Fin de parcours

M. CENT est ivoirien. Féru des belles lettres, il ne manque aucune occasion de proposer des textes pour concours. Il a reçu plusieurs prix et nominations.

Toute histoire commence un jour, quelque part. Certaines histoires ne commencent même pas. Elles finissent. Les grands mangent les petits. Ça a toujours ainsi fonctionné. Seulement, il arrive des fois que les petits ayant assez d'être « mangé », deviennent incontrôlables. Et c'est ce qui arrivait à notre pays ces temps-ci. Du fond des cuisines du palais présidentiel, nous assistons ainsi à la montée de la marée. Depuis ce matin nous sommes enfermés et la garde républicaine ainsi que l’armée encerclent tout le palais. A en croire les dernières nouvelles, le peuple serait descendu dans les rues depuis pour réclamer de meilleures conditions de vie. Il parait que la manifestation a pris de l’ampleur après l’acte zélé qu’aurait posé un policier. Tirer sur une foule, ça n’a jamais arrangé les petites affaires du gouvernement. Maintenant la foule déferlait sur le palais pour réclamer la démission du président et les têtes de certains ministres.
Dehors une rafale de mitraillette s’était fait entendre.
-Monsieur le président votre père le disait assez bien ‘’ on cherche à comprendre d’abord et on agit ensuite sinon...
-On regrette après... oui je sais.
Son père. Une autre paire de manche celui-là. Il avait connu les brimades du colon. Avide de justice, il avait poursuivi de longues études. Jusqu’au certificat d’études primaire deux. Pour éviter d’être enrôlé dans l’armée coloniale qu’il avait en horreur, il s’était à ses vingt-deux ans, tiré une balle dans le pied. Lors de la distribution des indépendances aux colonies, il était devenu par la force des choses le premier président et fondateur de leur jeune nation. Il avait toutefois été un bon dirigeant. Son absence d’animosité envers la métropole, et l’acceptation de l’exploitation gratuite de certaines ressources, l’or et le diamant en l’occurrence, avait fait de lui et de la nation un partenaire privilégié de la côte. Les retombés n’eurent alors de cesse de pleuvoir sur les populations. Construction de route, d’infrastructures de première nécessité, hôpitaux, écoles et autres. Un peuple en joie, aimait il dire, n’à point besoin de démocratie, d’alternance et d’élections. Ça coute cher, ça ne sert à rien et ça fait perdre du temps. Il gouvernait bien, se faisait aimer du peuple, évitait au maximum les contacts avec les dirigeants teigneux et belliqueux envers la métropole. Il fit quarante années au pouvoir, eut deux femmes, huit cent quatre-vingt-sept maitresses et un enfant. Un seul. Il avait grandi seul. Entre une batterie de femmes. Il avait à peine connu sa mère. Toujours partie dépenser des millions quelques part dans le monde. Aux frais du peuple. Contrairement à son père, lui avait reçu une solide formation. Sans mettre un seul pied dans une cours d’école ou dans une université. Quelque chose qui remplissait son père de fierté et d’orgueil. Tous les meilleurs enseignants de droit, sciences politique, de littérature et arts, de sciences fondamentales, du monde s’étaient succédé au palais pendant vingt années. Il avait à la fin de ses études, a domicile, obtenu les diplômes de Harvard, Paris-Sorbonne IV, Cambridge et Oxford. Enorme réussite au plan intellectuel certainement. Toutefois l’enfermement avait fait de lui un être tout timide et énormément complexé. La politique, il y avait grandi. Sans toutefois aimer l’activité. Il avait plusieurs fois vu des gens entrer au palais sans jamais les voir en ressortir. Tout un monde dont il se savait tôt ou tard l’héritier. Mais à vrai dire, le choix l’eut aurait été laissé, qu’il se serait enfui loin, loin, très loin même de toute cette vie, de ce fardeau dont il héritait a son corps défendant. Par contre si aujourd’hui le pays était dans une telle situation c’est que quelque part il y avait eu une fausse note ou plutôt une note mal ajustée dans la partition qui était la sienne sur l’immense concerto entretenu par le maestro feu son père. Quelque chose avait dû mal tourné quelque part. Et depuis tout petit les mauvaises choses et mauvaises surprises qu’il avait connu ne venaient que d’un homme, d’un seul. Un homme de vingt et trois ans plus âgé que lui, et de douze ans moins âgé que son père. Un ami à son père. Un jeune ami de son père. Son actuel ministre de l’intérieur et de la sécurité. On l’appelait dans les coulisses du palais présidentiel « le complexé ». Et complexé il l’était. Dans les maisons, les villes et les campagnes ce sobriquet se muait en « assassin » ou en « tortionnaire ». Ça également il l’était. Il n’avait jamais mis un pied dans une salle de classe. Et ça encore c’était trop dire. Son village, le patelin d’où il était originaire n’avait jamais été foulé par les pas du colonisateur. Et pour cause ! Il était issu du peuple Semaha. Ceux qui ne connaissent pas ce nom le trouveraient beau, mignon. Il était fils de ce peuple brave et attaché aux travaux de la terre. Depuis l’aube des temps son peuple avait une seule distraction en marge de la terre qu’il cultivait. La guerre. Redoutables guerriers les Semaha sont infligé aux armées coloniales des défaites que les scripteurs l’histoire ne se sont pas empressées de noter dans leurs archives. Faidherbe, Gallieni, et plein d’autres colons s’étaient défilés quand il s’était agi d’affronter ouvertement les Semaha. Cet héritage guerrier, il l’avait en lui. Il tuait facilement. Il ne posait jamais de question. Jamais. Jeune soldat rattaché à l’époque à la sécurisation du mur ouest de la résidence de feu le président fondateur, il s’était porté volontaire pour exécuter une mission de la plus haute importance. Une nuit, un homme avait été vu quittant précipitamment les quartiers d’une des premières (?) dames. Une enquête interne et ultra secrète fut diligentée. Sur la base de la taille des empreintes relevées et de la direction prise par le suspect, on conclut l’enquête en désignant comme coupable un jeune officier de l’armée qui depuis un moment était un peu, juste un peu, soupçonné de préparer un coup d’Etat. Une partie de chasse présidentielle fut dans les quelques jours qui suivirent organisée dans la réserve forestière de l’ouest du pays, classée patrimoine écologique mondial. Il était membre de l’escorte présidentielle ce jour-là. Le soir de retour de la partie de chasse, un entrefilet était fait passé à la télévision nationale faisant état de la mort brusque et accidentelle du jeune et beau capitaine Keduro, des suites d’une blessure par balle lâchement logé entre ses omoplates par les ennemis de la nation et les jaloux du devoir bien accompli. Le même soir, un jeune Semaha de la garde ouest du palais présidentiel passait de simple soldat a capitaine de la garde républicaine. Ensuite, régulièrement il avait accompli la sale besogne. Toujours sans poser de question. Il était à la longue devenu garde de corps puis aide de camp du président. Par son sang froid et la quantité de sang des autres qu’il avait fait couler froidement, il s’était fait admettre parmi les intimes. Sur son lit de mort, le moribond chef de l’état lui avait fait promettre de veiller sur son unique enfant. Chez les Semaha, l’honneur passait avant tout. Il accomplissait cette mission depuis sept ans avec application et minutie comme s’il se fut agi d’un sacerdoce. Aujourd’hui plus que jamais, il fallait qu’il tienne cette promesse fait a un presque mort sur son lit. Non le fils-président du président-fondateur ne tomberait pas aujourd’hui. Pas quand il était sous la protection d’un Semaha.
Dehors, on entendait crier. Le peuple arrivait toujours plus nombreux vers le palais présidentiel, escorté de part et d’autre par les chars de l’armée qui n’avait pas encore choisi leur camp. Depuis les cuisines, nous recevions en temps réel les informations du dehors. Par bribes nous les recoupions que chacun recevait de « ses correspondants ». Un long cri se fit entendre. Son écho relayé par la voix de la masse sans cesse grandissante. C’était elle.
C’était cette femme. C’était celle dont tout le monde parlait. La foule en délire, la force de la plèbe l’avait érigée en symbole de cette révolution. Pour une pomme. A peine croquée. Pour un morceau de pomme pris à l’étalage d’un de ces grands hyper-super-marché à qui l’Etat a donné monopole de commercialisation au détriment des petits commerçants, son fils avait été trainé dehors par les vigiles afin d’être livré a la police. Le garçon, dit on avait crié que c’était la faute a la faim qui le tenaillait et qu’il n’avait nullement l’habitude de chaparder. L’un des deux vigiles avait voulu être compréhensif. Lui aussi venait de la plèbe qui s’appauvrissait de plus en plus chaque jour. Son collègue cependant avait maintenu son zèle afin de s’attirer éventuellement les faveurs de la direction pour sa surveillance des étalages contre les méfaits des chapardeurs. Le commissaire de police des environs dépêcha rapidement sur les lieux une patrouille pour escorter le voleur du jour. Les vigiles transmirent donc a leur arrivée, le voleur aux policiers. Durant tout le temps des faits, une foule de badauds s’était formé pour entendre ce qui réchauffait l’atmosphère des environs. L’information fit le tour de la foule dont le nombre augmentait a vue d’œil. On se passait le mot que celui qu’on avait prit la main dans le sac n’était en réalité que le fils de Mama Cita. La foule se souvint alors que ce n’était qu’un gentil gamin qui avait faim et qui par habitude n’avait rien d’un chapardeur. Ce qu’elle entreprit de faire comprendre aux policiers qui n’en menèrent pas large. Qui vole un œuf volera un bœuf. On l’avait pris volant une pomme. Demain ce serait les comptes de la banque centrale. Il fallait donner l’exemple. Un signal fort qui dissuaderait tous les autres parasites qui seraient tentés de jeter le discrédit sur l’ensemble de la population, la faisant passer pour une race de voleurs aux yeux des étrangers qui investissaient dans notre pays et qui, eux au moins payaient des impôts. L’occasion était belle et il fallait la saisir. Les policiers jetèrent au sol le jeune homme. Un puissant bruit de désapprobation traversa la foule. Pour lui mettre les menottes, un policier lui écrasa l’omoplate de ses lourdes chaussures. Ce fut a cet instant là que tout se gâta. Pour de bon un grand mouvement de colère se fit sentir. Entre les trois policiers et la voiture de police il y avait une foule de près maintenant d’une centaine de personnes. Ce n’était pas courant une telle scène. Passant de la médiation à la prise de position, la foule exigea des policiers une relaxe pure et simple du jeune homme contre paiement au magasin du prix du préjudice subi. Le commissaire avait toutefois bien fait passer son message : il fallait contenter le directeur de l’hypermarché. Un moment et la foule s’écarta pour laisser passe une femme en larmes. Mama Cita était là. Les larmes de la pauvre mère... rien n’y fit. Les policiers décidèrent alors de forcer le passage afin de faire embarquer le jeune homme à bord du véhicule de police. L’étau de la foule se resserra. Une, puis deux tentatives pour forcer le passage à la voiture échouèrent. Le policier qui avait menotté le jeune homme et le tenait le lâcha pour prêter main forte à son coéquipier. Ce fut à ce moment là que le jeune homme bien que menotté, quoique pieds libres, tenta de s’échapper et disparaitre dans la foule. On ne sut comment, un coup de feu rattrapa le fugitif, le mettant à genou.Net. La balle avait atteint sa cible en plein cœur. Un silence sépulcral qui sembla durer une éternité fit place soudain au long cri d’un cœur de mère, les mains souillées de sang, palpant les restes de vie s’échappant du corps de son rejeton. Le policier ébahi n’eut pas le temps de réfléchir à son acte. En une fraction de seconde, la foule s’était abattu comme un tsunami sur les forces de l’ordre qui pour le moment venaient d’exacerber le désordre. En trois minutes la vindicte populaire avait réduit en charpie les trois policiers dont on ne distinguait vaguement que des formes imprécises moulées dans des uniformes à l’ origine bleu, quoique maintenant sang et terre. La gendarmerie s’empressa de dépêcher sur place un contingent de ses hommes. La foule avait doublée, triplée, quadruplée. Et... était maintenant armée. Bois, planches, couteaux et machettes étaient sortis. Sans sommation l’escadron de gendarmerie ouvrit le feu donc sur la foule assoiffée de vengeance et sang. Sur le coup on dénombra des dizaines de morts. Fatale fut la riposte. Aucun gendarme de l’escadron n’eut la vie sauve. La terre avait bu du sang et ne s’en cachait point. Le rouge du sang habillait les environs. Des pneus enflammés, érigés en barricade vomissaient des panaches noires vers le ciel qui s’était assombrit, ayant pris la mesure du désastre. L’état-major fut informé. Le temps de développer une stratégie c’était déjà trop tard. Le peuple avait engrangé pendant longtemps et venait de voir mourir en martyrs plusieurs de ses enfants. Il fallait bien que quelqu’un paye. Les nouvelles des populaces allaient vite. Dans toutes les villes du pays, la révolte s’était levée. Pour Mama Cita et son fils, pour les autres... La révolution était en marche...
Ce qu’il entendait depuis ce matin n’était que mauvaises nouvelles. Du temps de son père cela n’était jamais arrivé.
Son père, lui en son temps avait gouverné. Il avait toujours paré a toutes les éventualités, et ce avant même qu’elles ne naissent. Son père, tout le monde le craignait. Il avait mis sur pied un puissant réseau d’informateurs qui s’attelait à faire disparaitre à l’aide d’un escadron d’opérations secrètes, du jour au lendemain tous ceux qui ne se reconnaissaient pas en sa gestion du pouvoir et qui murmuraient des choses dans leur barbe. Son père lui contrôlait tout alors que lui, lui, il s’en rendait compte que maintenant, s’était laisser guider sans même tenir les rennes du pouvoir. Il s’était laissé balloter au gré des réceptions officielles, des audiences accordées et des hauts sommets de chef d’état.
Là maintenant toute la charge de ses responsabilités, hélas risquait de disloquer ses frêles épaules de presque président de la république. C’était peut-être le moment de faire une déclaration télévisée... Le gouffre s’était toutefois déjà trop agrandi. Le « tortionnaire » était conscient de ce qui se passait. Il avait devant lui la majestueuse mollesse du président qui en quelques heures n'était plus que l'ombre de lui-même. Il se sentait fatigué. Il savait que c'était la fin cette fois. Il avait vécu, il avait tué, il avait vaincu. La vie se déroulant sur la base d'une chaîne alimentaire, hier chasseur, aujourd'hui c'était lui la proie. Un grand bruit annonça que la horde venait de franchir la barrière de sécurité. Il se mit à genoux et commença à prier pour le salut de son âme. Car il le savait : son enveloppe charnelle dans quelques minutes ne serait que charpie. Toute histoire commence certes toujours quelque part, mais là où elle se termine... on le sait toujours.