Emploi à tout prix

Toute histoire commence un jour, quelque part. C’est ainsi qu’à vingt huit (28) ans, Samir, jeune diplômé de son état qui sortit de la faculté des sciences exactes et appliquées nanti d’un master en chimie nucléaire sans emploi depuis cinq (5) ans était devenu très rapidement une figure de la jeunesse de son pays en matière de lutte contre le chômage. Un matin, il se fit arrêté lors d'une cérémonie de remise de diplôme de Master en pétrochimie aux lauréats dans le grand amphithéâtre de deux mille (2000) places bondé de personnes. Le Premier Ministre y était. Au début de la cérémonie, alors que la parole fut donnée au Premier Ministre pour son allocution, Samir se leva, boycotta la cérémonie aux coups de sifflet et prit ensuite la parole : « Monsieur le Premier Ministre, votre gouvernement et vous-même veniez de geler l’intégration à la Fonction Publique et aujourd’hui vous vous permettez le luxe de venir présider une cérémonie de remise des diplômes. Quelle contradiction ? Formez-vous les jeunes pour les envoyer au chômage ? Hum ! Les petits frères n’ont plus le goût d’aller à l’école sachant que leur avenir est voué au chômage. Pensez-vous que... ». La police l’interrompit en le menottant, le faisant sortir de l’amphi puis le jetant dans la fourgonnette. Celle- ci sortit de la cour et prit la direction du commissariat central. Il y avait trois policiers dont deux à l’arrière de la fourgonnette. L’un des deux policiers s’adressa à Samir :
Jeune homme, pourquoi mettez-vous votre vie en danger ?
Nous sommes déjà en danger mon grand. Lui dit Samir.
Vous êtes jeune, vous avez un diplôme, tôt ou tard vous aurez un emploi. Lui dit-il.
Le diplôme, nous avons bataillé dur pour l’avoir ; rongés par le chômage, le stress et la dèche nous mourons à petit feu jour après jour, répondit Samir.
Il est vrai que votre lutte est risquée mais elle reste toutefois noble. Ajouta le deuxième policier.
Ne les encourage pas dans le suicide collectif rétorqua le premier policier à son collègue.
Ils ont droit à l’emploi et l’Etat a le devoir de leur en pourvoir. Ce combat, ils doivent le mener. Lui répondit-il.
Toute lutte quelle qu’elle soit comporte des risques. Si nous avons étudié dans des conditions précaires, c’est dans l’espoir d’avoir un emploi un jour. Dit Samir
Ce jour n'est pas encore arrivé, patientez donc, reprit le premier policier.
Nous avançons irréversiblement vers la mort, la pauvreté s’accroit et les précipices se multiplient. répliqua Samir.
Le chauffeur freina quand la fourgonnette entra dans l’enceinte du commissariat. Samir est mis en garde à vue dans une petite cellule de 9m2 dans laquelle s’entassèrent une dizaine de détenus. Les détenus se couchèrent à même le sol, sol sur lequel gisaient leurs propres excréments. Quelques heures plus tard, il fut libéré fortuitement.
Le lendemain matin, une marche pacifique rassembla des milliers de jeunes en direction du Ministère de la Fonction Publique et de l’Emploi demandant l’abrogation de la décision portant gel de l’intégration à la fonction publique. Ils scandèrent des pancartes sur lesquels on peut lire :
Le diable donne du travail aux mains oisives !
Nous voulons manger à la sueur de notre front !
Juste un boulot !
A leur tête, le jeune Samir, président du Collectif des Associations de la Lutte contre le Chômage (CALC) siffla pour un sit-in quand un kamikaze fit irruption dans la foule et déclencha sa charge faisant une dizaine de mort. Samir fut de nouveau arrêté, accusé pour collaboration avec des groupes terroristes, trouble à l’ordre publique et incitation à la révolte.
Aujourd’hui est un grand jour, Samir fait face au tribunal pour son jugement. Les jeunes arrivés pour la circonstance étaient interdits d’accès à la salle d'audience sauf quelques parents proches. Prétendant que le jugement est politisé, Samir refusa la participation des avocats et prit sa défense lui-même. Le jugement commence, Samir est assis dans le box des accusés :
Mr Samir, vous êtes accusé de trois(3) chefs d’accusation. La première, collaboration avec des groupes terroristes. Que plaidez-vous? dit le juge.
Mr le juge dit-il en le regardant droit dans les yeux avec un air grave. Si quelqu’un avec qui vous partagez la même table met de l’arsenic dans votre vin et que vous déjouez le complot, alors vous décidez de lui jeter le contenu de votre verre à la figure. Est-ce cela fait de vous aussi un assassin ? si oui, je plaide alors volontiers coupable.
Ne sachant que faire, le juge mord le bout de son stylo et passe à la question suivante :
Vous êtes aussi accusé pour incitation à la révolte que dites-vous pour votre défense ?
Mr le juge, prenant un air sérieux. Il semble que vous percevez trois cent mille francs (300.000Frcs) comme salaire mensuel et que vous avez six(6) enfants dont deux (2) sur les bancs du lycée, deux(2) à l’université vivant loin de vous et deux(2) diplômés sans emploi qui sont revenus habiter chez vous.
Mr Samir où voulez-vous en venir ?
La précarité sociale bat son plein et que vous devez assurer le loyer et la pitance de vos deux(2) étudiants, la scolarité de vos deux(2) lycéens, la subsistance de la famille et en plus vous devez supporter la surcharge de vos deux(2) diplômés sans emploi. Par-dessus tout, vous connaissez comme tout autre fonctionnaire un retard dans la perception de votre salaire. Ne devez-vous pas vous indigner pour vos fils et pour vous-même ?
Ah !m’incitez-vous donc à la révolte ? dit le juge.
Auriez-vous la force d’envoyer vos gosses dans des écoles prestigieuses ? seriez-vous encore capable de soutenir ceux qui sont à l’université ? jusqu’à quand subviendriez-vous aux besoins de cette masse inactive et non rentable ? répondit Samir
Avez-vous fini ? lui dit le juge.
Si je dois plaider coupable pour avoir voulu un emploi pour moi, pour vos fils et pour toute la jeunesse alors j’en assume l’entière responsabilité. Reprit Samir
Je prends acte. Dit le juge qui continue : enfin, reconnaissez-vous avoir troublé l’ordre public ?
Mr, reprit Samir, de tout ce qui précède voyez- vous un acte mien qui puisse être de nature à troubler l’ordre publique ? je vous soumets donc à votre humble conscience.
Le verdict tomba : « Mr Samir, en vertu des pouvoirs qui me sont conférés, je vous déclare coupable d’incitation à la révolte et de trouble à l’ordre publique et vous condamne en conséquence à un(1) an d’emprisonnement ferme. »
Au soir même du verdict, un complot ourdit par ses camarades du CALC et les gardes doit faciliter son évasion mais Samir opposa résistance et leur dit : « si je m’évade aujourd’hui je serai à jamais un fugitif et serai contraint de vivre dans la clandestinité et si la justice arrive à me mettre la main dessus, ma peine s’alourdira ». C’est alors que l’un d’eux lui dit : « si tu y reste tu ne nous seras d’aucune utilité mais peut-être qu’exilé, tu nous apporteras grand ». Il décida donc de s’exiler vers l’Europe. A la traversée du désert vers la Méditerranéen, il tomba dans l’embuscade des djihadistes qui vivaient dans les grottes. Ceux-ci le reconnurent pour son charisme au sein de la société civile et décidèrent d'exploiter ses connaissances en chimie. Ils lui proposèrent un marché. Celui d’être leur chimiste en chef pour la fabrication des explosifs et avoir la vie sauve ou refuser et mourir. Samir, tenu dans l’impasse, ne déclina pas l’offre. Très vite, il gagna la confiance des dignitaires du mouvement djihadiste et gravit rapidement les échelons pour devenir le chef de la faction djihadiste chargé d’organiser les attentats dans son propre pays. Il mit à profit tout l’arsenal militaire et les ressources humaines à sa disposition et les utilisa pour ses propres fins. Il fit défection, sa tête est mise à prix par le commandant en chef des djihadistes pour haute trahison. Quelques jours après, il déclencha les bombes qu'il a disposées dans les quartiers généraux des terroristes pour les railler de la carte. Lui et ses quelques milliers d'hommes lourdement armés qui lui sont entièrement dévoués prirent la direction de la capitale et déclarèrent la guerre au régime en place dont il affaiblit les dispositifs militaires par des séries d’attentats aux armes chimiques à courte portée. Il mena ainsi une véritable guérilla urbaine. Finalement, le régime fut renversé.