La séance de fitness se déroule comme chaque semaine : les femmes alignées en plusieurs rangées face à la scène reproduisent les mouvements proposés par la coach.
— Bien, mesdames. Pause de cinq minutes. Pensez à boire pour hydrater votre corps. Je vous rappelle que seule l'eau claire est autorisée.
Quatre trentenaires s'écartent du groupe et se dirigent vers un des angles de la vaste salle. Elles bavardent tranquillement, échangeant des nouvelles de leurs enfants.
— Ton fils a-t-il intégré le programme de préparation militaire ?
— Oui, il a enfin commencé sa session. Et il est fier de servir l'Empire.
— Je comprends. Le mien a hâte de rejoindre son unité. Il fêtera ses treize ans le mois prochain et pourra alors être enrôlé.
Jade se mêle à la conversation :
— Quelle chance vous avez d'avoir des fils ! J'aurais aimé pouvoir élever comme vous un soldat de l'Empire mais le programme de sélection m'a attribué un gamète X.
Maud lui lance un regard inquiet, lève les yeux discrètement vers le plafond et place son index sur sa bouche.
— Chut !
Jade baisse les paupières pour acquiescer. La caméra de surveillance est toujours active et toute parole contre le régime peut avoir de lourdes conséquences. La quatrième femme intervient :
— Jade, c'est une chance d'avoir une fille. La mienne se marie dans un an et pourra ensuite donner un bel enfant au soldat qui lui aura été associé.
Saisissant cette opportunité de rattraper sa bévue, Jade déclare d'une voix forte :
— Oui, bien sûr. Nos filles sont les ventres géniteurs qui garantissent l'avenir de l'Empire.
Un claquement de mains dynamique interrompt la conversation.
— Mesdames, reprenons. Il vous reste vingt-quatre minutes d'activité à effectuer pour entretenir votre corps et respecter ainsi votre contrat hebdomadaire. Vous devez être des épouses épanouies pour remplir dignement votre rôle de citoyennes et servir l'Empire avec entrain et gratitude.
La séance reprend. Les femmes, toutes vêtues de la même combinaison verte, exécutent le programme en souriant. Elles ont conscience de leur rôle et s'activent pour conserver la santé. Le fitness est la seule activité physique autorisée, un moment de détente bienvenu dans leur quotidien d'épouses et de mères. Il leur faut se dévouer aux soldats et aux enfants, travailler dans leur unité domestique qui doit être impeccablement tenue. Et assurer également l'approvisionnement alimentaire en effectuant leurs corvées dans les champs et les unités de conditionnement.
C'est en sueur mais toujours souriantes que Jade et ses trois compagnes rejoignent les vestiaires, après avoir jeté un dernier coup d’œil vers le globe noir de la caméra. Elles ont trente minutes devant elles avant que la coach ne leur ordonne de sortir du local pour retourner chez elles préparer le repas du soir pour leur époux et leur unique héritier.
Sitôt la porte refermée, les combinaisons vertes tombent et les amies se précipitent sous la douche. La loi interdit la surveillance vidéo dans les vestiaires, la coach reste à l'extérieur. Mais il est plus prudent de discuter sous l'eau, afin que le bruit de ruissellement couvre les voix.
Jade revient sur la soirée de la veille :
— Si on avait su que le match durerait si longtemps, on aurait allongé la séance.
Maud s'agace :
— Tu sais bien qu'on ne peut rien prévoir. Juste écouter à la radio pour entendre le coup de sifflet final.
— Oui, mais cette fois-ci, c'était la deuxième demi-finale du championnat. L'Empereur a fait un long discours imprévu. On est rentrées chez nous comme des voleuses pour rester finalement plus d'une heure à attendre le retour de nos hommes. Alors qu'on aurait pu rester ensemble.
— Pas d'imprudence. A vingt-deux heures, on se sépare et on rentre. Tu connais les consignes.
— L'Empereur a profité de l'occasion : tous les hommes réunis dans le stade principal, comme pour chaque match important.
— Vous savez de quoi parlait ce discours ? demande une autre femme.
— C'était un recadrage suite à la tentative d'action terroriste de lundi.
Jade s'agace :
— Bon, les filles. On a mieux à faire que de parler de l'actualité politique. Nous devons organiser notre prochaine rencontre. La finale est prévue pour quand ?
— Dans dix jours.
— Ça nous laisse le temps de nous approvisionner en matériel. La filière Epsilon est-elle toujours active ?
— Il semble qu'il y ait eu une taupe. Nous allons devoir envisager d'autres solutions.
— J'ai entendu parler d'un réseau dans le quartier Est qui pourrait nous aider. Je peux tenter un contact, si vous voulez.
— Oui, mais sois prudente. La moindre fuite peut entraîner un renforcement de la surveillance. Le bracelet électronique a été utilisé sur certaines femmes, pour contrôler leurs allées et venues les soirs de matchs.
— Pff... c'est du pipeau tout ça, souffle Jade. On sait bien que tous les hommes sont au stade. Le rugby est le seul sport collectif autorisé. Ils ne rateraient un match pour rien au monde.
— C'est clair qu'ils adorent soutenir leur équipe, hurler dans les tribunes, applaudir chaque essai et discuter entre eux pendant des heures des pronostics sur le championnat.
— Moi, je les comprends. On a si peu d'occasion de se détendre, depuis l'instauration de l'Empire.
— Chut !
Jade ajoute à voix basse :
— L'action terroriste finira par déboulonner le régime, vous verrez.
Voyant les autres femmes sortir des douches pour se sécher et s'habiller, les quatre amies prennent conscience du temps qui passe. Il ne leur reste qu'une dizaine de minutes pour évoquer l'action finale, dont l'idée a germé la veille, juste au moment où le capitaine de l'équipe AB transformait l'essai, assurant ainsi la victoire par un score sans appel : 32-6.
En s'essuyant, Jade se lance :
— Pour notre grand projet, vous êtes partantes ?
Maud lui répond en chuchotant :
— C'est risqué, tu sais. Si on se fait prendre, la répression sera terrible.
— Oui, nous le savons toutes. Mais il va bien falloir à un moment ou à un autre que les femmes s'expriment. On ne peut pas rester soumises et laisser l'Empire nous réduire à un rôle de simples ménagères. Nous aussi, nous avons des choses à dire. Nous aussi, nous pouvons nous révolter. Pourquoi les hommes seraient-ils les seuls à avoir des loisirs, à pouvoir se réunir en plein jour, à décider ce qui est bon pour nous, à définir ce qui est beau ?
Les yeux de Jade pétillent. Devant tant d'exaltation, ses compagnes sentent vibrer en elles une détermination nouvelle. Leur activité secrète dure depuis plusieurs mois. Il est temps, désormais, d'agir au grand jour, de montrer au monde ce qu'elles savent faire, de renverser l'ordre établi.
— Ça doit se passer devant le stade. C'est le meilleur endroit pour toucher un maximum de personnes.
— Oui, il faut viser la foule compacte qui quitte les tribunes à l'issue du match.
— Installons le dispositif face à l'entrée principale. Quand ils sortiront, ils seront touchés en plein cœur. Je ne vous raconte pas le choc que ça va être !
— Tout sera prêt dans dix jours ?
— Tout sera prêt et ça va péter. Ils vont ENFIN comprendre... Ils vont comprendre que la vie ne se résume pas à faire un enfant et à le transformer en un citoyen parfait. Ils vont comprendre que les femmes ont le droit de s'exprimer. Ils vont comprendre qu'il y a d'autres façons de faire que les leurs. Ils vont comprendre que l'action collective est décisive !
Toutes regardent Jade qui, emportée par son élan, vient de monter sur un banc. Elle domine le groupe et s'adresse maintenant à toutes les femmes présentes, sans prendre aucune précaution.
— Nous allons exposer nos œuvres dans la rue, devant le Café du ballon ovale, ce lieu strictement interdit aux femmes. Toutes nos toiles, sans exception. Ce sera une véritable explosion de couleurs !
— Bien, mesdames. Pause de cinq minutes. Pensez à boire pour hydrater votre corps. Je vous rappelle que seule l'eau claire est autorisée.
Quatre trentenaires s'écartent du groupe et se dirigent vers un des angles de la vaste salle. Elles bavardent tranquillement, échangeant des nouvelles de leurs enfants.
— Ton fils a-t-il intégré le programme de préparation militaire ?
— Oui, il a enfin commencé sa session. Et il est fier de servir l'Empire.
— Je comprends. Le mien a hâte de rejoindre son unité. Il fêtera ses treize ans le mois prochain et pourra alors être enrôlé.
Jade se mêle à la conversation :
— Quelle chance vous avez d'avoir des fils ! J'aurais aimé pouvoir élever comme vous un soldat de l'Empire mais le programme de sélection m'a attribué un gamète X.
Maud lui lance un regard inquiet, lève les yeux discrètement vers le plafond et place son index sur sa bouche.
— Chut !
Jade baisse les paupières pour acquiescer. La caméra de surveillance est toujours active et toute parole contre le régime peut avoir de lourdes conséquences. La quatrième femme intervient :
— Jade, c'est une chance d'avoir une fille. La mienne se marie dans un an et pourra ensuite donner un bel enfant au soldat qui lui aura été associé.
Saisissant cette opportunité de rattraper sa bévue, Jade déclare d'une voix forte :
— Oui, bien sûr. Nos filles sont les ventres géniteurs qui garantissent l'avenir de l'Empire.
Un claquement de mains dynamique interrompt la conversation.
— Mesdames, reprenons. Il vous reste vingt-quatre minutes d'activité à effectuer pour entretenir votre corps et respecter ainsi votre contrat hebdomadaire. Vous devez être des épouses épanouies pour remplir dignement votre rôle de citoyennes et servir l'Empire avec entrain et gratitude.
La séance reprend. Les femmes, toutes vêtues de la même combinaison verte, exécutent le programme en souriant. Elles ont conscience de leur rôle et s'activent pour conserver la santé. Le fitness est la seule activité physique autorisée, un moment de détente bienvenu dans leur quotidien d'épouses et de mères. Il leur faut se dévouer aux soldats et aux enfants, travailler dans leur unité domestique qui doit être impeccablement tenue. Et assurer également l'approvisionnement alimentaire en effectuant leurs corvées dans les champs et les unités de conditionnement.
C'est en sueur mais toujours souriantes que Jade et ses trois compagnes rejoignent les vestiaires, après avoir jeté un dernier coup d’œil vers le globe noir de la caméra. Elles ont trente minutes devant elles avant que la coach ne leur ordonne de sortir du local pour retourner chez elles préparer le repas du soir pour leur époux et leur unique héritier.
Sitôt la porte refermée, les combinaisons vertes tombent et les amies se précipitent sous la douche. La loi interdit la surveillance vidéo dans les vestiaires, la coach reste à l'extérieur. Mais il est plus prudent de discuter sous l'eau, afin que le bruit de ruissellement couvre les voix.
Jade revient sur la soirée de la veille :
— Si on avait su que le match durerait si longtemps, on aurait allongé la séance.
Maud s'agace :
— Tu sais bien qu'on ne peut rien prévoir. Juste écouter à la radio pour entendre le coup de sifflet final.
— Oui, mais cette fois-ci, c'était la deuxième demi-finale du championnat. L'Empereur a fait un long discours imprévu. On est rentrées chez nous comme des voleuses pour rester finalement plus d'une heure à attendre le retour de nos hommes. Alors qu'on aurait pu rester ensemble.
— Pas d'imprudence. A vingt-deux heures, on se sépare et on rentre. Tu connais les consignes.
— L'Empereur a profité de l'occasion : tous les hommes réunis dans le stade principal, comme pour chaque match important.
— Vous savez de quoi parlait ce discours ? demande une autre femme.
— C'était un recadrage suite à la tentative d'action terroriste de lundi.
Jade s'agace :
— Bon, les filles. On a mieux à faire que de parler de l'actualité politique. Nous devons organiser notre prochaine rencontre. La finale est prévue pour quand ?
— Dans dix jours.
— Ça nous laisse le temps de nous approvisionner en matériel. La filière Epsilon est-elle toujours active ?
— Il semble qu'il y ait eu une taupe. Nous allons devoir envisager d'autres solutions.
— J'ai entendu parler d'un réseau dans le quartier Est qui pourrait nous aider. Je peux tenter un contact, si vous voulez.
— Oui, mais sois prudente. La moindre fuite peut entraîner un renforcement de la surveillance. Le bracelet électronique a été utilisé sur certaines femmes, pour contrôler leurs allées et venues les soirs de matchs.
— Pff... c'est du pipeau tout ça, souffle Jade. On sait bien que tous les hommes sont au stade. Le rugby est le seul sport collectif autorisé. Ils ne rateraient un match pour rien au monde.
— C'est clair qu'ils adorent soutenir leur équipe, hurler dans les tribunes, applaudir chaque essai et discuter entre eux pendant des heures des pronostics sur le championnat.
— Moi, je les comprends. On a si peu d'occasion de se détendre, depuis l'instauration de l'Empire.
— Chut !
Jade ajoute à voix basse :
— L'action terroriste finira par déboulonner le régime, vous verrez.
Voyant les autres femmes sortir des douches pour se sécher et s'habiller, les quatre amies prennent conscience du temps qui passe. Il ne leur reste qu'une dizaine de minutes pour évoquer l'action finale, dont l'idée a germé la veille, juste au moment où le capitaine de l'équipe AB transformait l'essai, assurant ainsi la victoire par un score sans appel : 32-6.
En s'essuyant, Jade se lance :
— Pour notre grand projet, vous êtes partantes ?
Maud lui répond en chuchotant :
— C'est risqué, tu sais. Si on se fait prendre, la répression sera terrible.
— Oui, nous le savons toutes. Mais il va bien falloir à un moment ou à un autre que les femmes s'expriment. On ne peut pas rester soumises et laisser l'Empire nous réduire à un rôle de simples ménagères. Nous aussi, nous avons des choses à dire. Nous aussi, nous pouvons nous révolter. Pourquoi les hommes seraient-ils les seuls à avoir des loisirs, à pouvoir se réunir en plein jour, à décider ce qui est bon pour nous, à définir ce qui est beau ?
Les yeux de Jade pétillent. Devant tant d'exaltation, ses compagnes sentent vibrer en elles une détermination nouvelle. Leur activité secrète dure depuis plusieurs mois. Il est temps, désormais, d'agir au grand jour, de montrer au monde ce qu'elles savent faire, de renverser l'ordre établi.
— Ça doit se passer devant le stade. C'est le meilleur endroit pour toucher un maximum de personnes.
— Oui, il faut viser la foule compacte qui quitte les tribunes à l'issue du match.
— Installons le dispositif face à l'entrée principale. Quand ils sortiront, ils seront touchés en plein cœur. Je ne vous raconte pas le choc que ça va être !
— Tout sera prêt dans dix jours ?
— Tout sera prêt et ça va péter. Ils vont ENFIN comprendre... Ils vont comprendre que la vie ne se résume pas à faire un enfant et à le transformer en un citoyen parfait. Ils vont comprendre que les femmes ont le droit de s'exprimer. Ils vont comprendre qu'il y a d'autres façons de faire que les leurs. Ils vont comprendre que l'action collective est décisive !
Toutes regardent Jade qui, emportée par son élan, vient de monter sur un banc. Elle domine le groupe et s'adresse maintenant à toutes les femmes présentes, sans prendre aucune précaution.
— Nous allons exposer nos œuvres dans la rue, devant le Café du ballon ovale, ce lieu strictement interdit aux femmes. Toutes nos toiles, sans exception. Ce sera une véritable explosion de couleurs !