La journée s’annonce merveilleuse. Le soleil brille et au marché aux puces ce matin, j’ai enfin trouvé le petit secrétaire dont je rêvais !
Un bijou ce meuble !
Il est en merisier avec une incrustation de marqueterie en bois plus clair : des arabesques autour du plateau et un vase duquel sortent des fleurs sur le dessus. Le plateau se soulève en son milieu pour y ranger : encre, papier, porte-plume, stylos, etc... Il est surmonté à l’arrière de deux rangés de deux tiroirs. Chaque tiroir possède une clé.
Avec mille précautions, je dépose ce meuble dans ma chambre. A l’aide d’un chiffon doux, sans tarder, j’entreprends de le débarrasser de sa poussière. Puis je le nourris d’un peu de cire d’abeille. Sur ce meuble de près de 150 ans, mes gestes sont lents et prudents. Mes mains se font caressantes sur la surface satinée de cet objet si longtemps désiré. L’odeur du bois, mêlée à celle de la cire, ajoutée au plaisir de la possession, m’enivre.
Les tiroirs coulissent sans problème. Tout au moins pour les trois premiers. Parce que là, celui de droite en bas, s’ouvre à peine. Il bloque. Délicatement je le fais glisser de droite et de gauche. Je tire un peu. Je passe du savon dessus et dessous pour faciliter la sortie. Je recommence plusieurs fois l’opération. Il avance millimètre par millimètre. Ouf ! Après un dernier effort, Il sort de son habitacle.
Là, je découvre l’objet responsable de cette difficulté : une enveloppe. Une toute petite enveloppe de 12cm sur 9 en papier jauni.
Elle est cachetée. Pas de nom. Pas de timbre. Depuis quand est-elle là ? Au fil des ans le frottement du tiroir a laissé quelques traces à la surface du papier, sans toutefois le déchirer.
Vais-je l’ouvrir ? Que peut-elle renfermer ? Des mots d’amour ? Un secret de famille, si bien enfoui que la seule personne à le connaître n’a jamais eu le courage de dévoiler ? L’emplacement d’un trésor ? Les raisons d’une querelle de voisinage ? La revendication d’une paternité ? Je tiens dans mes mains cette « confession » sans oser la découvrir.
Décacheter cette enveloppe ne serait-ce pas un viol ? Le viol d’un secret gardé par ce secrétaire depuis des années ? Un siècle peut-être ?
Je la pose sur mon lit, désireuse de l’oublier. Je continue le nettoyage du meuble. Entre deux coups de chiffon, comme un aimant elle m’attire. Je la reprends entre mes mains. Je la tourne, la retourne, comme si le fait de passer mes mains dessus allait faire apparaître le contenu. Non, elle fait partie de ce secrétaire, elle a passé dans sa cachette un certain nombre d’années, je ne dois pas en briser le secret. Je vais la remettre dans un tiroir et elle y restera.
Elle n’y est pas encore !
Chaque jour, après avoir vaqué à mes occupations, à l’heure du coucher, je la retrouve sur ma table de nuit. Je la prends entre mes mains. Je la respire. Je passe mes doigts sur toute la surface. Je la regarde à travers la lumière d’une lampe pour deviner son contenu. Peine perdue ! Pas l’ombre d’un indice ! Le roman que je lisais chaque soir avant de m’endormir repose près d’elle, abandonné. Cette enveloppe est une plus grande source d’évasion. Elle fait travailler mon imaginaire. Mon esprit et mon corps sont transportés dans d’autres lieux, d’autres décennies. Chaque soir le décor change, les personnages aussi.
A-t-elle été écrite sur le front pendant la guerre 39-45 ? Voire pendant celle de 14-18 ? Ou celle de 1870 ? Par un soldat, perdu dans les tranchées, souffrant de froid, de faim, de peur, se raccrochant, pour tenir le coup à l’amour qu’il partage avec une jeune fille du village dont il espère retrouver le sourire et la chaleur, lorsque toute cette horreur sera finie ? C’était sans doute la seule missive qu’elle avait reçue. Elle lui avait été remise par l’intermédiaire d’un voisin blessé qui lui avait eu la chance de rentrer. Son amoureux n’était pas revenu. Elle avait gardé ses derniers mots d’amour enfermés dans cette enveloppe. Elle avait fait sa vie. Son secrétaire l’avait suivi, les mots d’amour sous le tiroir aussi. Pourquoi avoir cacheté l’enveloppe ? Sans doute pour mieux emprisonner les mots qu’elle connaissait par cœur et qui n’appartenaient qu’à elle. Passer sa main sur le tiroir lui suffisait à se les remémorer.
Un autre soir, j’imagine une belle demeure de maître, dressée au milieu d’un grand parc. L’ami du couple est épris de Madame. Il lui fait la cour depuis un certain temps. Elle ne reste pas indifférente. Son cœur bat plus vite en entendant les mots d’amour qu’il lui murmure. Elle rêve seulement, elle ne cède pas. Alors arrive cette dernière missive qu’il lui remet discrètement lors d’un dîner. Les mots sont enflammés, les mots sont fous. Au bas de la page elle lit l’ultimatum : Je n’en peux plus, ce soir vient ! Pars avec moi ! Bouleversée, elle hésite un peu. Bien vite elle remet les pieds sur terre. Cet amour n’est certainement qu’une chimère. Ne sera sans doute qu’un plaisir passager. Son devoir, sa raison lui commande de rester. Dans sa robe de dentelle écrue, debout derrière la fenêtre, elle soulève le voilage et regarde s’éloigner la De Dion-Bouton. Un amour évanoui, délicieux souvenir dont les traces indélébiles sont blotties au fond de cette enveloppe.
Il m’arrive encore d’imaginer une jeune fille, peut-être la fille des derniers propriétaires de ce secrétaire, à l’aube d’un amour naissant. Son amoureux lui glisse discrètement, sous le bureau de la classe, pendant un cours de français, un poème. Il est écrit sur un bout de papier brouillon, simplement quelques lignes qui la remplissent de chaleur. Ce sont ses premiers mots d’amour. Elle aime secrètement ce garçon depuis longtemps. Penser à lui, le croiser la remplissent d’émotion. Enfin il s’est déclaré. Dès sont retour elle glisse le papier dans une enveloppe, passe sa langue sur la colle et la ferme. Sous ce tiroir, sa mère ne pourra pas la trouver. Cet amour, doit rester son secret.
Certains jours, mon esprit un peu moins romantique, un peu plus réaliste, me fait penser qu’il s’agit peut-être d’une facture, d’une commande, d’une convocation pour une partie de chasse, d’une invitation à un dîner, d’un dessin fait par les enfants pour la fête des mères ? Que, tout simplement, cette enveloppe a glissé sous le tiroir par accident et qu’elle a donné lieu à de vaines recherches ?
Je me dis... Je me dis....
Je n’en peux plus de ce mystère. Cette enveloppe me brûle les doigts et perturbe mon esprit.
Demain je découvrirai ton secret.
Demain je t’ouvrirai !
Trois mois plus tard, je me suis persuadée que cette enveloppe contenait un message et que j’avais mission d’en dévoiler son contenu. Un soir après un moment de méditation, j’ai chauffé de l’eau et délicatement, avec d’infimes précautions, j’ai réussie à décoller cette enveloppe mystère. J’en ai sorti une mince feuille de papier transparent sur lequel était écrit d’une encre tout juste lisible :
Nous sommes le 30 juillet 1870. Je m’appelle Gustave Pasquet, J’ai 22 ans. J’habite à Tulle. Demain je pars à la guerre. Si vous trouvez cette enveloppe c’est que je ne serai pas revenu. J’ai fabriqué ce meuble avec amour. En échange je vous demande une prière pour mon salut. Merci.
Un bijou ce meuble !
Il est en merisier avec une incrustation de marqueterie en bois plus clair : des arabesques autour du plateau et un vase duquel sortent des fleurs sur le dessus. Le plateau se soulève en son milieu pour y ranger : encre, papier, porte-plume, stylos, etc... Il est surmonté à l’arrière de deux rangés de deux tiroirs. Chaque tiroir possède une clé.
Avec mille précautions, je dépose ce meuble dans ma chambre. A l’aide d’un chiffon doux, sans tarder, j’entreprends de le débarrasser de sa poussière. Puis je le nourris d’un peu de cire d’abeille. Sur ce meuble de près de 150 ans, mes gestes sont lents et prudents. Mes mains se font caressantes sur la surface satinée de cet objet si longtemps désiré. L’odeur du bois, mêlée à celle de la cire, ajoutée au plaisir de la possession, m’enivre.
Les tiroirs coulissent sans problème. Tout au moins pour les trois premiers. Parce que là, celui de droite en bas, s’ouvre à peine. Il bloque. Délicatement je le fais glisser de droite et de gauche. Je tire un peu. Je passe du savon dessus et dessous pour faciliter la sortie. Je recommence plusieurs fois l’opération. Il avance millimètre par millimètre. Ouf ! Après un dernier effort, Il sort de son habitacle.
Là, je découvre l’objet responsable de cette difficulté : une enveloppe. Une toute petite enveloppe de 12cm sur 9 en papier jauni.
Elle est cachetée. Pas de nom. Pas de timbre. Depuis quand est-elle là ? Au fil des ans le frottement du tiroir a laissé quelques traces à la surface du papier, sans toutefois le déchirer.
Vais-je l’ouvrir ? Que peut-elle renfermer ? Des mots d’amour ? Un secret de famille, si bien enfoui que la seule personne à le connaître n’a jamais eu le courage de dévoiler ? L’emplacement d’un trésor ? Les raisons d’une querelle de voisinage ? La revendication d’une paternité ? Je tiens dans mes mains cette « confession » sans oser la découvrir.
Décacheter cette enveloppe ne serait-ce pas un viol ? Le viol d’un secret gardé par ce secrétaire depuis des années ? Un siècle peut-être ?
Je la pose sur mon lit, désireuse de l’oublier. Je continue le nettoyage du meuble. Entre deux coups de chiffon, comme un aimant elle m’attire. Je la reprends entre mes mains. Je la tourne, la retourne, comme si le fait de passer mes mains dessus allait faire apparaître le contenu. Non, elle fait partie de ce secrétaire, elle a passé dans sa cachette un certain nombre d’années, je ne dois pas en briser le secret. Je vais la remettre dans un tiroir et elle y restera.
Elle n’y est pas encore !
Chaque jour, après avoir vaqué à mes occupations, à l’heure du coucher, je la retrouve sur ma table de nuit. Je la prends entre mes mains. Je la respire. Je passe mes doigts sur toute la surface. Je la regarde à travers la lumière d’une lampe pour deviner son contenu. Peine perdue ! Pas l’ombre d’un indice ! Le roman que je lisais chaque soir avant de m’endormir repose près d’elle, abandonné. Cette enveloppe est une plus grande source d’évasion. Elle fait travailler mon imaginaire. Mon esprit et mon corps sont transportés dans d’autres lieux, d’autres décennies. Chaque soir le décor change, les personnages aussi.
A-t-elle été écrite sur le front pendant la guerre 39-45 ? Voire pendant celle de 14-18 ? Ou celle de 1870 ? Par un soldat, perdu dans les tranchées, souffrant de froid, de faim, de peur, se raccrochant, pour tenir le coup à l’amour qu’il partage avec une jeune fille du village dont il espère retrouver le sourire et la chaleur, lorsque toute cette horreur sera finie ? C’était sans doute la seule missive qu’elle avait reçue. Elle lui avait été remise par l’intermédiaire d’un voisin blessé qui lui avait eu la chance de rentrer. Son amoureux n’était pas revenu. Elle avait gardé ses derniers mots d’amour enfermés dans cette enveloppe. Elle avait fait sa vie. Son secrétaire l’avait suivi, les mots d’amour sous le tiroir aussi. Pourquoi avoir cacheté l’enveloppe ? Sans doute pour mieux emprisonner les mots qu’elle connaissait par cœur et qui n’appartenaient qu’à elle. Passer sa main sur le tiroir lui suffisait à se les remémorer.
Un autre soir, j’imagine une belle demeure de maître, dressée au milieu d’un grand parc. L’ami du couple est épris de Madame. Il lui fait la cour depuis un certain temps. Elle ne reste pas indifférente. Son cœur bat plus vite en entendant les mots d’amour qu’il lui murmure. Elle rêve seulement, elle ne cède pas. Alors arrive cette dernière missive qu’il lui remet discrètement lors d’un dîner. Les mots sont enflammés, les mots sont fous. Au bas de la page elle lit l’ultimatum : Je n’en peux plus, ce soir vient ! Pars avec moi ! Bouleversée, elle hésite un peu. Bien vite elle remet les pieds sur terre. Cet amour n’est certainement qu’une chimère. Ne sera sans doute qu’un plaisir passager. Son devoir, sa raison lui commande de rester. Dans sa robe de dentelle écrue, debout derrière la fenêtre, elle soulève le voilage et regarde s’éloigner la De Dion-Bouton. Un amour évanoui, délicieux souvenir dont les traces indélébiles sont blotties au fond de cette enveloppe.
Il m’arrive encore d’imaginer une jeune fille, peut-être la fille des derniers propriétaires de ce secrétaire, à l’aube d’un amour naissant. Son amoureux lui glisse discrètement, sous le bureau de la classe, pendant un cours de français, un poème. Il est écrit sur un bout de papier brouillon, simplement quelques lignes qui la remplissent de chaleur. Ce sont ses premiers mots d’amour. Elle aime secrètement ce garçon depuis longtemps. Penser à lui, le croiser la remplissent d’émotion. Enfin il s’est déclaré. Dès sont retour elle glisse le papier dans une enveloppe, passe sa langue sur la colle et la ferme. Sous ce tiroir, sa mère ne pourra pas la trouver. Cet amour, doit rester son secret.
Certains jours, mon esprit un peu moins romantique, un peu plus réaliste, me fait penser qu’il s’agit peut-être d’une facture, d’une commande, d’une convocation pour une partie de chasse, d’une invitation à un dîner, d’un dessin fait par les enfants pour la fête des mères ? Que, tout simplement, cette enveloppe a glissé sous le tiroir par accident et qu’elle a donné lieu à de vaines recherches ?
Je me dis... Je me dis....
Je n’en peux plus de ce mystère. Cette enveloppe me brûle les doigts et perturbe mon esprit.
Demain je découvrirai ton secret.
Demain je t’ouvrirai !
Trois mois plus tard, je me suis persuadée que cette enveloppe contenait un message et que j’avais mission d’en dévoiler son contenu. Un soir après un moment de méditation, j’ai chauffé de l’eau et délicatement, avec d’infimes précautions, j’ai réussie à décoller cette enveloppe mystère. J’en ai sorti une mince feuille de papier transparent sur lequel était écrit d’une encre tout juste lisible :
Nous sommes le 30 juillet 1870. Je m’appelle Gustave Pasquet, J’ai 22 ans. J’habite à Tulle. Demain je pars à la guerre. Si vous trouvez cette enveloppe c’est que je ne serai pas revenu. J’ai fabriqué ce meuble avec amour. En échange je vous demande une prière pour mon salut. Merci.
Au plaisir de vous lire !