Des tueurs de rêves aux vendeurs de rêves

Toute histoire commence un jour quelque part  et la nôtre depuis  le temps de l’esclavage. Difficile à narrer, nous, pauvres africains,  essayons de la  maquiller  nuits et jours ; cette histoire, servant de « vérité indubitable »  espérant l’aide  d’un tout puissant seigneur Jésus Christ pour un lendemain meilleur. C’est ainsi que tu entendras murmurer sur chaque lèvre qui passe, cette petite phrase donneuse d’espoir « ça va aller ou ça ira ». Assertion qui est devenue l’hymne nationale de tout un peuple noir méprisé, malmené,  pillé et dénigré au profit des autres races. Afrique, mon pauvre Afrique. Comme nous l’enseignait l’école, nous sommes le berceau de l’humanité. Là où tout a commencé. Mais où en sommes-nous aujourd’hui ? Sommes-nous heureux et libres? Mangeons-nous à notre faim ? Profitons-nous de nos immenses ressources naturelles ? Avons-nous une situation politique stable ? Où en sommes-nous africains ? Ne sommes-nous pas aussi doués d’intelligence pour assurer notre propre développement ? Pourquoi doit-on vivre chaque fois au crochet des autres  pour qu’ils nous imposent leurs conditions ou carrément  nous traiter comme des sous hommes ? Chacun de nous devrait faire une introspection  car  nous sommes certes indépendants  mais pas libres vis-à-vis de ceux qui nous tendent la main. On pense généralement qu’autrui est responsable de ce qui nous arrive tout en refusant d’admettre nos erreurs. Sur cette lancée, même dans mille ans, nous n’atteindrions pas même le seuil de ce qu’on appelle ‘‘le développement’’. A cause de cela,  mes chers frères et sœurs  ne cessent de déserter  pour l’occident parce que la situation politico-économique dans nos pays est catastrophique; parce que nos diplômes sont en défaveur par rapport à ceux des autres continents. Tout cela juste parce que nos dirigeants n’ont pas pris sur eux l’amabilité de réaménager nos propres systèmes éducatifs pour qu’il y ait une certaine équivalence entre les différents diplômes. Ce qui amène tous ces jeunes à fuguer pour une meilleure vie. Car, nos rêves sont voués à l’échec dans nos pays et nos projets sont  bafoués et pire appropriés par ces régimes gouvernementaux qui ne pensent d’abord qu’à leurs propres essors,  laissant mourir de faim  l’innocent  peuple. Afrique mon Afrique, ces dirigeants corrompus nous enfoncent de plus en plus  chaque jour dans la misère et le sous-développement.  Ils ont tué nos rêves en les vendant au plus offrant en échange de pouvoir et d’argent.

Je pleure, encore et encore pour tes blessures qui peinent à cicatriser depuis le temps de l’esclavage  tout  en clamant ce que beaucoup de personnes pensent  bas mais  n’ont pas la force et le courage de dire. C’est dans cette perspective que je vous raconte l’histoire d’un jeune homme du nom d’Élysée qui a essayé de traverser clandestinement  la méditerranée en destination de Paris à la recherche d’une meilleure vie juste parce que son propre pays n’a pas reconnu sa vraie valeur.

Élysée est un jeune diplômé togolais de vingt cinq ans. Titulaire d’un master en communication des entreprises, il est le fils aîné de sa famille. Ses parents habitant au village ont fait tout leur possible pour qu’il ait une bonne éducation histoire qu’il tende main en retour à ses petits frères. Vous n’êtes pas sans savoir qu’ici en Afrique, si un fils réussit sa vie, tout  l’honneur  va à sa  famille et ce dernier a l’obligation de leur  venir en aide pour que sa tête ne soit pas passée à couvert partout. Étant  bien au courant de cette situation, il s’est démerdé pour décrocher ce diplôme afin de pouvoir trouver un boulot dans lequel il s’épanouirait  et venir en aide à ces derniers. Nous togolais, n’avons pas cet esprit d’entrepreneuriat et prendre l’initiative est perçue comme un très grand risque. Depuis le bas âge, les parents nous ont inculqués cette notion de réussite  qui ne passait que par les bancs d’école et que quiconque n’ayant  pas fréquenté a raté sa vie. Pour eux, nous devrions fréquenter et ensuite chercher du travail. C’est dans cette logique qu’Élysée, après son diplôme déposa des dossiers de stages et d’embauches dans les entreprises de la place espérant au moins un rappel quelque part. Mais ce ne fut pas le cas. Le temps a passé et aucun rappel pour ne serait-ce qu’un simple stage.  Selon certaines entreprises, ils n’en ont pas besoin,  pour d’autres, il faut suivre la file d’attente et pire, y’ en a même qui ne connaissent pas le rôle d’un stagiaire dans une entreprise alors à quoi bon en recruter ? Ici à Lomé, les demandes de stages ne sont acceptées que si tu as comme le disent les ivoiriens un baccalauréat plus un ou deux gondwanais. C’est-à-dire que tu aies une ou deux personnes haut placées dans la fonction publique ou soit dans le gouvernement. C’est ainsi que tu peux chômer toute ta vie si tu n’as personne pour t’épauler. Alors Élysée est resté pendant tout ce temps scotché chez lui sans rien faire. Ayant marre de cette situation et poussé par l’envie de travailler, il retourna auprès de ses parents pour qu’ils l’aident avec une moindre somme à commencer une petite activité. Mais ces derniers ayant épuisé toutes leurs ressources dans ses études ne pourraient  plus rien faire pour lui et pire, ses cinq petits frères aussi sont là donc il doit se démerder seul et prendre son destin en main. Ne sachant plus quoi faire, il s’est rabaissé pour trouver un boulot inférieur à ses diplômes ne serait-ce que pour ses besoins quotidiens. Une dame accepta après avoir écouté son histoire de le prendre comme caissier dans son supermarché contre un  maigre salaire de trente mille francs le mois. Ce n’était pas ce qu’il voulait mais vu sa situation actuelle, il accepta.

Le temps passait et aucune amélioration dans la vie de notre cher ami. Les trente mille francs couvraient à peine son manger le mois et il devait aussi payer le loyer et de nouveaux fringues etc… C’était comme si le ciel lui tombait dessus. Pensant à comment s’en sortir, il essaya d’écrire un  projet de réaménagement des parcs de stationnement  de la ville qu’il déposa au ministère mais à sa grande surprise deux mois après, ledit projet fut annoncé à la télé par le gouvernement et sera mis en exécution sans même que quelqu’un daigne le contacter. Essoufflé, il revendiqua ses droits mais malheureusement au lieu que justice lui soit rendue, il a plutôt été enfermé et menacé  pendant un mois. A sa sortie, il vit ses affaires dehors parce que le loyer n’est pas payé. Ses parents aussi au lieu de le soutenir et l’aider à traverser ces moments tragiques de sa vie ont plutôt proféré des injures à son égard genre qu’il n’est qu’un vaurien. Après tout l’effort qu’ils ont fourni pour ses études, lui, un incapable, n’a même pas pu trouver un travail pour prendre le relais de ses frères mais est plutôt devenu une charge pour eux. Ils n’en peuvent plus et il vaut mieux qu’il aille se chercher ailleurs.

A quoi bon rester vivre dans un pays où tout le monde te méprise et te tourne le dos ? Où tes rêves sont voués à l’échec ? Où ton savoir faire est méconnu ? Où toutes paroles sortant de n’importe quelle  bouche envers toi n’est qu’injure ? Où tu te réveilles les matins sans un rond et que la maisonière te regarde avec une certaine rage parce que tes loyers ne sont pas payés il y a de cela cinq mois ? A quoi bon rester si on a des tiroirs bourrés de diplômes mais sans travail ? Vie de merde !  Ces idées lui traversaient sans cesse l’esprit à la vitesse de lumière. Il se sentit délaissé et abandonné par tous, d’où l’idée d’eldorado occidentale lui est venue. Son avenir en jeu, il décida de tenter l’aventure et de prouver à tout le monde que sa vie n’est pas une merde et que c’est son pays qui ne reconnait pas sa valeur. Les dirigeants ne font que se déchirer politiquement laissant chacun  voler de ses propres ailes. Les plus forts c’est-à-dire les riches piétinent  les faibles tout en bafouant les droits de l’homme. Et pire ce qui énerve le plus, c’est quand  les étrangers viennent y faire la loi sans que personne ne lève son petit doigt par peur d’être persécuté par ces militaires qui se sont métamorphosés en  miliciens.

 

Il se confia à un de ses amis Jacques qui apparemment aussi était dans la même situation que lui. C’est ainsi qu’ils jumèlent leurs efforts et décidèrent de faire ce chemin ensemble peu importe ce qui en découlera comme conséquence. Jacques ayant un peu d’économies accepta de lui couvrir les frais de voyage jusqu’à Tripoli en Libye où il trouvera un travail pour la relève.

Une semaine après de longs préparatifs, ils prirent le chemin en destination du Burkina Faso, Niger puis la Libye où ils devaient faire escale histoire de trouver du travail qui couvrirait le reste des frais du voyage. Mais les choses ne s’étaient pas passées pour eux comme prévu et ils durent passer deux ans avant de réunir l’argent. Des travaux à titre de manœuvres par ci et dockers par là. Ils se rendirent compte que ce n’était pas aussi facile dans les autres pays comme ils l’imaginaient mais cela ne les empêcherait pas d’arriver au bout de leurs rêves. Paris, la belle ville, où tout le monde mange à sa faim, où selon certains dires, on mange mieux en prison que dans certains de nos pays africains. Le seul fait d’y penser donne une lueur d’espoir et de sourire sur le visage d’Élysée et il se dit que dans peu de temps, il deviendrait riche.

La somme réunie, ils entrèrent en contact avec un passeur qui accepta de leur faire  traverser la méditerranée. Ce dernier avait en sa possession un vieux bateau qui avait la capacité de contenir cent passagers. Il leur promit de revenir dans une semaine, histoire de  bien préparer la traversée. Ce qui fut fait. 

Une semaine plus tard, le passeur arriva mais ce qui les étonna fut le nombre de personnes présentes pour l’embarcation. Plus de deux cent cinquante personnes pour une place de cent ? C’était pour eux de la mer à boire mais comme il n’y avait à part cela aucune autre issue, ils se contentèrent de la fermer et de monter où ils furent entassés comme des poulets congelés ou pire des boites de sardines dans un carton. Élysée, dans un t-shirt blanc et un pantalon noir les mains aux mentons plongea son regard dans le vide.  Très serré, il avait du mal à respirer mais le seul fait de penser à la France, Paris, lui redonnait espoir et lui fait oublier ses atroces souffrances. Il voyait dans son esprit la tour Eiffel, les grands immeubles et une phrase d’espoir lui parcourut l’esprit : « Paris, là où s’accomplira mes rêves ».

Plus de cinq heures de temps passées sur la mer mais pas encore arrivés à destination. Le froid commença à avoir raison de la peau de la plupart  des passagers y compris nos deux amis. Affamé et avide de force, Jacques peinait à ouvrir les yeux.  Son ami,  assis à  ses côtés lui prit la main, marque de soutien à son égard ; mais ce fut de courte durée car l’eau a commencé à pénétrer massivement dans le bateau et il ne survécut pas au froid. Élysée, les deux mains sur  la tête et les larmes aux yeux vit jeter à la mer le corps de son ami comme un vulgaire animal.  Est-ce un péché de vouloir une meilleure vie ? Mais il le savait très bien ; que cette aventure  comportait de dangereux risques dont la mort. Faisant un petit flash back en arrière, il repense encore une fois aux terribles souffrances qu’il a endurées dans son propre pays. Sa propre famille qui lui a tournée le dos et son projet approprié par le ministère. Tout cela n’a fait qu’augmenter  son  chagrin et sa rage. Il passa en boucle  son regard  sur tous les passagers et pouvait presque lire les mêmes émotions sur leurs visages telles que : la peur et le désespoir.

L’eau ne cessait de pénétrer dans le bateau. Peu de temps après, le moteur lâcha ; ce qui le  fit complètement sombrer dans l’océan. Et là, l’on assista à un jeu de « sauve qui peut ». Mais où iraient-ils en plein océan ?  Où les côtes italiennes sont encore à une vingtaine de kilomètres ? Ne sachant pas nager, il s’accrocha à un débris du bateau avec son petit rosaire à la main où il commença à réciter le « Notre père qui est aux cieux ». Il savait bien qu’il n’allait pas survivre et le peu de temps qu’il lui restait à vivre, vaut mieux le consacrer au pardon de ses péchés. « Seigneur, je suis venu, j’ai souffert et je suis sur le point d’y laisser ma vie. Pardonne mes péchés et accueille mon âme auprès de toi. Mon passage sur cette terre n’a été que souffrance. Mon propre pays n’a pas voulu de moi et mes parents m’ont abandonné. Mes projets ont lamentablement échoué parce que  mon  pays les a tués. Je pensais aider ma famille, la rendre fière mais l’occasion ne m’a jamais été donné de prouver tout au fond de moi ce que je vaux. Et voilà que je laisse  aujourd’hui ma vie ici dans les eaux de la méditerranée. S’il y a une vie après la mort, je promets me racheter. Bénis-moi mon père et accepte moi auprès de toi. » Le froid envahit complètement son corps, ce qui l’empêchait de respirer et le rendit inconscient. Peu de temps après, il y laissa la vie ainsi que les autres passagers. Personne ne survécut.

Les gardes-côtes italiens ayant reçu tardivement l’alerte vinrent plus tard récupérer les corps pour ensuite les envoyer dans leurs pays respectifs.

Les tueurs de rêves, ont conduit nos deux amis aux vendeurs de rêves. Si seulement si notre frère Élysée avait réussi à trouver un emploi ou ne serait ce qu’un simple stage ; si seulement si le ministère ne s’était pas approprié son projet ; si seulement si ses parents l’avaient soutenu ; du moins moralement à traverser ces moments difficiles,  il n’empruntera pas  désespérément les eaux de la méditerranée en destination de Paris pour une illusion d’eldorado. Voilà que ces deux jeunes hommes vaillants et diplômés qui pourraient participer au  développement de notre pays ont péri dans l’océan. C’est un total gâchis  et de plus un frein à notre développement. Dans cette histoire, la responsabilité est partagée mais la majeure partie va tout droit à nos dirigeants africains. Les jeunes se sentent désespérés et sans avenir ; les conditions de vie qu’ils leur imposent ne leur permettent pas un bon épanouissement. Pour cela ils préfèrent aller se chercher en occident où parait-il que tout est facile mais ce ne sont que des rêves vendus.

Aucun parent n’est fier de voir chômer son enfant après avoir dépensé des millions de francs pour son éducation. Mais ce n’est pas aussi une excuse de ne pas soutenir  ses enfants  et si possible leur proposer des solutions qui pourraient les aider s’il s’avère qu’ils peinent à trouver du boulot.

Afrique, mon Afrique. Ils sont nombreux ces jeunes diplômés sans aucune activité et qui vivent toujours au crochet de leurs parents. Mais pour que les choses changent, nous devons d’abord commencer à changer nos mentalités car nous sommes les seuls artisans de notre évolution.