Et sa vie bascula du jour au lendemain

Toute histoire commence un jour, quelque part et celle de Makenne nous interpelle particulièrement. C’était une jolie petite fille qui avait grandi à l’Ouest Cameroun. Ses parents étaient assez nantis grâce à de leur activité florissante de culture de pommes de terre. En effet, son père avait des hectares à Galim, un village des Bamboutos. Il en produisait des tonnes chaque année. Tout était bien structuré dans la mesure où plus de 15 employés se chargeaient de tout ce qui était semence, sarclage, traitement et récolte. Un autre groupe était chargé de mettre les pommes dans d’énormes sacs et de les charger dans des camions. Les chauffeurs quant à eux étaient responsables de les acheminer dans les autres régions de la ville. Toute cette longue chaine était dirigée des mains de maître par l’oncle Kegne. En effet, chaque année, ils produisaient plus de 10 tonnes de pommes. Les parents de Makenne étaient du genre à beaucoup voyager, au regard de leur statut d’hommes d’affaires mondialement reconnus. Ils n’avaient vraiment pas le temps de s’occuper de cette activité interne. Cependant, ils recevaient de la part de Kegne, des rapports mensuels du fonctionnement de l’entreprise.
Tout se passait bien pour la petite fille qui était déjà en classe de 4e. Malgré l’absence régulière de ses parents, elle avait tout ce qu’elle voulait : des jouets, des coiffures à dormir debout à des prix astronomiques, une voiture luxueuse à son nom et un chauffeur, une garde — robe assez fournie et constituée des tenues de la haute couture, des parfums couteux, entre autres. Elle était la fille unique et malgré ses nombreuses réclamations, ses parents n’avaient pas le temps d’avoir un autre enfant. En effet, bien qu’elle fût très gâtée par une vie de princesse, elle ressentait un vide intérieur, de la solitude. Elle ne parlait pas beaucoup et n’avait pas d’amis au Lycée. Sa frustration de voir ses camarades de classe jouer avec leurs frères et sœurs la rongeait quotidiennement. Ses seuls interlocuteurs réguliers étaient ses multiples répétiteurs spéciaux ; la première place lui était destinée à chaque séquence au regard de ses notes plus que satisfaisantes et malgré toutes ses prouesses dans ses résultats scolaires, elle restait de marbre pendant les échanges en salle de classe. Quand bien même elle avait la réponse à une question posée, elle préférait se taire et malgré les remarques à elle adressées par ses enseignants, elle restait silencieuse. Ils étaient impuissants et ne pouvaient pas non plus se plaindre contre la première de classe, encore moins contre la fille du puissant Tchinda.
Les inépuisables ressources financières de ce dernier, lui permettaient de temps en temps, de faire des dons au Lycée et rien que pour cela, sa fille était tout simplement intouchable. Déjà, il était difficile de s’en approcher puisqu’elle était contrôlée par des surveillants spéciaux dont le rôle était de rapporter au proviseur, tous les mauvais regards et mauvais comportements à son égard. Quiconque faisait l’erreur de la contrarier, courait le danger d’être facilement sanctionné par des tâches telles que défricher, laver les toilettes, vider les poubelles, ramasser les papiers dans la cour de récréation ou encore, puiser de l’eau à des kilomètres pour arroser les fleurs du Lycée. Parfois, l’auteur recevait des jours de mis à pied avec convocation des parents à l’appui. On pouvait lire sur les convocations, des formulations à dormir debout dont le parent ne comprenait pas très souvent la signification. Il y était parfois inscrit : « Atteinte à la stabilité physicoémotionnelle d’une honnête et responsable citoyenne de la république ».
Un jour, le professeur de sciences en classe de troisième voulait obliger Makenne à prendre la parole à son cours et répondre à une question qu’il venait de poser. Le pauvre venait de prendre service, on ne lui avait pas expliqué clairement les choses, la réalité du terrain. Cette dernière ne pouvant pas supporter, prit son téléphone dernier cri tecno et appela son père devant Tane, l’enseignant comme pour dire qu’elle n’avait aucune considération pour lui. Ce dernier ne pouvant supporter un tel mépris fit une autre erreur en la mettant dehors. Il ne pouvait pas s’imaginer qu’il venait d’attaquer un essaim d’abeilles. Les surveillants ont accouru auprès de la jeune demoiselle en larmes, ils entrèrent dans une grande tristesse, car ils savaient qu’une chose catastrophique venait de se produire. Ils avaient pleine conscience qu’ils risquaient de perdre du jour au lendemain leurs salaires spéciaux que le leur versait le père de Makenne. Ils se mirent à la supplier de se taire avant l’arrivée de son papa. Hélas, on aurait dit qu’il versait plutôt de l’huile dans le feu, car à chaque fois qu’on la suppliait, elle criait davantage telle une femme en plein travail dans la salle d’accouchement.
Pendant ce temps, le professeur de sciences n’imaginait même pas l’instant d’un battement de paupières qu’il était en train de dispenser le dernier cours de sa vie. Le proviseur, monsieur Fokou arriva comme un sprinteur au lieu du spectacle. Dans son regard, on avait l’impression qu’il était face à un tsunami et ne pouvait pas faire grand-chose. Il se mit aussi à implorer la petite Makenne de cesser de pleurer, il savait pertinemment que le lycée allait prendre une grosse claque, le proviseur devait perdre ses enveloppes régulières, des invitations aux multiples banquets et surtout il ne devait plus avoir l’occasion de boire ces vins de marque que rapportait le puissant Tchinda de ses multiples voyages à l’étranger. Sa douleur était encore plus grande, comparée à celle des surveillants spéciaux. 15 minutes plus tard, le père de Makenne y débarqua accompagné par un cortège, on aurait dit un président de la République. Il se mit à marcher, entouré par dix gardes de corps, armés jusqu’aux dents. Quand Makenne aperçut son père, les pleurs prirent une autre dimension, elle criait comme quatre pleureuses recrutées au prix fort pour un deuil ; son père approcha très silencieusement. Le proviseur et les surveillants se mirent à transpirer on dirait qu’on faisait des braises de porc sur leurs têtes. Dès qu’il arriva devant sa fille, il posa une seule question sèche comme les arachides du grenier :
— C’est qui ?
Elle commença à respirer profondément comme si elle recherchait un souffle perdu à cause de multiples coups de fouet reçus.
–C’est, c’est, c’est le professeur de sciences ; il est là dedans.
Ce dernier entra dans la salle de classe accompagné de ses nombreux gardes de corps et c’est à ce moment précis que l’enseignant comprit qu’il était dans le pétrin, qu’il n’aurait jamais dû s’appesantir sur son élève. Hélas, il était trop tard pour regretter son action.
–Vous connaissez qui je suis?
Le père de Makenne posa la question avec une certaine prestance et un mépris légendaire.
–Vous êtes le puissant Tchinda, je le sais bien déjà que vous faites toujours la une de plusieurs quotidiens du pays.
Il enchaina avec des éloges pour attirer l’attention, une façon pour lui de l’amener à oublier l’incident et de détendre une atmosphère assez tendue.
–Vous êtes très important pour notre nation et j’admire tout ce que vous faites....
–Assez, ne me faites pas perdre mon temps, vous avez offensé la fille de Tchinda donc vous avez offensé Tchinda, le père de Tchinda, le grand-père de Tchinda, l’arrière-grand-père de Tchinda, les ancêtres de Tchinda. À partir de maintenant, vous cessez d’être professeur de je ne sais quoi, je vais m’assurer d’ici ce soir que vous n’allez plus jamais enseigner dans aucun établissement de ce pays. En plus, je vais personnellement m’assurer que vous n’allez plus être apte pour aucune autre activité, ça je peux vous le garantir.
C’était le sors réserver à ce dernier, qui est resté sans voix et un regard du puissant Tchinda dirigé vers le proviseur, était un signe pour qu’il mette en exécution la sentence qui venait d’être prononcée. Le pauvre enseignant de science devait malheureusement être chassé de tous les lycées et collèges du pays.
En réalité, le puissant Tchinda était une pieuvre avec des tentacules très longs. Il était le camarade et ami de plusieurs ministres, surtout des ministères en relation avec l’Éducation nationale. Il les rapportait très souvent ces vins rouges si précieux, exquis et rares en Afrique. En contrepartie, ces derniers devaient parfois assouvir ses moindres caprices. Il avait juste besoin de passer un coup de fil et le tour était joué. Le pauvre enseignant voyait comment sa carrière de professeur de sciences prenait un coup fatal. Il se rappelait encore de son histoire d’amour avec la science de la vie et de la terre. En effet, depuis son premier contact avec cette matière, il s’est produit un déclic. De retour à la maison ce jour-là, il déposa son sac dans sa chambre et malgré les verres qui réclamaient leur pitance, il préféra se rendre au portail pour attendre le retour de son cher papa. Trois heures plus tard, quand il aperçut sa voiture, sa joie allait grandissante. Dès que ce dernier en sortit, ils entrèrent dans une conversation très amicale, relax et intime.
–Cher papa, ami et partenaire, je sais ce que je deviendrai plus tard !
–cher fils, ami et partenaire, dis-moi à l’oreille, il ne faut pas que ta maman nous entende.
Son père pencha son oreille délicatement vers son cher fils
— Je voudrais être un grand professeur de Sciences de la vie et de la terre.
–Ah bon !, si c’est vraiment ce que tu veux, je vais t’aider à atteindre ton objectif
Quand il revint à lui, il ressentit une grande tristesse, il ne savait pas quoi dire à son cher père, ami et partenaire de toujours, il était désorienté, il avait l’air d’un chien qui venait de perdre son os.
Makenne assista à ce spectacle dans un silence imperturbable, comme par enchantement, ses pleurs avaient complètement disparu. C’est malheureusement de cette façon qu’on l’avait éduquée, elle était intouchable, irréprochable, infranchissable. Par conséquent, personne ne voulait ni ne pouvait être son ami. Elle croyait que c’était un comportement normal. Chaque fois qu’elle arrivait dans la cour du lycée, tout le monde s’écartait pour lui donner assez d’espaces. Elle ne comprenait pas pourquoi les gens fuyaient. Elle se disait que c’était eux le problème et qu’elle était irréprochable. D’ailleurs c’est ce que ses parents, surveillants spéciaux et surtout le proviseur passaient le temps à lui dire. On imagine que ses deux derniers n’avaient aucunement le choix puisqu’ils avaient des intérêts et voulaient plus que jamais les préserver.
Trois ans plus tard, il y avait une grande joie dans la famille de cette dernière, elle avait brillamment décroché son baccalauréat. Cependant, un évènement allait basculer complètement la stabilité dans sa vie. En effet, le couple Tchinda, allait se rendre à Dubaï comme souvent pour affaire. Ce jour, le ciel n’était pas vraiment clément, car il y avait un peu d’orage. Au regard des conditions climatiques, le directeur de la compagnie n’arrivait pas à prendre une décision puisqu’il voulait en être parfaitement convaincu. En plus, il ne voulait pas vraiment annuler un vol qui devait donner un gros coup de pouce à leur chiffre d’affaires, déjà qu’il comptait parmi les passagers le puissant Tchinda. Le climat donnant l’impression d’être revenu à la normale, le vol fut autorisé. Le puissant Tchinda et sa femme comme d’habitude étaient en première classe et une fois dans les airs, un fort orage prit possession de l’atmosphère, il y avait une succession de vents violents et d’incessants coups de tonnerre. L’avion se mit à basculer de gauche à droite, secoué par ces vents dont la puissance pouvait déraciner un arbre. On pouvait lire une grande inquiétude dans les yeux des passagers surtout de Douanla, épouse de Tchinda qui par le passé, due s’armer de beaucoup de courages pour effectuer ses premiers vols déjà qu’elle avait la phobie de l’altitude. Après quelques expériences, elle avait fini par s’habituer. Cependant ses énormes secousses eurent le don de la ramener à la case de départ, elle poussait des cris de stupeur. Cependant, ce n’est pas ce vacarme qui calmait l’orage, déjà les choses s’aggravaient plutôt et 10 minutes après le début des secousses, deux des quatre moteurs ont arrêté de fonctionner, comme si ça ne suffisait pas le côté droit de l’aile gauche s’est arraché d’un seul coup. C’est alors qu’une conversation qui au départ était calme entre le pilote et le contrôleur se transforma en un monologue plus qu’inquiétant du premier.
–Je n’arrive plus à stabiliser l’avion, car après les moteurs, c’est une aile qui vient de s’arracher, ô mon Dieu, nous venons de perdre le troisième moteur, les choses se compliquent pour nous, le quatrième aussi ne fonctionne plus, nous allons nous écraser.
C’était terrible, le bilan du crash était sans appel avec 300 morts et aucun survivant. Cet accident fit la une des Journaux. Dans la plupart des titres, on lisait : « LE PUISSANT TCHINDA ET SA FEMME PÉRISSENT DANS UN TRAGIQUE CRASH » ; on aurait dit qu’ils étaient en Jet privé, pourtant 298 autres âmes avaient aussi passé de vie à trépas. C’était la consternation générale, on organisa un deuil national, Makenne était inconsolable, elle s’enferma dans sa chambre et y resta pendant plus de deux jours. Elle passait ses journées à pleurer. Elle n’avait pour seule compagnie qu’un petit chat qui visiblement en avait assez de tant de pleurs. Il finit aussi par quitter la chambre en la laissant toute seule. Son oncle prit rapidement les choses en main. Une semaine plus tard, il fit une déclaration dans la presse dans laquelle il insistait sur le fait qu’un baobab s’en était allé, tout en rassurant que ses affaires allaient suivre son cours sans aucun problème. Il prit rapidement la direction de toutes ses affaires en mettant tous les biens à son nom.
La situation de Makenne changea complètement du jour au lendemain, elle perdit tous ses privilèges. Son oncle l’avait tout simplement dépourvu de tout, il fabriqua de fausses preuves pour démontrer qu’elle n’était pas la fille légitime de son frère. Il corrompit un pauvre homme pour qu’il avoue être son véritable père pour ainsi la priver de son héritage. Il déclarait partout que malgré cette trahison, il continuait quand même à la considérer, à l’aimer comme si c’était sa propre fille, ce qui était un gros mensonge puisqu’un an plus tard, il la drogua et la vendit dans un réseau de prostitution en Europe. Celle-là qui par le passé était intouchable est devenue par la force des circonstances, abandonnée et perdue. Celle-là qui vivait une vie de princesse était devenue une simple marchandise qui allait être maltraitée, abusée et dénigrée. Rien ne devait plus être comme avant, c’est aussi ça la vie.