Non lieu pour les jupes,
Les bas résille, la dentelle visible.
Impasse obscure
Portes – des maisons – closes
Sombre
... [+]
Le regard de l'artiste va du modèle à la feuille blanche. De la feuille blanche au modèle. Quelques instants s'écoulent sans que rien ne se passe, puis l'imagination s'emballe. Ce corps, c'est celui d'une amazone. Elle revient triomphante après la bataille. Une scène irréelle se trame dans l'esprit de l'artiste : la guerrière escalade la dépouille de son adversaire vaincu. Une créature aux allures de scorpion, avec de longues pinces meurtrières devenues inoffensives. L'amazone adopte une position de triomphe, semblable à Jules César ou à Wonder Woman. Trônent à ses pieds son arc, ses flèches et son bouclier.
Non, le crayon refuse de se lancer dans un tel projet. L'imagination s'est égarée. La femme qui se tient dans la pièce a bien gagné la bataille, mais sans arme de guerre. Elle s'est battue avec sa détermination et son courage, qui ont décuplé les capacités régénératrices de son corps. Elle s'est aussi un peu battue contre elle-même, contre le découragement et le renoncement. Alors, l'artiste imagine la douleur et l'épuisement. Les images absorbent de nouveau la réalité, le corps du modèle se referme sur lui-même. Décharnés, les membres se tordent et se plient comme pour se casser. Mangé par les maux, le visage perd de sa splendeur.
La main agite le crayon dans l'air, comme pour dire « non ». Non, ce n'est pas un modèle d'Egon Schiele qui se tient là-devant. Non, la douleur et le découragement n'ont pas poussé le pas de cette porte.
Il faut rendre justice au modèle qui se trouve « pour de vrai » dans l'atelier. Effectivement, il lui manque un sein. On pourrait dire « une femme avec quelque chose en moins ». Simple constat anatomique. Certains éprouveront une forme de malaise en observant la longue cicatrice qui barre la poitrine. Ils trouveront cela « anomal » car la norme veut qu'une femme ait deux seins. Tant pis pour ceux-là. Qu'ils aillent donc regarder ailleurs.
L'artiste y voit une particularité, comme il y en a sur tous les corps qu'il a peints et dessinés. Une « signature anatomique ». Mais ce n'est pas ce qui l'intéresse le plus. Au-delà du dessin corporel, il aime donner corps aux âmes qui les animent.
L'artiste vous tend son tabouret, asseyez-vous, empruntez ses outils et voyez comme lui.
Observez ce regard. Jeté au loin, il traverse les murs sans les voir. Un regard vif et espiègle, qui rappelle Colette. Un regard rehaussé par ce nez qui pointe vers le haut. Comme pour dire : « j'ai vaincu le dragon, traversé l'orage, alors maintenant, la vie ! »
Regardez cette posture. Le torse fièrement bombé, mais sans cambrure du dos. La poitrine suit les mouvements lents de la respiration. On a l'impression que le modèle pourrait rester là des heures. Calme et silencieuse, c'est une femme apaisée.
Elle savoure la vie retrouvée. Douce réconciliation avec les matins d'avenir, les soirs de promesses. Son corps est de nouveau disposé à danser, à goûter, à aimer.
Certains rendez-vous doivent être repoussés, celui avec la mort pourra toujours attendre. Dans la pièce toute entière retentissent les pulsations de ce cœur amoureux de la vie.
Telle est l'âme que voit l'artiste.
Il reprend sa place et esquisse quelques traits. Le crayon glisse avec assurance et finesse. Les lignes et les courbes habillent le papier, donnent corps au modèle et à sa vérité.
Cette histoire est celle du premier dessin des jours d'après, bien d'autres suivront. Car, parfois, après la guerre, vient la paix.
Non, le crayon refuse de se lancer dans un tel projet. L'imagination s'est égarée. La femme qui se tient dans la pièce a bien gagné la bataille, mais sans arme de guerre. Elle s'est battue avec sa détermination et son courage, qui ont décuplé les capacités régénératrices de son corps. Elle s'est aussi un peu battue contre elle-même, contre le découragement et le renoncement. Alors, l'artiste imagine la douleur et l'épuisement. Les images absorbent de nouveau la réalité, le corps du modèle se referme sur lui-même. Décharnés, les membres se tordent et se plient comme pour se casser. Mangé par les maux, le visage perd de sa splendeur.
La main agite le crayon dans l'air, comme pour dire « non ». Non, ce n'est pas un modèle d'Egon Schiele qui se tient là-devant. Non, la douleur et le découragement n'ont pas poussé le pas de cette porte.
Il faut rendre justice au modèle qui se trouve « pour de vrai » dans l'atelier. Effectivement, il lui manque un sein. On pourrait dire « une femme avec quelque chose en moins ». Simple constat anatomique. Certains éprouveront une forme de malaise en observant la longue cicatrice qui barre la poitrine. Ils trouveront cela « anomal » car la norme veut qu'une femme ait deux seins. Tant pis pour ceux-là. Qu'ils aillent donc regarder ailleurs.
L'artiste y voit une particularité, comme il y en a sur tous les corps qu'il a peints et dessinés. Une « signature anatomique ». Mais ce n'est pas ce qui l'intéresse le plus. Au-delà du dessin corporel, il aime donner corps aux âmes qui les animent.
L'artiste vous tend son tabouret, asseyez-vous, empruntez ses outils et voyez comme lui.
Observez ce regard. Jeté au loin, il traverse les murs sans les voir. Un regard vif et espiègle, qui rappelle Colette. Un regard rehaussé par ce nez qui pointe vers le haut. Comme pour dire : « j'ai vaincu le dragon, traversé l'orage, alors maintenant, la vie ! »
Regardez cette posture. Le torse fièrement bombé, mais sans cambrure du dos. La poitrine suit les mouvements lents de la respiration. On a l'impression que le modèle pourrait rester là des heures. Calme et silencieuse, c'est une femme apaisée.
Elle savoure la vie retrouvée. Douce réconciliation avec les matins d'avenir, les soirs de promesses. Son corps est de nouveau disposé à danser, à goûter, à aimer.
Certains rendez-vous doivent être repoussés, celui avec la mort pourra toujours attendre. Dans la pièce toute entière retentissent les pulsations de ce cœur amoureux de la vie.
Telle est l'âme que voit l'artiste.
Il reprend sa place et esquisse quelques traits. Le crayon glisse avec assurance et finesse. Les lignes et les courbes habillent le papier, donnent corps au modèle et à sa vérité.
Cette histoire est celle du premier dessin des jours d'après, bien d'autres suivront. Car, parfois, après la guerre, vient la paix.