Hier, j'ai passé ma journée à regarder des gens regarder mes photos.
Je fais des photos en amateur, mon vrai métier c'est bibliothécaire. Mais pour la fête de la mer, avec la Société
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Blanche, tranquille, verticale et décidée, c’est la première neige de l’année. Annoncée par la météo quelques centaines de mètres plus bas, elle tombe quand même devant ma fenêtre. Une belle surprise. Côté odeurs, tout ce blanc, c’est surtout un manque. Finis les parfums de l’humus et du champignon dans la forêt. Le gros tas de bois coupé et soigneusement empilé par mon voisin qui prépare l’hiver ne sent plus aussi fort, comme si le nez se concentrait avant tout sur la fraicheur de l’air, sans pouvoir en apprécier aussi pleinement les senteurs qu’en été.
Pas d’oiseaux ce matin. La nature laisse dormir ceux qui hivernent. Pourtant, tout n’est pas si calme. Les flocons fins font un bruit de paillettes en tombant sur les arbres qui n’ont pas terminé leur effeuillage d’hiver, le petit ruisseau qui alimente la grande mare coule toujours en faisant sonner les cailloux et de temps en temps, les tas de neige accumulés sur les fils électriques tombent dans la poudreuse avec un « plouf » grave et sablonneux.
Heureuse erreur de la météo, la balade prévue aujourd’hui n’en sera que plus belle. Je n’ai qu’à revoir un peu le contenu de mon sac, rajouter les guêtres et les raquettes, enlever les sachets en papier pour les champignons et les châtaignes, deux bâtons au lieu d’un seul, et voilà. Coup de fil à Véro pour l’avertir du changement, elle qui habite en ville, et en avant pour notre balade entre filles du week-end.
-- Quoi ? La neige ! Mais j’ai encore regardé la météo hier, ils avaient juste dit couvert...
-- Et alors, génial, ce sera encore plus beau !
-- Plus beau, tu parles, plus froid, oui. Mes godasses ne sont plus étanches du tout, je vais avoir les pieds gelés si je marche dans la neige. Pas possible d’être malade pour la semaine prochaine, j’ai trop de trucs importants à faire au boulot.
Dix minutes de perdues à essayer de la convaincre : elle m’énerve, elle m’énerve avec ses frilosités de retraitée alors qu’elle en a encore pour trente bonnes années de cotisations avant de pouvoir espérer y penser, à la retraite. Ras le bol des tièdes qui se dégonflent. Le chemin n’est pas difficile, j’y suis déjà allée souvent, j’irais toute seule, comme ça, personne pour râler quand je m’arrête trop longtemps pour prendre des notes ou des photos.
Le coup de fil à Véro, le temps de retrouver mes raquettes, de changer les rondelles des bâtons, il est déjà presque midi. Pas la peine de partir en ayant faim, je me mettrai en route après manger. Comme ça, je pourrais même me faire un bon café... L’expresso et son carré de chocolat, c’est bien la seule chose qui me manque en montagne, alors aujourd’hui, j’en profite. La bonne odeur, la chaleur des mains sur la tasse, le chocolat qui fond dans la bouche, un peu pâteux, mais juste ce qu’il fait pour en profiter plus longtemps : je suis en pleine forme pour partir. Un peu tard en théorie pour une balade en montagne étant donné la brièveté des jours en ce moment, mais en cas de soucis, il y a toujours la cabane à côté du lac. La vaisselle reste sur la table, c’est le côté sympa maintenant que je vis seule : personne ne râle quand l’évier est rempli d’assiettes sales...
Montée tranquille, j’ai même droit à une belle éclaircie et à un coin de ciel bleu sur la forêt toute blanche. On voit jusqu’au fond de la vallée, tout est blanc au-dessus de la ligne des zéro degrés, vert, brun, oranger et jaune d’un reste d’automne en dessous, j’en profite pour savourer tout ça, quitte à me laisser dépasser par mon timing. Traces d’animaux, petites pattes d’oiseaux ou sabots de chevreuils et de sangliers, même des traces avec gros coussinet central, doigts et griffes comme un ours en miniature. Blaireau ?
En repartant, je pose le pied en porte-à-faux sur une branche, bruit sinistre... La cheville gauche, toujours la même, celle qui me joue des tours depuis des années, depuis ce match de hand-ball à l’école qui s’est terminé à l’hôpital et poursuivi par six semaines de plâtre.... Et merde. Accident bête, comme on dit quand on n’a plus rien à dire, histoire de rajouter le poncif à l’atteinte au bon sens. Tout le monde le sait, on ne part pas seule en montagne, même pour une balade facile, un accident est vite arrivé, etc... Une bonne heure et demie de descente jusqu’à la maison, j’aurai de toutes façons fini à la frontale, mais là... Pas de panique, pas de panique, je respire à fond, j’essaie de réfléchir. Le point sur la situation est vite fait, avec les bâtons en guise de béquilles, j’arriverai sans problèmes à la cabane du lac, ce sera une nuit un peu rude mais au chaud avec le poêle, j’ai des allumettes et il y a toujours du bois là-haut. Reste juste à me trainer jusqu’à la cabane.
En plus j’ai de la chance ! Une haute silhouette blanche se découpe sur la façade en rondins. À mes appels il pose son tas de bois et vient m’aider pour les quelques mètres qu’il me reste. De la chance et quelle chance ! Mathieu est photographe de nature et a prévu de passer quelques jours dans la cabane entre deux affuts au coq de bruyère. Le poêle est allumé depuis un moment, il fait bon à l’intérieur. Ça sent la fumée et la soupe, une bougie brûle en haut d’une bouteille vide. Mathieu a dans son sac tout ce qu’il faut pour immobiliser mon pied, il me prépare un bon thé chaud avec du miel, fruits secs, petits gâteaux... Le paradis. Mon sauveur a de beaux yeux bleus rieurs et francs, des mains toutes douces sur mon pied qui vire au bleu, je me laisse faire avec délice. On discute un moment de la cabane, des animaux, de cette première neige, avant d’en venir à envisager demain.
-- Demain je vous redescendrai avec Sébastien dit Mathieu. Il ne rentrera à la cabane que tard dans la nuit. Il photographie les chouettes hulottes qui sont des animaux nocturnes.
-- Sébastien B. ? c’est lui qui a fait les photos exposées à cet été à la médiathèque ?
-- Oui, c’est bien lui. Sébastien. C’est mon mari.
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