Entre espoir et désespoir

« Toute histoire commence un jour, quelque part ». Et si les paroles s’envolent, les écrits restent. En vérité, ils ne peuvent se ternirent à travers la file du temps car, demeurant bien vivants, ils constituent une histoire. Le mois était déjà fini, depuis bien longtemps et nous étions à plus de deux semaines du mois en cours et l’Etat n’avait pas encore versé la bourse aux étudiants. Nos dirigeants nous avaient beau convoqués en des assemblées générales pour prendre des mesures radicales face à cette situation plus que désolante afin qu’elle soit réglée et éradiquée une bonne fois pour tout parce que ce problème était devenu un fléau qui gangrénait les universités. A chaque fois qu’une mesure était entreprise, elle tombait en échec. D’abord en passant par une descente sur le territoire pour faire une marche suivie d’une conférence de presse, ensuite en procédant par arrêt des cours parce que la fringale qui sévissait les étudiants était devenue insupportable. Ceux qui ne pouvaient plus endurer plièrent bagages pour regagner leurs demeures et pour d’autres, il fallait cotiser le peu d’argent qui leur restait pour préparer de quoi manger et de se le partager afin de soulager la faim parce qu’il était à noter que dans cette deuxième mesure entreprise, il y avait un décret de journées sans tickets (JST) qui, malheureusement avait mal tourné, il s’ensuivit la fermeture totale des restos. Nos dirigeants les dévalisèrent pour distribuer aux étudiants les réserves qui s’y restaient afin de pouvoir manger à leur faim. Et tout d’un coup, toutes les ressources des restos s’épuisèrent comme parties en fumée. Enfin, la seule option qui restait était de libérer tout le campus, chaque étudiant devait rentrer chez soi. Les étudiants issus des régions et des villages lointains, ébahis et plongés dans la misère et la tristesse ne savaient plus quoi faire ni répondre parce que tout un autre problème venait de se poser, ils n’avaient plus de sou pour regagner leurs maisons vus l’éloignement et le manque de moyens.
Ce moment devint propice pour un brillant poète du campus de dénoncer avec véhémence les tares de l’université par un poème rempli d’émois et d’éloquence, insurrectionnel :
Descente sur le territoire, marche et cri de désolation
Faim et soif sont devenues tendance à l’Université sans cesse
Les restos ont été fermés et les étudiants sans consolation
Une situation déplorable et désolante qui s'affaisse

Des étudiants au chevet de leur colère qui se démerdent
Pour survivre, à l'instant où certains étudiants sont traités dans leurs pays avec égard
Ceux qui le disaient n'ont pas tort, l'Université est devenue de la merde
Les étudiants sont traités comme du bétail, négligés sous le coup de l'État avare

Etre étudiant devient exposer sa vie à la merci de l'Etat
Qui fait défaillance face à ses engagements,
Et expose l'avenir de demain dans un parfait état
De désarroi et de troubles sans presque jamais de changements

Ô Etat ! « Ventre affamé n'a point d'oreilles » !
J'entends, la nuit, les pleurs des filles aux bords de ma chambre,
Qui se tordent le ventre et veillent
De douleur pour se mettre en position d'un cambre

Nous avons quitté nos terres et le berceau natal
Pour se donner rendez-vous au banquet de l'universel
À la quête du savoir qui demeure notre essence capitale
Pour servir et faire valoir notre potentiel

Non ! Nous ne sommes pas révolutionnaires
Nous ne faisons que réclamer nos droits
Nous sommes modèles ! Et nous ne faisons pas la guerre
« L'humilité mon choix, l'excellence ma voix »
Et ces belles paroles furent partagées à l’unanimité dans les réseaux sociaux, invitant et interpellant tout un chacun à réfléchir sur le sort des étudiants.
Le campus social devenait de plus en plus nostalgique, le tiers avait quitté, là où l’on se tournait on ne voyait que des étudiants faire leurs valises. Et sous cet état de faiblesse, de nombreuses voitures de police débarquèrent dans cet environnement universitaire. Les policiers descendirent, armés de leurs grenades et lacrymogènes et commencèrent à tirer sur la foule des étudiants qui ne s’attardèrent pas eux aussi à se dresser en rangs pour se défendre et répondre à cette provocation par des jets de pierre. Et ce fut le début d’une bataille notoire.
Et tout d’un coup, des cris se déclenchèrent. Toute l’université était en état d’hystérie et de vocifération et certaines filles en pleurs vue leur sensibilité. L’environnement était devenu invivable et tout le monde sans exception a été délogé de sa chambre et d’autres arrachés de leurs lits pour une révolte sans précédent. Les garçons armés de pierres et les filles, bâtons à la main, tous pour sortir dans la rue et barrer les routes, tout ce qui se mettait à travers leur chemin pour manifester cet état de désarroi. A peine, s’était-on posait la question de savoir ce qui se passait ?
Un étudiant du nom d’Hasbaab a été violemment tué par balle en plein thorax dans les affrontements entre policiers et étudiants. Un policier, ne pouvant plus faire face à la répression des étudiants avait dégainé son arme à feu en direction de la foule des étudiants en tirant à bout portant sans aucune hésitation et avec rancune sous un regard atroce et déchirant dans une atmosphère couverte de poussière et de fumée tel un champ de guerre. L’étudiant n’était pas mort sur le coup, il gisait sur le sol se tordant de douleur avec même plus de force pour crier au secours, demandant de l’aide pour se mettre sur ses pieds et se sauver par peur de recevoir une deuxième balle sans défense. L’auteur de ce drame, de cet acte ignoble s’était enfui sur le champ avec ses compagnons policiers sans même dire un mot ni s’enquérir de l’état de l’étudiant qui a été abattu.
Certains étudiants qui ne s’étaient pas totalement enfuis avaient accouru de toute allure pour venir assister leur frère. L’étudiant était couvert de sang, il ne pouvait faire de mouvements avec sa langue et reniflait comme s’il tenait à son dernier souffle. Il a été rapidement évacué à l’hôpital le plus proche. Arrivés dans ces lieux, sans même perdre une seconde de plus, les médecins l’avaient directement évacué en bloc opératoire pour tenter de lui retirer la balle. Les étudiants, venus en masse et avec espoir avaient rempli les couloirs de l’hôpital, les uns tenant leur tête en proférant de mauvais propos tels des insultes, les autres levant leurs mains vers le ciel priant Dieu pour le rétablissement de leur frère étudiant.
Après une heure et demi voire deux heures d’attente, on voyait les médecins venir vers nous avec des visages pâles et un peu sombres et là, tous les étudiants présents furent debout pour prêter oreilles aux propos des médecins. L’un d’entre eux nous regarda longuement et s’exclama : « Ah ! Enfin ! La balle a été retirée. Votre ami a perdu beaucoup de sang à cause de sa blessure profonde et ce que nous craignons pour lui, c’est bien une hémorragie interne » nous disait-il. A ce moment, on pouvait déceler le sourire sur le visage de certains étudiants et c’était un « ouf » de soulagement mais pour d’autres, ils ne pouvaient ni s’émerveiller ni dire un mot, il était juste plus judicieux pour eux de dire « Louange à Dieu » car pour eux l’espoir était déjà perdu, le médecin, sous son regard hagard ne tentait que de les rassurer et leur cachait cette horrible vérité dont ils craignaient. Bien qu’ils avaient pu faire tout ce qui était en leur possibilité, le blessé a été placé en salle de réanimation, là où il demeurait entre la vie et la mort. Voilà que le matin, de bonne heure, les stagiaires qui étaient en garde nous annonçâmes que notre ami avait succombé suite à sa blessure par hémorragie interne. Ce fut là un silence total avec des têtes d’enterrement, même les étudiants n’ayant pas trouvé sommeil la nuit et qui somnolaient dans les couloirs s’étaient réveillé ouvrants de gros yeux sous un air ébahi, restant bouche-bée. La colère nous remontait la gorge telle une fourmi s’échappant d’un margouillat sur un arbre. C’était comme si on venait d’entendre de nouveau le tir de l’arme à feu retentir. Les gens avaient commencé à paniquer et toute faim et soif disparurent. L’hôpital n’était nullement un lieu à saccager par respect envers les patients, il fallait sortir dehors pour de nouvelles manifestations, un front.
Près de l’université, il n’y avait plus d’issue pour les passages piétons et les voitures, cette route principale qui permettait d’accéder à la ville a été barrée. La rue était pleine et les étudiants armés de pierres ayant saccagé préalablement presque tout le campus pédagogique pour exprimer leur désarroi. Toutes les maisons d’à côté de même que les boutiques étaient fermées et on pouvait voir une longue, très longue file de voitures en embouteillage comme s’ils n’attendaient que le feu vert des étudiants pour pouvoir passer, mais non ! Sous l’irritation des étudiants, rien ne semblait marcher. Non loin de là, on entendait les sirènes des voitures de police. Les policiers, armés jusqu’aux dents avançaient en toute allure pour décanter la situation. Malheureusement, ils ne savaient pas ce qui les attendait face à cette situation démesurée. Pensant qu’ils avaient la situation en main et qu’ils pouvaient calmer les étudiants par une simple négociation, ils ont été pris au piège tout bonnement sans s’en rendre compte. Des étudiants avaient traversé la rue pour joindre les autres quartiers et encercler les policiers. On voyait des pluies de pierre venir de nulle part sur les forces de l’ordre, baptisées « forces de désordre » par les étudiants. Ne voulant pas finir comme des rats face à cette immense nuée, ils ont été contraints de prendre la poudre d’escampette sans même leurs voitures qui ont été faites sauter et leurs munitions, confisquées par les étudiants. Ceux qui voulaient faire usage de force ont été sévèrement tabassés. A peine, aurait-on pensé qu’ils allaient succomber. Et après ce petit affrontement ou petit règlement de compte, les « brigands » avaient une seule conviction : marcher jusqu’au palais présidentiel pour manifester leur écœurement. Pour eux, l’Etat était derrière toute cette manigance car tous les problèmes universitaires découlaient de là-bas. Arrivés à mi-chemin, d’honorables gens connus plus particulièrement sous le nom de « kilifeu » s’étaient dépêché à leur rencontre pour se dresser en des rangs devant ces derniers, tous vêtus de grands boubous. Le plus respecté d’entre eux avança et promulgua : « Jeunes gens ! Vous êtes l’espoir du pays, nos futurs dirigeants, ce n’est pas parce que vous avez été agressés que vous sèmerez la terreur. Tout problème à une résolution selon les règles de l’art... ». Ce fut là un moment fort en émotion, on dirait même un père se tenant droit devant ses fils pour les prodiguer des conseils. Un dilemme s’imposa, mais par respect envers ces nobles gens et ne voulant pas désobéir pour jouer l’étourdi, les « brigands » acceptèrent de faire profil bas et d’attendre une bonne résolution de ce problème dans la douceur et le calme d’autant plus qu’il venait de prendre une autre tournure : des personnes dignes de confiance et très écoutés dans le pays allaient prendre l’affaire en main afin d’éviter d’autres conflits entre l’Etat et les étudiants.
Les étudiants sont solidaires entre eux. Toutes les autres universités du pays étaient en deuil aussi, les étudiants sous le choc avaient déserté leurs campus pédagogique et social pour sortir dans les rues et manifester par des marches passives et décrétèrent par la même occasion eux aussi une grève totale jusqu’à ce que l’affaire soit résolue. A cet effet, tous les « garnements » rebroussèrent chemin. Il fallait regagner les campus sociaux et se préparer pour les funérailles dans les jours à venir.
Voilà une semaine que notre téméraire ami nous a quittés. Nous voici arrivés à Dorf, son village natal après avoir parcouru une centaine de kilomètres. Tout le monde était plongé dans la tristesse et le désarroi de telle sorte qu’on pouvait remarquer des traces de larmes desséchées sur certains visages. Les hommes habillés en grand boubou, les femmes couvertes de voiles amples de la tête au pied ne laissant nullement apparaitre leurs parties intimes, tous pour assister aux funérailles et seuls les hommes étaient tenus de suivre le cortège funèbre.
L’espoir de tout un village était perdu, un fils venait de partir à tout jamais. Cette bourgade n’avait pas connu assez d’intellectuels d’autant plus qu’elle demeurait toujours dans la classe paysanne. La seule personne sur qui elle pouvait compter pour se moderniser venait d’être rappelé à Dieu. Lorsque le soleil était au zénith, nous nous retrouvâmes tous sous un arbre à palabre, le plus grand du village. Le Président de la République et les autorités étatiques, tous vêtus de costumes, accompagnés des journalistes et escortés par les forces de l’ordre, devant la famille éplorée du défunt, le groupe des étudiants et le corps professoral à droite et les villageois accompagnés de leur chef à gauche. Et là, ce fut un silence total. Tout d’un coup, le père se leva avec humilité et décence, par respect envers les autorités et en l’honneur des étudiants en l’occurrence celui de son fils bien-aimé pour s’exprimer. Toute une foule leva les yeux, le regardant tituber comme s’il avait un micro à prendre. Sa femme voulait le retenir mais il était presqu’inconsolable. Regard vif, canne à la main, il marqua un arrêt avec un petit sourire. A cet instant rempli d’émotions, le Président de la République se leva et serra si fort le père d’Hasbaab, le câlina et dit : « Monsieur ! Séchez vos larmes et réjouissez-vous ! Votre fils vient de faire un pas dans l’histoire de notre pays. Et sa preuve d’héroïsme en réclamant ses droits au péril de sa vie vont susciter d’énormes changements dans la vie estudiantine. En effet, moi et mon Ministre de l’Enseignement Supérieur avions décidé de resubventionner les tickets des restos universitaires, d’augmenter les bourses, changements qui seront opérés à partir du mois suivant. Par ailleurs, de nouveaux bâtiments servant de logements aux étudiants seront construits et fonctionnels dans la prochaine année universitaire. Cette affaire suivra des procédures et sera éclaircie afin que justice soit rendue à votre défunt fils et à l’ensemble des étudiants. Nous nous excusons de ce désagrément et veuillez recevoir de notre part une somme 30 millions de franc CFA en guise d’obsèques ». Sous ces mots, il porta son regard vers le ciel et se mit à pleurer de joie parce qu’il savait qu’enfin, certains récurrents problèmes universitaires allaient disparaitre et que justice sera faite vu l’engagement de l’Etat dans cette affaire. Les étudiants et le corps professoral s’en réjouirent et toutes les personnes qui étaient présentes à cette scène se mirent à applaudir d’autant plus que ces forts moments et ce fort discours présidentiel allaient être reproduits par la presse internationale même, témoignant de l’ampleur de cette triste histoire.