Éloge de la fuite

Toute histoire commence un jour, quelque part, dans un endroit que nous sommes forcés de quitter.

Même si l’envie nous manque, même s’il nous venait le réflexe de nous accrocher pour rester, nous n’avons pas le pouvoir de décider. D’ailleurs, depuis le tout début, nous ne l’avons jamais eu.

Et cela remonte à cet instant clé, ce moment où il a fallu sortir de notre antre, de notre zone de confort et faire connaissance avec le monde. Le jour de notre naissance, ce premier voyage. Aussi important soit-il, pourtant, nous l’avons complètement oublié. Nous n’avons pas pu nous accrocher à ce souvenir tout comme nous n’avons pas pu résister aux poussées d’une mère qui n’avait qu’une hâte, faire notre rencontre et nous cajoler. Autant de mots doux pour parler d’une pauvre femme qui a usé de toutes ses forces pour sa délivrance. Pour se libérer d’un poids, pour mettre à la porte un invité surprise qui prenait le contrôle de sa vie et qui en sortant allant faire de même avec son avenir.

Il y a maintes et maintes façons de voir ce voyage, se limiter aux bons côtés, à commencer par le fait que ces mères souffrantes qui à coup sûr après avoir poussé jurent toutes qu’elles n’ont plus du tout mal pour la simple raison qu’elles ont entendue puis vu leurs bébés. Bien souvent, elles évoquent une forte douleur qui s’évanouie pour faire place à un bonheur sans pareil qu’on ne peut définir. Quelque chose qu’il faut ressentir pour comprendre. Une félicité à laquelle seules les femmes ayant accouché ont droit. Et il est probable que c’est ce bonheur-là qui les poussent à recommencer. Une béatitude que les esprits les plus directs désigneront comme une rencontre. Bien que celle-ci ait été douloureuse sur le début, bon nombre de femmes se portent volontaire pour éprouver de nouveau la sensation qui permet d’être comblée de bonheur, au point que cela se mette à déborder. De leur ventre et de leur cœur.

L’euphorie passée, il y a une version moins plaisante. Elle apparait lorsqu’il nous prend l’envie de nous préparer à l’avenir, parce qu’il faut bien une continuité à toutes les histoires. Arrive un moment où cette même femme comblée, qu’elle soit accompagnée ou non se projette dans le futur et regarde dans ce petit être toutes les responsabilités qu’il représente. Tout ce que cet enfant, dénué de parole et peut-être même, encore dénué d’un prénom attend de ces parents, à plus forte raison de sa maman.

Mais laissons cela de côté un instant pour penser à toutes les forces qu’une mère a dû rassembler pour mettre au monde son enfant qui à peine né devra surmonter une épreuve de la vie. Il devra apprendre sa première leçon. La chose de laquelle dépendra sa survie. L’enfant va devoir pousser son premier cri. Mais certains diront simplement que tout va bien parce qu’il respire. Mais en réalité, l’on ne mesure pas l’importance de ce premier coup dur, la première épreuve, les premières larmes aussi forcément. Et presque tout de suite après, l’on coupera le lien qui lie l’enfant à sa mère. Il va falloir qu’il pousse un cri, que le monde prendra de gré ou de force. Oui parce que tandis que certains y arrivent tout seul, d’autres vont devoir recevoir une claque, la première d’une longue série. Pour un nouveau-né, la vie en gardera beaucoup en réserve. On ne peut malheureusement pas les anticiper. Peut-être que plus tard, avec le temps on apprendra à faire semblant de ne pas pleurer ainsi qu’à nier la douleur mais pour l’heure il va vraiment falloir pousser ce cri parce que le monde l’attend. En guise de salutation, à la vie, à la peine et à la joie, aux privilèges et aux injustices, à la santé comme à la maladie, à toutes les autres dualités, à tout et n’importe quoi, à l’absurdité aussi parfois. Il faudra dire une bonne première fois, je suis là.

La vie a tant de choses à nous apprendre. A un moment donné, il n’en tiendra qu’à nous de choisir ce que nous voudrons garder et ce que nous préfèrerons rejeter. Certaines choses nous sembleront importantes tandis que les autres, nous les balayeront d’un revers de la main. Que ce soit des souvenirs, des objets et parfois même des personnes que plus jamais on ne voudra côtoyer. Mais les bonnes choses de la vie sont toutes aussi nombreuses, ces cadeaux qu’on aimerait retenir avec force, de l’argent, des présents, des relations amoureuses, des parents aussi. Il faut le dire parce que les parents ne sont pas éternels. Tant de choses merveilleuses qui contrebalancent avec les injures que la vie nous fait subir. Tellement d’espoir et d’opportunités ainsi que de bonnes surprises. On fera également connaissance avec les heureux hasards. Mais surtout, on apprendra bien assez tôt que le chaud et le froid se disputeront souvent la place dominante dans nos vies. On dit qu’ « après la pluie vient le beau temps ». Oui car la vie est un instrument qui penche d’un côté ou d’un autre selon les charges qu’on appelle la chance et la malchance ou plus simplement le karma. Un instrument qui lorsque tout se passe bien retrouve son équilibre en son centre. Sauf que la vie est une balance cassée. Plus vite nous l’accepterons, mieux nous nous porterons.

Mais cessons une seconde d’encombrer nos esprits avec tout ce qu’on aimerait expliquer et anticiper. Partons sur de choses nettement plus simple. Celles qui feront suite au premier cri. Tous ces petits pas qui comptent. Tout d’abord, il y a l’enfant qui tète le sein de sa mère, moment privilégié entre ces deux être qui sans se voir se côtoyaient depuis plusieurs mois déjà. A part cela, après ce fameux cri de respiration, l’enfant criera et criera très souvent, pour toutes sortes de raisons. Mais ces cris ne servent qu’à une chose, préparer les parents au fait qu’il ne manquera pas une occasion où leur enfant se montrera insatisfait mais sans pouvoir dire pourquoi et cela vaut même avec l’usage de la parole. Mais même si certains ne l’acquièrent jamais, ils useront d’autres moyens, mais eux aussi s’exprimerons. Tellement de choses, plus tard jugées banales mais sur le moment vont acquérir une valeur sentimentale. Les premiers mots sont aussi ravissants que le premier regard de l’enfant. Son premier sourire ainsi que son rire bien que rechercher apparaitront pourtant de manière soudaine, parce que rien ne vaut l’effet de surprise. Enfin, ses premiers pas suivis de la première fois où il se mettra à courir. Même si assez souvent il tombera, ce qui est sûr c’est que l’enfant suivra une nouvelle voie. Celle où il lâche la main de sa mère et marche tout seul comme un grand vers une destination nouvelle. Mais avant d’en arriver là, parlons encore un peu de ces jambes maladroites et de cet enfant qui ne connaît pas encore l’abandon. Tout ce qu’il sait c’est qu’à chaque fois qu’il tombera, il se relèvera. Mu par deux caractères dont il aura grand besoin plus tard, mais il n’est pas sûr qu’il conservera cette persévérance ainsi que cette absence de peur. A part cela, parent et enfant partageront le même sentiment, celui de la fierté. Mais de leur côté, les parents feront connaissance avec un lien invisible et exceptionnel, tout aussi fort que celui du cordon ombilical qui rattache l’enfant à sa mère.  

Le point final de cette première histoire, que chacun de nous a vécu et oublié c’est une autre histoire qui survient plusieurs années plus tard.

Tous ces liens, tous ces premiers pas, ces hauts et ces bas ne sont que la face émergée de l’iceberg. Il est vrai que tout le monde ne partage pas l’envie de connaître ce qui est cachée et de troquer sa vie contre quelque chose de différent et de nouveau. Et cette envie, une fois assouvie se voit comme un bonheur que seuls les aventuriers connaissent. Décidément, il est des sensations qui nous ravissent mais qui ne se partagent pas.

 Il est des histoires qui recommencent et des naissances qui surviennent deux fois. Le scénario n’est pas totalement le même il faut le reconnaître. Néanmoins, encore une fois, un lien se verra couper tandis que de nouveaux seront créer.  Pas de cri cette fois-là, parce que la liberté raisonne en silence. La joie immense est aussi au rendez-vous. Mais elle ne touchera son apogée qu’au moment de l’arrivée. Car cette nouvelle naissance se fait par le biais d’un voyage. L’enfant quitte le nid, la maison, la ville, le village natal ou mieux encore le pays. L’enfant a été persévérant, il n’a pas peur de l’inconnu. L’enfant est devenu un adulte mue par l’envie de combler un vide qu’il porte en lui depuis trop longtemps.

Longtemps il a rêvé de vivre une autre vie, d’explorer le monde et de ne rien reconnaître de tout ce qui l’entoure. Longtemps il s’est demandé ce qu’il pouvait trouver de l’autre côté de l’océan. Longtemps il a rêvé de fuir, ne serait-ce que pour le geste parce qu’il croit que cela pourrait lui plaire. Parce que c’est une expérience qu’il faut absolument vivre.

Toute histoire commence un jour, quelque part, dans un endroit que nous sommes forcés de quitter.

Parce qu’on ne remarque pas vraiment la différence entre le choix et la nécessité. La frontière est assez mince. Nous choisissons de partir parce que nous y sommes contraints, parce que l’endroit où nous nous trouvons ne nous convient pas ou bien parce que le lieu que nous cherchons à atteindre pourrait mieux nous convenir. Il est parfois nécessaire de partir quand nous ne nous sentons pas heureux. Nous ne sommes pas au bon endroit pour chercher le bonheur mais nous ne désespérons pas, alors nous prenons le large.

Et ce que le mot partir implique c’est aller à la rencontre d’un tout nouveau monde. Parler une autre langue, établir de nouvelles relations amicales et amoureuses. Se laisser séduire par une nouvelle cuisine tout en gardant une préférence pour celle de maman. Apprécier un nouveau paysage, un nouveau climat. Oublier petit à petit qu’on est l’étranger auquel parfois on demande le nom de son pays. Et encore une fois, apprendre à encaisser les mauvais côtés de la vie, les codes d’un monde, d’une culture qu’on apprend lentement à connaître, le regard des gens qui ne voient en nous qu’un personnage égaré qui aurait mieux fait de rester chez lui. Tout n’est pas rose. Il est des jours où la balance semble s’être mobilisée du mauvais côté. L’argent peut venir à manquer, l’absence frappe comme le froid, la solitude déprime quelques fois. Les épreuves n’en finissent pas mais il faut faire le choix de résister, de se relever comme autrefois.

Voilà mon histoire.

Partie de Madagascar, je suis allée découvrir le Sénégal. Partie d’une île, d’un bout à l’autre de l’Afrique, la distance était considérable bien que le voyage de courte durée. Le plus long fut le temps d’attente entre le jour où j’ai eu l’envie d’y aller et celui où j’ai embarqué. Je voulais découvrir le Village des Arts de Dakar, la parole de ses griots modernes, ses baobabs qui n’ont rien à envier aux nôtres parce que chez nous, il a davantage de variétés. Je voulais aussi entendre le son des percussions de ce pays dont le nom avait toujours raisonné en mois tel le son de la liberté. Je voulais goûter au poulet yassa et au thiéboudiène servi avec du riz et nous on ne peut pas vivre sans le riz. Mais ce qui me plait le plus dans la capitale sénégalaise, c’est la vue de sa corniche parce qu’elle me rappelle celle de la ville de Majunga au Nord-Ouest du pays qui m’a vu naître. En définitif, je crois que j’ai fais ce long voyage pour retrouver dans un nouveau pays, quelque chose qui me ramène chez moi.