La fenêtre

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« Toute histoire commence un jour, quelque part ». Oui, j’étais quelque part. Perdue. Ou nulle part ! Depuis une demi-dizaine de minutes, les images que j'obtenais de ma vue défectueuse n’étaient que floutées. J’apercevais au loin un tréfonds voilé et les ressacs plus criards à mes tympans comblaient mes peines. Je n’arrivais plus à nager. D’ailleurs, je n’avais jamais appris ! Vaincue. Alors pourquoi me débattre contre les flots ? Autant mourir, c’était mon ultime destin, certes celui de tous, mais, naguère entaillé par la lame acérée de la faucheuse. Mais, la véhémence de mon esprit démontrait sa crainte du pire à la vue du blanc fantomatique de l’au-delà. Il susurrait à mon côté charnel qu’il n’était pas encore temps mais, je perdis connaissance et plongeai dans un sommeil noir, sans rêve, sans destinée.

***

Je m'appelle Mégane Tsamo, laissée pour morte le 2 janvier 1990. Selon les médecins en ma charge, j'avais été retrouvée dans la clairière au bord du lac flamboyant, germant à la surface de l'eau calme avec le visage plongé dans le vide abyssal et les cheveux couvert d’écume et d’algues. Qui aurait cru que ce serait la vénusté de la lune qui dévoilerait la mouvance d’un corps exécrable ? Il faut dire que ce jour fut des plus macabres dans la ville de FoxLine. Ça fait 3 semaines que j'ai quitté l'hôpital après six mois de traitement à l’urgence. Je n'aurais pas cru pouvoir survivre à cela. D'ailleurs, c'est un échec cuisant. On aurait dit que le ciel s'acharnait contre moi. Désarmée, comment affronter le vent rageur ?
Depuis le début, ma vie s’évertuait à être calamiteuse. Je n'en pouvais plus, alors, j'avais décidé d'en mettre fin, ne sachant quel rôle j'occupais sur terre. Hélas, ma tentative avait avoisiné l’apothéose jusqu’à ce que le bûcheron, bout d’homme odieux, se jette dans les eaux pour changer mon destin. Docteur Catherine m'avait conviée à m'entretenir avec un psychologue mais cette initiative me laissait impassible.

Ce matin encore, il était en face de moi dans son fauteuil en cuir, des vieux bouquins alignés en arrière-plan du décor. Je rebutais son blog note et le regard meurtri qu’il adressait à ma personne. Cinquantenaire et moustachu, il enfilait sa même chemise jaune à carreaux tous les mercredis.

« Mégane ? Mégane ? Héla-t-il avec mollesse. Tu es très distante.

Jadis, mes sens étaient profondément tournés vers les rideaux en soie balayés par la brise. La voix de monsieur Éric se mêlait à mes pensées bruineuses pour, au final s’effacer.

- Je peux la fermer si tu veux... Avait-il remarqué.

- Je vous écoutais.

- Alors qu'est-ce que je disais ? »

Mes doigts se raidirent à l'instant. Il allait la fermer, et la pénombre allait nous absorber comme en Janvier quand tout a commencé. Mon cœur battait la chamade et je frétillais en lui jetant à la dérobée, mon regard penaud. Celui-ci constata mon anxiété et décida de ne plus l'aggraver.

« Je vais te poser une question Mégane. Selon toi, pourquoi toute belle architecture se doit d’avoir une fenêtre ?

- La fenêtre poétise la pièce. De sa forme ou de sa taille, elle exprime une certaine élégance. Elle permet, en l’espace d’une seconde, de luire afin de rendre romanesques même les recoins les plus répréhensibles.

- Tu es très intelligente Mégane. Tu arrives à comprendre ce que la plupart des jeunes de ton âge trouve insensé. Tu as une grande imagination et des facultés cognitives excellentes. Je t'en félicite. Toute vie a une fenêtre. De temps à autre, elle la laissa ouverte pour regarder d'autres horizons, apprendre de nouvelles leçons et partager avec d'autres vies. Une fois fermée, il n'y a plus de lumière et l’âme emmurée se façonne à ce conditionnement. À long terme, elle devient atrabilaire. Cela se répercute sur la personnalité. La fenêtre est tel un passage. Tu as le pouvoir dans ta pièce, ton cœur, et décide des entrées et sorties. Tu dois apprendre à ouvrir la fenêtre de ton cœur, à laisser la lumière baigner ton esprit ainsi, tu pourras briser les chaînes qui te retiennent de ce passé funeste. »

Je baissai les yeux à l'entente de ces mots traumatisants. Les larmes me montèrent aux yeux mais je ne pleurais pas. J'avais décidé de ne plus faiblir devant eux. Les hommes. La séance fut sempiternelle. À la suite réitérée de ces mêmes paragraphes contre mon cœur hostile, je sortis en allure hâtive de cet enfer pour entrer dans un autre plus torride. La maison. Ma mère, ou plutôt la femme qui m'avait adoptée, se réjouissait vivement de mes progrès. En revanche, son maudit époux, revêche depuis le jour où je lui avais expressément coincé les doigts entre la porte, désirait au plus haut point ma mort lente et douloureuse sous le poids des névroses. Je trouvais refuge dans ma chambre, la fenêtre toujours fermée. Les multiples dessins complexes qui peuplaient mes murs trahissaient ma passion pour le dessin.

De temps à autre, je fuyais ces deux enfers et j'allais me réfugier au parc. Adrien était toujours présent, à 4 heures du soir, caché derrière le même arbre. Il m’attendait, m’observait et s’inquiétait. J’avais remarqué son enthousiasme il y a une semaine de ça et il était très douteux qu’il sache que je l’ai découvert. Cependant, il ne m'inspirait plus confiance avec son visage expressif et ses traits adoucis. Je voyais, sommeillant en lui, un monstre sanguinaire comme ces hommes dans les rues. Fort heureusement que j'avais enfilé mon pull à capuche avant de quitter le domicile. Je me recouvrai la tête et allai m'installer sur un banc près de la mare aux canards. De toute façon, mon programme me dictait d’errer à l’extérieur afin de faciliter mon insertion. Et, si j’éludais, le soir venu, ma mère allait se recroqueviller sous ma porte et ronchonner de supplice à mon égard.

La mélodie du vent entre les feuilles, accordée aux chants des moineaux était magnifique à entendre. Il y avait une sorte d'enchantement dans ce lieu mais je ne trouvais pas de paix. La réalité, c'était que je n'arrivais pas à lui pardonner car il avait été infâme. J'avais tant souhaité sa mort que le jour où il disparut, je m’étais surprise en train de regretter, et depuis lors, je ne cessais de cauchemarder.

Des questions sans réponses ! Pourquoi est-ce qu'il m'avait fait ça ? Pourquoi ? Je fixais les zébrures danser sur le sol nu sans réellement les voir, je naviguais dans mes pensées, l'air mélancolique, sans jamais arriver à destination.

« Salut ! Dit-il avec un sourire qui m’arracha de mon imaginaire. Un sourire très gentil et masquant une consternation dont j’étais l’auteur. Mais, je me forçais à l'estimer narquois et plein de puanteur.

- Ne t'approche pas ! »

Il fut opiniâtre comme à son habitude. Il s'assit à l'autre bout et se tut. Je savais qu'il n'admirait que moi dans ce paysage verdoyant. Il voulait caresser mon visage capuchonné, revoir la couleur noire de mes prunelles et écouter mon souffle. D’un regard furtif, je le vis se glisser lentement jusqu'à moi. Je devins nostalgique et mon cœur tambourinait dans ma poitrine. Il me frôla avec douceur l'index du bout de ses doigts avant de me saisir totalement la main. La sienne était chaude et apaisante. Je ne sais pas pourquoi mais, je devins frêle tout à coup. Tout ce que je voulus, c'était me blottir dans ses bras et pleurer ma misérable existence. Après tout ce temps à forger mon cœur afin de les haïr, il y avait toujours un jeune homme capable de m’attendrir. J'avais peur de tout le monde mais avec lui, c’était indicible. Je me souviens, comme si je le vivais encore, de sa voix au creux de mon oreille qui disait m'aimer et me pardonner parce que j'étais une belle personne. Après tout, je comprends pourquoi mon esprit refusait de m'emporter vers l'au-delà. Je l'aimais toujours. Mon cœur n'était pas fermé comme je le disais. Je mentais pour faire semblant d’être forte. J’avais oublié à quel point il me rendait faible.

« Ne pleure pas ! Murmura-t-il en serrant ma main.

- Devrais-je me réjouir ? Je vis tel un ermite qui tout perdu.

- Je suis toujours là, avec toi. Je veux que tu vives aussi bien que tu n'aies jamais vécu. Je veux juste t’aider, décharger ce fardeau...

- Ai-je mérité ce fardeau ?

- Tout ce que je sais, c’est que tu es plus forte que ça. Il n'avait pas le droit de te faire ça... »

Juste à ces mots, j'éclatai en sanglots, les manches de mon pull mouillées abondamment. Il me serra contre lui. Il prit ma tête dans ses bras et me fit un baiser profond sur le front. Il avait autant mal que moi. Je le voyais serrer les molaires de rage en repensant au jour où il l'avait découvert. Je le revois battre cet accusé jusqu'au sang tandis que les sirènes résonnaient dans l'atmosphère. Mon propre tuteur, il n'avait pas eu pitié de moi. Je pleurais et le suppliais. Je lui demandais pardon de mes désobéissances et de mes prétentions d'adolescente de 17 ans, mais il me battait, fermait la fenêtre de ma chambre pour que le monde entier n'entende pas les atrocités dont il était auteur et abusait de moi.

Quel malheur ! J'avais tellement cherché les raisons que j'avais fini par me jeter dans les eaux la nuit du nouvel an. Toutefois, Adrien ne m'avait jamais abandonnée, en dépit de ce scandale et des rejets à son endroit. Il avait toujours été là, ce garçon au grand cœur.

« Tu es tellement différent. Sangloté-je, agrippée à son vêtement. Y a-t-il une raison pour m'aimer autant ?

- Lorsqu'on aime avec une raison, le jour où elle n'aura plus lieu d'être, l'amour s'effacera tel un bateau dans le brouillard. Je n'ai pas de raison. Je t'aime, c'est tout.

- Ne change pas Adrien... J'ai besoin de toi.

- Je ne changerai pas. Je te promets ! »

Je me sentais en paix. Il avait des mots de résurrection, de conciliation et d'amour très puissants. Il avait un caractère inné, particulièrement fantastique digne de noblesse et de royauté. Jusqu'à 19 heures, nous étions assis là. Il m'avait étreinte et murmurait des mots. Et parfois, même lorsqu'il était muet, j'écoutais toujours des phrases venir de lui, de son cœur battant. Les gens défilaient vite à mes yeux, quelques-uns s'arrêtaient pour nous regarder, puis souriaient, et s'en allaient. Les cieux avaient éteint le grand astre orangé et allumé les étoiles. Adrien m'avait proposé une balade dans les rues de notre ville. Un feu d’artifice devait éclater ce soir pour une occasion qui m’était inconnue.

À chaque pas avancé, je découvrais à quel point la nuit était belle. À quel point les guirlandes lumineuses et multicolores pendantes le long des murs des bâtisses et les étoiles étincelantes faisaient son charme. Je redécouvrais les personnes heureuses en rire malgré les terreurs. Et je me disais qu'il fallait que je fasse autant, sourire d'abord, puis rire avec la vie. Mais, cela était tellement difficile, surtout quand j'aperçus une petite fille tomber sur les dalles d'un trottoir et voir son père accourir vers elle pour la soulever. Et je me questionnais : Où était donc mon papa quand je tombais ? Où était ma maman quand il me détruisait ? Où étaient mes parents quand j'étais à la rue à quémander les miettes de pain destinées aux pigeons ? Où étaient-ils quand cet homme à la bouche remplie de mensonges et au cœur bondé de malveillance me parlait d'un avenir meilleur au côté de son âme faussement sensible pour abuser de mon innocence après ? Il n'y avait personne. Tant bien même que j’avais essayé de me défendre, aucune justice n’avait été rendue. Ils m’avaient tous accusée de l’avoir cherché. Adrien fut le seul à avoir déchaîné sa colère sur cet être sadique, corrompu, que les instances avaient approuvé la liberté.

Aujourd'hui, j'ai accepté Adrien de nouveau dans ma vie. Il m'avait manqué et je me demande d'ailleurs pourquoi est-ce que je l'avais tant repoussé. Il ne méritait pas cette exclusion. En cours de chemin, il s'arrêta pour m'acheter une glace. Il n'avait donc pas oublié mon amour délirant pour les glaces à la fraise. Oui, je l’avoue. J’étais une enfant des rues, sans parents, sans frères, sans amour. J’étais névrosée et suicidaire. Je n’étais jamais allée à l'école et pourtant docteur Éric était bouleversé à chaque fois par mon intelligence supérieure. J’étais une adolescente qu'on avait oubliée. Pourquoi oublier ? C'est mal dit ! En réalité, on ne m'avait jamais connu ! Il n’y avait qu’Adrien qui passait tous les soirs lancer des pièces de monnaie dans mon bocal quand il rentrait du lycée. C’est ainsi qu’il était devenu mon ami. Tout ce qu'il trouvait, vêtements, chaussures, couvertures, il me rapportait en toute discrétion. Troisième fils d'une famille aisée, il fut le seul à enfreindre les lois pour me protéger. Depuis lors, il ne quitta plus mes pensées. J'avais décidé de faire des efforts pour lui. Il avait réussi à me trouver une famille d'accueil, la famille Margot, un couple sans enfant. Il avait également réussi à me faire sourire ce soir avec ses rires non contrôlés. J’ignorais qu’il était un si mauvais danseur et un aussi excellent comédien. Il était tellement mignon à amuser la galerie sur scène. J'avais l'impression de transformer sa vie, alors, j'allais également lui laisser l'occasion de transformer la mienne.

***

On dit que toute histoire commence un jour, quelque part. C'est alors que l’histoire de ma vie commença ce soir, sous ce ciel étoilé, avec lui, Adrien. Je l'aime comme je n'ai jamais aimé. Je m'aime et j'accepte mon existence telle qu'elle est. Ainsi va-t-elle ! La vie est une chanson. Pour qu'elle soit belle, il faut des notes de voix forte, des notes de voix faible et des moments de silence où on laisse la mélodie jouer. J'ai repris le train de ma vie en main et j'ai aussi trouvé le courage de lui dire : Je t'aime, tout doucement mais sincèrement. Il avait souri à ces mots et m’avait embrassée. J'avais aussi profité pour acheter des fleurs à ma mère et mon père grincheux. C'était le moyen d'expression que je trouvais le plus beau pour justifier ma reconnaissance envers eux. Je suis une belle personne et je vaux mieux que ça. Je vais chanter ma vie avec le sourire, en regardant ce magnifique feu d’artifice jusqu’à la fin et dire : Ça n’avait pas été facile, mais j’ai réussi !