Jon activa la sonde. La procédure d’exploration imposait cette manœuvre de contrôle avant tout atterrissage sur une planète inconnue. Découvrir un nouveau monde rendait parfois les spationautes... [+]
Nous sommes en 1901 en Creuse, un peu après Felletin.
Deux cavaliers sont en haut d'une colline et observent un homme en train de débarder des troncs au fond de la vallée. Il n'y a pas d'engins à cette époque et le travail se fait avec des chevaux.
L'homme qui débarde se nomme Jean et le cheval qui est avec lui est une jument qu'il a baptisé 'Amour'.
L'homme et le cheval travaillent en parfaite harmonie, cela fait maintenant dix ans que Jean débarde avec elle, sans coups sans hurlements...
Les deux cavaliers qui l'observent viennent du domaine sur le vallon en face de la modeste demeure de Jean.
L'un porte une cicatrice sur la joue, le Balafré. L'autre n'a pas de cheveux, le Chauve.
Le Balafré crache au sol en regardant la scène du haut de la colline.
—J'vais bientôt la crever ta carne, et toi aussi tu vas y sentir passer Jean des soupirs! dit le Balafré.
—Allez, on retourne au domaine, le vieux nous attend, lâche le Chauve.
Les deux cavaliers reprennent le sentier de l'autre côté du vallon vers la belle demeure bourgeoise et ses écuries.
Devant la porte principale, un vieil homme à la moustache type 'bacchantes' comme les gens importants de ce temps arboraient, surveille leur arrivée.
Juste descendus de leurs montures, les deux hommes se dirigent vers le vieux aux bacchantes.
—Il est encore au fond du vallon dit le Balafré.
—Il ne débardera pas longtemps avec ce qu'il a! répond le vieux.
Tous les trois rentrent en riant dans la bâtisse, il fait presque nuit.
Jean remonte son dernier tronc jusqu'à sa demeure. Il fait presque nuit maintenant et il ne voit quasiment rien. C'est Amour qui le guide lentement après la dépose du tronc jusqu'à la petite écurie de sa modeste demeure. Juste de quoi y loger un cheval de trait comme Amour, quelques bottes de paille et de foin et un chat blotti sur l'ouverture qui donne sur l'unique pièce de la maison.
Jean a pu acheter ce modeste lieu car il y a dix années de cela, il travaillait dans les écuries du domaine du vieux aux bacchantes.
Il y travaillait depuis qu'il était enfant et une fois que le domaine fut racheté par "Les Bacchantes", il vit des choses qu'il ne pouvait pas supporter.
Lui qui faisait naître les chevaux et les éduquait, leur parlait...
Il avait un sens ou plutôt "le sens" pour être avec eux, l'ancien propriétaire des lieux lui avait transmis ce ton particulier mêlé de soupirs pour rassurer ces êtres.
Il n'en était rien pour "Les Bacchantes", riche officier militaire qui avait racheté le domaine. Et encore moins pour ses deux rejetons d'une vingtaine d'années comme Jean.
Lors de sa dernière journée au domaine, Jean les avait vus en train de s'acharner à coups de sangle de cuir sur une jeune jument entravée dans l'écurie.
Il avait fait naître cette jument et l'avait baptisée avec l'ancien propriétaire, c'était 'Amour'.
Elle était entravée le long du mur de manière à ne pas ruer, une patte attachée et la corde remontant sur un anneau au mur.
Jean est entré dans l'écurie, les deux se sont arrêtés et lui ont dit de partir sinon...
Ce sont les gens de maison qui furent les premiers sur place à la sortie de l'écurie... Jean tenait Amour par une simple corde, les deux fils des "Bacchantes" étaient dans l'écurie, le premier était allongé dans le fumier d'un box, le bras démis de l'épaule et criant sa douleur. Le deuxième criait aussi fort remuant dans l’allée de l’écurie avec une entaille par la joue gauche laissant par moments apparaître ses dents noires et pourries. Le cuir de sa sangle qu'il aimait utiliser envers Amour ce dernier en connaissait dorénavant la saveur.
Le vieux alerté par le vacarme que faisaient les gens de maison, se rendit aux écuries.
Il vit Jean et le cheval, les domestiques rieurs de voir les deux autres dans un tel état...
Le vieux renvoya ses gens de maison avec ses deux rejetons, leur intimant l'ordre de soigner ces derniers. Et aussi de ne faire vent d'un tel acte.
Il passa un accord avec Jean ce soir là , une telle déconvenue envers ses deux fils devait ne pas s'ébruiter.
Il laissa à Jean la jument atrophiée et un pécule.
Jean partit le soir même et deux jours après, acheta un tas de cailloux sans toit avec son pécule, sur le vallon en face du domaine. Il y débarderait pour des propriétaires de forêts de Felletin.
Jean caresse l'encolure d'Amour après l'avoir suivie dans l'écurie... Les deux êtres sont 'fumants' de sueur dans cette écurie et la fin de Février n'est pas heureuse car même si la neige cette année là est peu abondante, le froid , lui, est bien au rendez-vous.
Amour aime ces moments avec Jean, quand tous deux rentrent ainsi après leur journée. Elle aime ces paroles murmurées à son oreille et la caresse qui correspond aux soupirs...
Comme au printemps devant l'abreuvoir au petit matin quand Jean vient lui parler... Caresser et brosser son encolure et qu'elle ramène sa tête puissante par dessus son épaule pour l'étreindre...
Comme ces soirées d'hiver quand elle passe sa tête par l'ouverture de l'unique pièce de la maison et qu'elle le voit vers l'âtre.
Il y a cette chose étrange que les 'deux pattes' comme Jean savent créer, cette chose qui est dans l'âtre... Mais nous autres voyons aussi ce qui anime les 'deux pattes'... Elle entoure leurs apparences comme ce qui est dans l'âtre et change de couleur en fonction de ce qui les anime... Colère ou joie, inquiétude ou surprise, peur ou amour... Nous réagissons à ces changements car nous ne sommes qu’émotions...
Le mois de Février se finit sans neige.
Amour regardera Jean et sa lumière s'éteindre le jeudi soir de la première semaine de Mars 1901.
Elle savait et voyait son Aura changer au fil des remontées de bois, mais elle était devenue ses yeux.... Poussant d'elle- même les battants de l'entrée de l'écurie, son logis, donnant sur la pièce de l'âtre. Le regardant allumer le feu... Soufflant l’air chaud de ses naseaux sur le chat toujours blotti sur une botte de foin... Scruter le moindre bruit que Jean pouvait faire... Le regardant jusqu’ à son dernier soupir... Comme le feu et sa dernière étincelle.
Elle a vu ce matin-là les hommes l'emmener plus bas, vers l'endroit ou les 'deux pattes' mettent les corps en partance pour l'au-delà.
Elle a suivi la lueur de Jean au travers des rues de Felletin du haut du vallon et l'endroit ou il demeure maintenant...
Elle ne quitta pas ce coin de pré et ne fit que gratter le sol ce jour- là. Tournant sans cesse le long de la lisière du bois, le chemin qu’elle remontait avec Jean étant juste derrière...
Ce matin- là, elle a vu la lueur qui entourait les hommes qui portaient Jean, et ce qui émanait de l’un d’entre eux. Elle ne fit que piétiner le sol pendant que ce dernier se retournait sur elle, avec un sourire... Et un petit hochement de tête...
C'est le soir maintenant et Amour est toujours dans son champ quand elle entend le bruit des trois cavaliers...
Dans la pénombre de cette soirée de Mars, elle scrute et cherche les bruits.
Vers la maison de Jean elle voit les lueurs... Elle souffle et ses naseaux puissants chassent l'air en formant des nuages, ses oreilles s'abaissent, elle tape sa patte avant droite sur le sol...
Les lueurs s'approchent et elle reconnait leurs couleurs, ce sont les mêmes lueurs que dans la grande écurie avant... avant... Avant Jean et ses soupirs...
Elle sent les cordes, voit les gestes ou plutôt la lueur de celui qui les pense... Elle fuit vers l'écurie et les lueurs la suivent..
Elle est dedans maintenant et les lueurs se mélangent avec les formes et leurs cris.
Le Vieux et le Balafré suivis par le Chauve.
Les trois sont là, juste à l'entrée de l'écurie, bâtons, cordes et nerfs de boeufs en main sous la lumière de la lampe à pétrole suspendue...
—Alors sale pourriture de carne, tu vas obéir maintenant! crache le Balafré.
—Charogne! vocifère le Chauve.
Le Vieux aux Bacchantes sourit et crie la bave aux lèvres:
—Un bon steack!
Amour sent la première corde à son encolure, elle ne peut pas se cabrer mais elle peut ruer et son premier coup fera décoller le Chauve sur trois mètres au point que ce dernier s'empale le crane sur le butoir en fer de la porte de l'écurie.
Le Vieux aux Bacchantes qui avait lancé la corde est soulevé du sol tandis qu'Amour continue sa ruade en se tournant pour faire face à l'entrée de l'écurie.
Le vieux crie toujours au dessus du sol et le Balafré se trouve sur sa trajectoire ou plutôt celle de ses jambes que ce dernier reçoit en pleine figure avec la lampe à pétrole suspendue et dont le liquide s'écoule sur son visage et inonde le cheval qui part dans un galop infernal par l'entrée de l'écurie avec le Vieux aux Bacchantes accroché à la corde.
Le temps que celle-ci se tende sous le démarrage d’Amour, le Balafré se tourne en hurlant et se retrouve lui aussi en feu, du visage au pieds. Ne pouvant voir la corde qui, sous la tension, lui arrive en pleine gorge, le projetant sur l’angle du merlin qu’utilisait Jean pour fendre son bois.
Son seul œil valide verra la pointe de l’outil lui perforer son visage fondue sous les flammes du pétrole qui embrase maintenant l’écurie.
Amour sent la douleur du feu sur sa croupe et au fil de son galop la brûlure sur son dos et les cris de la lueur qui la suit dans cette tourmente infernale.
Elle arrive entièrement en feu dans le village et suit le tracé de la lueur de Jean, avec le Vieux toujours attaché par la corde, sa carcasse butant sur les angles des murs, faisant jaillir des particules de tissus et de chairs mélées.
Amour traversera le bourg de Felletin jusqu'à l'entrée du cimetière qu'elle passera en défonçant la grille, laissant derrière elle, accroché à la chaine métallique fermant le lieu , le cadavre démembré du Vieux aux Bacchantes retenu par ce qui lui restait de bouche.
Le gardien du cimetière déclarera aux adjoints du préfet avoir vu le cheval en feu arriver au pas devant la tombe de Jean.... N’osant pas s’approcher car la vision de ce cheval si massif et complètement calme alors que sa chair carbonisée se répandait sur le sol et que les flammes illuminaient la tombe de Jean, l'avait pétrifié.
Amour restera statique devant la tombe durant plusieurs minutes... Soufflant l’air par les naseaux... Formant comme des tourbillons de feu.
Puis elle gratta le sol... Se coucha sur le côté, face à la sépulture de Jean... Ne cessant de remuer le sol de ses pattes.
Avec un soupir profond, comme un murmure.
Deux cavaliers sont en haut d'une colline et observent un homme en train de débarder des troncs au fond de la vallée. Il n'y a pas d'engins à cette époque et le travail se fait avec des chevaux.
L'homme qui débarde se nomme Jean et le cheval qui est avec lui est une jument qu'il a baptisé 'Amour'.
L'homme et le cheval travaillent en parfaite harmonie, cela fait maintenant dix ans que Jean débarde avec elle, sans coups sans hurlements...
Les deux cavaliers qui l'observent viennent du domaine sur le vallon en face de la modeste demeure de Jean.
L'un porte une cicatrice sur la joue, le Balafré. L'autre n'a pas de cheveux, le Chauve.
Le Balafré crache au sol en regardant la scène du haut de la colline.
—J'vais bientôt la crever ta carne, et toi aussi tu vas y sentir passer Jean des soupirs! dit le Balafré.
—Allez, on retourne au domaine, le vieux nous attend, lâche le Chauve.
Les deux cavaliers reprennent le sentier de l'autre côté du vallon vers la belle demeure bourgeoise et ses écuries.
Devant la porte principale, un vieil homme à la moustache type 'bacchantes' comme les gens importants de ce temps arboraient, surveille leur arrivée.
Juste descendus de leurs montures, les deux hommes se dirigent vers le vieux aux bacchantes.
—Il est encore au fond du vallon dit le Balafré.
—Il ne débardera pas longtemps avec ce qu'il a! répond le vieux.
Tous les trois rentrent en riant dans la bâtisse, il fait presque nuit.
Jean remonte son dernier tronc jusqu'à sa demeure. Il fait presque nuit maintenant et il ne voit quasiment rien. C'est Amour qui le guide lentement après la dépose du tronc jusqu'à la petite écurie de sa modeste demeure. Juste de quoi y loger un cheval de trait comme Amour, quelques bottes de paille et de foin et un chat blotti sur l'ouverture qui donne sur l'unique pièce de la maison.
Jean a pu acheter ce modeste lieu car il y a dix années de cela, il travaillait dans les écuries du domaine du vieux aux bacchantes.
Il y travaillait depuis qu'il était enfant et une fois que le domaine fut racheté par "Les Bacchantes", il vit des choses qu'il ne pouvait pas supporter.
Lui qui faisait naître les chevaux et les éduquait, leur parlait...
Il avait un sens ou plutôt "le sens" pour être avec eux, l'ancien propriétaire des lieux lui avait transmis ce ton particulier mêlé de soupirs pour rassurer ces êtres.
Il n'en était rien pour "Les Bacchantes", riche officier militaire qui avait racheté le domaine. Et encore moins pour ses deux rejetons d'une vingtaine d'années comme Jean.
Lors de sa dernière journée au domaine, Jean les avait vus en train de s'acharner à coups de sangle de cuir sur une jeune jument entravée dans l'écurie.
Il avait fait naître cette jument et l'avait baptisée avec l'ancien propriétaire, c'était 'Amour'.
Elle était entravée le long du mur de manière à ne pas ruer, une patte attachée et la corde remontant sur un anneau au mur.
Jean est entré dans l'écurie, les deux se sont arrêtés et lui ont dit de partir sinon...
Ce sont les gens de maison qui furent les premiers sur place à la sortie de l'écurie... Jean tenait Amour par une simple corde, les deux fils des "Bacchantes" étaient dans l'écurie, le premier était allongé dans le fumier d'un box, le bras démis de l'épaule et criant sa douleur. Le deuxième criait aussi fort remuant dans l’allée de l’écurie avec une entaille par la joue gauche laissant par moments apparaître ses dents noires et pourries. Le cuir de sa sangle qu'il aimait utiliser envers Amour ce dernier en connaissait dorénavant la saveur.
Le vieux alerté par le vacarme que faisaient les gens de maison, se rendit aux écuries.
Il vit Jean et le cheval, les domestiques rieurs de voir les deux autres dans un tel état...
Le vieux renvoya ses gens de maison avec ses deux rejetons, leur intimant l'ordre de soigner ces derniers. Et aussi de ne faire vent d'un tel acte.
Il passa un accord avec Jean ce soir là , une telle déconvenue envers ses deux fils devait ne pas s'ébruiter.
Il laissa à Jean la jument atrophiée et un pécule.
Jean partit le soir même et deux jours après, acheta un tas de cailloux sans toit avec son pécule, sur le vallon en face du domaine. Il y débarderait pour des propriétaires de forêts de Felletin.
Jean caresse l'encolure d'Amour après l'avoir suivie dans l'écurie... Les deux êtres sont 'fumants' de sueur dans cette écurie et la fin de Février n'est pas heureuse car même si la neige cette année là est peu abondante, le froid , lui, est bien au rendez-vous.
Amour aime ces moments avec Jean, quand tous deux rentrent ainsi après leur journée. Elle aime ces paroles murmurées à son oreille et la caresse qui correspond aux soupirs...
Comme au printemps devant l'abreuvoir au petit matin quand Jean vient lui parler... Caresser et brosser son encolure et qu'elle ramène sa tête puissante par dessus son épaule pour l'étreindre...
Comme ces soirées d'hiver quand elle passe sa tête par l'ouverture de l'unique pièce de la maison et qu'elle le voit vers l'âtre.
Il y a cette chose étrange que les 'deux pattes' comme Jean savent créer, cette chose qui est dans l'âtre... Mais nous autres voyons aussi ce qui anime les 'deux pattes'... Elle entoure leurs apparences comme ce qui est dans l'âtre et change de couleur en fonction de ce qui les anime... Colère ou joie, inquiétude ou surprise, peur ou amour... Nous réagissons à ces changements car nous ne sommes qu’émotions...
Le mois de Février se finit sans neige.
Amour regardera Jean et sa lumière s'éteindre le jeudi soir de la première semaine de Mars 1901.
Elle savait et voyait son Aura changer au fil des remontées de bois, mais elle était devenue ses yeux.... Poussant d'elle- même les battants de l'entrée de l'écurie, son logis, donnant sur la pièce de l'âtre. Le regardant allumer le feu... Soufflant l’air chaud de ses naseaux sur le chat toujours blotti sur une botte de foin... Scruter le moindre bruit que Jean pouvait faire... Le regardant jusqu’ à son dernier soupir... Comme le feu et sa dernière étincelle.
Elle a vu ce matin-là les hommes l'emmener plus bas, vers l'endroit ou les 'deux pattes' mettent les corps en partance pour l'au-delà.
Elle a suivi la lueur de Jean au travers des rues de Felletin du haut du vallon et l'endroit ou il demeure maintenant...
Elle ne quitta pas ce coin de pré et ne fit que gratter le sol ce jour- là. Tournant sans cesse le long de la lisière du bois, le chemin qu’elle remontait avec Jean étant juste derrière...
Ce matin- là, elle a vu la lueur qui entourait les hommes qui portaient Jean, et ce qui émanait de l’un d’entre eux. Elle ne fit que piétiner le sol pendant que ce dernier se retournait sur elle, avec un sourire... Et un petit hochement de tête...
C'est le soir maintenant et Amour est toujours dans son champ quand elle entend le bruit des trois cavaliers...
Dans la pénombre de cette soirée de Mars, elle scrute et cherche les bruits.
Vers la maison de Jean elle voit les lueurs... Elle souffle et ses naseaux puissants chassent l'air en formant des nuages, ses oreilles s'abaissent, elle tape sa patte avant droite sur le sol...
Les lueurs s'approchent et elle reconnait leurs couleurs, ce sont les mêmes lueurs que dans la grande écurie avant... avant... Avant Jean et ses soupirs...
Elle sent les cordes, voit les gestes ou plutôt la lueur de celui qui les pense... Elle fuit vers l'écurie et les lueurs la suivent..
Elle est dedans maintenant et les lueurs se mélangent avec les formes et leurs cris.
Le Vieux et le Balafré suivis par le Chauve.
Les trois sont là, juste à l'entrée de l'écurie, bâtons, cordes et nerfs de boeufs en main sous la lumière de la lampe à pétrole suspendue...
—Alors sale pourriture de carne, tu vas obéir maintenant! crache le Balafré.
—Charogne! vocifère le Chauve.
Le Vieux aux Bacchantes sourit et crie la bave aux lèvres:
—Un bon steack!
Amour sent la première corde à son encolure, elle ne peut pas se cabrer mais elle peut ruer et son premier coup fera décoller le Chauve sur trois mètres au point que ce dernier s'empale le crane sur le butoir en fer de la porte de l'écurie.
Le Vieux aux Bacchantes qui avait lancé la corde est soulevé du sol tandis qu'Amour continue sa ruade en se tournant pour faire face à l'entrée de l'écurie.
Le vieux crie toujours au dessus du sol et le Balafré se trouve sur sa trajectoire ou plutôt celle de ses jambes que ce dernier reçoit en pleine figure avec la lampe à pétrole suspendue et dont le liquide s'écoule sur son visage et inonde le cheval qui part dans un galop infernal par l'entrée de l'écurie avec le Vieux aux Bacchantes accroché à la corde.
Le temps que celle-ci se tende sous le démarrage d’Amour, le Balafré se tourne en hurlant et se retrouve lui aussi en feu, du visage au pieds. Ne pouvant voir la corde qui, sous la tension, lui arrive en pleine gorge, le projetant sur l’angle du merlin qu’utilisait Jean pour fendre son bois.
Son seul œil valide verra la pointe de l’outil lui perforer son visage fondue sous les flammes du pétrole qui embrase maintenant l’écurie.
Amour sent la douleur du feu sur sa croupe et au fil de son galop la brûlure sur son dos et les cris de la lueur qui la suit dans cette tourmente infernale.
Elle arrive entièrement en feu dans le village et suit le tracé de la lueur de Jean, avec le Vieux toujours attaché par la corde, sa carcasse butant sur les angles des murs, faisant jaillir des particules de tissus et de chairs mélées.
Amour traversera le bourg de Felletin jusqu'à l'entrée du cimetière qu'elle passera en défonçant la grille, laissant derrière elle, accroché à la chaine métallique fermant le lieu , le cadavre démembré du Vieux aux Bacchantes retenu par ce qui lui restait de bouche.
Le gardien du cimetière déclarera aux adjoints du préfet avoir vu le cheval en feu arriver au pas devant la tombe de Jean.... N’osant pas s’approcher car la vision de ce cheval si massif et complètement calme alors que sa chair carbonisée se répandait sur le sol et que les flammes illuminaient la tombe de Jean, l'avait pétrifié.
Amour restera statique devant la tombe durant plusieurs minutes... Soufflant l’air par les naseaux... Formant comme des tourbillons de feu.
Puis elle gratta le sol... Se coucha sur le côté, face à la sépulture de Jean... Ne cessant de remuer le sol de ses pattes.
Avec un soupir profond, comme un murmure.
http://short-edition.com/fr/oeuvre/tres-tres-court/croisiere-2