Alter Ego

Toute histoire commence un jour, quelque part. Et, en réalité, chaque vie est une histoire de laquelle chacun est le héros. Chacun vit, en dehors des épreuves de la vie, des batailles intérieures dont les autres n’ont absolument aucune idée. Le phénomène que j’ai vécu n’en est qu’une parfaite illustration, l’illustration d’un combat perpétuel entre ce que je suis, ce que je fuis et ce que j’aimerai être.
Je suis fils d’une famille de classe moyenne. Mes parents m’ont toujours donné tout ce dont j’avais besoin, mais il faut beaucoup plus que l’avoir pour être accompli en tant que personne. J’ai toujours été une personne altruiste, généreuse, serviable et averse à tout conflit qui pourrait survenir. Toujours motivé par la paix et l’harmonie, au point même de me négliger moi-même. Je ressemblais à ceux-là qui n’ont pas l’air d’avoir d’objectif dans la vie et qui se laissent porter par le vent du destin et le courant de la vie. Il était difficile de ressentir la présence de volonté réelle chez ce jeune homme qui a toujours préféré faire peu, pour sauver les apparences.
J’ai toujours voulu être vu par les autres comme une personne sur qui on peut compter, comme une personne au bon cœur, mais cela a fait de moi un marchepied pour les autres, une personne que l’on peut utiliser aisément. Je me suis toujours dit : « Ce n’est pas grave, tant que tout le monde va bien. Au moins j’aurais été capable d’aider mon prochain. N’est-ce pas ce qui est dit dans l’évangile, d’aider son prochain? » Tout cela sans jamais vraiment penser à moi, tout cela en oubliant que les seuls sentiments qui ne nous quittent jamais sont l’amour et l’estime de soi-même, présente ou absente...
Il arrivait de temps en temps que j’aie des trous de mémoire, certains instants de ma vie que je vivais sans toutefois m’en rappeler. Et, à chaque fois que cela arrivait je me disais que si j’ai oublié, ce n’était probablement pas si important. Au contraire, ces trous de mémoires étaient en fait une volonté qui germait dans ce corps vivant, mais inanimé. Ces trous de mémoire arrivaient au moment où la fierté du jeune homme que j’étais allait être mise au plus bas. En réalité, il existait une entité en moi prête à défendre mon honneur bec et ongles, au point d’éteindre ma conscience pendant un cours laps de temps.
Il y’avait aussi ces moments où j’entendais une voix dans ma tête qui me murmurait : « Ne te laisse pas faire ! Bats-toi ! Ne veux-tu pas être plus fort, dominer les autres, pour une fois ? Mais je choisissais toujours le chemin le plus facile, celui qui allait faire en sorte que les autres m’apprécient plus. Mais avec le temps, la voix dans ma tête se faisait de plus en plus entendre et mes pertes de consciences dans le temps se multipliaient. Après celles-ci, je ressentais que les autres me regardaient différemment. Lorsqu’on me disait ce que j’ai fait pendant cette période, je niais tout en bloc, car ce n’était pas réellement moi. Mon corps devenait de plus en plus l’avatar d’une volonté qui n’était visiblement pas la mienne.
Un jour, après que j’eusse raté l’opportunité de devenir délégué de classe et la voix dans ma tête a dit : « C’était TA dernière chance. Si TU veux continuer à être le torchon du peuple alors ce corps n’est pas entre de bonnes mains. JE vais NOUS faire devenir ce que NOUS sommes destinés à être. JE serai roi et pas l’esclave que TU as toujours été. JE serai le fer de lance, non pas le bout de bois que TU es. » A cet instant, mon alter égo a pris le dessus permanemment, pas par occasion comme auparavant. Moi-même, à mon tour suis devenu une voix dans la tête d’un autre. J’étais toujours Moi, sans véritablement l’être.
Cet alter égo était tout sauf serviable. Il ne servait personne, sinon lui-même. Il était un avatar d’orgueil, de fierté, de désir de pouvoir et de domination. Il était ambitieux, au-delà de l’ambition elle-même. En plus de tout ça, il était autoritaire, égoïste, égocentrique, autocentré et terriblement hautain. Mais il était une personne qui, lorsqu’elle a un objectif, finit toujours par l’atteindre quel que soit le moyen employé. Il était de ceux qui pensent que « la fin justifie les moyens employés ». Il ne s’encombrait désormais plus de politesse et des courbettes comme je le faisais. Il n’était plus la voile du bateaux de ma vie qui se laisse porter par le vent, il en était désormais le gouvernail qui donne la direction.
Mon changement n’a pas manqué de se faire remarquer par mon entourage. Le corps étaient le même, mais ils pouvaient ressentir qu’ils avaient affaire à une toute autre personne. En peu de temps, j’étais devenu un des plus célèbres de mon lycée. A la fois par mon dynamisme et mon ambition pour réaliser de grandes choses. J’étais aussi devenu un véritable don juan, un bourreau des cœurs pour les filles. Mais je ne me suis pas seulement fait remarquer par le monde. Je me suis aussi fait plein d’ennemis et d’inimitiés. Même les personnes qui m’appréciaient pour ce que j’étais se sont éloignées. La lumière est certes attrayante, mais si on s’y frotte trop, elle nous brûle.
Avant cet énorme changement j’avais de la peine à prendre des décisions, surtout lorsque les sentiments des autres pouvaient être affectés. Désormais, j’étais devenu une personne capable de prendre n’importe quelle décision avec rationalité et froideur.
L’alter égo avait pris le dessus et mon égo était meurtri par les actes de mon autre moi-même. J’ai donc décidé pour la première fois de ma vie de me battre pour reprendre le contrôle de mon corps et d’éjecter l’alter égo qui en avait pris la possession. Pour mener la bataille, je passais mon temps à murmurer à l’oreille de celui-là. Des fois je lui hurlais même des choses qu’il devrait faire pour l’agacer. L’alter égo, pour avoir la paix était donc obligé d’exécuter ce qui lui était dicté. Parfois même, lorsque l’alter égo s’endormait je pouvais reprendre possession du corps jusqu’à m’endormir à mon tour. C’est ainsi que la possession du corps se passait à tour de rôle, chacune des deux consciences essayant de rectifier les erreurs de l’autre.
Ce combat perpétuel avait eu un effet insoupçonné chez moi et mon alter égo. Nous étions en train de nous contaminer mutuellement. Je devenais plus calculateur, plus froid, plus vicieux, mais j’avais plus d’ambition et de volonté. Tandis que l’alter égo s’emplissait de gentillesse, de douceur et de vertu, mais se ramollissait et devenait passif. Nous étions devenus comme le yin et le yang. Mais, emportés par le nerf de la guerre, Nous n’avons pas compris que l’équilibre résidait dans notre cohabitation.
L’alter égo s’est ramolli et j’ai pu reprendre le dessus sur le corps une bonne fois pour toute. Et, pour m’assurer que l’autre moi ne reviendra pas, je suis allé voir un hypnotiseur pour enfouir l’alter égo loin, loin, très loin dans mon inconscient. Ce jour-là l’hypnotiseur m’a dit : « Jeune homme, ce que tu veux que je fasse est tout à fait en mon pouvoir. Mais, sache ceci : c’est un acte irréversible. La conscience, l’inconscient, la personnalité. Ce sont des choses conditionnées par tellement de choses. Je ne sais pas ce que tu traverses, mais penses-y bien avant de me demander de mettre en terre ton autre toi. » Je répondis : « Non, il doit disparaitre. Je ne supporte pas sa façon de gérer les choses. D’ailleurs même, c’est MON corps et je ne devrais avoir à le partager avec personne ». L’hypnotiseur dit : « Comme tu veux, gamin. Regarde l’aiguille de cette horloge. » Je la regardai et m’endormis en le faisant. L’hypnotiseur fit sa magie et, au réveil, l’alter égo avait disparu, envolé...
Par contre, contrôlé par l’égo, je perdis tout ce que j’avais gagné pendant la bataille. Ma volonté, mon ambition, ma force, ma capacité à prendre des décisions rationnelles. Tout était parti avec l’exil de mon alter égo. J’étais redevenu le jeune homme tout frêle et nonchalant que je fus auparavant, au point de perdre le respect que j’avais obtenu des autres dans mon moment de notoriété. J’ai perdu ma lumière et suis redevenu une simple ombre.
Avec ma déchéance, j’ai fini par me rendre compte que j’avais besoin de lui, cet alter égo, malgré que je répugne sa façon de faire. Je me suis mis à le chercher, mais où le trouver ? Il était tellement enfoui dans l’inconscient que même s’il essayait de murmurer, de parler, ou même de crier sa voix resterait imperceptible au plus vigilant des félins. Je retournai voir l’hypnotiseur pour faire revenir la lumière à moi. Il me fit savoir que forcer l’alter égo à revenir pourrait me rendre fou. Il m’avait pourtant prévenu, mais hélas je n’avais pas la tête froide pour réfléchir clairement.
L’hypnotiseur ne pouvait rien et je me lamentais sur mon sort. A ce moment-là, j’aurais été prêt à lui laisser ce corps à jamais, s’il le fallait, pour qu’il revienne me rendre fort. Il y eut un moment où je me suis querellé avec la brute de l’école. Une fois, contrôlé par mon alter égo je l’avais humilié. Il a dû ressentir ma faiblesse et est revenu s’en prendre à moi. Il m’a frappé et mis à terre. Il allait me mettre le visage dans la boue et j’allais être pris en photo couvert d’elle. J’ai toujours détesté me battre, contrairement à l’alter égo. J’étais sur le point de me laisser faire. Mais je n’étais pas seul...
Je ne me souviens pas réellement ce qu’il s’est passé ce jour-là, mais j’ai entendu une voix, sa voix. Il m’a dit : « Ne te laisse pas faire. Ton avenir en dépend. Laisse-moi prendre le dessus, une dernière fois ». J’étais comme dans un monde parallèle où il n’avait que lui et moi. C’était comme si le temps s’était arrêté. J’ai pu voir une silhouette de l’autre moi dans ce monde qui n’appartenait qu’à nous deux. Cette fois-là, je lui ai volontairement laissé le contrôle. Et, comme d’habitude il a gagné. Il gagne toujours, pour lui, pour moi. Je me suis dit : « En réalité, tout ce qu’il fait il le fait pour moi ».
Après qu’il m’est sauvé la mise, une énième fois, il me rendit le contrôle du corps et nous rentrâmes à la maison. J’étais si heureux qu’il soit vivant, moi qui pensais l’avoir tué. Je me mis à méditer, pour rentrer une fois encore dans notre dimension à lui et à moi. Une fois là-bas, j’ai pu voir clairement à quoi mon ange noir ressemblait. C’était moi, mais comment était-ce possible? On s’est regardé dans les yeux. Nous étions semblables, à ceci près qu’il avait un regard intense, déterminé. C’est donc là que nous avons commencé à parler, cœur à cœur, conscience à conscience.
Il brisa le silence : « Tu souhaites me voir ? Pourquoi cela ? » Je répondis : « Je voulais te remercier de m’avoir sauvé cette fois encore, comme tu l’as fait toutes autres fois. J’ai fini par me rendre compte que j’avais vraiment besoin de toi ». Il répondit : « Tu n’as pas à le faire. Je serai toujours là pour toi, pour NOUS. » Après ces paroles, il se retourna, comme pour s’en aller. C’est là que je marchai dans sa direction, le retournai et lui fit un câlin. Je venais de comprendre que lui et moi n’étions qu’une seule et même personne. Je n’avais pas besoin de lui. J’étais lui, il était moi.
Son conscience a commencé à s’évaporer, pas pour partir, mais pour s’introduire dans la mienne. Nous n’étions enfin plus seulement un seul corps, mais un seul esprit, un seul et même être. J’étais désormais une personne parfaitement équilibrée. Sentimentale, s’il le fallait. Froide, si la situation l’exigeait.
Chaque personne vit des batailles insoupçonnées par les personnes qui l’entourent. Je suis bien placé pour le savoir. Ce qu’il faut retenir c’est que chaque qualité qu’on a, chaque défaut est en fait une pièce essentielle d’un puzzle qui nous forme comme un être équilibré. Notre joie et notre peine, notre altruisme et notre égoïsme, notre soumission et notre autorité. Tous ces éléments ensemble sont ce qui nous rend humain, complet en tant que personne. Nos alter égos et nous-même ne sont en réalité qu’une seule et même entité.