin, des molènes au parfum de la mer argentée se versant sur la roche de la petite plage d'en contrebas où il la trouva toute seule debout face au large, la brume légère traversant sa posture rivée sans doute sur le vol d'oiseaux au dessus des jolis flots ? Sans broncher il était demeuré là derrière la haie fraîchement repeinte sans même s'apercevoir de tâcher ses vêtements, la contemplant comme une toile de maître, le bouquet sommaire entre les doigts frêles...>>.
À peine avait-il parcouru ces quelques lignes d'un roman qu'il venait à peine d'entamer qu'il débuta peu à peu de somnoler avant de s'endormir sur le lit non dressé non sans porter dans un geste étrange, la main à l'interrupteur, dissolvant la lumière jusque là vive dans la lourdeur du noir. Il pouvait ainsi l'on ne sait volontairement ou pas se réveiller assez tard généralement autour de treize heures pour ensuite allumer la télévision faire le tour des débats politiques et autres documentaires avant de fondre comme s'il n'avait que trop longtemps réprimé un désir trop incandescent et tel un ogre vers l'étroite cuisine pour débusquer quelque chose à manger dans un rituel tout instinctif ? Qui surprenait d'autant plus que son appétit pas très habituel l'amenait très souvent à vider sa marmite en quelques heures seulement et ses provisions de manière prématurée. S'il en trouvait, il s'y mettait voracement et si tel n'était pas le cas, alors il s'habillait désordonnément pour se rendre chez sa mère, veuve depuis une dizaine d'années et qui vivait tout près pour avoir absolument quelque chose à se mettre sous la dent en profitant du moment pour se plaindre entre deux cueillerées de tous ces problèmes qui selon lui le saoulaient au point parfois de l'agacer dans ce qui était devenue une chanson routinière. Il se plaignait de ses nombreuses maladies imaginaires ou réelles, de ses ennuis spirituels et surtout de sa solitude, chose qui ne manquait pas de mettre le feu aux poudres. Déjà, il avait eu à se séparer orageusement d'une amitié ? sur ce même sujet de sa solitude le hantant intersectivement, lui qui semblait partant d'une opinion devenue conviction plus inspirer du dégoût aux filles que de l'attirance voire de l'élémentaire attention. Le fait que son vis à vis eut au cours d'une discussion bientôt pas chaleureuse indexé son comportement suivant ses propres termes "peu commun et bizarre" très vite lui avait amèrement déplu et il choisit de couper les ponts tout net tout en se faisant une idée définitive ? Des relations de cette nature dans lesquelles il espérait trouver un équilibre émotionnel nonobstant absent, la douceur de sa mère lui paraissant incomplète et même pas tellement sincère. En réalité, il avait un tempérament et une personnalité difficiles que cette dernière dans leurs fréquents échanges houleux qualifiait " d'invivable " .
- À part ta grande soeur et moi dis-moi qui est-ce qui peut encore te supporter !?
Lancait-elle entre deux phrases. Blessé dans son extrême sensibilité qu'il dissimulait toujours sous une nervosité quasi permanente, son intelligence le conduisit néanmoins sans songer un seul instant de rencontrer un psychiatre à tirer des conclusions de son état qu'il trouvait désastreux et décadent, le présentant longuement dans de curieux monologues partout où il pouvait être seul, devant un miroir de préférence, s'il n'appréciait que sa propre compagnie dans un égoïsme dépité né de ses expériences infortunées d'avec l'humain. Refoulant ponctuellement des tendances suicidaires qu'il se gardait prudemment de partager et supportant que très mal le contact visuel, physique et la place publique lui dont les sorties se réduisaient à la stricte nécessité, il se disait à la fois évitant, bipolaire, schizoïde, somme toute socialement inadapté pour se donner des non-raisons de plaire au monde extérieur qui ne lui suscitait que dépit et amertume dans cette critique de la modernité et de l'ordre sociétal qu'il affectionnait tant, n'étant que devenu conservateur ceci sur une kyrielle de questions.
Et même s'il en souffrait quotidiennement de cet handicap de l'esprit et de la psychologie, il parvenait également en revanche par une alchimie complexe à apparaître au milieu de tous, dans la distance, un acte de présence sauf.
Ayant intégré plusieurs groupes sur facebook sur la santé mentale où en dehors de s'y sentir comme dans un havre apaisant et sécurisant, le sentiment de faire partie d'une vraie famille loin de la logique du jugement constant l'animait tout autant. Il s'y permettait ainsi librement d'ironiser sarcastiquement sur son environnement.
03h 06. << En Afrique, le malade mental ce n'est qu'un dément, un fou, un possédé dans certains cas ! C'est celui qui a définitivement perdu la raison ! Qui marche tout nu dans la rue, mange dans la poubelle et tient des propos incohérents, un irrécupérable rien de plus ! L'imagerie a la peau dure et douce simultanément car elle heurte et elle plaît ! Que cela ne change surtout pas et que les préjugés persistent ! >> concluait-il dans un humour connoté avant de recevoir sous cette publication, un florilège de likes et de commentaires attristés, compatissants et réconfortants ? Il enviait par ailleurs beaucoup ses interlocuteurs des pays du nord à l'origine de la majorité de ces forums dédiés et où la perception était plutôt différente avec des mentalités plus évoluées et libérales concernant ces pathologies d'un genre particulier et invisibles du premier coup. Néanmoins il fallait continuer de vivre quoiqu'un nouvel épisode dépressif pointât sous peu à l'horizon. L'irrégularité de la petite retraite de sa génitrice qui vieillssait inexorablement et les mandats amplement espacés d'une sœur aînée établie dans un des États baltes et dont on avait plus de nouvelles depuis près d'une semaine maintenant givrait, encore que c'est elle qui paie le loyer et les factures tout en subvenant à tous ses besoins de gaillard désoeuvré, paresseux et instable. Au milieu d'une anxiété cette fois-ci accrue par cette crainte et qui tendait de lui ôter toute confiance intérieure, il aura écrit des poèmes surréalistes toute la nuit sans discontinuer d'une énergie apparente jusqu'à ce que son cerveau s'épuise comme à l'accoutumée en lui imposant une sieste invoulue, il ne parvenait pas à noyer ses yeux dans un échappatoire sans trop savoir pourquoi. Il le savait, ses faiblesses l'avaient rendu ultra dépendant de sa propre impuissance et de plein d'autres choses ajouté au fait d'être vulnérable arrivant à se considérer comme un parasite inutile, une sangsue hématophage, un gâchis qui bientôt allait dissoudre par le néant. Il maudissait l'hégémonisme et son défaut profond de perspectives qui sacrifiait tant de générations. Comme une hallucination sous la pleine clarté du soleil le regard ouvert, il se voyait dans un purgatoire désert où il était l'unique souffle errant en train de ramasser sur un sol inexistant, des prières anonymes qui préconisaient le pardon pour son existence terrestre idiote et stupide rien que ça, pour se trouver ensuite à voyager dans des univers parallèles où l'épouvante donnait des ailes. Le trois pièces de sa maman dont elle ne fut propriétaire était bien trop exigu pour vraiment s'y projeter adieu l'amour ? Il ne rêvait plus de la jeune innocente qui allait lui sourire pour l'éternité en lui donnant ce supplément d'âme, ces ressources nécessaires pour se battre, se surpasser, devenir responsable et espérer que demain puisse s'illuminer ? dans un désormais normalisé ? .
Une bonne partie de la journée reclus et faute de nourriture, il s'était ramené exténué comme s'il avait fait des séquences interminables d'un travail manuel qu'il haïssait de toutes ses forces jusqu'à ses membres osseux et son coeur de verre ! J'ai besoin d'argent, qu'on m'accepte, qu'on m'écoute qu'on me comprenne ? enfin dire les prémices de ce naguère qui n'est pas que mien, il est à nous. Pourquoi ce père avait-il semé l'orée du mélodrame ? Pourquoi 1988 ? La rudeur du verdict d'examens médicaux et par après, la désinvolture de la déchéance du destin qui vient de nulle part ? Des symptômes tous redondants avaient emprisonnés sa faculté de concentration dans la fulgurance d'un processus de mort lente ? Il aimait bien lire mais cela relèvait hélas d'un charmant passé cette passion acquise ou innée ayant soudainement changé si le présent lui pouvait déchiffrer la teneur de l'écriture paraphysique de cette triste réalité ? Dans un obscur tiroir, il avait foutu ce volumineux roman pour ne plus jamais l'ouvrir. Cette transformation fastidieuse et étalée commençait sous une averse par une journée de juillet quatorze ans en arrière et il blâmait en y venant dans une remémoration silencieuse cette soirée qu'il faisait source de tout ?