Double reve Double vie

Toute histoire commence un jour, quelque part .On aurait retrouvé tout récemment dans une vente aux enchères de papiers inédits de Freud, le cas singulier d'un patient qu'il aurait suivi dans le courant de l'année 1933.Il semble que l'exil soudain du psychanalyste et sa mort prochaine l'ait empêché d'émettre une théorie plus précise sur les observations qu'il avait enregistré alors. Freud avait nommé le phénomène dont était atteint ce malade de « rêve double » ou de « vie double ».Il pourrait se traduire comme un désistement de l'état de veille au profit des instants d'inactivité. Ces personnes auraient en face de la réalité le même détachement que nous autres avons dans nos rêves et prendraient une part active à leurs rêves comme s'il s'agissait de la Vraie vie.
Ce patient avait été interné dans une Maison de santé de Vienne. Pour des raisons médicales évidentes(secret médical),les noms, âge ou tout autre élément tendant à l'identification de ladite personne doivent restés occultés. Dans les papiers, on retrouve le dossier médical du patient annoté par son médecin traitant et joint à cela son Récit de vie .Il faut en effet se souvenir que ce genre d'établissements recommandent quand ils le peuvent aux patients de produire ces récits et ce afin de mieux cerner leur psychisme.

Dossier médical
12 février 1933
Mr. K. a été admis au sein de notre clinique ce jour .Sa famille nous a prévenu que depuis toujours, il avait été un excentrique ;mais que ces derniers temps, il avait poussé ce caractère jusqu'à ses dernières conséquences. Après avoir longtemps tergiversé, ils ont enfin décidé de son internement. Il n'a accepté d'être interné qu'avec une caisse remplie de livres curieux. Nous l'avons placé en phase d'observation pour le moment.
18 février 1933
Lors de notre premier entretien, le patient n'a pas marqué de l'attention pour les questions que nous lui avons posé. Il a répondu avec politesse et désinvolture à tout. Mais n'a manifesté de l'intérêt que pour la pensionnaire qui l'avait précédée dans sa chambre. Quand nous lui avons dit qu'il s'agissait d'une dénommée Stella B.,il s'est animé tout d'un coup et a semblé éprouvé un ravissement particulier. Chose que nous n'avons pas comprise ;Il a voulu en savoir plus, orienter la conversation sur ce sujet mais nous n'avons pas daigné lui repondre.Lui aussi s'est enfermé dans le silence et n'a plus reparti a nos interrogations. La première séance s'est terminé ainsi.
01 mars 1933
Le patient vit reclus.Passe toutes ses journées dans sa chambre, à lire et à écrire visiblement. Prend ses repas en silence. Evite la compagnie des autres pensionnaires même lors des promenades organisés dans les jardins.
09 mars 1933
Le patient a réclamé à corps et à cris, la présence des membres de sa famille. Malgré nos instances, nous n'avons pu le calmer. Nous avons été contraint de l'enferrer, et en dépit de cela, il a continuer à hurler toute la nuit. Nous avons été réduit à écrire instamment à sa famille, pour qu'elle vienne lui rendre visite le lendemain. Ce n'est qu'après le départ de sa mère et de sa sœur, qu’il a retrouvé sa sérénité habituelle.
10 mars 1933
Pour tenter de le sociabiliser, nous avons décidé de mettre le patient dans une chambre commune ;où il pourrait faire connaissance avec d'autres pensionnaires et sortir ainsi de cet isolement qui lui est préjudiciable. Ce dernier a réagi avec encore plus de véhémence que la veille. Nous avons dû donc le contraindre à aller dans la Salle, où il partagera la couche avec trois autres patients. Après s'être rendu compte de la vanité de son refus, il a semblé accepter la décision qui avait été prise.
12 mars 1933
Notre prédiction semble avoir réussi. Mr. K. a paru heureux lors de ces deux jours. Non seulement, il a participé volontairement à toutes les activités du jour mais il s'est montré également très communicatif pendant notre séance de thérapie. Il nous a dit avec sourire que « tout sera fini bientôt »,ce qui nous laisse à penser que son état s'est amélioré, et que sa guérison sera prochaine. De plus, il a distribué aux autres malades tous les objets de valeur qu'il possédait, en déclarant qu'il n'en aurait plus besoin là où il s'en allait. Preuve que c'est la solitude, et le manque de rapports avec le monde extérieur qui sont cause de ses troubles. Nous avons foi qu'il sortira bientôt de la clinique.
14 mars 1933
Le patient a disparu ! Profitant de l'entrée des troupes dans la ville, et de l'agitation qui a régné pendant quelques temps, tant chez le corps médical que chez les patients, il s'est échappé. Ce n'est qu'après la ronde de l'après-midi que constat a été fait de son évasion. Nous avons immédiatement informé sa famille et les autorités compétentes. Nous avons procédé à une fouille minutieuses de ses affaires, à la recherche d'éléments qui pourraient nous éclairer sur sa destination. Nous n'avons retrouvé dans son coffret que des livres d'alchimie, de philosophie et de poesie,avec lesquels il avait été admis. Mais aussi toute une correspondance, des lettres, toutes adressées à Stella B !Nous avons également retrouvé son Récit de vie, bien qu'il ait accepté à son entrée de l'écrire, il avait cependant formellement refusé de nous le transmettre malgré notre insistance. Il semblait également particulièrement attaché a ce calepin ,vu qu'il ne s'en séparait jamais, même pour les besoins intimes.
15 Mars 1933
La police nous a appelé, elle aurait retrouvé des vêtements qui correspondraient au signalement qui leur avait été transmis. Nous nous sommes rendus sur les bords du Danube ,où nous avons effectivement reconnu l'uniforme que Mr. K. portait lors de sa fuite. L’officier nous a dit avoir retrouvé ces vêtements parfaitement rangé là ,dans un coin près du fleuve. Il nous a dit avoir retrouvé également un papier qui ne pourrait pas être considère comme un indice. Il s'agissait quand nous l'avons examiné d'une page coupée à un livre de Charles Cros.
Il y était imprimé ces vers
: « Bois courroucés ciel étoilé
Ma bien-aimée s'en est allé
Emportant mon cœur désolé »
Et au verso, mais écrit à la main cette fois, nous avons identifié l'écriture de notre patient, ces autres vers
« Bois courroucés ciel étoilé
Qu'importe qu'elle s'en soit allé
Puisque je la retrouverais ».


Récit de vie
J'ai quitté la province pour Vienne. Je suis logé dans un pauvre hôtel de la capitale. Je n'ai pas compris l'obstination de maman et de Frida, ma sœur. Elles ont voulu à tout prix que je m’installe dans cette modeste pension. Alors que partout autour de nous il y'avait de somptueuses demeures, que de luxe !que de lumières !que de joies !Prenant mon mal en patience, j’ai décidé de rester là pour leur faire plaisir. Surtout qu'elle m'ont donné l'assurance que je serais bien servi par les propriétaires de l'établissement et par les femmes de chambre .Ici sera ma résidence jusqu’à la fin complète de l'hiver. J’ai bon espoir que l'air de la ville me sera favorable, comme maman a dit. Le froid de la campagne m'ayant été particulièrement nocif cette année.

Amoureux !Je suis amoureux !Nous venons de faire connaissance. Je m'explique. J’avais déposé mes affaires dans la chambre qui m'avait été allouée, j’étais allé me rafraîchir. Et à mon retour, une jeune femme était là. Je lui ai fais remarqué tout de suite qu'elle avait dû certainement confondre de chambre. Mais que non !elle m'a répondu ;puis elle est allé prendre place aussi tranquillement que ça sur le lit. Elle ne semblait pas aussi surprise que moi, et même qu'elle avait un sourire narquois devant ma gaucherie. J’ai donc décidé de faire sa connaissance. Nous avons fait les présentations .C'est tout de même curieux les affinités qui peuvent exister entre certains êtres. Comme si l'on partageait des souvenirs communs, comme si l'on s'était connu dans une existence antérieure, l’on se retrouve aisément sur certains points. D’un seul regard, on se devine, on se comprend, les paroles ne viennent que comme un accord formel pour conclure un consentement secret qui existait déjà. J’ai vérifié son prénom Stella dans un vieux dictionnaire latin que j'avais en ma possession quand elle s'en est allé. Stella avait pour traduction étoile. Stella :étoile. C’est mon étoile, elle va désormais m’éclairer dans la nuit ;elle va désormais me guider dans le noir.

Cette nuit, elle m’a encore rendu visite, comme toutes les nuits d’ailleurs. Comme la Bonne étoile des Mages, elle m’a conduit chacune de ces nuits vers un enfant. Cet enfant a chaque fois, je ne parvenais pas à l’identifier tout d’abord ;entouré qu’il était par un halo d’ombre et de mystère. Mais au fur et à mesure que je l'observais, mes yeux se dessillaient. Puis je reconnaissais en lui un signe qui le rattachait à moi. Ce pouvait être dans un trait de son visage, dans un geste ou une expression que je reconnaissais comme mienne, comme faisant partie de mon corps. Elle m'a donc conduit toutes les nuits vers moi !

Malgré le peu de temps qu'a mis notre relation, j’ai décidé de la présenter à maman et à Frida. Je suis sûr que comme moi, elles seront enchantées de faire sa connaissance. Je n'ai jamais été aussi heureux de toute mon existence. Qu’est-ce-que le bonheur ?J'ai eu la réponse à cette question pendant tous nos moments passés ensemble. Je la connais déjà si bien que je peux sentir en elle la montée du désir. Sa respiration se fait plus haletante ;elle devient plus lente et plus profonde. Son regard alternativement est doux et cruel et ces façons qu'elle a de me fixer !Il suffit alors que je pose mes mains sur elle, pour qu'elle se pâme,lascive.Après l'union, elle a souvent une tendresse pensive, elle veux alors des vœux. Nous avons fait des promesses ;moi « je t'aimerais toujours »,elle : « je ne te quitterais jamais ».D'ici peu, j’ai bon espoir qu'avec l'autorisation de maman nous pourrons organisé les fiançailles et si Dieu le permet nous marier.

Erreur !j'ai fait une erreur !J'ai voulu rendre notre amour public. J’ai voulu exposer notre relation aux yeux du monde. C’était une erreur. Le bonheur est confidentiel, je l'ai compris trop tard. Au lieu de me comprendre, ils m'on fait un procès. Ils m'on dit que notre amour était impossible, qu’elle n'était pas assez bien pour moi...Certainement, ils ont été également jaloux de notre joie. Et puis ils ont dû lui faire peur puisqu’elle s'est enfuie .Ils nous ont séparé. Je l'appelle comme d’habitude mais elle ne me répond plus.

Depuis notre éloignement, j’ai perdu tout intérêt dans ma vie. Je réfléchis à un moyen de la retrouver, nous ne pouvons rester loin de l'autre longtemps.

Les phénomènes du monde inanimé ne sont pas différents des phénomènes du monde vivant. Dans le monde, tout est vie. Puisque l'homme, parcelle de l'univers ,est régi par les mêmes lois qui président au ciel ;il n'est pas absurde de chercher là-haut les thèmes de nos vies-les influences secrètes qui participent de nos succès et de nos échecs .Une solidarité est établie entre toutes les choses vivantes, considérées comme les parties d'un même corps ,unies entre elles par d'innombrables analogies. Entre le cosmos et l'homme, il y'a correspondance.
Je suis né un 12 mai, sous le signe du Taureau. Le taureau renvoit au printemps « symbole de fertilité ».Il a pour symbolique « La vie est sur Terre ;je crée et je possède »
Stella est né un 12 Novembre sous le signe du Scorpion. Le scorpion renvoit à l'automne « symbole de la mort qui approche ».Il a pour symbolique « La vie passe par la mort, je détruis pour mieux transcender »
D'après les livres de chiromancie que j'ai consultés, Taureau et Scorpion sont opposés polaires. Une impossibilité était depuis l'origine liée à notre relation, Stella et moi.

Ce n'est pas sous cette apparence que nous devrions nous réunir, il y'avait disharmonie. Les manifestations le demontraient.Il faut maintenant chasser les anciens schémas pour repartir sur de nouvelles bases. Comme dans une transmutation, je dois me débarrasser de tous les métaux futiles pour atteindre la perfection de l'or. Me dépouiller de mon ancienne enveloppe et muer pour être prêt à recevoir enfin la vie nouvelle. Depuis que j'ai compris tout ceci, chaque nuit avant de m'endormir, une voix m'appelle, une voix mélodieuse ,langoureuse, douloureuse, elle m'appelle, elle supplie, elle crie, et c'est toujours à chaque fois, la même intonation ,le même souffle ,le même mot, elle me dit « Viens ! »
P.S
On ne saura jamais avec exactitude ce qui ce qui est advenu. Les recherches ont vite cessé après. L’occupation et la guerre ayant rendu inopportune une enquête qui paraissait déjà insoluble. Mais tout indique, qu’il est allé la rejoindre. Mais qui ?Mais la sirène,l'ondine,la naïade, la Lorelei, appelez la comme vous voudrez, dans les profondeurs de l'eau. Chaque histoire finit toujours quelque part.
La vie est un rêve. Les rêves prennent vie.