Liz reposa sa bière fraîche en soupirant d’aise. Cette trêve dans les combats était un vrai bonheur. Les jambes étendues sous la petite table ravagée par des générations d’ivrognes, elle ... [+]
Empota Pumistic ~ Dresseuse de succulentes
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Empota Pumistic était une sorcière d'une patience rare. Bien installée dans son fauteuil de rotin blanchi, vêtue d'une robe bouffante aux couleurs pastels, elle pouvait rester des heures dans son immense serre, les mains croisées sous le menton, à vérifier que ses petites protégées poussaient bien selon ses directives et à les remettre dans le droit chemin si nécessaire. Elle maniait avec expertise son arrosoir de cuivre au long col, sa pince à épiler laquée de rose et son scalpel à la lame immaculée, tout en fredonnant de sympathiques chansons bucoliques.
De temps à autre, tout de même, elle s'accordait une courte pause tisane ; il régnait alors une ambiance de rébellion dans la demeure de verre. Certains jours, un observateur attentif pouvait apercevoir de ses yeux ébahis une Crassula sauvage saisir une délicate Echeveria à bras-le-corps, ou bien un Senecio taquin fouetter une Kalanchoe indolente. L'indiscret en conservait une vive impression sur la rétine, ainsi qu'une fâcheuse tendance à s'affubler ensuite d'un entonnoir sur la tête ; nul ne savait expliquer pourquoi ce choix stylistique audacieux, et les médecins fronçaient les sourcils.
Quant aux nuits de pleine lune... Eh bien, les voisins se calfeutraient avec soin dans leurs maisons et claquaient une bonne dizaine de verrous solides, juste pour être sûrs. Les hurlements des féroces Aeoniums vous glaçaient la colonne à tous les coups.
Empota, elle, ne semblait pas incommodée par la brutalité de ses petites protégées. Lorsqu'un visiteur soucieux évoquait des gants de cuir épais ou un tablier en peau de dragon, elle éclatait d'un léger rire cristallin et secouait son élégante chevelure blanche, un sourire aux lèvres, avant de proposer un peu plus de thé.
Non, vraiment, la charmante Empota n'avait peur de rien, à part peut-être une pénurie de jolis cailloux.
Ce matin, pourtant, elle était contrariée et faisait les cent pas devant son coquet cottage couvert de lierre et de vigne sauvage. À intervalles réguliers, elle levait les yeux vers le cadran solaire gravé dans la façade, et ses yeux bleus s'obscurcissaient chaque fois un peu plus. Ses ravissants souliers couleur dragée creusaient une ornière dans les gravillons de l'entrée et son jupon froufroutait avec irritation.
Puis soudain, survint ce que personne n'aurait pu imaginer :
— Incroyable, il est en retard ! Quel culot !
Empota Pumistic, inlassable creuset de joie de vivre, perdit patience et tapa du pied en ronchonnant ! Surpris, les promeneurs profitant de ce samedi ensoleillé pour flâner dans la campagne, virent l'herbe frémir, comme parcourue d'une onde de choc. Les plus prudents d'entre eux choisirent d'embrasser une retraite précipitée, mais certains inconscients s'approchèrent, curieux. D'où venait ce séisme, et pourquoi cette charmante grand-mère était-elle si contrariée ?
Ils furent ainsi aux premières loges pour observer fleurir la végétation sur cent mètres à la ronde, et s'élever d'immenses corolles d'un rose venimeux, aux épines gonflées de poison. Un grondement sourd semblait provenir des entrailles de la Terre, grave et menaçant, tandis que les plantes prises de folie grandissaient, grossissaient, éclatant les vitres de la serre, gauchissant les barreaux du portail. Leurs tentacules verdâtres sillonnèrent la ruelle pavée, prêtes à déchiqueter quiconque aurait osé s'avancer.
Empota, la bouche tordue et les sourcils froncés, croisa les bras. Sur la soie de sa robe, les motifs gracieux d'orchidée crème se mirent à grouiller, puis à gagner en relief et, enfin, à jaillir du tissu pour former comme de vastes ailes autour de la sorcière fulminante. Des racines se rassemblèrent à ses pieds et la soulevèrent, piédestal improvisé aux mille griffes acérées.
Au loin, un cabriolet blanc arrivait à fond de train, dérapant dans les virages. La furie se concentra sur ce véhicule, étrécissant le regard pour mieux suivre sa trajectoire. Elle décroisa les bras et serra les poings. Tout autour, la glycine devenait si massive qu'elle absorbait les rayons du soleil, plongeant le quartier entier dans une sinistre obscurité. Ceux qui observaient encore la scène par la fenêtre n'osèrent bouger pour allumer une bougie, de peur d'attirer l'attention sur eux, et se recroquevillèrent un peu plus.
La voiture commença à rouler sur les tentacules, qui s'écartèrent sur le champ pour former une redoutable haie d'honneur menant tout droit à leur terrible maîtresse. Empota prit une grande inspiration, et hurla dès que la porte de bois laqué livra passage à un homme en uniforme bleu et jaune :
— VOUS ÊTES EN RETARD !
L'employé des postes haussa les épaules sans lever les yeux ; il tenait entre ses mains malhabiles un petit paquet bien enveloppé, sur lequel il cherchait à lire l'étiquette écrite en pattes de mouches. D'instinct, il enjamba les tueurs végétaux qui furetaient tout autour de lui, et avança d'un pas nonchalant vers l'entrée.
— Savez-vous où je pourrais trouver « La charmante petite dame au cottage délicat » ?
Il redressa enfin la tête et jeta un regard circulai, ignorant la furie qui tremblait de rage à quelques mètres de lui puis, d'un seul coup, fit demi-tour :
— Bon, je vais laisser un avis de passage.
C'en était trop pour Empota. D'un mot, d'un seul, elle invoqua une Dionaea Muscipula gigantesque et pointa un doigt vengeur sur le livreur incompétent. La plante carnivore se pencha en avant, saisit l'indélicat d'un coup de mâchoire et le goba sans frémir. Puis, comblée, elle se retira avec un rot de satisfaction.
Aussitôt, la jungle menaçante se mit à rétrécir à une vitesse incroyable, les fleurs vénéneuses se rétractèrent et le soleil, pas rancunier, réapparut dans le quartier. L'enchanteresse, dont la robe reprenait une dimension tout à fait ordinaire, descendit de son trône végétal d'un pas tranquille et ramassa son colis tombé au sol. Avec un petit « Ah ! » de contentement, elle se le glissa sous le bras et repartit vers son allée gravillonnée, où le cottage était à nouveau visible.
Quelques minutes après que la porte d'entrée se soit refermée sur elle résonna dans la maison une joyeuse chanson bucolique, accompagnée d'une légère senteur de thé à la bergamote.
Empota Pumistic était une sorcière d'une patience rare... presque tout le temps.
De temps à autre, tout de même, elle s'accordait une courte pause tisane ; il régnait alors une ambiance de rébellion dans la demeure de verre. Certains jours, un observateur attentif pouvait apercevoir de ses yeux ébahis une Crassula sauvage saisir une délicate Echeveria à bras-le-corps, ou bien un Senecio taquin fouetter une Kalanchoe indolente. L'indiscret en conservait une vive impression sur la rétine, ainsi qu'une fâcheuse tendance à s'affubler ensuite d'un entonnoir sur la tête ; nul ne savait expliquer pourquoi ce choix stylistique audacieux, et les médecins fronçaient les sourcils.
Quant aux nuits de pleine lune... Eh bien, les voisins se calfeutraient avec soin dans leurs maisons et claquaient une bonne dizaine de verrous solides, juste pour être sûrs. Les hurlements des féroces Aeoniums vous glaçaient la colonne à tous les coups.
Empota, elle, ne semblait pas incommodée par la brutalité de ses petites protégées. Lorsqu'un visiteur soucieux évoquait des gants de cuir épais ou un tablier en peau de dragon, elle éclatait d'un léger rire cristallin et secouait son élégante chevelure blanche, un sourire aux lèvres, avant de proposer un peu plus de thé.
Non, vraiment, la charmante Empota n'avait peur de rien, à part peut-être une pénurie de jolis cailloux.
Ce matin, pourtant, elle était contrariée et faisait les cent pas devant son coquet cottage couvert de lierre et de vigne sauvage. À intervalles réguliers, elle levait les yeux vers le cadran solaire gravé dans la façade, et ses yeux bleus s'obscurcissaient chaque fois un peu plus. Ses ravissants souliers couleur dragée creusaient une ornière dans les gravillons de l'entrée et son jupon froufroutait avec irritation.
Puis soudain, survint ce que personne n'aurait pu imaginer :
— Incroyable, il est en retard ! Quel culot !
Empota Pumistic, inlassable creuset de joie de vivre, perdit patience et tapa du pied en ronchonnant ! Surpris, les promeneurs profitant de ce samedi ensoleillé pour flâner dans la campagne, virent l'herbe frémir, comme parcourue d'une onde de choc. Les plus prudents d'entre eux choisirent d'embrasser une retraite précipitée, mais certains inconscients s'approchèrent, curieux. D'où venait ce séisme, et pourquoi cette charmante grand-mère était-elle si contrariée ?
Ils furent ainsi aux premières loges pour observer fleurir la végétation sur cent mètres à la ronde, et s'élever d'immenses corolles d'un rose venimeux, aux épines gonflées de poison. Un grondement sourd semblait provenir des entrailles de la Terre, grave et menaçant, tandis que les plantes prises de folie grandissaient, grossissaient, éclatant les vitres de la serre, gauchissant les barreaux du portail. Leurs tentacules verdâtres sillonnèrent la ruelle pavée, prêtes à déchiqueter quiconque aurait osé s'avancer.
Empota, la bouche tordue et les sourcils froncés, croisa les bras. Sur la soie de sa robe, les motifs gracieux d'orchidée crème se mirent à grouiller, puis à gagner en relief et, enfin, à jaillir du tissu pour former comme de vastes ailes autour de la sorcière fulminante. Des racines se rassemblèrent à ses pieds et la soulevèrent, piédestal improvisé aux mille griffes acérées.
Au loin, un cabriolet blanc arrivait à fond de train, dérapant dans les virages. La furie se concentra sur ce véhicule, étrécissant le regard pour mieux suivre sa trajectoire. Elle décroisa les bras et serra les poings. Tout autour, la glycine devenait si massive qu'elle absorbait les rayons du soleil, plongeant le quartier entier dans une sinistre obscurité. Ceux qui observaient encore la scène par la fenêtre n'osèrent bouger pour allumer une bougie, de peur d'attirer l'attention sur eux, et se recroquevillèrent un peu plus.
La voiture commença à rouler sur les tentacules, qui s'écartèrent sur le champ pour former une redoutable haie d'honneur menant tout droit à leur terrible maîtresse. Empota prit une grande inspiration, et hurla dès que la porte de bois laqué livra passage à un homme en uniforme bleu et jaune :
— VOUS ÊTES EN RETARD !
L'employé des postes haussa les épaules sans lever les yeux ; il tenait entre ses mains malhabiles un petit paquet bien enveloppé, sur lequel il cherchait à lire l'étiquette écrite en pattes de mouches. D'instinct, il enjamba les tueurs végétaux qui furetaient tout autour de lui, et avança d'un pas nonchalant vers l'entrée.
— Savez-vous où je pourrais trouver « La charmante petite dame au cottage délicat » ?
Il redressa enfin la tête et jeta un regard circulai, ignorant la furie qui tremblait de rage à quelques mètres de lui puis, d'un seul coup, fit demi-tour :
— Bon, je vais laisser un avis de passage.
C'en était trop pour Empota. D'un mot, d'un seul, elle invoqua une Dionaea Muscipula gigantesque et pointa un doigt vengeur sur le livreur incompétent. La plante carnivore se pencha en avant, saisit l'indélicat d'un coup de mâchoire et le goba sans frémir. Puis, comblée, elle se retira avec un rot de satisfaction.
Aussitôt, la jungle menaçante se mit à rétrécir à une vitesse incroyable, les fleurs vénéneuses se rétractèrent et le soleil, pas rancunier, réapparut dans le quartier. L'enchanteresse, dont la robe reprenait une dimension tout à fait ordinaire, descendit de son trône végétal d'un pas tranquille et ramassa son colis tombé au sol. Avec un petit « Ah ! » de contentement, elle se le glissa sous le bras et repartit vers son allée gravillonnée, où le cottage était à nouveau visible.
Quelques minutes après que la porte d'entrée se soit refermée sur elle résonna dans la maison une joyeuse chanson bucolique, accompagnée d'une légère senteur de thé à la bergamote.
Empota Pumistic était une sorcière d'une patience rare... presque tout le temps.