Elle était en train de servir une vieille dame quand j'entrai dans le McCafé. Elle ne m'avait pas remarqué. Je m'étais installé sur un siège juste à côté du comptoir. Je l'observais.
Les
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Je raccompagnais un rêve à l’arrêt de bus, en face du collège Jules Romain. Une jolie fille qui faisait partie de l'équipe "unité et paix" et faisait des tournées d'entre-aide dans les quartiers difficiles.
Emy, elle s'appelait. Brune, bien roulée, bien éduquée, elle sentait le croissant au beurre. Oui, j'aurai voulu la tremper dans un café et lui mordre le cou. Tout en la guidant vers l’arrêt de bus et sachant pertinemment que jamais une fille de ce genre ne me donnerait son numéro de téléphone, je m’apprêtai à le lui demander quand même. Je m'obstinai. J'attendais juste qu'elle la ferme.
Emy était fascinée par les pauvres et leur façon très créative de mener leur existence. Elle comptait monter un dossier. Un projet d'aide à la réinsertion. Les gens ont le droit d'être propres, s’insurgeait-elle ! De manger à leur faim ! Le fait qu'une vieille mamie squatte un appartement et se nourrisse exclusivement de boites de conserves alimentaires, la touchait au plus point. Je voulais la toucher aussi. Je m'étais dit, après coup, que j'aurais du jouer le roumain, boiter un peu, me tenir de travers, un gobelet vide à la main, la crasse au visage.
Il était dix-huit heures. On était en 1998. La nuit tombait. Les phares des voitures éclairaient l’asphalte. Les feux alternaient leurs codes de couleurs. Emy parlait toujours. Son bus arrivait au loin. Je la coupai et lui demandai son numéro. Elle refusa de me le donner. Elle monta dans le bus. Je ne la quittais pas des yeux. Le bus quitta l’arrêt. Elle se cherchait une place. Deux battements de cils et elle disparut de ma vie.
Je m'en retournais, maudissant cette salope de toutes mes tripes, m’enfonçant dans le cœur du quartier. Il n'y avait pas foule. Quelques scooters tournaient. Des véhicules louches circulaient au ralenti. Des silhouettes aux balcons surveillaient je-ne-sais-quoi. Des odeurs de cuisines flottaient dans l'air : La routine.
Je me rendis au pied du bâtiment 35. Anna habitait au quatrième étage du bâtiment 35. A quelques pas de l' entrée, j'entendis un bordel pas possible. On tournait un vieux kungfu dans le coin, me demandais-je? Les gars du coin rossaient un toxico. Le pauvre type, en boule, en prenait plein la gueule. Immense, fin, le jean monté jusqu'à la taille, torse nu, taché de sang, il protégeait son visage comme il pouvait.
Un voisin se tenait là, sur le muret, en bon spectateur, les yeux brillants, une clope en train de griller au bout de son bec. Je lui demandai ce qui passait :
-Pour ce que je sais, le toxo, leur devait déjà du fric et il est tellement en manque, qu'il est revenu pour demander crédit !
-Le con, dis-je.
-Alors, les gars lui ont fait une proposition ! Si tu tombes pas inconscient au bout de trente minutes, on efface l'ardoise et on te donne de quoi passer la soirée.
-Trente minute de quoi ?
-De ça !
-Combien de temps déjà ?
-Ça vient de démarrer, t’as de la chance !
Ils essayaient de lui enlever son jean, mais il s'y cramponnait comme un beau diable. J’aperçus son visage un instant. Il ressemblait à Vincent Cassel, mais sans la médiatisation, l'entre jambe plein de pisse.
Emy, la mécène, la salope inaccessible, l’oiseau dans le ciel, s’évaporait de mon esprit, à petit feu. La violence a ce don de vous nettoyer de l’intérieur.
Le client tenait bon, son œil pétillait et il avait une bonne défense au sol. Enfin, les gars étaient plutôt cool. Ils étaient à domicile.
Tout en suivant le show du coin de l’œil, je sonnai au parlophone d'Anna. C'est elle qui répondit.
-Oui ?
-C'est Mo ! Tu fais quoi ?
-Je donne à manger à ma sœur...
La petite sœur d’Anna était née prématurée. Paraplégique, handicapée mentale, son visage était difforme, son crâne, énorme, bosselé, en disharmonie totale avec son tout petit corps de poupée abandonnée. Anna ne cessait d’exhiber des photos de sa petite sœur clamant à quelle point elle était belle. Tout le monde disait oui, bien sûr qu'elle est belle, avec sur le visage, une expression d'horreur teintée d'une haine originelle.
Anna baisait avec tout le monde. Cela donne un aperçu direct de sa valeur. Après avoir subi le rejet de la beauté, je devais contre balancer le coup par la souillure de la laideur. On fonctionne tous comme ça ! Ainsi va la vie.
-Vas-y, vite fait!
-Monte et attends dans les escaliers.
-Ok ! dis-je.
Sa voix disparut absorbée par les boyaux électrique du parlophone. Un large rictus traversa mon faciès. Je le sentais étirer la peau de mon visage. Je me retournai un instant et contemplai le massacre, comparant avec délice la situation de ce pauvre drogué avec la mienne. J’en sentis des papillons tout chauds flâner dans mon estomac.
Je pénétrai dans le bâtiment, m’arrêtai devant l’ascenseur, et ouvris la porte. Une puissante odeur d’urine me fondit dessus. Je détournai la tête et relâchai la porte. Anna habitait au quatrième étage. J’avais la flemme et pas vraiment le choix. Je m’élançai dans la cage d’escalier.
La jolie Emy me revint alors à l’esprit. Salope d’Emy, tu pers rien pour attendre, un jour on se recroisera, lui promettai-je, en posant rageusement le pied sur le deuxième étage. Un jour Emy, crois-moi, tu le regretteras ! Pourquoi? me demanda-t-elle, au troisième étage. Pourquoi ? m’étonnai-je. J’en sais foutre rien ma belle, mais tu le regretteras, ça je peux te le promettre !! Sur les marches crasseuses du quatrième étage enfin, le corps menu et diaphane d’ Anna, apparut, morceau par morceau. Sa bouille d’orpheline. Ses petits seins. Ses hanches enfantines. Ses cuisses fines comme des avant-bras d’anorexiques. Ses pieds taille 40. Bon sang, Emy! pensai-je. Où es-tu ? Sors-moi de là.
-Je n’ai pas beaucoup de temps, je te préviens ! Ma mère a pris sa méthadone. Elle est en rage, elle a tout cassé dans la maison.
-Ok, répondis-je. j’en avais strictement rien à foutre de ce qu’elle me racontais. Je bandais depuis que j’avais entendu sa voix au parlophone.
-Là, elle s’est endormie dans le salon.
-Ok, répétai-je.
Elle descendit les escaliers. Je lui emboîtai le pas. La cage d’escalier était longue et tordue comme une colonne vertébrale atteinte de scoliose irréversible. Au centre de l’escalier, il était impossible de nous voir et nous pouvions entendre quiconque arrivait. On se débrouillait comme on pouvait.
Anna portait un pyjama Hello Kitty. Le haut était troué au niveau de l'épaule gauche. Ses cheveux raides et roux étaient attachés en chignon. Son cou était trop fin, ça faisait peur. Elle se plaqua, face contre le mur jauni par la lueur de la veilleuse, baissa son bas de pyjama, et s’agrippa à la rampe, repeinte pour la énième fois en vert foncé. Elle se cambra à son maximum. Anna adorait se faire enculer. Si bien qu’elle avait toujours ses règles quand elle avait rencard. Je défouraillai et m’approchai de sa croupe noirâtre et touffue. Vu de là, on était en droit de se demander si cette chatte appartenait bien à ce corps ? Ou bien y avait-elle élu domicile comme une entité féroce se lovant au sein d’un hôte trop faible ? Ses fesses étaient fermes, blanchâtres. Son trou du cul était sombre, sordide. Il tressautait, suintait. La bite à la main, j’approchai sans savoir, encore, où j’allais frapper...
-Bouge-toi! m’ordonna-t-elle.
Je me bougeai, glissant de tout mon être dans le cul d’ Anna. Jamais, entrée n’avait été aussi facile. Elle poussa un soupir de douleur contrôlée. Je commençai à limer. Les chaines étaient tenaces. Je l’agrippai par la tignasse et la ramenai contre moi. Je voulais voir son visage,me sentir en elle. Anna sur l’autel du sacrifice. Anna petit bout de peau. Anna en toi. Anna je t’éventre et tu souris. Anna je te hais. Anna facile. Anna quand tu veux où tu veux, même si elle ne veut pas. Anna qui n’est pas Emy. Moi qui veux être dans les bras d’Emy, mais qui suis dans le cul d’Anna. Anna je vais jouir. Anna je jouis. Anna j’ai joui. Anna, sait. Elle ne bouge plus. Anna, attend, c’est trop sensible. Anna, la cage d’escalier empeste ton cul. J’en ai plein sur le sexe. Et maintenant quoi ? Heinn ? Rien, n’est résolu, et tout a encore plus d’importance que jamais. Anna remonta son pyjama, se retourna et m’embrassa à pleine langue. Je gardai les lèvres closes et la repoussai. Elle fit mine de rien et se recula.
-Bon, faut que j’y aille, Mo, ma mère risque de se réveiller et ma petite sœur est seule, dit-elle. A plus tard!
Elle remonta les escaliers m’abandonnant la bite à l’air. Une tache de sperme fraîche brillait à mes pieds. Je remontai mon caleçon, mon pantalon et amorçai la descente A chaque marche, ma carcasse, était secouée comme une poubelle pleine et tout un tas de choses remuait à l’intérieur. Je pensais à Emy, la belle Emy, la pure Emy.
Il fallait que je me lave la bite. Je sortis du bâtiment. Un vertige me traversa. Un peu plus loin, avachi contre le muret, le toxico se reposait. Ils ne lui avaient laissé que son slip. Il faisait penser à Jésus. Je me dirigeai vers lui, par pure curiosité. Il était recouvert d’hématomes. Son nez devait être cassé. De la bave mêlé à du sang lui coulait de la bouche. Les yeux clos, il marmonnait des choses.
-C’est.. la profondeur..... C’est ça qui nous a tué...
-De quoi tu parles, Jésus ? demandais-je, intrigué.
-La..profondeur... papa, maman, je vous ai......je vous hais...Arrêté les études... papa content...à poil gay pride.... maman contente...drogue.... papa comprend, psychiatrie, maman écrit un livre...la profondeur...
-Je pige rien Jésus ! lançai-je.
Ma bite me grattait. J’étais mal à l’aise. Son histoire de profondeur m’intéressait, je ne sais pas pourquoi, une intuition me poussait à essayer de comprendre. Je m’installai accroupi afin de mieux entendre le messie.
-La profondeur de quoi, Jésus ? Dis-moi, je t’écoute !!
-Ils arrivent...
-Qui arrive ?
Au moment où je posai cette question, je sentis quelque chose de glacé appuyer sur ma nuque, et un cliquetis macabre résonner au creux de mes oreilles. Jésus ouvrit les yeux et me décocha un sourire. Un frisson, me remonta du bas de la colonne, transmettant en une éternité un message à mon cerveau qui, le décoda, le diffusa en une pensée à mon intellect, afin qu’il puisse me délivrer l’information. Trop tard