Amour impossible

Fabregas Matador, le griot des griots.

« Toute histoire commence un jour, quelque part ». Celle me concernant, s’amorça il y a juste un an, à Lomé au Togo, un des plus placides pays de l’Afrique, au cours de ma troisième année à l’Université. Quand je fis la rencontre de Louisa, la belle Nigériane venue au Togo poursuivre son étude de master en français.

C’était un soir comme les autres pour moi. Je me promenais encore, insouciant solitaire que je sois, sous l’air frais d’une retenue d’eau ; contemplant le paysage si beau, l’atmosphère était si calme que dans le ciel pâle, on entendait, les plumages, chanter d’un air débonnaire. Il ne faisait ni chaud ni froid. Tout était placide. L’air était si doux. Le soleil brillait dans un climat si clément autour de cette eau limpide. À regarder les houles perfides, se remplissait de joies mon cœur si vide. Entre la brise et le versant, les houles de chaque flanc et, dans le vent, l’ombre annonçait le crépuscule qui avançait dans les lueurs du Soleil qui reculaient.
L’ombre du soir approchait plus encore. Sous peu, le firmament ouvrira la porte à la Lune qui éclore. Je m’installai à quelques mètres de la retenue d’eau, tranquillement sous les réverbères longeant les deux abords de la voie qui part de la retenue d’eau vers des amphithéâtres, les salles de cours. Brandis de mes mains un support de cours, allègrement je lisais. On pouvait de loin observer les gens passer. Mais leurs bruits de circulation ne pouvaient attirer mon attention. Mon sac et mon téléphone portable étaient posés sur l’une des bordures qui jonchent la voie, je le déposai là en mode avion. Une de mes anciennes habitudes, me permettant de rester, concentrer et loin de tout matériel additif et provocateur, loin de toute détonation. Je lisais mes cours dans mes allers-retours. Je m’éloignais, puis revenais près du sac, au risque des mauvais tours.
Aussitôt, une voix m’interpella :
-Bonsoir.
Je vis tout d’un coup, cette belle vingtaine que je pouvais toucher en un tourne -main.
-Bonsoir, Madame. Ai-je répondu.
-Comment appelle-t ’on ce que vous portez au bras ?
-une montre. Répondis- je
-Elle est très belle. Répliqua-t-elle d’une voix de chaleur ensorcelante.
Ce fut nos premières paroles. Puis nous fîmes connaissance. Après, elle s’éloigna. Dans nos regards réciproques, on pouvait lire la mélodie du printemps. Un amour qui unit deux corps. Une mélodie d’amour dont je fus déjà à trois accords.

Les jours passèrent et je ne pus passer une nuit sans apercevoir ce soleil qui brilla dans mes rêves. N’étant pas du tout éloigné du campus, tous les jours je l’aperçus, cette flamme, sans pouvoir lui dire à quel point mon âme s’enflamma.
Comment pourrais-je vous la décrire cette effroyable beauté ?
Comment devrais-je la chanter ?
Cœur de mon cœur, corps de silex.
Maîtresse de ma plume, ma poésie.
Ma déesse

Un mois bientôt. Je le vis quelquefois passer devant notre portail qui s’ouvre sur le boulevard de la Kara. Je me reposais là, espérant qu’elle passera de nouveau. « Eurêka » là voilà arriver. À l’apercevoir avancer, sous le sable, le sol s’est fendu, mon équilibre psychologique s’est fondu. Terre, ciel et mer, tout pour moi confondu. Nous fîmes de longues salutations à l’africaine et échangeâmes nos numéros de téléphone. Enfin débuta une histoire romantique hors pair.
La nuit tomba.je lui téléphonai. La discussion fut, bien qu’elle ne parlât pas aussi bien Français, indéfiniment indescriptible. Trois jours après, je l’invitai à un mariage d’un proche à moi où nous dansâmes comme si c’était le dernier. Tous les amis furent dans la scène. Ils me demandèrent tour à tour après nous avoir salué, qui était cette sirène ? Pour leur répondre, je disais juste qu’elle s’appelle Louisa une Nigériane qui vint poursuivre ses études de master en français ici au Togo. Ils furent tous ébahis et murmurèrent « griot a gagné le gros lot. » Mon père lui, stupéfait de me voir si amoureux, sourit et comme à l’accoutumée prononça encore un de ses mots en affirmant qu’étudier un sol avant toute semence n’est guère frivole. Proche des mariés, on m’invita par acclamation sur la piste à faire en poésie, conte ou musique, sachant que je ne peux m’en épargner, une improvisation. Ainsi je pris le micro et dédia à ma belle Louisa, le poème que voici :

Ma mélodie
Aux mélodieux gazouillements d’oiseaux
Tels des chants pastoraux
Aux flux et reflux des eaux marines
Coulent à flots des larmes
De ton âme
Allègrement sur ma poitrine
Ma belle, mon amour
Ma citadelle, mon glamour
De l’aube, à chaque clarté
Je me lèverai pour te chanter
Encore et encore
Une mélodie dont j’en suis à trois accords
Ma mélodie, mon cœur
Pour des temps indéfinis, tu resteras ma plus belle fleur

La déclamation du poème prit fin sur d’interminables ovations. Elle a tant aimé que pour faire la réplique, elle interpréta, Et je t’aime encore, un morceau de Céline Dion avec une voix de déesse. La salle fut remplie croyant entendre la Canadienne chanter. On aurait cru même que ce fut mon mariage sauf que je fusse en pagne. Chacun fut ravi. Nous fûmes pris en photo par dizaine, par centaine. Au sortir de la salle du mariage, nous allâmes à l’hôtel, fîmes comme mariés, ou j’eu l’honneur d’explorer les terres à exploiter de la mirabelle. Ce fut pour moi comme si la terre tourna à l’inverse. Aucun jour ne put passer sans lui repasser des caresses longues et profondes, dans une averse de joies. Ö âme mortelle ! Goûtez aux délices du paradis. Nous vécûmes nos jours comme des jours de fête, nos nuits comme des nuits de noces. Nous dépensâmes au point que faire le décompte m’est superflu.

Une nuit, la veille de son départ pour Lagos, juste après son examen de fin d’année, je le vis dans un supermarché. Au vrai, j’y étais pour lui trouver quelques cadeaux. Dans le couloir où sont rangées les chaussures de haute qualité, la voilà avec un homme, bras dessous. Je l’appelai. Quand elle tourna le regard, l’anglais sortait de sa bouche dans les mots sarcastiques. « Foolish, do you know me » ? En français, « Bête, vous me connaissez ? » Je quittai le supermarché en larmes, tête basse. De retour chez moi, j’ouvris ma porte et j’arrachai son portrait du mur de ma garçonnière et fis tatouer sur ma poitrine, amour impossible.
Le lendemain, je courus chez elle, afin d’avoir certaines explications. Les feuilles sèches d’arbre qui m’accueillaient avaient disparues. Voyant le portail à moitié ouvert, je ne frappai même pas. Quand je poussai le portail, je vis des valises superposées. Après j’ouvris la porte du salon, une délicieuse odeur m’envahit. Je compris que ce jour était l’annonciateur de leur départ. Je vis ma belle, avec une ribambelle de libellules bleues qui faisaient la fête. Dès qu’elles me virent, elles s’éclatèrent de rire. Elles m’invitèrent à table. Je ne pus refuser. Alors, je m’attable devant le repas qui me fut servi auprès de Louisa. Je mangeai quelque peu, sans dire un mot. Autour de la table régna un silence. Elle prit la parole, me présenta toutes ses amies. Durant tout ce temps, un feu me brûla de l’intérieur. Mais, je retins mes émotions. Un instant après, un klaxon de voiture se fit entendre. C’était leur bus qui arriva. Nous nous levâmes, nous rangeâmes les assiettes et les autres affaires dans le bus. Après, elle s’approcha de moi, et me fit comprendre qu’elle s’est bien amusée. Elles montèrent toutes dans la voiture. Ma préférée descendit, me serra la main puis me fit comprendre de l’oublier. Quand elle remonta le véhicule, pris de colère, mes pas devinrent pesants. Sous le faix de la honte, je n’ai pu même voir l’engin s’éloigner.

Oh ! mon Dieu, si seulement je n’avais de sœur, je lui jetterais des sorts maléfiques. Son nom, je l’évoquerai aux pieds du vaudou le plus colérique d’Afrique. Que vaut la vengeance ? À Dieu seul, la vengeance. Ainsi, pour garder mon innocence, je laisse l’horizon à la providence. Mais, je ne pus l’oublier si facilement. Hypnotisé par sa démarche, l’aimer m’était toujours un réflexe. Déstabilisé et ensorcelé par sa beauté m’empêcher de m’imaginer la regarder m’était complexe. Pris en filet par sa voix perplexe, je l’aime encore quand même. J’avais envie d’y mettre un terme, mais, en moi, ses accords portaient toujours le circonflexe.
Je lui fis après d’appels vainement. Dans son répertoire, un stupide vint de sombrer dans le noir. Je pleurais longuement, mais j’avais aussi appris. Au lieu de s’échiner à effacer, voire changer le passé, apprenons à accepter nos tristes vérités pour mieux affronter la réalité.

Étudier un sol avant toute semence n’est guère frivole.