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André a un regard clair, suspendu dans le vide, noyé dans un flou infini. Lorsqu'on l'observe, on ne sait jamais véritablement s'il est perdu dans ses pensées, s'il... [+]
Félix du Panier
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Pour habiter le quartier du Panier, centre historique de Marseille, mieux vaut avoir de bonnes jambes.
En effet, celui-ci est constitué de petites ruelles étroites qui s’entrelacent et débouchent sur d’authentiques places pavées très agréables à vivre quand arrivent les beaux jours.
Un village de Provence en plein cœur de Marseille avec ses façades colorées, son linge suspendu d’une fenêtre à l’autre et ses montées d’escaliers interminables agrémentées de robustes rampes de fer sculptées.
Ce quartier est protégé en permanence par l’énorme statue dorée de la vierge de la garde que tous les Marseillais appellent la bonne mère.
Du haut de ses dix ans, Félix connaît mieux que personne chaque recoin de ce quartier, il aime courir d’une rue à l’autre, descendre à toute allure les grandes marches de la montée des Accoules, mais son endroit préféré reste le passage de Lorette qui détermine l’entrée du Panier.
Un passage pittoresque et magique où il vient souvent s’isoler pour penser à ce père qu’il ne connaît pas, ou très peu.
Quand il pose des questions embarrassantes, sa mère refuse d’aborder le sujet et sa grand-mère Rosalia, une robuste Sicilienne au caractère bien trempé, lève les yeux au ciel en signe de non-recevoir.
Félix adore passer une partie de la journée chez elle, parce que maman Lucia travaille, elle tient un petit salon de coiffure tout en haut du Panier et puis chez mamie Rosa comme il la surnomme affectueusement, c’est buffet à volonté. Il y a bien sûr les panisses de l’Estaque, les chichis au sucre, les navettes du Lacydon qui embaument la fleur d’oranger, et surtout elle est la spécialiste de la succulente soupe au pistou dont il raffole.
Mais depuis quelque temps, Félix a un comportement étrange, il s’est mis en tête de trouver un nouveau compagnon pour sa mère et de ce fait, un père de remplacement pour celui qui est parti alors que les couches-culottes dansaient encore la valse au son des biberons.
Il a bien repéré quelques spécimens aux alentours, comme Monsieur Antoine, un vieux garçon qui tient une épicerie fine dans le quartier et ne semble pas insensible aux charmes de sa mère, mais justement un peu trop vieux pour lui qui rêve d’un père robuste et protecteur.
Il a aussi pensé à son instituteur monsieur Dubois fraîchement divorcé, mais en y réfléchissant d’un peu plus près, il se dit que ce n’est peut-être pas une très bonne idée, en effet celui-ci est d’une sévérité rigoureuse qui lui donne un côté austère qui ne conviendra sûrement pas à sa mère d’un naturel très joyeux.
Et puis, il y a Serge, un pêcheur du Vieux-Port, que tout le monde ici surnomme Sardine, Félix le connaît depuis qu’il est tout petit, plusieurs fois il l’a emmené sur son pointu au large des îles du Frioul et toujours ce fut le même émerveillement et la même complicité entre eux.
Bien sûr, Sardine est costaud, sa peau est burinée par le soleil et ses yeux sont aussi bleus que la mer qu’il chérit par dessus tout. C’est bien ça le problème, il passe plus de temps en mer que sur terre, et finalement il serait autant absent que ce père qui s’est évaporé dans les brumes épaisses du port de Marseille.
Tous les jours Félix déambule dans ce vieux quartier à la recherche d’un géniteur de substitution, il croise des profils divers et variés, des grands costauds tatoués, des costards cravates, des noirs aux cheveux crépus, des yeux sombres et bridés, des casquettes multicolores, des chapeaux tendances ou pas, enfin une faune bigarrée où il perd pied un peu plus chaque jour.
Toutefois, dans cette quête du Graal, il peut compter sur la complicité de Ginette, une voisine d’immeuble qui est péripatéticienne, maman lui a expliqué qu’elle procurait du bonheur aux autres, et Félix en a déduit sans trop bien comprendre la signification réelle de son métier, mais vu ses nombreuses fréquentations masculines, qu’elle était la mieux placée pour l’aider dans ses recherches.
Chaque fois qu’un spécimen mâle correspondant aux attentes de Félix se présente, elle lui fait un petit signe discret, et celui-ci acquiesce ou pas.
Après quelques mois de ce manège et malgré toute la bonne volonté de Ginette qui a mis les bouchées doubles, Félix n’a toujours pas trouvé l’heureux élu, il faut dire que ses critères sont très pointus et les clients venus chercher le bonheur près de la belle pas très à son goût.
Ce matin, c’est le cœur lourd et le pas hésitant que le petit bonhomme traîne son humeur mélancolique dans les ruelles étroites.
Perdu dans ses pensées douloureuses, le regard cloué au sol fixé sur un point inexistant, la tête des mauvais jours, Félix erre sans but précis vers nulle part.
Toujours fidèle au poste, Ginette qui fait souvent des heures supplémentaires, le salue avec sa gouaille marseillaise :
— Alors, minot c’est pas la forme on dirait ! Aujourd’hui c’est kafi de kékés, allez zou, tu devrais rentrer chez toi, sont pas trop fréquentables les rues du Panier.
Félix lui jette un regard noir et prend un air escagassé pour lui signifier que personne ne pourra l’empêcher d’aller au bout de cette mission qui le rend fadoli.
Elle lui sourit en ébouriffant ses cheveux, ce qui a le don de l’énerver encore plus, lui qui ne supporte pas qu’on le décoiffe.
D’un pas décidé, il emprunte la rue du petit-puits, celle-ci est très animée et bordée de boutiques d’artistes, elle est devenue une véritable attraction touristique et toutes les nationalités s’y côtoient avec convivialité.
C’est l’endroit parfait pour trouver ce père idéal qu’il recherche en secret, car hormis Ginette personne n’est au courant de sa démarche.
Et voilà qu’au bout de la ruelle, deux hommes se dirigent vers lui d’un pas rapide, tout de suite son regard est attiré par celui de droite à l’imposante carrure.
Il porte un blouson de cuir noir, sa tête disparaît sous un chapeau-feutre rayé de gris et ses chaussures claquent bruyamment sur le pavé.
Le cœur de Félix s’est soudainement emballé, il sait avec une conviction certaine qu’il vient de trouver ce père qu’il recherche désespérément.
Les deux hommes se dirigent vers lui d’un pas alerte et Félix essaie désespérément d’attirer leur attention, il affiche un sourire idiot au bord de ses lèvres et saute sur un pied en poussant des petits cris aigus.
Le plus petit des deux observe son manège de loin et semble s’amuser des pitreries de ce gamin des rues, alors notre petit bonhomme en rajoute une couche et tourne sur lui-même comme une girouette qui s’affole sous le mistral de Marseille.
Un peu étourdi au détour d’une pirouette, il se retrouve face à face avec le plus grand qui déploie son corps immense pour l’interpeller :
— Hé Minot, tu es du coin ? Je cherche un bon coiffeur pour rafraîchir un peu ma coupe de cheveux.
Félix lui répond par un large sourire qui laisse apparaître les dents écartées du bonheur.
S’il peut lui conseiller un bon coiffeur, quelle bonne blague, il connaît le meilleur, enfin la meilleure, et d’un pas rapide il conduit les deux hommes au salon de coiffure de sa mère.
Chemin faisant l’homme à la stature imposante se présente :
— Je m’appelle Max et toi ?
— Moi c’est Félix, mais ici tout le monde me surnomme Félix du Panier.
À cette petite coquetterie, Max se fend d’un large sourire qui laisse apparaître chez lui aussi les dents du bonheur, Félix en est persuadé à présent, les signes du destin ne trompent pas, surtout sous le regard bienveillant de la bonne mère.
Courage à tous et restons solidaires et unis .
Merci à toutes et tous pour le soutien et cette arrivée de mon petit Félix en finale.....