Voilà, j'y suis : assis dans une grande soucoupe ovoïde au décor dépouillé, je m'imprègne doucement de l'ambiance de ce lieu, de ses lumières, de sa résonance. Une excitation joyeuse et impatiente émane de la foule hétéroclite qui m'entoure. Hormis la nature de l'évènement qui m'a amené ici, je ne sais encore rien du plongeon dans l'inconnu qui m'attend.
Je dirige déjà mon regard vers le rectangle central. Là, les Battantes se livrent à leur rituel de préparation. En les observant, tel un devin interprétant les augures, je tente d'obtenir des informations sur le déroulement des prochaines minutes ; mais c'est en pure perte, car ici, tout est imprévisible.
Je sais seulement que ce sont des sportives de haut niveau, des
travailleuses acharnées de la perfection, des improvisatrices hors-normes. Leur art, le hand-ball, est à la fois théâtre sans scénario, magie sans truquage, acrobatie sans filet, libre chorégraphie.
On dit qu'elles sont toujours décisives dans les moments-clés d'une
rencontre. Quel déterminisme, quel supplément d'âme, quelle alchimie
conduisent ces jeunes femmes, au demeurant semblables aux autres, à cette transcendance suprême ? Nul ne le sait. On ne connaît que l'étincelle qui active le mode "battante" : c'est un coup de sifflet !
ACTIVATION.
Après une temporisation de quelques secondes, un démarrage au ralenti, comme s'il fallait un instant pour que le phénomène s'enclenche, nous basculons dans un monde quantique dont la principale composante, le temps, devient élastique: les Battantes viennent de prendre le contrôle. Evoluant dans l'espace, elles expriment leur art par des gestes sûrs, gracieux, maîtrisés, enchanteurs. Chaque seconde est une surprise. Ces artistes répondent en instantané aux fluctuations des situations, donnant naissance à des myriades d'émotions qui se propagent en ondes de choc dans toute la salle.
DUEL.
Voici le moment où l'attaquante décide de tirer au but. Par les attitudes
et les gestes, une conversation subtile s'installe entre les deux
antagonistes, la "tireuse" et la "gardienne". Un flot d'informations est
échangé à la vitesse de la lumière via un double langage corporel et
télépathique. Ces mots, qui ne sont pas prononcés, s'entrechoquent et se superposent, échangés à haut-débit dans une fraction de seconde
précédant le tir. Ils sont communs aux deux Battantes dans le canal qui
les relie à cet instant :
"- Je te regarde, je te ressens.
- Je te sonde, je t'envisage.
- Je pénètre ton cerveau, je m'imprègne de ton esprit.
- Je te devine, je te vis, je t'anticipe.
- Par mes gestes, je veux t'envouter, t'attirer.
- Où veux tu m'emmener ? je ne te crois pas, tu n'es qu'une illusion !
- Je sais ce que tu veux ; tout en moi te le refuse!
- Tes messages ne sont que des leurres, ils n'ont aucune vérité, seul ton
geste final compte.
- Je n'accepte que ton excellence !
- Sois forte, fais éclater ton art, sois plus que jamais Battante.
- Plus tu me résisteras et plus je jouirai de ma victoire."
A présent, seul l'instinct commande les gestes. Le tir est déclenché, un
éclair qui fait gronder l'assistance. Des milliers de cœurs battent à
l'unisson.
VOL.
La zone interdite est une grande particularité de ce sport. Maitresse en
son domaine, la "gardienne" peut déambuler à sa guise dans ce grand espace semi-oblong. Hélas, elle est souvent dérangée par des importunes tumultueuses qui, par jeu ou par défiance, s'agglutinent et se chamaillent bruyamment aux abords de son territoire. Certaines même, sans gêne aucune, vont jusqu'à pénétrer dans sa propriété privée. Pire, sachant l'interdit, d'autres passent en volant, tels des drones espions. Chasseresse de son état, la gardienne fait face aux assauts répétés de ces indésirables. Mais, ce n'est pas simple : ces créatures bondissantes, pourvues d'ailes invisibles, sont capables des mystifications et des roublardises les plus inattendues, car ce sont également des Battantes.
"STATS".
Dans cet océan tempêtueux de l'aléatoire, l'être humain,
irrémédiablement rationnel, trouve dans les nombres le moyen de se raccrocher à sa réalité. Il en met partout : maillots, affichages, chronomètres, etc... Il enregistre toutes sortes d'informations chiffrées pour analyse, comme on le fait dans les laboratoires de recherche. Il a l'honorable objectif de mettre en avant les performances des Battantes. Mais c'est une démarche illusoire : peut-on réellement quantifier toutes ces fulgurances ? Posons l'équation : si le score est de 30-21 aujourd'hui, le déroulement et le ressenti seront-t-il identiques pour un autre match au même résultat final ? Absolument pas ! Les statistiques ne sont que l'aide-mémoire nostalgique des émotions passées. L'instant présent règne en maître.
C'EST FINI?
Une corne de brume puissante, grave, céleste, retentit soudain. Je lève
les yeux ; une horloge affiche "60:00". Sur le terrain, nos Battantes
reprennent apparence humaine. On s'embrasse, on se salut, on rit, on
pleure, on danse.
Mon cerveau repasse en boucle les phases paroxysmiques de ces 60 minutes juste pour ressentir une fois encore les vagues d'émotions qui m'ont submergées. Je reprends progressivement mon état de conscience normal. Je constate que j'ai emmagasiné une énergie folle. Je me sens léger, je vais gravir des montagnes, rien ne peut m'arrêter. Mon enthousiasme me fait rire intérieurement. Mais quel prodige est à l'origine de cet état ?
Alors, j'ai cette révélation : les Battantes sont des pourvoyeuses
d'énergie positive. Voilà leur vraie mission. Dans les jours qui vont
suivre, catalysée par ces magnifiques exemples de combativité et de
créativité, une foule de personnes comme moi va entreprendre, oser,
créer, inventer, pour le bénéfice de tous.
Finalement, je comprends : mes émotions, mon pouls élevé, mes frissons, ma légèreté,...
Mesdames, Mesdemoiselles les Battantes, je vous aime!
A Nancy, France-Slovénie, le 2 Décembre 2018.
Je dirige déjà mon regard vers le rectangle central. Là, les Battantes se livrent à leur rituel de préparation. En les observant, tel un devin interprétant les augures, je tente d'obtenir des informations sur le déroulement des prochaines minutes ; mais c'est en pure perte, car ici, tout est imprévisible.
Je sais seulement que ce sont des sportives de haut niveau, des
travailleuses acharnées de la perfection, des improvisatrices hors-normes. Leur art, le hand-ball, est à la fois théâtre sans scénario, magie sans truquage, acrobatie sans filet, libre chorégraphie.
On dit qu'elles sont toujours décisives dans les moments-clés d'une
rencontre. Quel déterminisme, quel supplément d'âme, quelle alchimie
conduisent ces jeunes femmes, au demeurant semblables aux autres, à cette transcendance suprême ? Nul ne le sait. On ne connaît que l'étincelle qui active le mode "battante" : c'est un coup de sifflet !
ACTIVATION.
Après une temporisation de quelques secondes, un démarrage au ralenti, comme s'il fallait un instant pour que le phénomène s'enclenche, nous basculons dans un monde quantique dont la principale composante, le temps, devient élastique: les Battantes viennent de prendre le contrôle. Evoluant dans l'espace, elles expriment leur art par des gestes sûrs, gracieux, maîtrisés, enchanteurs. Chaque seconde est une surprise. Ces artistes répondent en instantané aux fluctuations des situations, donnant naissance à des myriades d'émotions qui se propagent en ondes de choc dans toute la salle.
DUEL.
Voici le moment où l'attaquante décide de tirer au but. Par les attitudes
et les gestes, une conversation subtile s'installe entre les deux
antagonistes, la "tireuse" et la "gardienne". Un flot d'informations est
échangé à la vitesse de la lumière via un double langage corporel et
télépathique. Ces mots, qui ne sont pas prononcés, s'entrechoquent et se superposent, échangés à haut-débit dans une fraction de seconde
précédant le tir. Ils sont communs aux deux Battantes dans le canal qui
les relie à cet instant :
"- Je te regarde, je te ressens.
- Je te sonde, je t'envisage.
- Je pénètre ton cerveau, je m'imprègne de ton esprit.
- Je te devine, je te vis, je t'anticipe.
- Par mes gestes, je veux t'envouter, t'attirer.
- Où veux tu m'emmener ? je ne te crois pas, tu n'es qu'une illusion !
- Je sais ce que tu veux ; tout en moi te le refuse!
- Tes messages ne sont que des leurres, ils n'ont aucune vérité, seul ton
geste final compte.
- Je n'accepte que ton excellence !
- Sois forte, fais éclater ton art, sois plus que jamais Battante.
- Plus tu me résisteras et plus je jouirai de ma victoire."
A présent, seul l'instinct commande les gestes. Le tir est déclenché, un
éclair qui fait gronder l'assistance. Des milliers de cœurs battent à
l'unisson.
VOL.
La zone interdite est une grande particularité de ce sport. Maitresse en
son domaine, la "gardienne" peut déambuler à sa guise dans ce grand espace semi-oblong. Hélas, elle est souvent dérangée par des importunes tumultueuses qui, par jeu ou par défiance, s'agglutinent et se chamaillent bruyamment aux abords de son territoire. Certaines même, sans gêne aucune, vont jusqu'à pénétrer dans sa propriété privée. Pire, sachant l'interdit, d'autres passent en volant, tels des drones espions. Chasseresse de son état, la gardienne fait face aux assauts répétés de ces indésirables. Mais, ce n'est pas simple : ces créatures bondissantes, pourvues d'ailes invisibles, sont capables des mystifications et des roublardises les plus inattendues, car ce sont également des Battantes.
"STATS".
Dans cet océan tempêtueux de l'aléatoire, l'être humain,
irrémédiablement rationnel, trouve dans les nombres le moyen de se raccrocher à sa réalité. Il en met partout : maillots, affichages, chronomètres, etc... Il enregistre toutes sortes d'informations chiffrées pour analyse, comme on le fait dans les laboratoires de recherche. Il a l'honorable objectif de mettre en avant les performances des Battantes. Mais c'est une démarche illusoire : peut-on réellement quantifier toutes ces fulgurances ? Posons l'équation : si le score est de 30-21 aujourd'hui, le déroulement et le ressenti seront-t-il identiques pour un autre match au même résultat final ? Absolument pas ! Les statistiques ne sont que l'aide-mémoire nostalgique des émotions passées. L'instant présent règne en maître.
C'EST FINI?
Une corne de brume puissante, grave, céleste, retentit soudain. Je lève
les yeux ; une horloge affiche "60:00". Sur le terrain, nos Battantes
reprennent apparence humaine. On s'embrasse, on se salut, on rit, on
pleure, on danse.
Mon cerveau repasse en boucle les phases paroxysmiques de ces 60 minutes juste pour ressentir une fois encore les vagues d'émotions qui m'ont submergées. Je reprends progressivement mon état de conscience normal. Je constate que j'ai emmagasiné une énergie folle. Je me sens léger, je vais gravir des montagnes, rien ne peut m'arrêter. Mon enthousiasme me fait rire intérieurement. Mais quel prodige est à l'origine de cet état ?
Alors, j'ai cette révélation : les Battantes sont des pourvoyeuses
d'énergie positive. Voilà leur vraie mission. Dans les jours qui vont
suivre, catalysée par ces magnifiques exemples de combativité et de
créativité, une foule de personnes comme moi va entreprendre, oser,
créer, inventer, pour le bénéfice de tous.
Finalement, je comprends : mes émotions, mon pouls élevé, mes frissons, ma légèreté,...
Mesdames, Mesdemoiselles les Battantes, je vous aime!
A Nancy, France-Slovénie, le 2 Décembre 2018.