Cette « consolation » qui m’a affligé

Toute histoire commence un jour, quelque part, dans mon cas, le début de l’histoire prédisait ma fin et au même endroit maudit où tout a commencé, ma vie s’est achevée...
C’était un jeudi, j’allais me promener un peu pour apaiser mon esprit et remonter le moral. Je suis sorti dès le petit matin, et j’ai eu la chance d’assister à un paysage pittoresque qui dépeignait l’harmonie entre la couleur pourpre du ciel et la couleur rouge des feuilles de l’automne, se préparant à tomber à tout moment ; un paysage qui pourrait exciter tout artiste passionné.
Je flânais sur le littoral, la mer me semblait furieuse, je ne sais pour quelle raison, elle s’étendait violemment comme si elle voulait effacer tout ce qui entraverait son chemin. Cela me rappelait presque mon état d’âme ; depuis deux semaines j’avais l’air tellement agité et confus, mes sentiments combattaient ma raison m’empêchant ainsi de continuer à vivre tranquille, et tout cela à cause d’un accident, un seul, déraisonnable et affreux.
Je menais une vie d’artiste, je suis devenu un romancier respecté grâce à sa passion et son talent, j’ai partagé, avec un public fidèle à la littérature, un certain nombre de romans qui m’ont rendu célèbre; ces œuvres, je les ai créées et elles m’ont créé. Après le décès de mes parents, je vivais seul avec mon amour pour l’écriture, j’étais engagé à elle seulement, elle devint ma femme, ainsi mes romans devinrent mes enfants. Certes, j’ai fait la rencontre de plusieurs femmes mais je n’ai pas fini par les aimer ; l’amour, cette forte affection qui lie deux personnes ou comme dans mon cas, une personne à une chose, sans qu’une d’entre elles puisse exister sans l’autre. En effet, quand je parle d’écriture je parle de moi ; un auteur qui écrit son passé et ses pensées, qui écrit ses espoirs et ses regrets, ses aspirations pour ce monde tout comme pour lui, un auteur qui, à travers le pouvoir des mots, peut propager l’amour ou la haine, il peut créer la paix comme il peut créer la guerre...Encore met-il une partie de lui dans son produit littéraire; que ce soit ses expériences, son vécu ou ses valeurs, de cette manière, il laisse sa trace : son caractère nourrit ses personnages et son entourage inspire son monde fictif. Cependant, l’écriture me représente, me reflète, et moi en fin de compte, je ne pouvais aimer que moi-même.
Tout était plus ou mois normal, jusqu'au jour où j’ai reçu une nouvelle bouleversante : le suicide de Mlle Muller, la fille unique de sa famille, je ne croyais pas qu’une telle nouvelle pourrait me déstabiliser à ce point jusqu’à ce que j’aie appris qu’elle s’est jetée par la fenêtre de ma mansarde. Âgée déjà de vingt deux ans, Mlle Muller était très jolie et coquette. Dans un premier temps, elle essaya de me conquérir avec son charme falsifié et son caractère trompeur, mais cela ne m’intéressait guère puisque je savais que tout cela était faux ; or je constatais qu’elle devenait de plus en plus insistante et parfois fort extravagante, elle ne pouvait point abandonner ce qu’elle désirait, et ce qu’elle désirait aussitôt était moi. Son obsession était une maladie qui, à la fin, a causé sa mort.
La police m’a interrogé sur cet accident, puisque ce dernier s’est produit dans ma demeure pendant mon absence mais aussi parce que Mlle Muller m’a laissé une lettre vague avant son suicide « à bientôt mon amour» écrivit-elle, je voulais comprendre comment peut-elle feindre de m'aimer, car je croyais vraiment être pour elle seulement un objet précieux qu’elle devait nécessairement posséder, de même qu’elle considérait la consolidation de notre relation, au plan personnel, un défis qu’elle devait absolument remporter, en tous cas, une chose est certaine, moi je ne l’aimais point.
Après l’enquête, je n’arrivais plus à dormir, je me déplaçais tous les jours d’un coté à l’autre sur mon lit jusqu'à l’aube ; les journées sont devenues vides, je n’arrivais même pas à écrire, je me sentais épuisé autant moralement que physiquement, comme si j’étais damné à cause d’un accident dont je n’étais pas responsable.
Je voulais faire cette promenade pour retrouver en moi ce que j’ai perdu. Je revins à la demeure vers onze heures, je suspendis mon manteau beige et mon écharpe bleu sur le portemanteau, je pris mon déjeuner puis j’allumai mon ordinateur portable pour écrire ; une heure passa, deux, quatre heures sans que je puisse rédiger une phrase, désespéré, j’allais éteindre l’ordinateur quand une image blême d’une femme surgit soudain dans l’écran puis fut disparaitre toute de suite ; c’est impossible! Ce n’est certainement pas Mlle Muller, je me fais surement des illusions, tout cela à cause du manque de sommeil, oui c’est la seule explication possible ; je constatai que je troublai un peu alors je pris mes hypnotiques que j’ai achetés tout à l’heure lors de ma promenade et je m’allongeai sur mon lit, quelques minutes après et je me suis endormi. Le matin, je me réveillai plus ou moins en forme, je pris un bain chaud ensuite je décidai de lire quelques œuvres au lieu d’écrire puisque j’en étais incapable pour le moment.
Quelques jours passèrent, et presque rien d’inhabituel s’est produit, je passais mon temps soit à lire soit à regarder le téléviseur, j’ai même assisté une fois à un concert musical dont je me suis jouit énormément, le jour d’après, je suis allé au cinéma pour regarder un film d’horreur, et je suis revenu avec une tête pleine d’images sur les fantômes et les esprits, au fait, cela me rappelait ce qui s’est passé hier ; je me suis réveillé un peu tôt car je crus entendre un bruit dans la salle de bain, je suis allé pour vérifier, mais rien n’y était, alors je me lavai le visage, et en soulevant, la tête je perçus sur la glace la phrase : «bonjour cher Abel », , je reculai terrifié vers le mur et je fermai les yeux un instant, par la suite je les ouvrirent lentement ; la phrase a disparu, plutôt elle n’existait pas dès le début, oui, je me suis surement trompé de vue, j’hallucinais sans doute.
Dès que j’entrais dans le salon, je sentis la chaleur se propager dans mon corps ; la cheminée tirait bien le feu, et sans elle on pourrait se congeler de froid pendant cet automne difficile, surtout en pleine nuit. L’horloge sonna onze heures, je n’avais pas envie de dormir alors je choisis par hasard un roman pour le lire , je suis tombé sur « Le Tour d’écrou » écrit par Henry James, j’entrai dans ma chambre puis je m’assis sur un fauteuil en face de mon lit, le livre à la main, tout à coup, je me trouvai seul dans l’obscurité car une coupure de courant s’est produite ; j‘allais chercher des bougies dans la cuisine, je descendais les escaliers attentivement, une fois arrivé , je trouva en face de moi...un fantôme : c’était elle, plutôt une version toute pâle de Mlle Muller tenant un couteau à la main et un sourire malin qui révélait son intention malsaine, ornait son visage ; troublé , je me retournai immédiatement pour regagner les escaliers, cependant, elle me tint le pied, m’empêchant ainsi de monter, je résistai avec toute ma force afin de se libérer de ses mains, je réussis, néanmoins, ce moment de triomphe n’a pas duré, quand tout à coup, elle me suivit jusqu’à ma chambre, je fermai la porte mais elle passa à travers, elle avança confiante ; je reculai avec des pas incertains jusqu’à ce que je heurtais quelque chose derrière moi ,je me suis par la suite évanouit.
Je me suis réveillé affolé, aveuglé par les rayons de soleil qui pénétraient par la fenêtre de la chambre, je constatais que j’étais allongé sur le fauteuil et que mon livre était par terre, je l’ai surement fait tomber inconsciemment lors de mon sommeil, je crus voir un drôle de rêve, un cauchemar en fait, ces derniers jours, je crois avoir des hallucinations et je dois assurément trouver une solution pour s’en débarrasser à jamais. Je voulais prendre un bain pour se vivifier, j’étais entrain d’ôter ma chemise noire quand je sentis soudain une blessure sur la poitrine, je regardai stupéfait mon image sur la glace de la salle de bain ; deux lettres ont été gravées sur la partie gauche de ma poitrine : « A.M», le sang et les lettres étaient également neufs, après avoir fait une réflexion de dix secondes, je pus connaitre que le A référait à mon prénom "Abel" et le C référait au prénom de Mlle Muller "Consolation". Cette analyse m’horrifia énormément, donc tout ce que je croyais une hallucination était en fait réel ! Mais oui, tout est clair maintenant, l’image qui a surgit sur l’écran de l’ordinateur, la phrase écrite sur le miroir, et enfin ces lettres qu’elle a gravées à l’aide du couteau, elle est donc revenue, son désire est encore vivant bien qu’elle soit morte, que Dieu me protège! Rien ne deviendra comme avant, que Dieu me protège !
Les jours qui succédèrent étaient horribles ; je passais les journées à boire, anticipant son retour avec crainte, quand aux nuits, je n’arrivais point à dormir sans mes hypnotiques, je devins ivrogne pour fuir mon sort, ma peur triompha de ma passion, le fait de revenir au point de départ après avoir traversé une longue distance avec succès, était tellement pénible ; je me suis abandonné en plein milieu de la course en délaissant l’écriture, et maintenant je suis devenu une personne futile.
Je voulais désespérément revenir comme avant, alors je pris la décision de voir un psychologue, une fois arrivé chez lui, et même si je ne croyais pas vraiment être au bon endroit, je lui rapportais sans hésitation ce qui m’est arrivé, j’étais certain qu’il me croirait fou, à mon grand étonnement, ce que je lui ai dit ne l’avait pas affecté, il me regardait le visage neutre, murmurant des « Hum !» de temps en temps et écrivait ses notes juste après, j’avais l’’impression d’être une souris de laboratoire sous observation scientifique. Cependant, il m’expliqua qu'au fond de moi je me sentais coupable pour sa mort et qu’avec le temps j’oublierais, tout ce que je devais faire était de me concentrer sur ce qui me rendrait heureux et paisible, il m’a aussi prescrit quelques médicaments temporaires; en conséquent, je me sentis peu-à- peu détendu, je commençai même à écrire à nouveau. Un jour, je suis sorti faire ma promenade matinale comme toujours, en revenant, une idée me vint à la tète ; j’allais visiter le tombe de Consolation Muller, comme si un pressentiment me guidait vers elle, j’ai pu rester quelques minutes puis je pris le chemin de la maison. Après avoir bu une tasse de café, je me mettais au travail dans la mansarde car cette pièce vide en particulier m’inspirait beaucoup : le fait de pouvoir créer une histoire, encore tout un monde à partir du néant était à la fois magnifique et étrange, j’allumais mon ordinateur, quand soudain une phrase s’écrivit sur l’écran : «je suis de retour mon cher, mais aujourd’hui, je t’emmènerai avec moi » je sursautai de surprise et d’angoisse, en ce moment là, la fenêtre s’ouvrit brusquement bien qu’il n’y avait pas de vent, j’entendis la porte se fermer toute seule par clef, je vis derrière moi, elle était là, près de la porte de ma chambre tenant cette fois-ci une corde fine, elle s’avançait lentement, pourquoi mentir ? Une situation pareille demandait à mon vis un peu de suspense, moi, je réfléchissais cependant ; la seule issue qui me restait était la vitre, je pris alors un souffle et décida d’avancer vers mon destin, vers le commencement de ma fin...