Cocktail molotov

Toute histoire commence un jour, quelque part. Un lieu. Un continent. Un pays. Une ville. Un quartier. Toute histoire commence quelque soit sa topographie. Elle est là. Présente dans cette métropole. Cette porte de l'Afrique. Dakar.
Un sénégalais du nom de Amadou Bashir Niane. Toucouleur*, issue de la région de Saint Louis du Sénégal. Âgé de 32 ans, il travaillait dans la marine nationale. Sa vie était enviable. Il avait ses deux parents à ses côtés. Ses frères et soeurs. Le bémol ? Bien sûr qu'il y en a.
Son nom c'est Yolande Erika Sanchez Dupuy. Cette franco-portugaise de 26 ans est celle qui fit chavirer son coeur. Elle était médecin à l'hôpital Aristide le Dantec de Dakar. Une pédiatre. Son père est un élément de l'armée française envoyé au Sénégal il y a quelques dizaines d'années. Éric Dupuy est un Français encré dans sa tradition gauloise. Excessivement ! Même s'il s'est marié avec cette dame brune et à la peau foncée qui porte le nom de Barbara Sanchez, il insiste sur le fait que ses bouts de bois de Dieu qu'ils ont eu ne doivent pas s'intéresser à un homme d'une autre "race".
Yolande et Bashir n'avaient pas prévu cette étincelle, ce sentiment, puis cet amour qui les lie. Bashir venait souvent en tant qu'émissaire de son supérieur hiérarchique remettre une commission au sieur Éric. C'est là qu'ils se voyaient souvent. D'abord avec des regards timides, des sourires ésotériques. Leur relation a débuté tout naturellement avec évidemment des appréhensions des deux côtés. Néanmoins l'appel de l'amour était plus fort, la passion, le besoin d'être en contact avec l'autre, de le protéger, de s'en occuper.
Deux univers, deux continents, deux pays, deux cultures, deux "races" diamétralement opposés. Vint le jour où le jeune homme décide de tout concrétiser puisqu'il ne voulait se marier avec personne d'autre qu'elle. Étant parti voir son futur beau-père pour lui faire part de ses intentions envers sa fille, il a été renvoyé de la manière la plus humiliante. Yolande elle, a reçu des coups vu son entêtement. Elle déclarait que rien ni personne ne pourra l'empêcher de passer les années qu'il lui reste avec son sénégalais à la peau sombre. Quelques jours plus tard, elle fut convoquée par son père pour savoir si elle changeait d'avis, elle restait sur sa décision. Il l'a tout bonnement renié sa mère et lui. Yolande avait ainsi choisi son homme au détriment de ses parents. Cette nuit, elle n'a pas dormi chez elle. Elle était triste mais sans plus. Le dés étaient jetés.
Au même moment, Bashir annonçait aussi à ses parents son désir de se marier. Sa mère était très contente jusqu'à ce qu'il parle de la fille en question. Elle tombait des nues. Une blanche comme belle-fille, c'était tout bonnement impossible. Elle ne pouvait accepter un tel affront. Elle a créé un scandale phénoménal dans la maison attirant les voisins les plus curieux. Toute la famille avait été interpellée pour dissuader Bashir mais comme Yolande, il a tenu bon malgré les menaces, réprimandes et chantages. Selon lui, c'était sa vie, ses choix, personne n'a le droit de s'en mêler même pas ses parents. Quelques soient les conséquences, il les assumera.
Acculé, son père a accepté de les marier à la condition que Yolande se convertisse, qu'elle devienne musulmane. Un autre problème. La jeune Française tenait à sa religion. Elle était chrétienne de naissance. Elle a été baptisée, vécu la communion, la confirmation. Il ne manquait plus qu'elle se marie à l'autel mais c'est infaisable. Elle est liée au christianisme. Pour rien au monde elle n'abandonnerait cette voie pour une autre dont elle ne connaît rien. De plus, c'est une chose qu'elle avait promise à son oncle maternelle qui est curé à Lisbonne.
Bashir et elle en ont parlé à l'imam du quartier qu'ils sont allés voir il y a quelques temps. Il leur a rapporté textuellement ce que l'Islam en pense. En effet, la femme pouvait conserver sa religion même si elle préfère que celle-ci devienne musulmane cependant les enfants qui naîtraient de cette union seraient impérativement des musulmans. Sans hésiter Yolande était d'accord.
Bashir a expliqué tout cela à son pater qui, même s'il n'était pas parfaitement d'accord avec ce mariage a mis en avant le bonheur de son fils et a voulu respecter sa décision.
En vain, Malado Niane a essayé de convaincre son épouse de se faire une raison et adhérer à cette décision. Marietou Rachelle Dia voyait toujours ce mariage comme un affront dont elle ne se relèvera que si elle fait tout pour séparer ces deux-là. Séparer ce que Dieu a uni ? Il faudra qu'elle se montre persévérante.
Bashir et Yolande étaient tous les deux dans la chambre habillés en boubous traditionnels pendant que dans la cour de la maison les hommes scellaient leur union. C'était une cérémonie assez intime avec à peine vingts personnes. Beaucoup n'ont pas voulu venir, être les témoins de ce "cirque" était juste invivable. Le principal concerné n'en avait cure . Le plus important c'est que désormais tout est officiel devant Dieu et les hommes. Contrairement à Yolande qui était animée par une profonde déception, celle de ne pas voir ses parents en ce jour si spécial. Elle a ouïe dire qu'ils étaient rentrés en France car son père ne supportait plus ce pays. Il était toujours très en colère contre elle et surtout il ne voulait plus rien savoir de Yolande. " Tant pis " se disait-elle.
-Tu es heureuse Erika ? Demanda Bashir.
-Très heureuse même. Repondit-elle en serrant ses doigts.
-Je devine que ce voile de chagrin que je vois dans tes yeux est dû à l'absence de tes parents.
Elle ne dit rien baissant la tête, refoulant ses larmes. La famille de Bashir n'a pas arrêté de lui demander quand ses parents viendraient. Elle n'avait rien trouvé à répondre. Heureusement son mari avait pu la sortir de ce malaise.
-Je ne pourrai pas remplacer tes parents ni t'offrir l'affection dont tu avais droit à leur côté. Mais je ferai tout pour que tu ne regrettes pas ce sacrifice. Ma mère finira par accepter et adopter la merveilleuse femme que tu es.
- Je t'aime. Déclara-t-elle.
Ils sortent ensemble pour se faire féliciter. Yolande voyait bien l'hypocrisie étouffée de sa belle-famille. La nuit, elle est allée se coucher dans ses appartements, de l'autre côté de la maison. Effectivement, Bashir et ses frères vivent chacun dans un appartement construit eux même dans la deuxième parcelle de la maison familiale. Ainsi Yolande disposait de deux chambres et d'un salon avec un petit balcon qui donne une vue imprenable sur les rues de Dakar. Elle adorait cette décoration à la fois simple et sophistiquée. Bashir avait mis les petits plats dans les grands. Il a dû épuiser toutes ses économies pour rendre cet espace à son goût.
Tard dans la nuit il est venu la rejoindre alors qu'elle venait à peine de s'endormir. Sous la couette, il l'attire pour la coucher sur lui. Il venait d'avoir une discussion très sérieuse avec ses parents. Sa mère exige qu'elle cuisine comme toutes les autres belles filles de cette famille. Il avait beau lui expliquer qu'elle travaille, et donc qu'il est impossible qu'elle reste à la maison pour s'occuper des repas pendant ses deux jours de "tour", elle ne voulait rien savoir. Il a compris que sa mère est capable de faire n'importe quoi pour rendre la vie très difficile à son Erika. C'est après qu'il a pris son père à part pour lui demander de parler avec la maîtresse de maison. Il lui a conseillé de trouver une femme de ménage qui pourra gérer ses jours de cuisine. Il trouvait que c'était une très bonne idée.
Contre toute attente, Bashir avait trouvé son épouse chaste. Il en était étonné. Il n'aurait jamais pensé être le premier homme dans la vie de Yolande. Il n'ont jamais discuté de ce genre de choses. Il a compris que le fait de se préserver c'est juste un choix. Il était honoré et avait la preuve que cette femme était celle qu'il lui fallait. Bien sûr, une tache de sang ne peut définir les vertus d'une conjointe mais le rêve de tout homme est d'être le premier partout.
À peine quatre mois de mariage vécus, Yolande reçut la nouvelle d'une grossesse. Surprise, elle était contente et son mari n'était pas en reste. Sa belle-mère était certaine qu'elle s'était faite engrosser avant le mariage et par un autre homme. Pour elle son fils servait juste d'idiot, l'idiot qui devait s'occuper du bâtard d'un autre. Elle n'a pas manqué de le dire à celle-ci qui était très irritée. Mais comme son mari le lui a demandé , elle n'a pas répondu.
Elle ne se souvient pas du jour où Marietou Dia a été gentille avec elle. Elle, ses filles, ses belles-filles, ses nièces. Elles avaient toutes une dent contre elle, lui créant des problèmes alors qu'elle a toujours été courtoise à leur endroit. Elle ne recevait que des reproches de sa part avec la complicité des autres. Au début, elle ne se laissait pas faire, se défendant comme elle pouvait. Jusqu'au jour où la dame fasse une crise et que tout le monde pointa sur elle un doigt accusateur. Seul Bashir avait pris sa défense. Elle était assaillie par les menaces et les aboiements de ses enfants. Elle n'avait rien à dire. Cette nuit-là, il lui a fait promettre de ne plus suivre sa mère dans ce plan de la mettre en mal avec tout le monde. Elle n'avait pas le choix. Après cet épisode, tout le monde l'avait isolé. Elle se sentait étrangère dans cette maison. Quand c'était à elle de cuisiner personne ne mangeait à part son beau-père et l'aîné de la famille Cheikh Omar. Pourtant, ne sachant pas cuisiner les plats sénégalais, elle s'était inscrite dans une école de cuisine pour apprendre à bien les faire et rendre son mari fier. Lorsqu'il était en mission, en plus de se sentir seule, elle était triste. Sauf quand elle était avec ces enfants hospitalisés. Ils lui redonnaient le sourire. Lui faisaient oublier ses problèmes. Ils sont certes malades, mais ils créent inconsciemment une joie de vivre incommensurable autour d'eux. Elle adorait son travail. C'est sa passion depuis qu'elle est jeune de s'occuper des enfants malades.
Elle avait une grande amie qui exerçait le même métier qu'elle dans cet hôpital. C'est elle qui lui donnait des conseils pour qu'elle ne flanche pas dans les moments de doutes. C'est son soutien après son mari. Ndella était bien plus âgée qu'elle, voilà pourquoi elle était si expérimentée. Elle était la soeur qu'elle aurait voulu avoir. Elle la comprenait tellement. C'est elle qui lui montre les coins coquins de la ville pour impressionner d'avantage son époux. Grâce à elle, elle maîtrise parfaitement le wolof *. Ce que personne ne sait, c'est que Yolande comprenait la langue. Ses belles-soeurs ont l'habitude d'être dans la même pièce qu'elle tout en la dénigrant. Elle savait ce dont elle parlait mais préférait les laisser pêcher. Ndella était son idole, par rapport à elle, sa belle-mère était un ange. Elle a eu une enfance difficile et cette dernière l'aime plus que ses propres filles.
Une nuit du 4 janvier, Yolande accouchait d'une toute petite fille aux cheveux bouclés. Bashir était dans les eaux quand on l'a appelé pour le lui dire. Il ne devait rentrer que sept jours après. Il aurait voulu assister à ce jour heureux qu'est la naissance de sa première fille, son premier enfant. Il comptait les heures qui le séparaient de sa maison, tout excité comme un gamin.
Marietou Rachelle Niane a été baptisée comme il se devait. Deux moutons sacrifiés et une fête plus que réussie. Son homonyme ne voulait pas que cette petite porte son prénom. Cette mulâtre, comme elle l'appelait ne pouvait pas faire partie de sa famille. Elle n'a pas eu droit à des cadeaux comme les autres dames qu'elle fréquentait. Elle en était furieuse. Pourtant, Ndella avait conseillé à Yolande de remettre quelques présents à sa belle famille mais elle a dit niet. Cet argent gaspillé, ils ne le méritaient pas et quelque soit ce qu'elle ferait , ils ne la porteraient jamais dans son coeur. C'est un fait. Elle a préféré le mettre dans un compte ouvert spécialement pour sa fille afin qu'elle en jouisse quand elle sera majeure.
À l'âge de cinq ans, Marietou était le trésor de ses parents. Il était facile de l'aimer car elle était adorable. Toute menue, les cheveux bouclés, elle avait un sourire angélique et un regard mirifique. Elle était très éveillée et attachante. Elle avait fait part à sa mère du comportement de sa grand-mère avec elle par rapport aux autres enfants de la maison. Quand elle courait lui faire un câlin, elle s'énervait, lui demandant de sortir de son salon pour aller retrouver sa mère. Ses cousins avaient reçu l'ordre de ne jamais jouer avec elle. Marietou avait beaucoup de jouets mais était contrainte de le faire toute seule ou quand sa mère rentrait du travail. La fille de Yolande subissait aussi le mépris et le comportement acariâtre de toute la famille Niane. Elle n'avait aucune idée de comment obvier cette situation douloureuse pour toutes les deux. Elle ne pouvait pas se plaindre auprès de Bashir. En parlant de lui, elle avait l'impression qu'il mettait une distance considérable entre eux.
Ce soir-là, vers 18 heures, elle avait reçu la visite de quatre oncles de Bashir. Cela était inopiné. Jamais ces hommes n'ont voulu avoir des rapports avec elle ni sa fille. D'ailleurs elle ne les connaît même pas.
-Bashir vient de prendre une seconde épouse. Avait sorti l'un d'eux sans préliminaire. Sans émotion.
-C'est sa jeune cousine Mata. Rajouta un autre.
Elle n'a fait qu'acquiescer. Sous le choc. Ils sont rentrés comme ils sont venus: sans bruit.
Quelle oppobre ! Elle n'a pas vu venir ce coup. Bashir n'a pas pu être si méchant. Non, c'est une invention. Le message qu'elle reçoit après lui dit le contraire. "Je suis désolée Erika, mais il le fallait. Ma mère me mettait la pression. Et puis, elle m'était promise depuis qu'on est jeunes. On en reparlera quand je rentrerai. Je t'aime."
C'est dans ce message qu'il ose s'expliquer. Qu'est-ce qu'elle doit faire ? Il lui est impossible de partager son homme. Non ! Elle a fait ses valises et celles de sa fille pour partir loin de cette maison. Marietou Dia avait réussi de façon débonnaire à la faire sortir de cette maison. C'est elle-même qui a fait glisser une grande marmite afin qu'elle ne revienne plus jamais ici. Accompagnée de ce tintamarre de rires et railleries venant des autres femmes.
Elle qui pensait qu'ils étaient ce cocktail explosif, voire même molotov que personne ne pouvait détruire. C'est un ombilic qu'il place dans son coeur. Et elle n'est pas prête de s'en remettre. La polygamie est ce qu'elle ne lui pardonnera jamais. Mieux vaut partir, baisser les bras. Accepter l'évidence. L'amour seul ne suffit pas. Cauteleux fut son rêve. Hélas ! Cette union refusée par presque tous ne pouvait pas être pérenne. Elle s'en remettra probablement. Pour sa fille, elle se battra, fera d'elle une femme forte. Bref se consacrera à elle, fera d'elle sa priorité.
Il est de ces duos destinés à vivre séparément. Sans passéisme. C'est plus sagace, plus idoine...