À l'ombre de l'indifférence...

Toute histoire commence un jour, quelque part.... la mienne débute ainsi, d’une manière sommes toute banale, si l’on peut le dire ainsi... C’était un vendredi, il faisait nuit noire et je rentrais chez moi après avoir été en répétition toute la soirée à mon église. Ma maison, se trouvant à deux rues plus loin, il ne m’était d’aucune utilité de prendre un taxi, une vingtaine de minutes de marche me suffisait. Mais il me fallait obligatoirement passer par une zone dénommée Morti-Sang afin de pouvoir m’y rendre. Cette zone n’était pas de celle que l’on fréquentait le soir, surtout pour une jeune fille, à cause des nombreux crimes et délits qu’on y recelait chaque jour qui passait. D’ailleurs, cela faisait bien des jours que les gens étouffaient littéralement chez eux, du fait que des hommes armés jusqu’au dent, avaient décidé de semer la terreur au sein de ce dit quartier. Mais bon, n’étant jamais victime moi-même, je ne me sentais pas vraiment concernée par ces choses. Certes, j’en tremblais quand j’y passais car je ne suis pas de celle qui aime braver les interdits, n’empêche que je retrouvais mon calme immédiatement la zone franchie. Mais tout cela, c’était sans savoir que cette nuit-là n’allait pas se passer comme les autres où je la franchissais et que rien ne m’arrivais. Elle allait me marquer d’une façon que je n’aurais jamais pu imaginer.

Au début, tout se passa sans heurt. Croyez-moi quand je vous dis que tout était calme...sereine. Parfaite illusion de ma part, car quelque mètres plus loin, une scène macabre se déroulait et seule moi manquait pour la compléter. Ce genre de scène que lorsqu’on en est témoin, la seule solution pour toi de t’en sortir c’est la mort et la mort seule. Et j’allais en être témoin. Perdue dans mes pensées, j’avançais tranquillement. Je réfléchissais a la situation merdique de certains quartiers de mon pays, ces « zones de non-droit » comme les chers intellectuels de chez moi le disent si bien, où, les bandits étaient ceux qui faisaient autorités et que même les policiers ou autres corps armés ne pouvaient rien faire contre, de peur d’être eux même victimes, fait plutôt ironique vu que la devise de la police de mon cher pays n’est autre que « Protéger et Servir ». Je dois avouer que l’humain en moi les comprend parfaitement, mais d’une autre part, je suis révoltée tout aussi, car pour moi lorsqu’on prend un engagement, il est impératif qu’on le tienne. Mais bon, plus j’avançais, plus j’essayais de trouver certaines solutions pour en venir à bout de cette maudite situation.

Non, mais comment cela peut-il être possible ? Cette situation où tu sors pour régler tes affaires soit pour aller à l’école, à la fac ou encore au bureau et j’en passe et tu n’as absolument aucune assurance sur le fait de savoir si tu vas rentrer chez toi ou non ?? Cette situation où tu es contrainte de vivre avec un stress perpétuel car tu ne sais jamais quand tu seras victime ?? Comment, hein, DITES-MOI, COMMENT PUTAIN ??? Pff...Cela me renvoie tout de suite à l’histoire de ces jeunes filles-là qui ont été victimes non loin de mon quartier, il y a une semaine à peine. Je suis au courant parce que parmi elles, se trouvaient la fille d’une bonne amie de ma mère...Pendant qu’elles rentraient chez elles, a noter qu’il y avait un fort bouchon ce jour-là, ce qui était fort coutumier par ailleurs dans cette zone. Mais cette fois-ci, c’était sans compter que les membres d’un des gangs qui font la pluie et le beau temps dans mon quartier allaient être de la partie. Ils ont commencé à rançonner avec leurs armes de gros calibre toutes les personnes faisant la queue avec leurs voitures dans la file. Vint le moment, où ils vont en venir à interpeller certaines jeunes filles, celles qui leur paraissaient agréables à leurs yeux. Ils les ont faites descendre et leur ont fait entrer dans un quartier non loin, et là vous savez quoi, ils ont abusé de ces filles, et ce, dans le sens littéral du terme, de la manière la plus brutale qui soit et bien sur ces barbares n’ont utilisé aucune protection. Ils l’ont fait au vu et au su de tous, en vue de prouver qu’ils sont les détenteurs du véritable pouvoir. Le pire de tout cela c’est que la fille de l’amie de ma mère n’est qu’une écolière, elle n’a que treize ans mais ces pervers sadiques s’en foutent totalement d’elle. Et vous ne savez pas le meilleur de tout cela ? Eh bien, c’est que rien de tout cela n’a été relaté dans la presse... Mais bon fallait pas s’en étonner vu que cette histoire n’était pas aussi importante et croustillante que celles qui concernent les déboires de nos stars locales. Mais bref...passons !!!

Tout en pensant à l’histoire de ces jeunes filles, je ne me suis pas rendue compte que je pleurais, en silence certes, mais je pleurais. Peut-être ne suis-je pas aussi indifférente que je le prétendais tantôt après tout? Car voyez-vous, ç’aurait bien pu être moi ce jour-là. Mais ce ne fut pas le cas, Dieu merci. Je décidai alors de relayer cette histoire au fin fond de ma tête, il me fallait me reprendre. Et je continuai à marcher tout en pensant que rien ne pourrait me choquer davantage que ce que j’ai appris sur ces filles-là, mais bien sûr, je me trompais. C’était à se demander comment cela pouvait être possible. Car plus choquant que ça me direz-vous, c’est inconcevable ? Eh bien, figurez-vous, pire que cela, çà existait.

Aux abords d’un carrefour, je rencontrai deux amoureux qui s’embrassaient, sûrement ils profitaient de ce doux moment de répit accordé par nos chers gangsters pour pouvoir se voir. Qu’est-ce que ça peut être beau l’amour, parfois. Vous me pardonnerez mon cynisme, mais au vu des choses qui se font ces derniers temps, je préfère me laisser emporter par la désinvolture. Ainsi, je suis sure de m’éviter bien des peines!!! Je poursuivis mon chemin. En marchant, une envie de siffloter me monta à la tête. Je me laissai alors emporter tout en rythmant un peu mes pas car vous comprendrez bien que l’envie de m’attarder dans cette zone n’était pas du tout pressante. Hmmmm... Ce que cela pouvait être bon, de ressentir le souffle du vent sur mon visage, c’était libérateur, cela m’invitait à l’évasion. Et donc, par la même occasion, j’avais cette sensation où je me sentais renaitre même si c’était pour mieux mourir un peu plus tard, un peu plus loin.

Je continuai alors, gardant le même rythme. Puis tout à coup, je sentis une odeur âcre, et je vis un peu de fumée à quelques mètres de moi. J’arrêtai de siffloter et je stoppai net au beau milieu de la route. Je me calmai et ensuite je me laissai guider par la fumée et là, là oui je sentis une main s’abattre sur moi, attraper mon estomac et le tordre. Mon souffle se bloqua immédiatement dans ma poitrine. Jamais de ma vie, je n’avais jamais vu une horreur pareille. Ils devaient être au moins une bonne trentaine et parmi eux, des enfants dont un bébé qui semblait dormir au creux des bras de sa mère et aussi deux de mes cousins, tous, du moins ceux qui étaient encore en vie, étaient agenouillés sur une pile d’immondices de toutes sortes, l’effroi se lisait sur leurs visages, y en a même certains qui avaient le regard complètement vide parce qu’ils avaient compris qu’ils en étaient arrivés à la fin et que rien ne pourrait changer cela car leurs destins étaient déjà scellés. Et tout ça, se passait sous la directive de seulement sept hommes, si je puis le dire ainsi car la noirceur qui se reflétait dans leurs regards n’avait rien d’humain. Je parvins à déglutir, Dieu seul sait où et comment j’ai pu puiser la force en moi pour parvenir à faire une telle chose.

La voix de l’un d’entre eux me parvint, et croyez-moi, de ma vie, je n’avais jamais entendu de son si effroyable et ce fut pire encore lorsque l’un d’eux se mit à rire. Là, mon sang se glaça littéralement au même moment. Le plus haut et le plus chétif d’entre eux se mit alors à parler. Il interpella un des six hommes et lui demanda de lui amener un petit monsieur tout trapu. Pendant que le monsieur ouvrit sa bouche pour demander grâce, le chef prit son arme et lui flanqua une balle en pleine tête. Apres quoi, il s’approcha du corps et estimant que malgré la balle reçue, que le mort n’était pas assez mort, il lui en donna encore trois autres à la tête, après cela, il s’agenouilla près du cadavre et passa ses doigts dans la cervelle qui était éparpillée par terre, joua avec entre ses doigts pendant un instant, puis après, il se releva et sourit. Là, oui j’ai vu la peur marcher et embrasser les survivants. Elle vint aussi vers moi et au même instant je sentis mon âme se détacher de mon corps et me quitter. Je n’étais plus là. Je ne pouvais plus être là, mon esprit ne le supportait plus.

Soudain, un vagissement déchira la nuit, ce qui signifiait clairement que le bébé s’était réveillé. La mère commença à secouer la tête et à pleurer de plus belle. Le chef parla alors. Il dit à l’un des hommes :
-Arnold, prends le bébé. Ce que le dénommé Arnold fit bien entendu sans rechigner. La mère du bébé essaya de resserrer encore son étreinte mais Arnold le lui arracha quand même des mains et lui donna un coup de pied à la poitrine tout en lui disant que ça c’est parce qu’elle lui a fait faire trop d’effort. Il y avait un seau rempli d’eau dans l’espace. Le chef demanda à Arnold de mettre le bébé dedans et ceci la tête en bas. Là, je vis les yeux de la mère sortir littéralement de leur orbite. Arnold s’exécuta immédiatement. Le bébé se débattit un instant, quelque minutes après, il mourut. Au même moment, un son guttural presqu’animal se fit entendre de la part de la mère, et puis l’instant d’après plus rien. Elle n’était plus là, comme moi, elle avait le regard complétement hagard, elle était morte au même instant que son enfant, son corps n’était plus qu’une enveloppe inutile. L’instant d’après, un de mes cousins les traita de sales chiens sans cœur et de débauchés sadiques, cruels et malsains. Ce fut comme un signal, quatre d’entre eux se retournèrent et firent tous feu en même temps, à croire que c’était ce qu’ils attendaient. Ce fut pour moi la goutte d’eau qui fit déborder le vase, car l’impact du choc que je reçus en apercevant la dépouille de mon cousin me fit faire un brusque retrait. Je me retournai et m’en allai en courant chez moi. Je n’étais plus moi-même.

Cette nuit-là, je connus le vrai sens de l’expression « passer une nuit blanche ». Je n’ai pas pu trouver le sommeil. Et le pire de tout cela, je n’ai pas essayé de le retrouver non plus car j’étais beaucoup trop harassée pour cela tant moralement que physiquement. Je me reconstituais à chaque fois la scène, et chaque fois que je parvenais au bout, je relançais la boucle ce qui fait qu’elle n’a jamais pu être bouclée. Faute de force, je sombrai dans un profond sommeil à l’aube.

On me réveilla vers les midis. Je me douchai, mangeai puis je sortis de la maison contre mon gré. Cette fois-ci, il était question pour moi d’aller à un déjeuner concernant une association caritative dans un restaurant de mon quartier. Je ne pouvais malheureusement pas m’y soustraire En entrant, je repérai immédiatement la personne avec laquelle j’avais rendez-vous. Je le rejoignis et je m’assis à la table. Pendant que je consultais la carte, quelques bribes de la conversation de la table voisine me parvinrent et ce que j’entendis me sidéra complètement. Une dame parlait et devinez ce qu’elle a eu l’audace de dire ??? «Que ces gens-là qui ont été victimes de ces actes que je qualifie de barbares, étaient sûrement des personnes louches et qu’il s’agissait à ne pas en douter d’un règlement de compte. Et le pire de tout cela c’est que ceux qui étaient attablés avec elle, acquiescèrent et approuvèrent ses dires. L’un d’entre eux, demanda « Et les enfants dans tout cela? Le bébé ?» et à la dame de lui répondre « Que sûrement ce n’était pas l’enfant du monsieur qui a fait faire ça, il s’en occupait et ayant appris que l’enfant n’était pas de lui, il l’a tué dans le but de le faire payer à la mère tout simplement car voyez-vous quel intérêt auraient ces prétendus gangster à laisser la vie à cette dame uniquement ? Vous ne trouvez pas cela plutôt intriguant ? Moi j’y pense fortement». Toujours figée, mes pensées ne convergeaient que sur cette pauvre mère car je me demandais comment on pouvait survivre après un tel évènement ? Certains racontent que c’est en faisant de mauvaises choses qu’on perd notre âme, moi je dis que ce sont des foutaises car je crois bien que cette pauvre dame a perdu la sienne hier soir. Après cela, je revins à moi-même. Je ne pus rester davantage. Je m’en allai.

On dit que toute histoire commence un jour, quelque part, moi depuis cette soirée, je crois bien que c’est le début de la fin de la mienne qui commence....