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Printemps

Je traverse la cour, Pia à mon bras. Claire, la gardienne, grimace.
— Pas de ça dans les appartements !
— Bien sûr que non ! je lui réponds, faussement outré.
À la fenêtre du deuxième étage, à moitié dissimulée par un rideau rose, une fillette au teint pâle me fait un geste amical. Je lui renvoie son salut.
Avant de retourner désherber son carré de potager, Claire me lance : « Et vous mettrez votre nom sur la boîte aux lettres ! »
Je poursuis mon chemin, gagne mon logement au cinquième et dépose Pia sur le balcon. L'oiseau sautille et becquette des miettes abandonnées là.
— Tu sais ce que tu as à faire, lui soufflé-je.
La mésange me pince le doigt. Elle s'envole, effectue quelques pirouettes, puis plonge vers les étages inférieurs.

La sonnette retentit. J'ouvre ; un homme me sourit, un gros chat roux dans les bras.
— Salut ! Je suis Pierre, votre voisin du dessous. Il est à vous ce pépère ?
— Bonjour ! Oui, il s'appelle Bouddha. Il vous embête ?
— Pas du tout.
Pierre contemple mon salon.
— Dites, c'est spartiate chez vous ! Une table, une chaise...
Face à mon silence poli, il reprend :
— En tous cas, il peut continuer à venir, il ne me dérange pas.
— Tant mieux, Bouddha est un électron libre.
— Comme je bosse à domicile, ça me fait de la compagnie ! À plus !
Bouddha réintègre mon loft d'un pas nonchalant.
— Au revoir, Pierre.

Été

Par la porte entrebâillée, la jeune femme me regarde avec méfiance. Nous nous croisons souvent dans l'immeuble et pourtant, elle me fixe comme si j'étais un inconnu.
— Bonjour, Anaïs. Auriez-vous de la farine ?
Son visage prend une jolie teinte pivoine. Elle me bafouille que oui et referme. Bouddha, qui m'a suivi, se frotte contre ma jambe. Dès que ma voisine rouvre le battant, il se faufile à l'intérieur. Anaïs rougit de plus belle.
— Il est à vous ?
— Techniquement oui, mais il préfère vivre chez Pierre, notre voisin l'informaticien ; vous le connaissez ?
J'ignorais que l'on pouvait devenir rouge brique. Elle me tend la boîte qu'elle a dans la main et balbutie qu'elle va chercher mon chat. Quelques instants plus tard, elle reparaît, confuse.
— Je ne comprends pas, il a disparu !
Je hausse les épaules.
— Les félins sont doués pour se rendre invisible.
— Dès que je le trouve, je vous le ramène.
— Ne vous en faites pas, il réapparaîtra. Merci pour la farine.
Dans l'escalier, je croise Claire qui me tance pour que j'inscrive mon patronyme. Je lui fais mon plus beau sourire.

Une heure plus tard, Anaïs frappe à ma porte. Elle m'interpelle de sa voix délicate. Je m'appuie sur le dossier de ma chaise, les doigts entrelacés sur la nuque. Elle toque encore, insiste. Après plusieurs tentatives, elle abandonne. Au bout d'une minute, le carillon sonne chez Pierre. Je soupire, voilà une bonne chose de faite.

Le lendemain, Elsie, la vieille dame du troisième me convie à un thé avec des scones.
— J'ai compris votre manège, m'avoue-t-elle.
Je lève un sourcil.
— Avec le chat obèse et les deux célibataires.
— Bouddha souffre d'un léger surpoids, tout au plus.
— Moi aussi, j'ai essayé de jouer les entremetteuses à une époque. Depuis que je suis à la retraite, je n'ai plus grand-chose pour m'occuper. Cela s'est soldé par un échec.
— Vous êtes une maline.
— Et pour la petite... Le moineau, il est à vous aussi, non ?
— Pia est une mésange bleue.
— Qu'allez-vous me refourguer ?
— Pardon ?
— Il ne reste plus que moi dans l'immeuble.
Je ris.
— Je ne vais rien vous refourguer, comme vous dites. Et puis, vous seriez plutôt du genre exotique et grandiose.
— Ah bon ?
Je lui fais un clin d'œil avant de déguster un de ses délicieux gâteaux.

Automne

Ce matin, ma petite mamie m'a grondé comme un garçonnet.
— J'ai reçu une publicité pour une association qui offre de parrainer un éléphant. C'est vous, ça ?
J'ai eu beau m'en défendre, elle m'a accusé d'avoir glissé la lettre dans son courrier. Je n'y suis pour rien mais elle m'a fait les gros yeux quand même.

Assis au soleil dans la cour, je profite de cette belle fin d'après-midi. Un homme me rejoint d'un pas lourd.
— Il est à vous, le piaf ?
— Une mésange de toute beauté.
— Ma fille, Léa, m'a dit qu'elle vous avait vu avec. Vous savez qu'il passe son temps sur le balcon de sa chambre ? Depuis plusieurs mois déjà.
— Cela vous ennuie ?
Il me regarde sans me voir.
— Non, au contraire. Cette minuscule créature a changé sa vie. Léa... elle ne peut pas sortir, vous savez, avec les soins... Voir l'oiseau batifoler dans un bol d'eau ou dévorer avec appétit les graines qu'elle lui avait laissées, c'était le bonheur de sa journée. Vous auriez dû l'entendre rire ! La plus jolie mélodie du monde !
La voix du papa de Léa se brise.
— Elle ne se lève plus maintenant, on a dû rapprocher le lit de la fenêtre. On dirait que la bestiole le sait. Elle se pose sur la poignée extérieure et picore la vitre, comme si elle voulait communiquer avec Léa, je vous jure. Ma fille souffle de la buée pour dessiner un cœur...
Soudain, l'homme éclate en sanglots en s'effondrant sur mes genoux. Nous restons là jusqu'à ce que le soleil s'évanouisse derrière les toits.

Hiver

Aujourd'hui, Elsie s'en va. Je fais un dernier geste au taxi qui la conduit à l'aéroport. La vieille dame est en route vers le Sri Lanka pour rencontrer Akka, une éléphante de cinq tonnes.
J'entends Claire dans mon dos.
— Devinez ce que j'ai trouvé dans mes choux.
— Un bébé ?
— Presque... un lapin. Il est pas à vous par hasard ?
— Pas le moins du monde.
— Comme vous avez l'air d'aimer les bêtes... Qu'est-ce que je vais en faire ?
— Un bon civet.
Elle me dévisage, horrifiée.
— Z'êtes pas bien ! Pauvre boule de poil. Pensez plutôt à mettre votre nom sur cette boîte !

Je jette un dernier regard au second. Tout à l'heure, sans faire de bruit, Pia s'est envolée pour toujours ; je sais que les rideaux fuchsia ne s'ouvriront plus. Je remonte le col de mon manteau pour affronter le froid mais c'est peine perdue, il se trouve à l'intérieur de moi. Je m'engage dans la rue et m'éloigne, les mains dans les poches. On m'attend ailleurs.

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