09 mars

Toute histoire commence un jour, quelque part. Celle-ci débute à trois jours de mon mariage, le plus grand jour de la vie. Oui, le plus grand jour de la vie est celui du mariage. Et à trois jours de cette œuvre suprême de l’Humanité, de cette merveille, le stress et le suspens multiplient le nombre d’heures par jour. Je m’aperçus qu’un jour compte 48h, voire plus. La dernière fois que j’ai regardé la montre, il était 10h 21. Et voyez-vous quelle heure il fait maintenant, après que j’aie essayé cinq fois ma robe de mariage ; que j’aie nettoyé mes chaussures et les déplacer, car leur position n’était pas digne de celle des chaussures de mariage ; après que j’aie rappelé maman pour m’assurer que la délégation villageoise soit bel et bien en route ? Il fait exactement 10h 28. Regardez comment la montre est cruelle ? Ce n’est pas juste !
Ma montre a peut-être des oreilles, et m’aurait entendu ce jour, quand j’avais déclaré à mon fiancé Fred que je suis vierge nonobstant le viol dont j’étais victime. Je n’avais pas d’autres choix que de le mentir, car il faisait de l‘intégrité de ma virginité la condition sine qua non de notre mariage. Je soupçonne ma montre de vouloir me désavouer devant mon fiancé et faire couler notre projet de mariage, car elle est la seule à pouvoir le faire : d’une part, elle était témoin du viol et d’autre part, elle était présente quand j’avais dit à Fred que je suis vierge. Qu’as-tu à foudre dans l’affaire des humains ? De toute façon, je suis vierge. On m’a violé mais je suis vierge ! N’en déplaise à une vilaine montre « fabriquée en Chine » ! Tant qu’une fille n’offre pas sa virginité de son plein gré à un homme, elle est toujours vierge même si ce dernier la viole !
Tu peux, idiote montre, faire durer le suspens comme tu désires. Mais une chose est évidente : tu n’auras jamais l’occasion de me dénoncer. Je m’en vais chez Fred et tu ne vas pas me tenir compagnie. Le sort que mérite celui qui a un projet diabolique comme toi, c’est la mort. Tout de même, je te fais une faveur. Vas te baigner dans la merde au WC ! Adieu !
Maintenant le secret est protégé. Un vieux dicton ne dit-il pas que : « deux personnes peuvent garder un secret si l’une des deux est morte » ? Le secret protégé, le mariage garanti.
Je m’en vais visiter mon amour Fred. Les jours qui suivront, seront très chargés. Chacun devrait préparer sa famille.
Je dois avancer tout doucement de peur que le méchant chien de Fred ne me morde. En tout cas, il devrait s’habituer à moi. Avec la communauté de biens, il sera aussi mon chien donc je pourrais décider de son sort dans cette concession ; j’aurais le droit de vie ou de mort sur lui.
- N’avance pas ! N’avance pas ! Méchant chien ! Sorcier ! Mange ta tête !
Oh ! Nom de Dieu ! Seigneur ! Je vais te tuer 9 mars ! Tu as osé mordre mon amour ? je vais te tuer. Maudit 9 mars ! méchant, cruel et barbare comme le 9 mars. Maudit soit le 9 mars !
- Arrêtes s’il te plait Fred ! Cesses d’hurler ! J’ai juste une égratignure provoquée par ses dents vampiriques. Et dis-moi Fred, quel lien y a-t-il entre ma morsure par ton chien et le 9 mars, ce maudit jour ?
- Ne le savais-tu pas mon amour ? En effet, mon chien s’appelle 9 mars. Et toi, pourquoi tu qualifie 9 mars de maudit ?
- Euh...euh... Non ! C’est juste que... c’est parce que... écoutes mon amour, c’est que tu viens de répéter mille fois maudit 9 mars en quelques instants, et par mimétisme, j’ai aussi dit maudit 9 mars.
- Ah oui ! Tu as raison Zouria ! Pour ta blessure, comme ce n’est pas grave, allons dans la chambre. Je vais t’administrer l’alcool, le bleu et les antibiotiques. Tu dois t’en contenter, car je ne suis pas médecin. Si je savais que ma fiancée devrait être mordue par un chien à quelques jours de notre mariage, j’allais faire la médecine et non le droit.
- Ne t’en fais pas chéri ! Je suis contente et fière que tu sois étudiant en droit. Tu pourras aussi me défendre quand mes droits seraient violés.
- Evidemment ma princesse ! D’ailleurs, je rêve de devenir avocat. Et je suis sur le bon chemin ; j’y arriverai. Je compte me spécialiser dans la lutte contre l’atteinte à l’intégrité physique des personnes, la violation des Droits de l’Homme mais aussi et surtout le viol. Celui des hommes comme des femmes.
- Tu es sérieusement drôle Fred ! Tu as toujours un accent humoristique même lorsqu’il s’agit d’un sujet horrible, épouvantable et triste comme le viol. Oui je sais que tu te battras contre le viol des femmes et j’ai confiance en toi. Cependant, ta boutade de viol des hommes ne me fait pas rire.
- Ce n’est pas de la blague Zouria ! c’est une réalité ! il y a aussi des hommes victimes de vio...
- S’il te plait chéri ! Au lieu de ceci, donnes-moi plutôt la signification du nom mystérieux de ton chien : 9 mars.
- Le 09 mars 2015, il était 6h quand mon ami Toumaï et moi, attendions le bus CNOU qui tardait à arriver. Nous avions une session anticipée ; une épreuve de droit des personnes. Notre prof, Docta Killer était réputé pour la rigueur de sa correction. Nous souhaitions arriver tôt, afin de terminer la révision que le sommeil avait interrompue. Comme le bus CNOU mit du temps, nous avions décidé de répéter nos cours en l’attendant. « Docta Killer va certainement nous demander de commenter l’article 17 de la constitution : “ la personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la vie, à l’intégrité de sa personne, à la sécurité, à la protection de sa vie et de ses biens“ ou l’article 18 : “ nul ne peut être soumis ni à des sévices ou traitements dégradants et humiliants ni à la torture“. Il aime se les répéter dans ses cours et travaux dirigés. » S’exclama Toumaï ! C’était aussi ça mon flair, mon intuition. Si c’est l’un de ces sujets, on ne pouvait espérer mieux. Rétorquais-je. Il s’agit d’expliquer qu’aucun individu ou groupe d’individus fut-il dépositaire de la puissance publique ; aucun groupe d’individus fut-il détenteur des pouvoirs d’Etat ; aucune ethnie fut-elle artisane d’un sacrifice à la Nation n’a le droit de tuer, de torturer, de violenter, de violer ou de torturer un individu, un groupe d’individus, une ethnie quel que soit le motif. Que cet individu, ce groupe d’individus ou cette ethnie ait un fondement politique, moral, confessionnel différent. Ajoutais-je. Toumaï de conclure : « il ne reste qu’à soutenir avec quelques dispositions telles que l’article 5 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme qui stipule que : “nul ne sera soumis à la torture, ni à des peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants“ ou l’article 4 de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples qui dit que : “la personne humaine est inviolable. Tout être a droit au respecte de sa vie et à l'intégrité physique et morale de sa personne. Nul ne peut être privé arbitrairement de ce droit“ ou encore l’article 7 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen qui indique que “nul homme ne peut être accusé, arrêté ou détenu que dans les cas déterminés par la loi, et selon les formes qu’elle a prescrites. Ceux qui sollicitent, expédient, exécutent ou font exécuter des ordres arbitraires, doivent être punis...“, le tout avec un bon plan méthodologue et nous pourrons, cher ami avoir une note de 12/20 avec Docta Kil...
Toumaï n’aura pas le temps de terminer sa phrase quand le crépitement des pneus du bus CNOU nous faisait retourner. Le bus s’immobilisa devant nous et nous montâmes pour arriver à la fac 15 minutes plus tard. Nous n’eûmes plus le temps de réviser.
Nous prîmes places avec les camarades. Docta Killer et sa brigade de surveillants aussi. Leurs visages avaient tout sauf bienveillance. Ni sourire ni regard courtois ne se dessinaient sur leurs visages. Dans un regard intimidant, Docta Killer retira dans une petite enveloppe blanche un bout de papier. « Prenez le sujet ! » Lança-t-il sans un petit bonjour. « Nous ne sommes pas en guerre ! » objecta un étudiant décidément mécontent du manque de fair play du prof. « Un mot de plus et ton exclusion de la session sera irréfragable. » Lui répliqua sèchement Docta Killer. Il enchaina : « sujet unique au choix. Autrement dit, vous pouvez choisir de le traiter ou de remettre votre copie vierge- à ce moment je pensais à toi chérie. Te rends-tu compte ? Tu n’es pas la seule vierge. Il y a aussi des copies vierges- : à la lumière de vos connaissances tirées de vos cours, de vos recherches et de l’actualité politique des pays de l’Afrique subsaharienne francophone, expliquer et commenter l’article 17 de la constitution qui énonce que : «  la personne humaine est sacrée et inviolable. Tout individu a droit à la vie, à l’intégrité de sa personne, à la sécurité, à la protection de sa vie et de ses biens ».
Un silence de cimetière vint me donner l’impression de l’approbation du sujet par tous les camarades. Chacun ne conversa qu’avec sa copie via le stylo. L’heure était à la réflexion et au test stylo au brouillon.
15 minutes après, au moment où les choses sérieuses allaient commencer lorsque des coups de grenades lacrymogènes interrompirent brutalement le silence de mort qui habita l’amphithéâtre DADI. Ils seront bientôt suivis des tirs sporadiques. A ce moment on pouvait entendre de dehors : « les élèves manifestent contre le port obligatoire de casques à moto décidé par le Gouvernement. » Soudain ! Une bombe lacrymogène frotta le visage d’une étudiante et atterrit dans le plein cœur de DADI. Je me rappelle de cette lutte que s’engageaient Docta Killer, sa brigade de surveillants et les étudiants pour arracher une part de la pommade détenue par une étudiante, pour atténuer l’asphyxie.
C’est ainsi que prenait fin la session. Toutefois, nous n’avions pas eu le temps d’évacuer DADI. Le GMIP, la police anti-émeute était déjà là. La cour était entourée et les grenades lacrymogènes ne cessaient pas de neiger sur nous. Une dizaine d’étudiants étaient déjà au sol, étouffés, asphyxiés et inanimés. Je faisais partie de ceux qui jouaient à la Croix Rouge. Nous les déposâmes au dispensaire universitaire situé dans l’enceinte de la cour à quelques mètres de DADI.
Les infirmiers étaient débordés. Il manqua de tout : places, médicaments et lits. Les étudiants blessés, asphyxiés jonchent le sol des minuscules salles de soin. Les éléments du GMIP y firent irruption et intimèrent par des coups de crosse, l’ordre aux infirmiers de mettre terme aux soins. Ils nous obligèrent à nous agenouiller, les mains sur la tête. Ils pointèrent les canons de leurs kalachnikovs sur nous. Ce fut ce jour que j’avais dévisagé la mort ; ce fut pour la première que je regardais sa face.
Intérieurement, je suppliais les canons de bien vouloir ne pas laisser sortir les balles. Et oui, j’ai plus confiance aux canons qu’aux hommes qui ont le doigt sur la gâchette. Leur attitude ne laissait guère de doute sur ce qu’ils venaient faire : tuer. Ils nous interdirent de parler et de respirer à plein poumon. Les seules voix que l’on pouvait entendre sont celles des paroles qui proférassent des insultes nous traitant de tous les noms d’oiseaux et, nous promissent une mort certaine et épouvantable. – La certitude de la mort fut le seul moment de plaisir chérie. Peu d’hommes connaissent le jour de leur mort. Mais nous, si ! Nous étions des privilégiés. - La question de notre mort ne se posait pas. Celles qui n’avaient pas encore eu de réponses étaient quand et comment ? Tout de suite ? Avec une balle logée dans le cerveau, dans le cœur, perçant la bite, traversant la poitrine ? Après une séance de torture à la Jack Bauer ? Personnellement, il y avait deux parties du corps dans lesquelles je ne souhaitais pas en prendre une balle : le cerveau et la bite. Le cerveau, car je souhaiterais achever le commentaire de l’article 17 de la constitution au paradis tellement j’étais inspiré et même les circonstances et les causes de ma mort me serviront d’éléments de commentaire. La bite, parce que j’espèrerais bien me marier dans trois jours au ciel et, elle sera pour moi d’une grande utilité. Hormis ces deux parties, toutes les autres étaient prêtes à accueillir les balles avec bienveillance et hospitalité.
Le suspens sur le temps et la manière de notre mort continuait lorsque je réfléchissais sur les personnes qui allaient me manquer après ma mort. Je levais les yeux et j’aperçus Toumaï par la fenêtre entrain de traverser le parking. J’étais très content de l’apercevoir. Je marmonnais : adieu mon ami ! Sans savoir qu’il allait être supprimé avant moi. Mon sentiment se brisa bientôt. Toumaï était tombé ; tombé pour ne jamais se relever.
Quand je me rendis compte effectivement de l’assassinat de Toumaï, je ne pouvais encore me contenir. Je me levais et criais de toute mon énergie. Les autres en furent autant. Mais les renforts du GMIP qui venaient à peine d’arriver réussirent à nous maîtriser. On nous balançait tels des sacs de charbon dans leur fourgonnette.
Arrivés au camp du GMIP, les coups de crosse et de fouet nous annoncèrent que nous devrions descendre. Encore d’autres coups de fouet pour nous dire cette fois-là qu’on devrait se déshabiller. Nous voilà comme Adam et Eve au jardin d’Eden avant la consommation du fruit de l’arbre défendu.
Nous fûmes conduits dans une piscine apprêtée pour le besoin de la cause. Nous étions obligés à y nager. Les morceaux d’aluminium dissimulés dedans s’en donnèrent à cœur joie. Du coup, la piscine devint rouge.
On nous fit sortir de la piscine aux lames pour la piscine à boue. La boue fermait de temps en temps, que nous nous baignassions au rythme des coups de pieds, nos plaies ouvertes par la piscine aux lames.
Après cette épreuve, on nous réunit sous un hangar où de loin nous pouvions aussi apercevoir des filles arrêtées en marge de la manifestation. Qu’est-ce qu’on faisait d’elles ? Nous étions trop loin pour deviner. Une chose est sûre : on n’est pas en train de leur apprendre l’hygiène menstruelle !
A la tombée de la nuit, on nous fit sortir un à un. Ceux qui partaient ne revenaient pas. Nous ne saurions ce que l’on faisait avec eux. Mon tour était enfin arrivé. On me conduisit dans une salle minuscule et obscure. Il y avait trois hommes qui m’attendaient...
- Qu’est-ce qu’ils t’ont fait Fred ? C’est difficile je te comprends mais termine je t’en prie chéri !
- Tout à l’heure-là, ce n’était pas une blague. Les hommes aussi sont victimes de viol : ils m’ont violé ! Voilà la signification de 9 mars !
- Incroyable Fred ! J’étais aussi parmi les filles que vous aviez aperçues. On nous a aussi violées ! J’ai été violée !