AFROTOF, un rêve brisé

Passionnée d'écriture, dans les mots je me retrouve, et en moi, ils se découvrent. ~Riama Ken

Toute histoire commence un jour, quelque part... Quelque part dans une chambre d'hôtel, non loin des pyramides du Plateau. Nous sommes à Abidjan, en Côte DIvoire, communément appelé la perle des lagunes. Ses beaux immeubles, ses illuminations, ses galeries marchandes, ses routes, ses centres commerciaux etc. font ressortir son étincelante beauté. Cela fait déjà une semaine que Salma y réside. C'est l'une des gourous de la photographie professionnelle. Depuis un an, elle a tout abandonné pour réaliser son rêve. Celui de sillonner en compagnie de son appareil photographique, sa terre débène aux multiples odeurs, à la nature féérique et aux coutumes si particulières. Elle envisageait de photographier le berceau de lhumanité pour en faire une exposition partout dans le monde. Donner une image de l'Afrique autre que celle des guerres et de la pauvreté était le cheval de bataille de cette jeune guinéenne âgée de vingt-trois ans. "AFROTOF" tel est le thème de ses travaux qui, en un an déjà, l'avait conduite dans trois pays que sont: le Sénégal, le Mali et le Burkina Faso. Elle entendait faire dabord le tour de l'Afrique de l'Ouest, avant de mettre le cap sur le reste du continent.
Ce soir, elle se reposait seule dans sa luxueuse chambre d'hôtel. Le coeur lourd comme toujours car loin de sa famille et de son époux. Daoud, son conjoint architecte, était à la tête d'un réseau de construction d'immeubles. Salma faisait ressentir à Daoud une extase effrénée. Elle avait réussi à faire chavirer le coeur de ce dernier depuis le premier jour où celui-ci posa ses yeux sur la jeune femme. C'était à loccasion du mariage de Fatima sa soeur et Ahmad son meilleur ami. Salma y était conviée en tant que photographe. Daoud ne sut où donner de la tête devant cette beauté mirifique qui se mouvait au milieu des invités. Un an plus tard, c'était le leur qu'ils célébraient en compagnie de tous leurs proches. Après deux ans de bonheur et de vie commune, Salma avec la bénédiction et l'encouragement de son compagnon s'embarqua dans l'aventure de sa vie. Tous les deux étaient conscients de ce que cela impliquait, la distance, le manque de l'autre... Nonobstant ce fait, chacun avait foi en l'amour qui les unissait. Ainsi, ils se séparèrent dans l'espoir de se retrouver très prochainement.
Pourtant, depuis quelques temps, les appels ne lui suffisaient plus. Elle avait alors, la ferme intention de faire une escale de trois mois à Conakry juste pour passer voir son époux avant de reprendre son chemin. Ne trouvant pas le sommeil, elle ressassait ses moments passés avec son étalon, grand, fort aux yeux noisette et au sourire ravageur. Daoud l'appelait toujours « mon poussin » car contrairement à lui qui était si robuste, Salma, elle, était si fine et si frêle. Son teint couleur brun doré, sa petite bouche, sa longue chevelure noire corbeau joint dun physique divinement sculpté, conférait à cette dernière une beauté indéniable, inestimable. Il est temps de fermer les paupières, se dit-elle tout bas, en laissant échapper une larme nostalgique de ses yeux.
Le téléphone posé sur le chevet de son lit, venait de lui clamer le retour à léveil. Il était cinq heures du matin, un nouveau jour s'était levé, il était temps pour elle de remercier son seigneur front contre le sol. Aujourd'hui, Salma allait visiter la commune d'Adjamé et se fondre au coeur de sa dynamique population.
Toc toc! L'on venait de frapper à la porte de sa chambre.
-Qui est-ce? Le petit déjeuner vient plus tard que prévu! Fit-elle à haute voix en regardant l'heure à sa montre.
Habituellement le service de l'hôtel apportait le petit déjeuner à huit heures trente et à sa montre il était sept heures. Aurait-on fait une exception aujourdhui ? Se posa-t-elle la question. Elle se dépêcha d'ouvrir la porte qui ne cessait de recevoir des coups.
-Toi... Mais que... Elle n'eut pas le temps de terminer sa phrase qu'il la prise dans ses bras et l'embrassa langoureusement.
-Un an que tu es partie, je ne pouvais plus tenir loin de toi, mon poussin.
-Mais, ton travail, la fin de ton contrat c'est dans deux ans encore. As-tu eu un congé ?
-Non, j'ai donné ma démission, fit il en passant le seuil de la porte.
-Oh ! Pardon je ne t'ai même pas dis dentrer, fit Salma toute perturbée.
-Je ne t'ai pas dit surprise, surprise ! Cria-t-il le sourire aux lèvres.
-Quelle surprise ! Si je te dis que je m'attendais à cela ! répliqua-t-elle, tout en se rapprochant afin de se blottir contre son amoureux. Daoud, tu ne peux pas tout abandonner pour moi.
-Non Salma, tu t'es abandonnée dans mes bras le jour où tu m'as enfin dit oui pour le restant de ma vie. Alors moi Daoud, j'abandonnerai tout pour tavoir à mes côtés. Mon poussin, sans toi tout devient fade. Je vais t'accompagner dorénavant dans la poursuite de ton rêve. Chose que j'aurais dû faire depuis le début, partir avec toi. On pourra vivre ensemble et on sera heureux comme nous l'étions, je te le promets.
Les yeux tachés de larmes, Salma lui tint la main et ne sut lui répondre que par un merci.
Ils parcoururent ainsi main dans la main les régions Africaines. Le temps coulait paisible, signe dune magnifique idylle. Daoud trouvait des propositions de travail alléchantes mais se refusait d'accepter car lui et Salma ne séjournaient pas plus d'un an dans un pays. Les contrats qu'on lui proposait allaient de trois ans à plus. Il passait donc ses journées à la maison dans l'attente de sa tourterelle qui ne rentrait toujours que tard dans la nuit. Après avoir visités l'Afrique occidentale, Salma reçut l'appel d'une maison de presse qui avait eu écho de son parcours et de son projet. Cette dernière l'interviewa et de manière fulgurante tous les médias se l'arrachaient. Elle passait d'une chaîne de télévision à une autre, participait à des émissions radio et faisait la une des journaux. Son idée originale d'explorer et d'exposer le continent Africain dans des prises de vue, l'avait rendue dorénavant célèbre. Puis, comme si tout était trop beau pour être vrai, les choses tournèrent au vinaigre.
Les deux ne supportaient plus la vie qu'ils menaient. Ils ignoraient les aléas de la célébrité parsemés de sacrifices et de mises en scène. Salma devait aller à de grandes soirées, souvent se laisser courtiser par des hommes. Daoud ne voyait que des vautours roder autour de sa dulcinée. Salma lui avait tant bien que mal expliqué, néanmoins sa jalousie finissait toujours par prendre le dessus. Il avait même eut à faire des scandales dans quelques soirées. Ainsi, elle y allait seule désormais. Malheureusement, ce n'était pas le seul noeud du problème. Salma cachait également sa vie de couple. C'est ce que lui avait conseillé Thomas, son manager pour ne pas exposer son conjoint à l'afflux des médias. Elle refusait également d'avoir un enfant. Disait-elle à Daoud, qu'un enfant dans ces conditions ne leur faciliterait pas la tâche. Elle ne pouvait allier ses responsabilités de mère à celles d'aventurière. Elle allait parcourir toute l'Afrique, devra enchaîner prises de vue, travaux, soirées et interviews. À cela s'ajouter un enfant, elle ne saurait pas s'en occuper. Toutefois, ils étaient loin d'être sur la même longueur d'onde. Daoud disait pouvoir s'en occuper et être père et mère à la fois. Vu qu'il n'avait pas demploi, cela ne lui poserait aucun problème. Salma par contre ne souhaitait pas être une mère absente. Elle voulait donner à son enfant une vie normale, un foyer stable sans mouvement. À chaque fois qu'ils abordaient le sujet, s'ouvrait une interminable dispute. Leur couple battait de l'aile. Daoud lui ne supportait plus de voir sa femme si proche mais si distante. Complètement exténué par tous ces faits, il se mit à boire, au point de rentrer ivre mort tous les soirs...
Cette nuit encore, Salma avait les yeux anxieusement rivés sur le cadran accroché au mur du salon. Elle observait chaque mouvement orchestré par les aiguilles. Le temps semblait s'arrêter et l'heure avancer lentement. Assise dans un fauteuil, elle tenait un verre de tisane qu'elle s'était difficilement préparé pour calmer ses nerfs. Déjà une heure du matin que Daoud n'était pas rentré. Elle s'imaginait le pire, cependant elle espérait qu'il franchirait la porte lucide et souriant comme c'était le cas il y a six mois de cela. Depuis quatre mois, ils étaient à Ndjamena. Ils allaient y passer quelques temps avant de se rendre en Afrique Boréale. Salma avait précipité ce voyage pensant qu'en changeant d'air, son homme cesserait ses déboires. Lui qui était un homme autrefois plein de tendresse et de douceur. Comment avait-il pu en arriver là ? L'avait-elle rendu alcoolique, lui martelait sa conscience. Mais non ! Elle n'est nullement responsable ! Se répondait-elle intérieurement pour se soulager. Il était à présent deux heures et il n'était toujours pas rentré. Elle songeait au fait qu'il s'était fait renversé, agressé, ou qu'il était mort dans un caniveau. Elle revint à la réalité lorsqu'elle entendit un bruit qui la fit sursauter. Il s'agissait bien de lui. Soulagée mais également consternée, elle déposa le verre qu'elle tenait il y'a quelques heures et alla le rejoindre au pas de la porte.
-Daoud, pourquoi est-ce que tu continues à nous faire tant de mal ? Attends que je t'aide. Lui dit-elle sanglotant.
- Non lâche moi ! Répondit Daoud en tenant le manche de la porte pour se tenir debout. Puis d'un ton sec et saccadé, il lui cracha à la figure :
-C'est toi seule qui nous fait du mal !
Il l’a poussa de son chemin afin de regagner leur chambre. Elle le suivi, pour l'aider à monter les escaliers. Une fois à l'intérieur, il se mit à genoux, la tête posée sur le rebord du lit. Salma s'assit à ses côtés, les yeux bordés d'anchois, regardant son ivrogne de mari.
Une demi-heure après, Daoud brisa leur long silence en se levant de sa position, dandinant légèrement mais plus lucide que tout à l'heure. Il regarda Salma toujours en pleurs, et se rapprocha d'elle. De sa main gauche, il leva son menton pour lui voler un baiser. Mais celle-ci tourna son visage et répliqua aussitôt :
-Non Daoud, pas comme cela, pas cet homme que je ne connais pas. Tu sens l'alcool à des kilomètres. Je vais te préparer, une douche froide.
Cet acte mit Daoud dans une colère noire, ses poings serrés ardemment, il se jeta sur elle. Salma n'eut pas le temps de réagir qu'elle était sur le lit, couverte du poids de son mari lourd et mal odorant.
-Je te répugne à ce point ? Ne suis-je plus ton époux ? N'ai-je plus le droit d'embrasser ma femme ? Hurlait-il tout acharné sur elle.
Salma se débattait en le suppliant de ne pas abuser d'elle.
-Laisse-moi Daoud, ne fait pas cela ! Arrête s'il te plaît ! Le suppliait-elle à répétition tout en se débattant.
Il continuait sans cesse de la brutaliser. Salma pu se défaire d'une de ses poignées de mains. Elle regarda sur la commode et vit le réveil en verre qui y était posé. Elle n'eut pour seul réflexe que de s'en saisir et de lui cogner la tête afin de se libérer de son emprise. Chose faite, Daoud était maintenant à terre, les éclats de verres éparpillés au sol. Affolée, elle sortit de la chambre sans tarder. Une fois au salon, elle se rendit à l'évidence de ce qu'elle venait de commettre. Était-il mort ? A cet instant, elle se retourna sur la pointe des pieds pour voir si son éthylique de mari était encore en vie.
-Daoud... l'appelait elle d'une voix terrifiée.
Un liquide pourpre était étendu à l'endroit où Daoud était tombé. Mais il n'y était plus. Elle eut la chair de poule lorsqu'elle entendit des fracas dans la cuisine. Rapidement elle descendit les escaliers pour s'y rendre. Daoud venait de briser son ordinateur et son appareil photographique. Sur ces engins, se trouvait de longues années de travail. Daoud venait de commettre l'irréparable. Elle était meurtrie, folle de rage.
-Je t'ai rendu la monnaie de ta pièce, tu as failli me tuer ! Lui hurla-t-il au visage, tout en touchant sa tête ensanglantée et brûlante de douleur.
-Oui ! J'aurai dû te tuer, autrement tu n'aurais pas mis en pièce toutes mes années de travail. Dit-elle calmement. Sais-tu ce que tu viens de faire Daoud ? Tu n'as pas seulement brisé mon rêve, tu viens également de détruire notre foyer ! Sors d'ici, vas t'en et ne reviens plus jamais ! Criait-elle à présent toute furieuse en lui balançant des ustensiles au visage.
On avait l'impression que Daoud était en transe. Il ne bougeait plus, il était inerte suspendu à son mélodrame, il ne l'entendait même plus, son esprit n'était plus là. Tout semblait détruit, leur mariage, leur amour. À qui revenait la faute de ce chaos ? Sur le coup, son visage porta des yeux larmoyants. Il regarda en direction de Salma et la vit à califourchon, inconsolable tentant de ramasser le peu qui lui restait de son appareil et de son ordinateur. Soudain elle s'arrêta comprenant que cela ne servirait à rien. Elle essuya ses larmes et fixa Daoud avec mépris qui était quant à lui toujours dans la même position.
-Tu es malade Daoud ! Regarde-toi, Tu me fais pitié ! Ta jalousie maladive, la boisson et ton orgueil ont fini par tout emporter !
La voix brisée elle termina par :
-T'aurais dû rester en Guinée, ne jamais venir...
À ces mots, Daoud revint à lui comme s'il venait de recevoir des électrochocs. Tout était clair pour lui, Salma le détestait, le méprisait et lui tout autant qu'elle. Semblable à un animal enragé, il bondit littéralement sur celle-ci et la roua de coups. Elle ségosillait, bataillait pour sortir de ses griffes. Inopportunément c'était peine perdue, Daoud était plus fort. Il ne voulait plus l'entendre, il voulait juste la faire taire. Alors il l'a cogna encore et encore, plus violemment à chaque nouveau coup. Et ainsi de suite jusqu'au moment où il ne l'entendit plus...
Le lendemain, Jenna la dame de ménage se rendit comme d'habitude à la maison des Barry pour y travailler. Elle s'était rendu compte des difficultés que traversait le couple Barry et espérait sincèrement qu'ils s'en sortiraient.
-Madame Barry ? Je suis là ! Salam ! Y'a quelqu'un ? Frappait-elle à la porte.
-Bizarre, heureusement j'ai les doubles des clés ! Formula-t-elle à voix basse en ouvrant la porte.
Dès qu'elle franchit l'orée de la maison, ses yeux tombèrent sur le verre de tisane à moitié vide posé sur la table du salon. Présuma-t-elle que Salma avait dû partir tôt pour le travail et que son époux serait dans leur chambre, avec une sacrée gueule de bois. C'est décidé, elle commencera par la cuisine. Se mettant donc à la tâche, elle récupéra au passage le verre de tisane qui lui glissa des mains lorsqu'elle fut confrontée au tableau funeste qui s'offrait à elle. La faucheuse avait foudroyé la maison. Pétrifiée, la jeune dame décampa des lieux comme une folle, criant l'horreur sur tous les toits. Cette image macabre, des cadavres de Daoud tenant encore le couteau qu'il sétait enfoncé dans le coeur, et de Salma tabassé à mort restera à jamais gravée dans l'esprit de la jeune femme.