Fatou, victime des traditions !

Toute histoire commence un jour, quelque part et finit un jour, encore quelque part mais, au moment où l’on ne s’y attend guère. L’histoire de Fatou a commencé le jour de son viol dans un petit village de Baralandé et s’est finie au centre de santé de Baralandé. Fatou, couchée dans le lit de travail, ne pensait qu’à deux choses : soit elle vit, soit elle meurt. Mais pour elle, la vie ou la mort, ça lui était égal, puisque sa vie n’avait plus de sens. Elle était déjà sacrifiée. Courageuse et sereine, elle s’adressa à la sage-femme qu’elle venait à peine de connaître :
- J’ai connu le pire Tantie, dit-elle très fatiguée.
- Ma fille, je te rappelle que ton cas est délicat, reprit la sage-femme. Appelle donc ton mari.
- Il ne viendra pas, je vous le répète.
- Mais c’est ton mari, il doit être à tes côtés en ce moment.
- Il ne viendra pas Tantie. Commençons le travail. Si je survis, Dieu merci. Et si je meurs, il l’aurait voulu ainsi.
Fatou, avec une grossesse à terme, était venue seule à la maternité pour accoucher : personne pour l’accompagner. D’ailleurs, connaissant sa situation, elle n’en parla à personne.
Effectivement, comme elle l’avait dit à la sage-femme, elle avait connu le pire. D’abord, elle fut violée par l’enfant chéri de sa tante Nènè. Mais à Baralandé, les filles violées sont considérées comme les premières responsables du crime. Alors, sa tante l’accusait à tout moment pour couvrir son fils:
- Tu vois mon frère, je t’ai toujours dit de me donner l’argent pour aller exciser Fatou. Elle n’est pas comme nos autres filles. Elle est curieuse et voulait à tout prix savoir ce qui se trouve dans le pantalon des garçons.
- Je comptais te donner l’argent aux derniers jours de cette lune.
- C’est maintenant ou jamais.
- Mais pourquoi Ali...
- Non mon frère, mon fils n’a rien à avoir dedans. D’ailleurs, dans ce village, tout le monde sait qu’Ali est très religieux. Les gens savent aussi comment Fatou se comporte.
- Je sais que ma fille est curieuse mais...
- Mais quoi ? Mon frère, arrêtons de nous disputer et trouvons une solution. N’oublie pas que ton image et l’honneur de notre famille sont menacés.
- Je le sais. Et sincèrement, c’est ce qui me tourmente beaucoup.
- Heureusement que la nouvelle ne s’est pas propagée.
- Oui mais pour le moment...
- Cherche de l’argent pour son excision et un mari qu’elle épousera après la fête des initiées. De mon côté, je vais directement voir sa mère. Ensemble, nous allons voir ce qu’il faut.
- Réglez rapidement cette histoire.
- J’y vais.
Nène, voulant toujours étouffer l’affaire, alla immédiatement voir Adama, la mère de Fatou.
- Belle-sœur, commença-t-elle, pourquoi ce grand silence ?
- Je suis dépassée.
- Nos sages disent souvent qu’une fille canaille est une honte pour sa famille. Fatou a toujours couru derrière les garçons. Elle n’a jamais considéré les diffamations des gens. Elle n’a même pas pensé à l’humiliation que tu peux subir.
- Cela commencera par ton frère. Je sais qu’il m’insultera tout le restant de ma vie.
- T’inquiète, je serai là pour te défendre.
La mère de Fatou fit un petit sourire sur son visage attristé.
- Tu sais que je t’ai toujours préférée à tes coépouses, continua Nènè.
- Merci pour ton grand soutien.
- Parlant d’elles, je suis vraiment soulagée qu’elles ne soient pas au courant.
- Tu sais belle-sœur, je suis tellement angoissée. Je m’inquiète pour ce qu’elles diront quand elles seront au courant.
- T’inquiète, c’est notre secret. D’ailleurs, mon frère est en train de trouver un mari pour Fatou. Donc, nous n’avons qu’à l’exciser et célébrer son mariage après.
C’est au lendemain même que le père de Fatou lui trouva un mari, sachant que sa fille n’avait que quatorze ans. L’homme en question, content d’avoir une jeune fille fraîche comme deuxième femme, accéléra les choses. Il décida d’épouser Fatou dans deux lunes. Mais le père de Fatou insista de célébrer le mariage à la troisième lune, histoire de se préparer. Alors, après que la date du mariage soit fixée, Nènè anticipa l’excision de Fatou. Elle décida de le faire pendant la première semaine de la prochaine lune.
À Baralandé, les tantes et oncles avaient les premiers mots dans tout ce qui concernait les enfants. Car, pour ce peuple, les parents donnent juste naissance aux enfants et le reste appartient aux tantes et oncles. Le temps passait tellement vite que le jour-j arriva. Comme de coutume, les filles qui doivent être excisées seront accompagnées par leurs tantes. Les mamans ne partaient voir leurs filles qu’une fois que le travail soit fini, c’est-à-dire deux ou trois jours après l’excision. Fatou fut accompagnée par sa tante Nènè, la détentrice de son destin. L’opération se fit dans un petit village voisin de Baralandé. Les filles entraient l’une après l’autre dans une grande case à deux portes. Elles entraient complètes et sortaient incomplètes. Mais les initiatrices appelaient cela, entrer sale et sortir propre ou femme de bonnes mœurs.
Pour elles, le clitoris était une saleté dont les filles devaient se débarrasser. À cela s’ajoutait la manière d’exciser les filles. Dans cette case spécialement construite pour l’excision, elles utilisaient un seul couteau pour couper et deux morceaux de pagne pour nettoyer et arrêter l’hémorragie. Il y avait aussi l’infibulation, une deuxième douleur qu’elles considéraient comme prévention pour les filles canailles comme Fatou. D’ailleurs, à la veille de son excision, sa tante alla voir l’exciseuse, tenant un panier de fruits :
- Recevez ce petit cadeau, grande sagesse, dit-elle.
- Merci ma fille!
- Je souhaite que vous fassiez l’infibulation à ma nièce.
- Pourquoi ? Mais, elle va bientôt se marier, n’est-ce pas ?
- L’excision est pratiquée pour préserver l’honneur de nos filles et la dignité de la famille. Ma nièce étant canaille, ses parents et moi avions peur qu’elle ne se donne à un homme avant son mariage. Et si elle le fait, même vous ne serez pas épargnée en tant que son exciseuse.
- T’inquiète ma fille, j’ajouterai l’infibulation.
C’est ainsi que Fatou subit la deuxième douleur qui était l’infibulation, trois semaines seulement après son viol. Cette pratique, aussi cruelle que l’excision, consistait à coudre la partie excisée pour empêcher toute pénétration avant le mariage. Une fois fermée, elle ne sera ré-ouverte qu’à la première nuit de noces. La petite Fatou à quatorze ans, subit tous ces crimes. Où se plaindre ? À qui en parler ? Ses parents en étaient les auteurs. Le comble était qu’après son viol, sa mère lui adressait peu la parole. Une lune dans le camp d’initiation, elle ressortit avec une grossesse d’environ deux lunes. Sa mère et sa tante étant au courant de la situation, anticipèrent le mariage aussi. Chose qu’Oury, son fiancé, apprécia. La célébration se fit dans deux semaines. Enfin, arriva la nuit de noces. L’impatience d’Oury grandissait, mais il fallait attendre que Fatou soit ré-ouverte. Cela se fit au lendemain soir, vers le crépuscule. Oury, sans attendre que la douleur de la réouverture passe, coucha avec Fatou. Il était content et pressé de savoir qu’il serait son premier homme. Mais, hélas, la pauvre a été violée, il y a presque trois mois. La virginité, oui la virginité! Cette chose précieuse était devenue une obligation chez certains peuples. Elle fut la cause des maux de Fatou dans son foyer. D’abord, la perte de la place de favorite et le dégout de son mari envers elle. Déçu, Oury aimait de moins en moins Fatou et commença à la haïr et à la maudire le jour où il se rendit compte que Fatou était entrée chez lui avec une grossesse. Lorsque sa coépouse apprit la nouvelle, la rumeur se propagea petit à petit. Voilà pourquoi Fatou était partie seule à la maternité et avait dit à la sage-femme que son mari ne viendrait pas.
Au premier cri de son enfant, toutes les deux firent un ouf de soulagement. Ce n’était pas tout car, vu l’état dans lequel elle était, la sage-femme ne put retenir ses larmes. Mais Fatou, ayant compris la situation, toujours couchée dans le lit de travail, fit un petit sourire à la sage-femme et lui dit : ‘’ Gardez mon enfant, Tantie. Ne le donnez à personne, même pas à ma mère. Car, elle aussi, est complice de ma destruction. Tantie, prenez soin de mon enfant, on se retrouvera un jour dans l’au-delà.’’
Tels furent les derniers mots de Fatou, avant de rendre l’âme.