Coupable de mon Histoire

Je suis Vita Pierre. Amante de la littérature. Activiste, féministe. Mondoblogueuse RFi. Avocate et travailleuse sociale de carrière. Je lutte pour un monde plus juste où les femmes auront toute ... [+]

Toute histoire commence un jour, quelque part, c’est ce qu’on pourrait croire mais ce n’est pas tout de commencer, il faut savoir finir, car pour ne pas échouer, il faut savoir être attentifs autant qu’à la fin, qu’il l’est généralement pour le début, bon semble ignorer qu’avant de commencer, il faut savoir jusqu’où on peut aller. Brandy, devrait passer devant le juge ce matin-là, le juge d’instruction avait prononcé son ordonnance de renvoi où il a élaboré les motifs pour lesquels des charges suffisantes ont été retenues contre lui. Il était là, calme, serein, devant la juridiction de jugement pour répondre de ses actes, j’étais assise au fond dans la salle d’audience qui reflète déjà une atmosphère de pouvoir, où chacun à sa place, une barrière imaginaire entre le public et le prétoire, tous les sièges remplis. Les officiers de justice, très bien installés, du juge de siège au commissaire du gouvernement puis des greffiers, tout le monde était prêt pour le procès du siècle.
Dans une atmosphère déjà électrique entre défenses et partie poursuivante par le biais du ministère public en l’organe du commissaire du gouvernement, il a été annoncé que la partie défenderesse avait obtempéré, que dire ? J’avais abandonné les charges contre lui, enfin j’étais obligé de le faire. Cette démonstration ne semble étonner personne. Les deux jeunes devant moi, opinaient :
- Où est la partie accusatoire ? la victime ne viendrait peut être pas ?
- En fait, c’est un double enjeu, être violée et être contrainte de venir devant la foule raconter ses péripéties, son humiliation et ses déceptions. Expliquait l’autre.
- Je comprends ton approche, mais dans mon cas, j’aurais préféré affronter mon bourreau.
- Apres une si grande chute, on n’a pas tous le même courage de se relever à la même vitesse Anna.
Anna. J’ai retenu son nom. Plus tard je penserais à lui demander si elle est psychologue. Entre-temps, la séance était ouverte et le juge de siège rappelle que l’accusé est un présumé innocent. Appelé à décliner son identité, Brandy, grand gaillard, barbe noire fournie et cheveux crépus, vêtu en bleu, répond :
- Entrepreneur, propriétaire terrien, fils de bourgeois...
A cette précision, il y eu un tohubohu dans la salle. Cette attitude du public a arraché à mon cœur une lueur d’espoir de justice, surtout quand encore une fois Anna rappelle à son amie :
- Pourquoi préciser qu’on est fils de bourgeois ? N’est ce pas agir sur la partialité du juge ?
La tension qui régnait dans la salle me donnait la chair de poule, on le sentait cette nervosité, comme si le poids des actes commis était omniprésent dans la salle, mais comme le notait Anna c’était comme une deuxième tentative d’agression sexuel et de viol, le choc était aussi dur qu’il y a 8 mois. Et aujourd’hui, plus que les huit mois passés, j’ai eu l’impression que cette histoire de victime de viol commençait ici, dans cette salle.
Je ressentais encore l’odeur de son parfum décolorant et ses lèvres autour de mon cou, quand il m’a immobilisé les bras contre le mur, j’ai eu mon dernier souffle. Ce dernier souffle ! Je voulais tant retenir, certaines sensations de son sexe, soi son arrogance ou sa férocité. Mais, rien du tout ! Seule la peur, la honte et la douleur me reviennent à l’ instant, seule l’indignation me reste encore face à un système de justice dégradante, face à la hiérarchie sociale, face à l’oppression, face au capitalisme intransigeant, face au sexisme débordant.
Brandy a nié complètement la matérialité des faits. Elle a clairement déclaré pour le juge :
- Je suis un homme amoureux de cette femme. Je l’aime de tout mon cœur magistrat. Comment pouvait-elle m’accuser de choses si odieuses ? Comment peut-on faire du mal à quelqu’un qu’on aime et avec qui l’on a une histoire qui a commencé par le beau verbe ‘’aimer.’’ ?
J’ai eu ce pincement de cœur, je me retiens pour ne pas crier très fort. Le beau verbe ‘’Aimer’’ dit-il ? Je repense encore aux mêmes raisons qui m’ont contraint d’abandonner la poursuite contre lui, j’ai revu le grand dessin de l’injustice, les rapports de force et surtout mon manque de courage. Mon silence, et ma discrétion et mon look déguisé était mes seuls protecteurs, croyais-je. Pourtant...
Je me sentais comme au milieu d’une jungle. Personne ne savait que c’était moi, ce n’était pas important que la partie civile se présente, ce n’est pas un handicap au procès, de toute façon, en matière pénale, le commissaire du gouvernement est chef de poursuite, c’est la mince lueur de soulagement que je ressentais. Le commissaire du gouvernement ! Cette possibilité que de savoir, il y a moyen qu’il paye quand même. La salle restait plongée dans un silence froid et suspendu à la plaidoirie ou mieux dire au grand art oratoire de Me Chantale Guerville l’avocate de la défense, après avoir répondu aux questions de son avocate, on pourrait même de loin apercevoir le sourire moqueur sur le visage de mon bourreau, comme s’il se moquait de tout ce scénario ! Cette mise en scène du procès, surtout, ce qui m’intrigue c’est son calme, l’expression de l’assurance de son innocence et son adresse pour répondre aux questions. L’argent ! Le pouvoir de l’argent.
Je connais Brandy, jeune homme brillant qui a fait des études en Géni-Industrielle en Taiwan, professeur de renom dans les meilleures universités privé du pays, jeune homme de grande famille, il n’est pas bête mais cet art de répondre aux questions et d’esquiver tout ennui, je ne l’ai pas vu venir. Il faut dire que son avocate a fait du bon boulot pour son honoraire, elle relève lors de son procès les failles des enquêtes, note pour le juge la falsification de mon attestation médicale, qui n’a pas été délivré par un médecin professionnel et scellé dit-elle.
- Honorable magistrate, mon client est innocent. Brandit-elle.
Je regarde tristement, Maitre Guerville porté sa robe et étalé sa thèse, elle la porte si bien qu’il y a une harmonie efficace entre son élégance et ses arguments. Je me la pose encore une fois, est-ce ça le métier d’avocat ? Oui ! Je la juge. Elle est une femme ! Comment une femme peut-elle défendre un bourreau ? Je laisse derrière moi, les principes de procédure, les notions sur le garantisme pénal accordant à quiconque le droit de se défendre. Aujourd’hui, ce n’est pas l’étudiante brillante qui a déserté les bancs de la faculté de Droit après la mort de sa mère qui est là. C’est une victime. C’est une femme qui a été réduite à son corps de femme.
La vie est faite de ses surprises éminentes, celles-là qui ont le pouvoir de te bousiller le cœur en une seconde, ces moments qui marquent la vie d’une jeune femme, en face de son corps, comme poids d’exploitation et d’oppression. Il y a de ces fois qu’on n’arrive même pas de pardonner soi-même, nos propres opinions nous jugent, nous tuent. Il y a de ces fois que l’on arrivera jamais à se libérer de ce mal.
Je suis là, pour la dernière fois dans cette salle d’audience, lundi 16 janvier 2009 à la huitaine du procès. Le verdict est tombé, un calme dangereux régnant sur la salle d’audience, une atmosphère apaisé mais terne. Je refuse, aujourd’hui de croire que la vie n’est pas un conte de fée. Ce qu’il faut dire, c’est que la vie est un conte de fée pour certains et pour d’autres un enfer. La vie pour les gens de pouvoir c’est un conte de fée. J’ai assisté à mon enterrement au tribunal, par devoir je suis sortie m’acheter un bouquet de fleurs, assise sur la place d’Armes, mon bouquet de fleurs en main, un homme est venu assis sur le banc en face de moi :
- Tous les jours les gens se mettent en couple, mais c’est une chose très rare, quand chacun donne son cœur l’un à l’autre sans condition.
- Pourquoi me dis-tu cela Monsieur ?
- Vos fleurs sont jolies, un homme doit être amoureux pour venir te faire livrer des fleurs sur une place publique, et j’ai tout aussi appris du célèbre Frossard qu’un amour qui n’a pas le sentiment d’être éternel n’a jamais commencé.
Cette fois, je ne répondais plus. Au fait, il me fait penser ! A l’amour ! Mais, la blessure est trop grande, la plaie a trop saignée, le cœur s’est endurci, il n’y a plus une lueur d’étincelles. Mon angoisse ne se dépeindra pas, je ne pourrai plus faire résonner ma musique, ni tenter d’inventer moi-même un peu d’espoir scintillant à l’horizon, par la vengeance ou par la justice. Je suis coupable. Coupable par mon silence, par ma peur.
Ma peine et ma déception sont celles qui me restent à la fin, et je note que l’homme le plus heureux c’est celui qui arrive à pouvoir relier la fin de sa vie avec le commencement.