Un jour, je les ai rencontrés. Dans un club de cinéphiles. Je les ai vus là sur l’écran, eux que j’aimais depuis si longtemps . Lennie d’abord, mon innocent préféré, mon antihéros, un... [+]
Aujourd'hui ce prénom est beaucoup moins fréquent . Ses parents l'avaient choisi cependant pour des raisons profondes. Ils étaient Bretons de souche et de cœur et leur idole à eux était René de Chateaubriand, âme du château de Combourg, génie qui traverserait les siècles.
René Le Delmat ne devint toutefois pas écrivain mais médecin de campagne, selon la hiérarchie du milieu.
Il était né bon et drôle grâce à sa mère à laquelle il avait par ailleurs emprunté ses yeux d'un bleu intense. On n'est pas Breton si l'on ne possède pas une couleur atavique, celle de l'âme de la mer.
Les circonstances de la vie firent cependant que le jeune-homme , après avoir prononcé le serment d'Esculape, se retrouva en fonction en Bretagne intérieure. Il adorait lire et c'est ainsi qu'il devint l'ami de mes parents qui tenaient la librairie de la petite ville dans laquelle il exerçait.
Si je pense très fort à lui aujourd'hui c'est parce que j'ai rangé mes armoires à documents et que j'y ai retrouvé un dossier qu'il m'avait confié, par affection. J'étais toute petite, toute jeune et pourtant il m'avait dit et je m'en souviens: - Je te le donne celui-ci, ma petite chérie, parce que je ne veux pas brûler tous ceux qui s'y trouvent et se sont adressés à moi un jour.
J'avais rangé la chemise beige contenant de nombreuses feuilles dactylographiées ou manuscrites sans même y jeter un coup d’œil.
Aujourd'hui, j'ai ouvert et lu.
Il s'agit de mots tendres et drôles rédigés sous forme de notes séparées par des titres courts. Je ne résiste pas à l'envie de vous en confier quelques extraits.
En souvenir de cet homme toujours souriant et extrêmement attentif aux autres, je vous en livre quelques passages. Voici les paroles ou confidences de ses patients dans un monde très difficile à imaginer aujourd'hui où la science médicale nous est inoculée par télévision interposée, dans un lieu où l'on comprenait mieux le Breton que le Français. Je pense que tu en serais heureux, René,pour tes patients et pour toi, sinon pourquoi m'aurais-tu confier ce document ?
Les troubles génito-urinaires
-Je suis sûre que mon mari m'a refilé la prostate.
-Si j'urine de loin ? Ça dépend où je fais. Je ne peux pas traverser un mur mais en corrigeant le tir, jusqu'ici j'ai eu du succès.
-J'ai des brûlures au vagin. Et mon mari aussi a des démangeaisons au sien.
-Mes débarquements sont arrêtés. Ils se sont arrêtés parce que j'avais mangé une glace.
-Ma fille ne veut pas être enceinte car c'est beaucoup trop long.
-Enceinte!... Auquel je vais dire ça?
-Madame, avez-vous des bouffées de chaleur?
- Oh, vous savez, je souffre un peu de tout, je regarde pas si c'est chaud ou si c'est froid.
-Ma voisine a eu un kyste congénital. Je souffre comme elle, mais je ne crois pas que le mien soit aussi bas.
-Par erreur mon voisin avait pris une drogue pour mettre les vaches en chaleur. Il courait partout. Il voulait embrasser la femme du Maire. Il avait perdu l'oraison.
-Docteur, vous êtes tenu au secret. Où puis-je trouver une femme avec de l'argent? La mienne ne veut plus.
-Souffrez-vous, Madame, lorsque vous avez des relations avec votre mari ?
-Oh, vous savez, Docteur, nous ne fréquentons pas grand monde.
Les troubles de la nutrition.
-Mon poids? 115 kilos, en gros.
-Je suis forte, mais pas grosse.
-Pour le régime je suis sérieuse, hardie.
-Mons poids? Vous savez, je n'ai trouvé personne pour me rouler.
-Me peser, comme ça? Je suis venue en tous les jours!
-Si je bois de l'alcool? Ah!non! Du vin, oui.
-Je ne bois pas beaucoup mais je bois souvent.
-Mon mari ne supporte plus la boisson. Avec deux demis, il est complet.
-Mon mari raconte à lui-même quand il boit.
-Quelle quantité de vin buvez-vous chaque jour?
-Deux et demi.
-Deux verres et demi ?
-Deux litres et demi !
Les certificats
-Il me faudrait un certificat pour donner à ma femme, attestant que je dois avoir un fauteuil pour m'allonger après les repas.
-L'homme de l'assurance, c'est une femme.
-Je viens chercher le permis d'enterrement.
-Docteur, auriez-vous l'amabilité de me délivrer un certificat attestant que je suis devenu aveugle par vos bons soins?
-Donnez-moi un certificat pour dire que je ne peux pas la boucler.
-Quoi?
-La ceinture de sécurité. Si on ne la boucle pas, on se fait boucler.
-Je viens pour être enceinte.
-Docteur, je veux un certificat pour dire que je suis enceinte de mon fiancé et que je n'ai pas été avec plusieurs.
-Je voudrais une nouvelle feuille de maladie. J'ai dû laisser l'autre sur votre comptoir l'autre jour.
-Docteur, voulez-vous refaire ma feuille de maladie? Il y a un carreau de cassé dans ma cuisine et un rouge-gorge a souillé votre feuille.
-Je voudrais être estampé des cotisations aux collations familiales.
-Pour ma retraite, j'ai mis le maire en branle.
-Ma femme est morte! Est-ce que je ne peux pas avoir une prime mortuaire?
-J'ai eu la blennorragie en Allemagne. Puis-je avoir une pension ?
L'examen
Je veux bien me déshabiller, Docteur, si vous avez un peigne.
Se déshabiller? Tout en l'air? J'ai toute une fourrasse.
Je suis bourrée!
Faut-il enlever mon porte-pis ?
Voilà, Docteur, je suis nue. Faut-il enlever mes boucles d'oreilles?
Je suis déshabillée, Docteur. Prenez.
Dites trente-trois en roulant les R.
33, en roulant les R ; 33, en roulant les R...
Oh ! C'est pas la peine de me sculter avec votre téléphone !
Ça va mieux quand vous m'avez visitée. C'est plus clair.
Qu'est-ce que je vais prendre pour pousser la tension dehors ? J'ai pas la chance.
Est-ce que je peux prendre ma tension sur le compte de la consultation de mon mari ?
Je suis anémiée, il faudrait me faire une rénunération globulaire.
J'ai l'intendance à l'anémie et le cholestérol généralisé.
- Je n'ai pas le groupe alphabétique. J'ai le groupe O.
- Je suis un homme de fer, 280, je crois. Pas d'épinards pourtant. Rien que du pinard.
-Vous me dites que ma prise de sang est normale. Pourtant c'était écrit « urinaire »
Les confidences
-Docteur, je vous apprécie tellement ! Puis, autant vous le dire tout de suite, je rêve sans cesse d'être dans vos bras, de faire l'amour avec vous.
-Vous savez, Monsieur le médecin, Yvon, mon mari pour lequel vous avez signé le certificat de décès, il y a quatre ans, il n'est pas mort de mort naturelle. Je suis sûre que vous avez fait semblant de rien voir. Vous aviez pitié de moi parce qu'il
était alcoolique et me cognait toujours. Je vous remercie tant ! Je vous ai apporté un kilo de fraises de mon jardin pour vous remercier.
-Docteur, une leucémie, ça veut dire que je peux vivre encore ou presque pas ? On peut pas faire un contrat avec la leucémie comme chez les assurances ?
-Quand vous passerez à côté du cimetière de Burthulet, en faisant vos visites, toubib, vous pourrez me mettre un petit verre de chouchen ? En décoration, pour le souvenir, quoi ! Je trouve bien plus joli un verre de chouchen plein qu'un pot de fleurs en plastique. Le chouchen, ça brille au soleil.
-J'ai vingt ans, Monsieur Le Docteur, alors pourquoi j'ai une maladie qu'elle est incurvable, c'est comme ça qu'on dit, non?Il est pas juste le Bon Dieu ! Mon voisin a quatre-vingt trois ans !
Ma copine m'a dit qu'il fallait aller voir un psy je sais pas quoi, qu'il me ferait plus de bien que vous. Vous êtes beau pourtant avec vos yeux bleus mais c'est vrai que vous m'enlevez pas le chagrin. Bon Dious, alors !
Nombreuses sont encore les notes que je pourrais confiées mais, René, auquel j'ai toujours dit « tu », parce que je l'ai souvent considéré comme mon vrai «papa » n'est plus là pour me dire je si je peux continuer.
René Le Delmat ne devint toutefois pas écrivain mais médecin de campagne, selon la hiérarchie du milieu.
Il était né bon et drôle grâce à sa mère à laquelle il avait par ailleurs emprunté ses yeux d'un bleu intense. On n'est pas Breton si l'on ne possède pas une couleur atavique, celle de l'âme de la mer.
Les circonstances de la vie firent cependant que le jeune-homme , après avoir prononcé le serment d'Esculape, se retrouva en fonction en Bretagne intérieure. Il adorait lire et c'est ainsi qu'il devint l'ami de mes parents qui tenaient la librairie de la petite ville dans laquelle il exerçait.
Si je pense très fort à lui aujourd'hui c'est parce que j'ai rangé mes armoires à documents et que j'y ai retrouvé un dossier qu'il m'avait confié, par affection. J'étais toute petite, toute jeune et pourtant il m'avait dit et je m'en souviens: - Je te le donne celui-ci, ma petite chérie, parce que je ne veux pas brûler tous ceux qui s'y trouvent et se sont adressés à moi un jour.
J'avais rangé la chemise beige contenant de nombreuses feuilles dactylographiées ou manuscrites sans même y jeter un coup d’œil.
Aujourd'hui, j'ai ouvert et lu.
Il s'agit de mots tendres et drôles rédigés sous forme de notes séparées par des titres courts. Je ne résiste pas à l'envie de vous en confier quelques extraits.
En souvenir de cet homme toujours souriant et extrêmement attentif aux autres, je vous en livre quelques passages. Voici les paroles ou confidences de ses patients dans un monde très difficile à imaginer aujourd'hui où la science médicale nous est inoculée par télévision interposée, dans un lieu où l'on comprenait mieux le Breton que le Français. Je pense que tu en serais heureux, René,pour tes patients et pour toi, sinon pourquoi m'aurais-tu confier ce document ?
Les troubles génito-urinaires
-Je suis sûre que mon mari m'a refilé la prostate.
-Si j'urine de loin ? Ça dépend où je fais. Je ne peux pas traverser un mur mais en corrigeant le tir, jusqu'ici j'ai eu du succès.
-J'ai des brûlures au vagin. Et mon mari aussi a des démangeaisons au sien.
-Mes débarquements sont arrêtés. Ils se sont arrêtés parce que j'avais mangé une glace.
-Ma fille ne veut pas être enceinte car c'est beaucoup trop long.
-Enceinte!... Auquel je vais dire ça?
-Madame, avez-vous des bouffées de chaleur?
- Oh, vous savez, je souffre un peu de tout, je regarde pas si c'est chaud ou si c'est froid.
-Ma voisine a eu un kyste congénital. Je souffre comme elle, mais je ne crois pas que le mien soit aussi bas.
-Par erreur mon voisin avait pris une drogue pour mettre les vaches en chaleur. Il courait partout. Il voulait embrasser la femme du Maire. Il avait perdu l'oraison.
-Docteur, vous êtes tenu au secret. Où puis-je trouver une femme avec de l'argent? La mienne ne veut plus.
-Souffrez-vous, Madame, lorsque vous avez des relations avec votre mari ?
-Oh, vous savez, Docteur, nous ne fréquentons pas grand monde.
Les troubles de la nutrition.
-Mon poids? 115 kilos, en gros.
-Je suis forte, mais pas grosse.
-Pour le régime je suis sérieuse, hardie.
-Mons poids? Vous savez, je n'ai trouvé personne pour me rouler.
-Me peser, comme ça? Je suis venue en tous les jours!
-Si je bois de l'alcool? Ah!non! Du vin, oui.
-Je ne bois pas beaucoup mais je bois souvent.
-Mon mari ne supporte plus la boisson. Avec deux demis, il est complet.
-Mon mari raconte à lui-même quand il boit.
-Quelle quantité de vin buvez-vous chaque jour?
-Deux et demi.
-Deux verres et demi ?
-Deux litres et demi !
Les certificats
-Il me faudrait un certificat pour donner à ma femme, attestant que je dois avoir un fauteuil pour m'allonger après les repas.
-L'homme de l'assurance, c'est une femme.
-Je viens chercher le permis d'enterrement.
-Docteur, auriez-vous l'amabilité de me délivrer un certificat attestant que je suis devenu aveugle par vos bons soins?
-Donnez-moi un certificat pour dire que je ne peux pas la boucler.
-Quoi?
-La ceinture de sécurité. Si on ne la boucle pas, on se fait boucler.
-Je viens pour être enceinte.
-Docteur, je veux un certificat pour dire que je suis enceinte de mon fiancé et que je n'ai pas été avec plusieurs.
-Je voudrais une nouvelle feuille de maladie. J'ai dû laisser l'autre sur votre comptoir l'autre jour.
-Docteur, voulez-vous refaire ma feuille de maladie? Il y a un carreau de cassé dans ma cuisine et un rouge-gorge a souillé votre feuille.
-Je voudrais être estampé des cotisations aux collations familiales.
-Pour ma retraite, j'ai mis le maire en branle.
-Ma femme est morte! Est-ce que je ne peux pas avoir une prime mortuaire?
-J'ai eu la blennorragie en Allemagne. Puis-je avoir une pension ?
L'examen
Je veux bien me déshabiller, Docteur, si vous avez un peigne.
Se déshabiller? Tout en l'air? J'ai toute une fourrasse.
Je suis bourrée!
Faut-il enlever mon porte-pis ?
Voilà, Docteur, je suis nue. Faut-il enlever mes boucles d'oreilles?
Je suis déshabillée, Docteur. Prenez.
Dites trente-trois en roulant les R.
33, en roulant les R ; 33, en roulant les R...
Oh ! C'est pas la peine de me sculter avec votre téléphone !
Ça va mieux quand vous m'avez visitée. C'est plus clair.
Qu'est-ce que je vais prendre pour pousser la tension dehors ? J'ai pas la chance.
Est-ce que je peux prendre ma tension sur le compte de la consultation de mon mari ?
Je suis anémiée, il faudrait me faire une rénunération globulaire.
J'ai l'intendance à l'anémie et le cholestérol généralisé.
- Je n'ai pas le groupe alphabétique. J'ai le groupe O.
- Je suis un homme de fer, 280, je crois. Pas d'épinards pourtant. Rien que du pinard.
-Vous me dites que ma prise de sang est normale. Pourtant c'était écrit « urinaire »
Les confidences
-Docteur, je vous apprécie tellement ! Puis, autant vous le dire tout de suite, je rêve sans cesse d'être dans vos bras, de faire l'amour avec vous.
-Vous savez, Monsieur le médecin, Yvon, mon mari pour lequel vous avez signé le certificat de décès, il y a quatre ans, il n'est pas mort de mort naturelle. Je suis sûre que vous avez fait semblant de rien voir. Vous aviez pitié de moi parce qu'il
était alcoolique et me cognait toujours. Je vous remercie tant ! Je vous ai apporté un kilo de fraises de mon jardin pour vous remercier.
-Docteur, une leucémie, ça veut dire que je peux vivre encore ou presque pas ? On peut pas faire un contrat avec la leucémie comme chez les assurances ?
-Quand vous passerez à côté du cimetière de Burthulet, en faisant vos visites, toubib, vous pourrez me mettre un petit verre de chouchen ? En décoration, pour le souvenir, quoi ! Je trouve bien plus joli un verre de chouchen plein qu'un pot de fleurs en plastique. Le chouchen, ça brille au soleil.
-J'ai vingt ans, Monsieur Le Docteur, alors pourquoi j'ai une maladie qu'elle est incurvable, c'est comme ça qu'on dit, non?Il est pas juste le Bon Dieu ! Mon voisin a quatre-vingt trois ans !
Ma copine m'a dit qu'il fallait aller voir un psy je sais pas quoi, qu'il me ferait plus de bien que vous. Vous êtes beau pourtant avec vos yeux bleus mais c'est vrai que vous m'enlevez pas le chagrin. Bon Dious, alors !
Nombreuses sont encore les notes que je pourrais confiées mais, René, auquel j'ai toujours dit « tu », parce que je l'ai souvent considéré comme mon vrai «papa » n'est plus là pour me dire je si je peux continuer.
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